Généalogie
où ceux dont je suis descendu, depuis
leur sortie de Suobe, ont vescu si
honorablement par tant de siecles.
Honoré d'Urfé,
L'Astrée,
I, L'Autheur à la Bergere Astrée, n. p.
par le comte de Neufbourg :
Il est rare qu'une famille parvenue à la notoriété
se maintienne plus de cinq ou six générations
[200 ans] après son ascension.
Édouard Perroy
Études d'histoire médiévale, p. 188.
1 La généalogie manuscrite publiée en 1895 par le chanoine Reure a apporté des détails inattendus qui ont confirmé ou inspiré plusieurs chercheurs au fil des siècles. À mon tour, j'ai glané des renseignements dans les travaux du Père Anselme, d'Auguste Bernard, de Guichenon, de La Chesnaye, de La Mure, de Moréri, de Panisse-Passis, de Perroy, dans le site de Florian et Guillaume Dury, La Bastie d'Urfé en Forez, dans celui de David et Joseph Barou, Forez histoire, et, bien entendu, dans le livre que le chanoine a consacré à Honoré d'Urfé.
Claude Longeon, tout en enrichissant notre connaissance du Forez et des d'Urfé, s'est montré indûment sévère : « Les d'Urfé exploitèrent au XVIe siècle la crédulité populaire pour donner à leur maison une dimension mythique, gage le plus sûr de son antiquité » (p. 62). Comme le baron de Meaux, il écarte les origines allemandes de la famille (voir Suabe).
La généalogie démontre que les d'Urfé faisaient partie intégrante de la grande noblesse du temps. Honoré d'Urfé disait « Mon cousin » au duc de Savoie η et au duc de Mayenne, l'un des principaux chefs de la Ligue η. Le père Menestrier, en expliquant en 1684 Les Diverses especes de noblesse, et les manieres d'en dresser les Preuves, range les d'Urfé parmi les deux cents Maisons de
« grande noblesse » (p. 190).
2 La Famille maternelle
Par sa mère, Honoré d'Urfé descend de René, Grand Bâtard de Savoie η, et d'Anne de Lascaris η, comtesse de Tende. Brantôme ne cache pas son admiration pour René de Savoie η, « Grand Maistre de France » :
On le tenoit pour un fort sage et advisé capitaine. J'ay ouy dire à aucuns vieux gens-d'armes que la compaignie de cent hommes d'armes qu'il avoit, estoit la plus belle que l'on vit jamais despuis que l'institution en fut facites, et le tenait-on ainsy alors (p. 342).
La famille de René de Savoie η, extrêmement riche, désire par dessus tout garantir la survie de ses titres. Les Archives de Turin, celles de Savoie, et celles de Nice recèlent de précieux documents que le comte (puis marquis) de Panisse-Passis étudie scrupuleusement en 1889. Il leur adjoint des archives qui se trouvent au manoir de Villeneuve, château d'Henrye de Savoie, duchesse de Mayenne, dont sa famille a hérité (p. 10). Bien que l'auteur éprouve peu de sympathie pour la mère d'Honoré d'Urfé, « la vindicative marquise » (Ibid., p. 151), les renseignements qu'il réunit sont d'un grand intérêt parce qu'ils éclairent les démêlés de la mère et du frère d'Honoré d'Urfé avec le duc de Savoie η.
Le premier indice des difficultés rencontrées par les descendants de René de Savoie η se trouve en 1552 dans le testament de son épouse, Anne de Lascaris η. Il est spécifié que le comté de Tende doit passer aux hommes nés d'unions légitimes, qu'il est interdit de vendre ou d'hypothéquer les domaines, sauf pour payer la rançon d'un prisonnier. Il faut aussi renoncer au titre et aux armes de Tende si on prend un autre titre (Archives de Turin, section 1e, cité par Panisse-Passis, pp. 240-244).
Le comté de Tende sera longtemps un objet de contention pour les descendants du Grand Bâtard de Savoie.
Armes de René de Savoie, comte de Tende
http://jean.gallian.free.fr/savoie/blas-sav.htm
Dessin d'Arnaud Bunel, Héraldique européenne
Les ducs de Savoie ont toujours espéré s'approprier des domaines du Grand Bâtard pour réunir leurs territoires - la Savoie η a été comparée à un gruyère à cause de la dispersion des terres. Lorsqu'ils ont servi d'arbitres entre les héritiers, les ducs ont favorisé ceux qui promettaient de leur rendre le comté de Tende pour être en mesure de relier par une bonne route le Piémont et Nice (Ménabréa, p. 146). Tende est en effet une « enclave française entre les États du duc en Piémont et le comté de Nice » (Panisse-Passis, p. 151), et un château-fort que l'artillerie ennemie ne peut pas atteindre (Ibid., p. 155).
