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Première édition critique de L'Astrée d'Honoré d'Urfé

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Ce Glossaire réunit des mots qui viennent de toutes les éditions étudiées dans ce site. Les numéros renvoient toujours aux pages de l'édition de 1621.

Le travail de la variante affecte énormément le vocabulaire. C'est dans l'analyse de l'Évolution de la langue que j'explique l'intérêt des différences entre les éditions de départ, celles de 1607, de 1610, de 1619, et l'édition de référence, celle de 1621. Dans ce Glossaire, je signale les changements de genre (affaire, doute) ou de graphie (escuyerie, treuver), ainsi que les remplacements les plus drastiques (accourir devient contribuer). Les définitions souvent indiquent l'âge des mots ; le lecteur peut donc distinguer l'archaïsme de la coquille. J'espère que les néophytes trouveront ici des renseignements utiles et que les experts sauront ignorer ce qu'ils jugent simple.

Les mots et acceptions propres à chacune des trois parties de L'Astrée sont aisément reconnaissables grâce au chiffre qui se trouve dans la troisième colonne, et grâce à la couleur de la deuxième colonne.

PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
TROISIÈME PARTIE
QUATRIÈME PARTIE

Certains mots jouissent d'entrées successives lorsqu'ils reçoivent des acceptions supplémentaires (accommodé par exemple).

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Séduit par la langue d'Honoré d'Urfé, Saint-Marc-Girardin dresse un Index de L'Astrée qu'il offre à l'Académie française en 1845 (p. 458). Se basant sur les cinq volumes de l'édition de 1633, il présente une liste des mots qui lui paraissent intéressants (de Aboucher à Yeux de l'esprit) à côté des phrases dans lesquelles ils apparaissent. Je note pour la petite histoire que le Dictionnaire de l'Académie ne porte aucune trace de cet Index ou du roman d'Honoré d'Urfé (Message de Patrick Vannier, du Secrétariat de l'Académie française, le 20 janvier 2014). Le Grand Robert déçoit également. Dans la version électronique de 2005, le nom de d'Urfé revient neuf fois, mais avec trois renvois seulement à des mots tirés du roman (Articles Céladon, Service, Volupté) η.

La conclusion que Saint-Marc-Girardin tire de son Index de L'Astrée figure dans le Cours qu'il a consacré au roman :

De tous les auteurs qui ont servi de précurseurs à notre grande littérature, d'Urfé est celui qui a le plus prêté à cette littérature et l'a le plus aidée à naître et à grandir, soit que nous considérions le style de l'Astrée, soit que nous en considérions le fond (p. 101).

Précurseur ? aider à naître et grandir ? Le vocabulaire de L'Astrée illustre en effet le passage du français du XVIe siècle au français du XVIIe siècle.

Pour le démontrer, j'adjoins des définitions tirées de différents dictionnaires pour expliquer les mots qui peuvent dérouter un lecteur du XXIe siècle :

S'il y a un endroit où les citations soient vraiment à leur place, c'est dans ces livres appelés dictionnaires ou vocabulaires, dans lesquels on se propose avant tout de faire connaître le sens des mots et des expressions (Larousse du XIXe, Article Citation).

Certains termes, aujourd'hui inconnus ou méconnus, sont expliqués dans les dictionnaires du XVIIe siècle, d'autres se trouvent seulement dans des dictionnaires plus anciens. Le Dictionnaire universel d'Antoine Furetière, paru en 1690, témoigne de l'état de la langue à la fin du XVIIe siècle ; c'est le lexique que d'Urfé lui-même aurait jugé moderne. Le Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle d'Edmond Huguet présente une langue plus ancienne, c'est-à-dire des termes que nous pouvons considérer comme archaïques. Étant donné que Huguet (1863 - 1948) et Furetière (1619 - 1688) connaissent L'Astrée et la citent dans leur œuvre, leurs dictionnaires sont, à bon droit, les deux principaux points de repère dans ce Glossaire. Je renvoie à d'autres dictionnaires uniquement lorsque je leur ai emprunté des renseignements complémentaires.

