Banderole
Première édition critique de L'Astrée d'Honoré d'Urfé
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Analyse des illustrations


SignetÉvolution de L'Astrée

Variantes de la troisième partie

Des Éditions rapprochées

1 SignetLes Trois éditions

L'évolution de la troisième partie est fascinante.

Elle confirme qu'Honoré d'Urfé non seulement revoyait son manuscrit, mais encore imposait au libraire-éditeur, toujours Toussaint Du Bray, parfois associé à Olivier de Varennes (Arsenal, 8° BL 20633-3), des modifications considérables qui devaient occuper longtemps les ateliers. Les 543 folios de l'édition de 1619 deviennent 552 folios en 1621. Entre-temps, il y a eu en 1620, chez le même éditeur, une troisième partie « Reveuë, corrigée, et augmentée de beaucoup en cette derniere Edition », qui compte également 552 folios avec les mêmes erreurs de pagination que l'édition de 1621.

L'édition de 1621 que j'édite, aussi « Reveuë, corrigée, et augmentée de beaucoup en cette derniere Edition », ajoute une section non-paginée à l'édition de 1620 que j'ai consultée : un poème liminaire de Balthazar Baro, l'« Ode à la rivière de Lignon ». Est-ce que Baro serait entré au service de d'Urfé η à cette époque ? En 1620 justement, des vers de Baro suivent des vers du romancier dans le Second livre des Delices de la poésie françoise.

La troisième partie réserve une surprise de taille : ses diverses éditions sont dotées non seulement du même privilège accordé à l'auteur le 7 mai 1619, mais encore du même achevé d'imprimer ! L'achevé suit immédiatement le privilège dans les éditions de 1619, de 1620 et de 1621.

Dans l'édition de 1621, il y a une variante dans le texte du privilège : « le septiesme jour de May », le mot jour est supprimé. Puisque cette page a été modifiée, l'achevé d'imprimer aurait pu l'être également, à condition, bien sûr que le libraire-éditeur le veuille. Toussaint Du Bray ne le voulait pas ; il a bel et bien trompé ses clients en prétendant que les éditions de 1620 et de 1621 avaient été imprimées le 3 juin 1619. Quel pouvait être le but de cette bévue qui diminue la valeur marchande de la dernière en date des éditions ? Peut-être assurer l'écoulement de tous les exemplaires des éditions précédentes. Furetière n'a pas tout à fait tort lorsqu'il écrit qu'un libraire « ne connoist les Livres que par la couverture » (Article Livre) !

Les éditions de la troisième partie ont induit en erreur des lecteurs aussi avertis que le chanoine Reure (p. 217) ou Paule Koch (pp. 397-398). Maurice Magendie (pp. 44 à 46) et Anne Sancier-Chateau (pp. 32-34) ont relevé des différences entre les éditions sans s'étonner de l'achevé d'imprimer similaire. En étudiant la très complexe histoire des privilèges de L'Astrée, Jean-Dominique Mellot considère 1619-1620 comme un tournant important (p. 29), mais ne donne pas d'explication aux achevés d'imprimer trompeurs. L'Astrée, encore une fois, expose les limites de la critique externe.

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Dans l'analyse des variantes, orange reste la couleur de la première édition, et les caractères gras et plus petits le propre de l'édition de 1621.

Les mots ajoutés à la première édition ont des caractères espacés, et les mots supprimés sont barrés.

La barre oblique (/) sépare les deux éditions.

2 SignetI. Variantes onomastiques

La troisième partie présente un nombre troublant d'erreurs dans la nomination, bien que l'édition de 1621 corrige l'édition de 1619, et que, dans presque tous les cas, l'une des deux éditions donne la bonne leçon. Une seule exception, au livre 9 : le nom de Galathée remplace celui de Léonide (III, 9, 368 verso) en 1619, en 1620 et en 1621.

Erreurs en 1619
Erreurs en 1621
Alizian pour Alizan Adamas pour Amasis
Andrenie pour Andrenic Bellonesus pour Belovese
Armonicque pour Armorique Bissin pour Basin
Belliman devient Bellimart Cleotine pour Cleontine
Calidon pour Céladon Daphné pour Daphnide
Cammènes pour Cemene Galathee pour Léonide
D'amon pour Damon Laonice pour Leriane
Elorice pour Florice Silvandre pour Silviane
Florisse pour Florice  
Galahee pour Galathée  
Galathe pour Galathée  
Galathee pour Léonide  
Samethes pour Samothes  
Silvandre pour Stilliane  
Tyricir pour Tircis  

Bien qu'elles ne suscitent pas de variantes, deux erreurs dans les noms de peuples méritent d'être mises sur la sellette parce qu'elles rendent voyages et récits historiques encore plus difficiles à saisir : Bramovices et Caturges.