Lire les titres de Claude de Savoie, le fils du Grand Bâtard et le père de la marquise d'Urfé, c'est deviner les sujets des querelles qui doivent suivre son décès : les terres qu'il possède. Guichenon les présente dans les « Preuves » qu'il réunit tout à la fin de son Histoire généalogique (III, p. 1103) :
Claude de Savoie,
comte de Tendes et de Sommerive, Seigneur de Marro et de Prala, Gouverneur et grand Senechal de Provence
Claude s'entend très mal avec le fils qu'il a eu de Marie de Chabannes, Honoré ou Honorat de Savoie η, le futur oncle et parrain d'Honoré. Il lui préfère le fils né du second mariage qu'il a contracté - avec une protestante, Françoise de Foix. Cette union mécontente les Provençaux. Brantôme décrit les réactions de ces « gens bizarres, fantastiques et mal aysés à ferrer, mais pourtant très-braves et vaillans » (p. 343) : parce qu'ils n'apprécient pas l'alliance de leur gouverneur avec une hérétique, ils disent
que trois choses gastroient la Provence, le vent, la comtesse et la Durance ; car les vents, quand ils s'y mettent, sont terriblememnt grands et font beaucoup de maux au pays, comme la riviere de Durance, quand elle est grosse et desbordée, elle se fait si furieuse et impetueuse qu'elle fait de grands maux (p. 343).
Les guerres de religion enveniment les relations de Claude et d'Honorat à cause de la « politique de bascule » de Catherine de Médicis (Panisse-Passis, p. 89 sq.). Le pouvoir royal parfois protège les protestants, et parfois les maltraite. Claude de Savoie reçoit des ordres contradictoires. Un document conservé dans les papiers de Peiresc en témoigne (Ibid., p. 134). Honorat η de Savoie, ligueur pur et dur, se dresse contre son père, gouverneur conciliant, prudent et peut-être sincèrement tolérant. Brantôme considère Honorat η de Savoie comme « un brave et vaillant seigneur, et un très-homme de bien et d'honneur » (p. 343) ; il le nomme M. de Sommerive η. Lors de la bataille de Sisteron en 1562 (Garrisson, p. 168), père et fils sont dans des camps opposés. Claude meurt en 1566, et son fils préféré le suit dans la tombe en 1568, peut-être assassiné sans que son demi-frère n'intervienne (Panisse-Passis, p. 16). Honorat de Savoie décède en 1572 sans laisser d'héritier et sans laisser de testament.
Il ne reste plus aucun enfant mâle dans la branche aînée de la famille du Grand Bâtard de Savoie. L'héritage passe donc au frère cadet de Claude de Savoie, un autre Honoré ou Honorat de Savoie qui, lui, porte le titre de marquis de Villars, « un bon et sage seigneur et capitaine » (Brantôme, p. 344). Gouverneur de Guyenne, il s'enrichit considérablement.
C'est à partir de ce moment que la mère d'Honoré d'Urfé, fille aînée de Claude de Savoie, intervient. « Elle revendiqua le comté de Tende avec une hardiesse, une vigueur et une opiniâtreté extraordinaires » (Reure, p. 7). Elle va « déployer toutes les ressources de l’astuce féminine, de la chicane judiciaire, sans préjudice du recours aux armes et aux mesures les plus violentes », précise l'historien des comtes de Tende (Panisse-Passis, p. 150). Renée de Savoie η réclame une nouvelle part de l'héritage de sa grand-mère, Anne de Lascaris. Le Parlement d'Aix et les Sénats de Gênes, de Savoie et de Turin sont tour à tour saisis de l'affaire. Le duc Emmanuel-Philibert de Savoie est appelé à servir d'arbitre. Pendant quelque temps, les habitants de Tende se divisent entre partisans d'Honorat, marquis de Villars, et partisans de Renée η, marquise d'Urfé. Victorieuse, Renée bannit ceux qui soutenaient son rival. Elle les poursuit de sa vindicte jusqu'à Gênes en les accusant d'être « luthériens ». La marquise d'Urfé signe alors « Tande DURFÉ » les missives qu'elle envoie au duc de Savoie (Archives de Turin, « Correspondance des comtes de Tende », cité par Panisse-Passis, p. 163).