Dans la première partie, en 1607, Honoré d'Urfé prête une signification archaïque à quelques mots dont la meilleure définition est dans le Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle de Huguet. C'est le cas de Allongir, Dés [depuis], Désastré, Fois, Quelquefois, Mespartir par exemple. D'autres mots en revanche ont plutôt le sens que leur attribue Furetière en 1690. C'est le cas notamment de : Arrester, Houssine, Lancette, Lune, Mante, Mélancolie, Œil (à l'), Perspective, Ruelle, Temporiser.

Dans la deuxième partie, en 1610, vocabulaire archaïque et vocabulaire moderne cohabitent toujours. On rencontre nombre de mots que Furetière ignore ou juge anciens : des substantifs (nouvelleté), des adjectifs (outré pour blessé), des verbes (appendre), des verbes substantivés (le faillir) et des locutions (sembler de). On rencontre aussi des expressions tombées dans l'oubli au XVIIe siècle (s'aimer en un lieu) et même des prépositions qui conservent leur sens médiéval (contre pour vers). Néanmoins, beaucoup de mots ont des acceptions modernes que Huguet ne signale pas, par exemple, combattre (pour délibérer), corps-de-jupe, renouement, robe volante, tour de lit, ou encore faire vie, perdre ses pas, prendre une conclusion, et surtout dernier (signifiant le plus), adjectif de prédilection des Précieuses.

La troisième partie, en 1619, présente encore des formes anciennes signalées seulement dans Huguet ou dans des dictionnaires plus anciens. Les verbes substantivés survivent (le sauter, le taire, le vivre). Les prépositions peuvent surprendre : rare aux changemens, absent de quelqu'un ou être en impatience. L'absence de préposition aussi étonne : consentir, échapper, profiter ou ressembler sont des verbes transitifs.

La troisième partie se distingue par le vocabulaire savant qu'elle introduit. Il s'agit de mots techniques qui ne se trouvent pas tous dans les dictionnaires de langue, comme acerta, bardiac, eaux imperiales, gesse, Janclides, mole salée, mougnon, onguent de la sympathie et simpulle. Par ailleurs, cette troisième partie renferme un passé simple qui vient peut-être du patois forézien, je remontis. Néanmoins, elle offre deux constructions assez originales qui annoncent le langage précieux : la solitude d'un lieu et aimer furieusement.

Il n'y a pas de surprises dans la quatrième partie de 1624 - un texte qui n'a pas été revu par l'auteur. Des mots désuets décrivent les fêtes d'antan (tinel, bahour), la chasse au sanglier (le fort, les toiles) et les robes de cour jointes au corps avec les manches coupées. Les archaïsmes frappent le lecteur : un espie pour un espion, enjoindre pour joindre, lors pour alors, vouer pour faire vœu de, ainsi que pour alors que. Il faut plus d'attention pour remarquer les quelques formes nouvelles : antichambre, coureuse, ou encore éventail et tomber de sa hauteur (pour être étonné).

Dans l'ensemble, Honoré d'Urfé a-t-il un vocabulaire plutôt archaïque ou plutôt moderne ? Répondre à cette question oiseuse serait faire preuve de témérité.

La Requête des dictionnaires, texte satirique écrit avant 1650 (peut-être par Gilles Ménage) impose d'ailleurs la prudence. Ceux qui se moquent des « mots efféminés » (comme une reproche ou une doute) rejettent en même temps le mot iver ou le mot état. Le genre et la graphie de certains mots divisent les esprits tout au long du siècle (Pellisson, I, p. 482-483). Les « Dictionnaires » concluent leur réquisitoire en recourant à « Monsieur l'Usage » - comme le fait Vaugelas, et comme le faisait déjà Horace dans « L'Épître aux Pisons ».

Tel mot qui fut hier à la mode,
Aujourd'hui se trouve incommode (Pellisson, I, p. 488).

