L'Astrée
d'Honoré d'Urfé
Troisième partie
Astrée III
Watkinson Library, Trinity College (É-U.), PQ 1707.U7
(Voir Illustrations)
Pavane dite « Grand bal ».
Library of Congress. An American Ballroom Companion (1997).
Transcription :
L'Astrée du sieur d'Urfé.
À Paris Par la Société des Imprimeurs η.
L'Astrée
DE MESSIRE
HONORÉ D'URFÉ,
MARQUIS DE VERROMÉ η,
Comte de Châteauneuf, Baron de Châteaumorand η,
Chevalier de l'Ordre de Savoie η, etc.
Où
PAR PLUSIEURS HISTOIRES ET SOUS
personnes de Bergers et d'autres sont déduits les divers
effets de l'honnête Amitié.
TROISIÈME PARTIE.
Revue, corrigée, et augmentée de beaucoup
en cette dernière Édition.
Dédié au roi.
À PARIS,
Chez TOUSSAINT DU BRAY, rue St. Jacques,
aux Épis-mûrs : Et en sa boutique au Palais
en la Galerie des Prisonniers.
1621
AVEC PRIVILÈGE DU roi.
Éd. Vaganay, III, pp. 3-4.
AU ROI
Sire,
Cette Bergère qui s'ose présenter maintenant devant vos yeux est celle‑là même qui, autrefois, prenant une semblable hardiesse, fut reçue avec tant de faveurs par HENRI LE GRAND de très heureuse et très glorieuse mémoire, Père de votre Majesté. J'avais cru, en la lui dédiant, que cette ASTRÉE, que la sage Antiquité a toujours prise pour la JUSTICE,
se devait offrir à celui qui, par ses armes, lui avait donné envie de descendre du Ciel pour revenir dans les Gaules, son ancienne et plus agréable demeure η. Mais aussitôt qu'elle a ouï le nom de Louis que V. M. porte, elle a incontinent jugé qu'elle était bien plus obligée de se donner toute à vous, SIRE, puisque, par l'élection d'une très heureuse destinée, s'il est vrai que les LOIS soient une même chose que la JUSTICE, votre nom glorieux et le sien ne signifient qu'une même chose : celui de LOUIS ne pouvant être écrit que l'on n'y lise aussi cette sacrée parole de LOIS η. Considérant cette heureuse rencontre de votre Nom avec votre louable inclination, j'avoue que je l’ai prise pour un infaillible augure que, comme
nous avons eu un HENRI LE GRAND par qui la France chancelante avait été relevée et raffermie, ou, pour mieux dire, par qui, étant perdue, elle avait été reconquise, de même nous verrons en nos jours un LOUIS LE JUSTE qui lui rendra sa première splendeur, et la maintiendra en son ancienne Majesté avec tant de prudence et d'équité que ce Règne ne sera pas moins admirable ni redoutable par les solides fondements d’une durable Paix que celui qui est passé l'a été par la force et par les armes. Dieu, qui a toujours maintenu la Couronne que vous portez avec des particuliers soins par-dessus toutes les autres de la Terre, augmentera le nombre de ses Grâces en V. M. tant que cette ASTRÉE sera en votre âme
et en vos desseins, et tant que l'épée que vous aurez au côté ne sera employée que pour la maintenir, on ne tranchera η que par ses mains. Ne l'éloignez donc point de vous, SIRE, mais au contraire, à l'imitation de ce Grand Roi, Père η de V. M., aimez-la, et la chérissez avec une très certaine assurance que, tant que vous réglerez vos actions à son exemple, vous acquerrez une extrême Gloire par-dessus tous les Princes de la Terre, une très grande Amour parmi vos Peuples, et une infinie bénédiction de la main de Dieu. Toute l'Europe attend ces effets de V. M., tous les Français les espèrent, et tous bons et fidèles sujets les souhaitent. Et moi, SIRE, en cette qualité η, j'en supplie Dieu avec tous ceux qui désirent
la grandeur de votre Couronne, le repos de vos Peuples, et la gloire de votre Nom, comme celui qui sera à jamais,
SIRE,
Très humble, très fidèle et
très obéissant serviteur et
sujet de votre Majesté,
HONORÉ D'URFÉ.
Le portrait de l'auteur manque. Voir Illustrations.
Éd. Vaganay, III, pp. 5-7.
Éd. de 1619, n.p.
L'AUTEUR
À la Rivière de LIGNON.