Honorat de Savoie, marquis de Villars, se bat pendant quelques années contre sa nièce en présentant des plaintes auprès du duc de Savoie η. Il décède en 1580. Sa fille unique, Henrye ou Henriette de Savoie, lui survit et continue à défendre ses droits sur l'héritage d'Anne de Lascaris η. Les disputes se poursuivent entre les cousines germaines, Renée η, veuve de Jacques d'Urfé (depuis 1574), et Henrye, épouse du duc de Mayenne (depuis 1576). Catherine de Médicis elle-même est appelée à donner son opinion lors d'un séjour à Grenoble en 1579. Le duc de Savoie η signe un accord secret avec Renée (Guichenon, p. 68). Le résultat n'étonnera personne : « Les actes concernant cette cession η forment deux volumes entiers conservés aux Archives royales de Turin sous le titre de Citta è contado di Nizza, mazzo 53 » (Panisse-Passis, p. 184, note 3) !
Les droits de Renée de Savoie η semblent clairs parce que sa grand-mère, Anne de Lascaris η, a tout prévu dans son testament, même le cas où ses héritiers mâles disparaîtraient :
Et ou le dit René ou aultres enfans masles que mon dit fiz pouroit avoir en loyal mariage decederoit sans enfans males aussi procrées en loyal mariage Je veulx et ordonne que la dicte Renée de Tende fillie aisnée de mon dit filz Claude Comte de Tende et les siens descendants d’elles s’ilz sont masles ou en deffault des masles la fillie aisnée succedent universellement a tous mes dits biens (Archives de Turin, section 1e, cité par Panisse-Passis, p. 267).
Néanmoins, Henrye de Savoie conteste les droits de sa cousine. Plus encore, comme elle a perdu tous ses fils tour à tour, Henrye stipule dans son propre testament que les enfants de sa fille, Catherine de Lorraine, doivent se substituer à leurs oncles décédés. Entre temps, la marquise d'Urfé η échange le comté de Tende contre Bâgé η. Le duc de Savoie η l'érige en marquisat. Divers documents des Archives de Savoie le prouvent (FRAD73-10F 330. Vue 57. Voir Événements).
Une autre terre fait problème, le comté de Sommerive η qui appartenait aussi à Anne de Lascaris η. En 1621, Jacques II η d'Urfé fait valoir ses droits sur ce comté après le décès du dernier fils d'Henrye de Savoie et du duc de Mayenne. Il en obtient l'investiture en 1623. Selon le comte Panisse-Passis, Sommerive reste dans la famille d'Urfé (p. 189).
En fait, les choses ne sont pas du tout si simples. Des documents des Archives de Savoie (FRAD73-4B1049) nous apprennent que le petit-fils d'Henye de Savoie, le duc de Nevers, fils de Catherine de Lorraine et de Charles de Gonzague, réclame et obtient Sommerive η. Le duc de Savoie η, de plus, demande une forte somme d'argent à Jacques η.
Grâce à l'obligeance de Madame Maria Barbara Bertini des Archives de Turin, que je remercie de nouveau ici, j'ai vu des descriptions de ces transactions (reproduites dans la note consacrée à Sommerive η). Les démêlés autour de Sommerive ont duré plus de dix ans. Il s'avère que leur version italienne et leur version savoyarde ne sont pas parfaitement identiques. Le résultat, pourtant, est le même. Quel que soit l'ordre exact des événements qui se sont déroulés à Turin dans les années 20, il est certain que Jacques II η d'Urfé, mécontent, abandonne la Cour et son poste d'amiral. Comme Honoré d'Urfé est mort en 1625, les liens de la famille d'Urfé avec la Savoie se défont.
3 Les Ancêtres paternels
Les moments forts de l'histoire de la famille d'Urfé figurent dans Événements. La Biographie d'Honoré d'Urfé est dans un fichier indépendant. La vie de trois des frères d'Honoré, Jacques II η, Christophe η et Antoine η, est résumée dans les Notes. L'aîné, Anne η, a eu son biographe, Claude Longeon. Les filles η d'Urfé ont fait souche en France, en Italie, en Belgique et en Savoie. L'une d'entre elles, Catherine, a laissé deux testaments qui montrent qu'elle a changé d'exécuteur testamentaire, passant de Jacques II η à Honoré en 1613 (Voir Événements). Geneviève η, la fille aînée de Jacques II η, survit grâce à Tallemant des Réaux (I, pp. 592-593) et grâce à Van Dyck (Voir ce site, 30 septembre 2010). La seconde fille de Jacques, Gabrielle η, nous a donné la quatrième partie de L'Astrée.
La première partie de la généalogie des d'Urfé vient du livre d'Edouard Perroy, Études d'histoire médiévale (p. 730).
4 La Famille de Claude d'Urfé