La nature même de « Monsieur l'Usage » lui interdit de rester immobile. Non seulement « Monsieur l'Usage » a changé entre la parution de la première partie anonyme de L'Astrée en 1607, la réunion des trois parties en 1621, et la publication de suites, mais encore, vraisemblablement, « Monsieur l'Usage » a dû s'altérer entre Paris, le Forez et la Savoie.

Honoré d'Urfé, s'il reconnaît le pouvoir contraignant de l'usage, ne va pas jusqu'à admirer la vox populi. La vallée du Vaucluse par exemple

fut au commencement appellee Val-Close, et enfin par  corruption du langage, duquel le vulgaire ignorant, est tousjours le maistre, elle fut nommee Vaucluse (III, 3, 78 recto).

En fait,

le peuple a eu tant de pouvoir sur les plus sçavans, que chacun pour estre entendu a esté contrainct de dire comme eux, et consentir à leur erreur (II, 8, 510).

D'Urfé se plie aux usages de son temps ; sensible à l'étymologie, il réfléchit sur la langue. Une édition critique de L'Astrée doit le montrer.

Aujourd'hui, sommes-nous en mesure de distinguer ce que le bon usage acceptait ou rejetait au début du XVIIe siècle ? Prenons l'exemple de pennache. Mot ancien ? Pennache est signalé comme mot à la mode par Huguet. Il figure encore en 1694 dans le Dictionnaire de l'Académie - toutefois, on indique alors que pennache se prononce panache. Qu'en est-il de l'expression faciliter les difficultés pour les aplanir ? Acception archaïque du verbe faciliter ? La Curne de Sainte-Palaye signale qu'Étienne Pasquier met faciliter « au rang des mots nouvellement introduits ». Du temps de L'Astrée, matineux était préféré à matinal, à ceste heure était plus courant que maintenant ... Quelques vers de La Requête des dictionnaires nous apprennent que les tenants du vocabulaire moderne, les tenants de Malherbe donc, voulaient

Proscrire encore néanmoins,
Pourquoi, d'autant, cependant, oncques,
Or, toutefois, partant, or doncques,
Et prononcer un interdit
Tant contre ladite et le dit
Que contre lequel et laquelle,
Un quidant, un tel, une telle (cité dans Pellisson, I, p. 480).

SignetVoici enfin le plus troublant des exemples : le Despendre qu'on lit dans l'édition de L'Astrée de 1607 est remplacé par Depenser en 1621 (I, 2, 41 recto). La leçon de 1621 nous paraît plus moderne. Est-ce bien le cas ?
C'est dans un ouvrage du XVIe siècle qu'on lit cet apologue :

Rabelais dit, que Panurge en son voyage d'Italie apprint plus de soixante et dixhuit inventions pour recouvrer argent : mais apres qu'il eut quelque temps hanté les François et les Espagnols, il sçavoit plus de cent magnifiques manieres pour le despendre
(La Nouë, p. 467).

Et pourtant Vaugelas explique en 1645 :

Dependre, depenser. [...] tous deux sont bons, et se disent et s'escrivent tous les jours, avec cette difference pourtant, que despenser, autrefois estoit plus en usage à la Cour, que dependre, et qu'aujourd'huy tout au contraire on y dit plustost dependre que despenser (pp. 247-248).

En somme, les « mots antiques » ne sont pas toujours ceux que l'on croit (metail / metal, par exemple). Il est nécessaire de les relever et de leur attribuer une étiquette décollable !

Malgré ces difficultés (ou à cause d'elles), l'enquête est profitable puisqu'elle répand le plus possible de lumière sur la langue d'Honoré d'Urfé, cet homme de la transition dont les publications illustrent l'état du français pendant un quart de siècle.

Comme l'explique la « Préface » du Dictionnaire de l'Académie en 1694, les définitions, même fastidieuses, nous font

entrer dans la connoissance des plus secrets ressorts de la Raison, qui a tant de rapport avec la Parole, que dans la Langue Greque la Parole et la Raison n'ont qu'un mesme nom.

« Appartient à la pensée tout ce qui doit être établi par le langage », affirme Aristote (1456 b).