BELLE et agréable rivière de Lignon sur les bords de laquelle j'ai passé si heureusement mon enfance et la plus tendre partie de ma première jeunesse, quelque payement que ma plume ait pu te faire, j'avoue que je te suis encore grandement redevable pour tant de contentements η que j'ai reçus le long de ton rivage, à l'ombre de tes arbres feuillus, et à la fraîcheur de tes belles eaux, quand l'innocence de mon âge me laissait jouir de moi-même, et me permettait de goûter en repos les bonheurs et les félicités
que le Ciel d'une main libérale répandait sur ce bienheureux Pays que tu arroses de tes claires et vives ondes. Mais il faut que tu croies pour ma satisfaction que, s'il me restait encore quelque chose avec laquelle je te pusse mieux témoigner le ressentiment que j'ai des faveurs que tu m'as faites, je serais aussi prompt à te la présenter que de bon cœur j'en ai reçu les obligations et les contentements. Et pour preuve de ce que je dis, ne pouvant te payer d'une monnaie de plus haut prix η que de la même que tu m'as donnée, je te voue et te consacre, ô mon cher LIGNON, toutes les douces pensées, tous les amoureux soupirs, et tous les désirs plus ardents qui, durant une saison si heureuse ont * nourri mon âme de si doux entretiens qu'à jamais le souvenir en vivra dans mon cœur. Que si tu as aussi bien la mémoire des agréables occupations que tu m'as données,
comme tes bords ont été bien souvent les fidèles secrétaires de mes imaginations et des douceurs d'une vie si désirable, je m'assure que tu reconnaîtras aisément qu'à ce coup je ne te donne, ni t'offre rien de nouveau et qui ne te soit déjà acquis depuis la naissance de la passion que tu as vue commencer, augmenter et parvenir à sa perfection le long de ton agréable rivage. Et que ces feux, ces passions, et ces transports, ces désirs, ces soupirs et ces impatiences sont les mêmes que la Beauté qui te rendait tant estimé par-dessus toutes les Rivières de l'Europe fit naître en moi durant le temps que je fréquentais tes bords, et que, libre de toute autre passion, toutes mes pensées commençaient et finissaient en elle, et tous mes desseins et tous mes désirs se limitaient à sa volonté. Et si la mémoire de ces choses passées t'est autant agréable que mon âme ne se peut rien
imaginer qui lui apporte plus de contentement, je m'assure qu'elles te seront chères, et que tu les conserveras curieusement dans tes demeures sacrées η pour les enseigner à tes gentilles Naïades, qui peut-être prendront plaisir de les raconter quelquefois, la moitié du corps hors de tes fraîches ondes, aux belles Dryades et Napées qui le soir se plaisent à danser au clair de la Lune parmi les prés qui émaillent ton rivage d'un perpétuel Printemps de fleurs. Et quand Diane même avec le chaste Chœur de ses Nymphes η viendrait après une pénible chasse dépouiller ses sueurs η dans ton sein, ne fais point de difficulté de les raconter devant elles. Et sois assuré, ô mon cher LIGNON, qu'elles n'y trouveront une seule pensée qui puisse offenser leurs chastes et pudiques oreilles. Le feu η qui alluma cette affection fut si clair et beau qu'il n'eut point de fumée, et l'embrasement
si pur et net qu'il ne laissa jamais noirceur après la brûlure en pas une de mes actions, ni de mes désirs.
Que s'il se trouve sur tes bords quelque âme sévère qui me reprenne d'employer le temps à ces jeunes pensées, maintenant que tant d'Hivers ont depuis neigé dessus ma tête et que de plus solides viandes devraient désormais repaître mon esprit, je te supplie, ô mon cher LIGNON, réponds-lui pour ma défense : Que les affaires d'État ne s'entendent que difficilement, sinon par ceux qui les manient ; celles du Public sont incertaines, et celles des particuliers bien cachées, et qu'en toutes la vérité est odieuse η ;
Que la Philosophie est épineuse, la Théologie chatouilleuse, et les sciences traitées par tant de doctes personnages que ceux qui en notre siècle en veulent écrire courent une grande fortune ou de déplaire, ou de travailler inutilement, et peut-être de se perdre eux-mêmes
aussi bien que le temps et le soin qu'ingratement ils y emploient. Mais qu'outre cela il faut qu'elle sache η que les nœuds dont je fus lié dès le commencement sont Gordiens, et que la mort seule en peut être l'Alexandre. Que le feu qui me brûla est semblable à celui qui ne se pouvait éteindre que par la terre, et que celle de mon tombeau seule en peut étouffer la flamme. De sorte que l'on ne doit trouver étrange si, la cause ne cessant point, l'effet en continue encore. Que ni les Hivers passés, ni tous ceux qu'il plaira à mon destin de redoubler à l'avenir sur mes années, n'auront jamais assez de glaçons, ni de froideurs pour geler en mon âme les ardentes pensées d'une vie si heureuse. Ni je ne croirai point pouvoir jamais trouver une plus solide nourriture que celle que je reçois de son agréable ressouvenir, puisque toutes les autres qui depuis m'ont été diverses fois présentées m'ont toujours
laissé avec un si grand dégoûtement et avec un estomac si mal disposé que je tiens pour une maxime très certaine, LA PEINE, L'INQUIÉTUDE, ET LA PERTE DU TEMPS ÊTRE DES ACCIDENTS INSÉPARABLES DE L'AMBITION η. Et au contraire, aimer, que nos vieux et très sages Pères disaient AMER, qu'est-ce autre chose qu'abréger le mot d'ANIMER, c'est-à-dire faire la propre action de l'Âme ? Aussi les plus savants η ont dit il y a longtemps qu'elle vit plutôt dans le corps qu'elle aime que dans celui qu'elle anime. Si Aimer est donc la vraie et naturelle action de notre âme, qui est le sévère Censeur qui me pourra reprendre de repasser par la mémoire les chères et douces pensées des plus agréables actions que jamais cette Âme ait produites en moi ? Que personne ne trouve donc mauvais si je m'en ressouviens aussi longtemps que je vivrai. Et
de peur que, même par ma mort, elles ne cessent de vivre, je te les remets, ô mon cher et bien aimé LIGNON, afin que, les conservant et les publiant, tu leur donnes une seconde vie qui puisse continuer autant que la source éternelle te produit, et que par ainsi elles demeurent à la postérité aussi longuement que dans la France
l'on parlera Français η.