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3 SignetII. Variantes graphiques

La troisième partie de 1621 ne recèle aucune surprise au niveau de la graphie. Comme la première et la deuxième partie, elle reste caractérisée par un retour aux racines latines qui se traduit par une orthographe souvent archaïque. Dès le premier livre, dans une seule phrase, on rencontre trois exemples d'un recul flagrant :
estomac / estomach, consenti / consenty, changement / change
(III, 1, 3 verso).
Cependant, au milieu du roman, dans une page qui présente huit variantes de tous genres, on voit quatre corrections heureuses de la graphie :
emploié / employé, vas / vay, regreter / regretter, dueil / duel
(III, 7, 324 recto).

4 Signet1. Les consonnes muettes, parfois absentes dans l'édition de 1619, resurgissent en 1621 de façon aléatoire.

Dit devient dict [dicere] 166 fois, mais dict devient dit 71 fois ;
Fait devient faict [facere] 121 fois, mais faict devient fait 106 fois ;
Fasse devient face [facere] 11 fois ;
Sous devient soubs [sub] 17 fois, mais soubs devient sous 6 fois ;
Vit devient vid [videre] 8 fois, mais vid devient vit 4 fois.

Et pourtant l'édition de 1621 donne régulièrement produit et remplace 3 fois le produict [producere] qui se trouve dans l'édition de 1619. Les deux éditions donnent fruict [fructus], mais l'édition de 1621 remplace une fois fruict par fruit.

5 Signet2. Certaines voyelles changent de manière désordonnée. L'édition de 1619 préfère tomber, celle de 1621 préfère tumber, mais on rencontre les deux formes dans les deux éditions. Le esclaircir de 1619 devient quatre fois esclarcir en 1621 ; ce qui n'empêche pas esclarcir de devenir une fois esclaircir. De même, le clairté de 1619 devient clarté en 1621 alors que cette édition favorise plutôt clairté. L'édition de 1619 donne une fois fantasie et une fois fantaisie. L'édition de 1621 impose deux variantes contradictoires : fantasie devient fantaisie et fantaisie devient fantasie !

6 Signet3. Hésitations aussi dans le domaine des lettres initiales.
Le r' au début des verbes revient 58 fois en 1619. L'édition de 1621 le rattache au mot 8 fois seulement (r'aproché / raproché), mais souvent le sépare (rapporter / r'apporter).
Les deux éditions donnent colere, mais l'édition de 1619, une fois, met cholere [de cholera, confusion avec une maladie causée par la bile].
Les deux éditions donnent chercher, mais cercher [circare] survient 4 fois dans l'édition de 1619 et 2 fois dans l'édition de 1621.

7 Signet4. Les consonnes finales changent.
Loin devient loing une fois et loing devient loin une fois également.
Soingt n'apparaît jamais en 1619, mais il surgit une dizaine de fois en 1621.
Au livre 3 il est neuf fois question de témoin au singulier et au pluriel. Les deux éditions font alterner tesmoin et tesmoing.

8 Signet5. Le i dans la syllabe finale est peut-être la lettre la plus souvent changée.
L'édition de 1621 9 fois transforme lui en luy, et elle transforme 4 fois parmi en parmy. Néanmoins, dans le cas de certains verbes, le y de 1619 devient i en 1621 (reüssi, consenti, dis, fais, évanoui, failli, servi).
Fait notable, l'édition de 1621 renonce 2 fois au ois : croirois devient croiray (III, 2, 40 recto) et voudrois / voudray (III, 5, 184 verso).

La conclusion de ce relevé d'occurrences ne peut que reprendre son introduction : la graphie est le domaine par excellence de la variante et de la variabilité. Toutefois, il n'est pas impossible que certaines de ces modifications soient motivées.
L'édition de 1619 préfère chirurgien (6 fois) à cirurgien (1 fois) et cyrurgien (1 fois). L'édition de 1621 remplace cirurgien par chirurgien. Elle conserve cyrurgien dans une instance notable. Le romancier évoque alors ce qu'il présente comme une traduction du latin quand il écrit : « Un Myre, que les Romains nomment Cyrurgien » (III, 3, 63 verso). La graphie du mot, semble-t-il, est chargée de refléter l'ancienneté de la fonction. Le typographe réfléchit ?