Le Privilège du Roi est inséré à la
fin du Livre.
Éd. Vaganay, III, p. 8.
ODE η
À LA RIVIÈRE
DE LIGNON
Par le Sr. de Baro.
LIgnon qui par un doux murmure
Charmes les soucis plus cuisants,
Pour te garantir de l'injure
Et de la puissance des ans,
Urfé fait voir à tout le monde
Tant de merveilles de ton onde,
Et tant de beautés, que je crois
Que par sa plume glorieuse
Il rendra la mer envieuse
Et ses eaux jalouses de toi.
Aussi les bords que ton rivage
Émaille de belles couleurs,
Par un miracle de notre âge,
Ont moins de roseaux que de fleurs ;
Et les beaux yeux de tes Bergères,
Plus divines que bocagères,
Brûlent nos cœurs ; mais tellement
Que tu peux bénir la fortune,
Si l'eau que tu dois à Neptune
S'oppose à cet embrasement.
Encore serait-il impossible
À cet Élément d'empêcher,
Que ton cœur ne reçût sensible
Les traits qu'elles savent lâcher.
Mais considérant leur visage,
La crainte de vivre en servage
Donne des ailes à tes pas,
Et fait que tu fuis leur présence
Pour rencontrer plus d'assurance
Dans la mer que dans leurs appâts.
Combien de fois la jalousie
M'a fait souhaiter de pouvoir
Goûter les douceurs de la vie
Dont tu jouis sans le savoir ?
Poussé de ce désir extrême,
J'ai dit mille fois en moi-même :
Ô Dieu dont j'adore le nom,
Fais à mon Amour cette grâce,
Que Lignon occupe ma place,
Ou bien moi celle de Lignon.
Jamais la clarté de mon onde
Ne s'éloignerait de ces lieux,
Pour chercher ailleurs, vagabonde,
Des objets qui lui plussent mieux,
Car ravi de les voir si belles
Je serais paisible près d'elles
Autant que durerait le jour,
Et puis, sous une nuit contraire,
Nous porterions à notre mère
Pactole l'or, et moi l'Amour.
Les vents de leurs fortes haleines
N'étonneraient plus les Zéphyrs,
Mais seraient, pour plaindre mes peines,
Changés en amoureux soupirs.
Que si quelquefois ma frisure
Bien que sans point faire d'injure
S'élevait par des tourbillons,
C'est que, faible pour tant de flamme,
Le feu qui brûlerait mon âme
Serait cause de ces bouillons.
Mais qu'est-ce que me représente
La vaine ombre de ces plaisirs ?
Il en faut éloigner l'attente
Comme en étouffer les désirs,
Car je sais (s'il est nécessaire
Qu'un souhait bien que téméraire
Désormais me serve d'objet)
Qu'il faut que mon âme ravie,
Juge digne de son envie
Plutôt l'Auteur que le sujet.
Ainsi Lignon, si dans toi-même
Tu retiens quelque sentiment,
Admire la faveur extrême
Qu'Urfé te fait en t'estimant.
Et afin que l'ingratitude
Ne soit le prix de son étude,
Prise le beau feu qui l'éprit,
Et confesse dans tes limites
Que tu tiens ce que tu mérites
De sa plume et de son Esprit.
Astrée III
Watkinson Library, Trinity College (É.-U.), PQ 1707.U7
Duquel prends-tu plus d'avantage,
ASTRÉE, ou d'être de ton âge
Toute la gloire et l'ornement,
Ou d'avoir l'Amour méritée
D'un berger si fidèle amant,
Ou qu'URFÉ ta gloire ait chantée ?