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9 SignetIII. Variantes grammaticales

La réédition de la troisième partie partage plusieurs caractéristiques avec les rééditions qui l'ont précédée ; les mêmes corrections restent donc parfois nécessaires.

L'ajout du « t » analogique par exemple est systématique (Première partie, deuxième partie). Il manquait deux fois dans l'édition de 1619, et l'édition de 1621 le met (III, 4, 163 recto ; III, 6, 233 recto). Par ailleurs, pronoms et verbes évoluent grâce aux variantes, mais il faut reconnaître que le texte de la troisième partie, dans l'ensemble, nécessitait moins de corrections que le texte de la première ou de la deuxième partie.

10 Signet1. Les Pronoms personnels.

• L'ambiguïté des pronoms est corrigée par la variante :
- Correction d'une phrase avec deux pronoms compléments (III, 6, 235 recto)
- Pronom complément neutre quand il le faut (III, 11, 463 recto ; III, 11, 488 recto).
- Pronom remplacé par un nom (III, 11, 453 verso)
- Pronom remplacé par plusieurs mots (III, 12, 515 verso).
Signet- Pronom supprimé :
Celuy qui le voudra vaincre, il le doit combattre (III, 7, 289 recto)
- Pronom corrigé pour tenir compte du travestissement d'Alexis :
ils / elles (III, 2, 54 recto).

- Mais il arrive que la variante introduise une erreur :
vous / nous (III, 2, 35 verso).

• Les propositions sont plus claires grâce à l'addition du pronom sujet devant les verbes personnels :
- L'incommodité de la guerre vous empeschera de la voir fort souvent, et ainsi vous ne pourrez recouvrer les occasions perduës (III, 3, 69 verso) ;
- Et par ainsi il vesquit longuement avec soupçon d'estre trompé (III, 4, 127 recto) ;
- Moy qui ne veux vous desplaire pour quelque consideration que ce soit, je ne veux pas (III, 5, 211 verso).

- Mais il y a encore des cas où le pronom sujet manque (III, 6, 261 verso ; III, 7, 299 recto).
- Un cas où ce pronom est malencontreusement supprimé par la variante (III, 7, 265 recto ; III, 7, 286 verso).
- Les pronoms absents rendent les phrases archaïques :
Si auray pour certain (III, 9, 368 recto) ;
Contre moy vos armes seront bien vaines, qui m'en suis privé pour le donner (III, 3, 79 verso).

- Devant les verbes impersonnels, le pronom sujet manque (par exemple III, 3, 72 recto ; III, 4, 127 verso ; III, 7, 287 verso), en particulier devant le verbe sembler.
La variante ajoute rarement le pronom:
Entre les autres, il y avoit (III, 1, 21 recto).
Il arrive que la variante supprime le pronom sans raison :
Il y eut une grande confusion (III, 6, 254 verso).
- On rencontre d'étranges fluctuations :
Et semble qu'elle soit (III, 11, 450 verso) ;
Il semble qu'elle soit (III, 11, 453 verso).

Signet• Quand deux pronoms personnels se suivent, l'ordre des compléments est souvent moderne.
- Les vous revient 8 fois. Vous les revient 15 fois.
- Dans les autres cas, les formes modernes s'imposent (te le, III, 8, 364 recto par exemple). Néanmoins, il faut noter que les formes archaïques ne disparaissent pas :
Les nous survient une seule fois (III, 6, 231 recto), alors que nous les revient 17 fois.
La nous (III, 4, 154 recto) est plus rare que nous la.
Le nous (III, 7, 268 recto) est plus rare que nous le.
- En revanche, vous le devient le vous (III, 2, 41 verso ; 4, 126 recto)
et la vous devient vous la (III, 8, 347 verso)

• Lorsque le verbe pouvoir est suivi par un infinitif, les pronoms compléments se trouvent aussi bien dans l'ordre moderne :
Je puis me desmeler (III, 3, 121 recto)
que dans l'ordre ancien :
Je me puis dire (III, 5, 208 recto).
- Une variante rétablit l'ordre ancien :
Je peusse l'espouser devient je la peusse espouser (III, 10, 444 verso).
C'est surtout lorsque pouvoir est à l'imparfait que l'ordre ancien semble favorisé. L'ordre moderne survient lorsqu'il y a deux compléments :
Je pouvois me le persuader (III, 5, 172 recto).

11 Signet2. Les Pronoms relatifs

La rubrique Lequel, dans le Glossaire, réunit les occurrences les plus désuètes de pronoms relatifs.

- Dans la première partie, le pronom relatif était corrigé de manière à ce que qui remplace des personnes (I, 2, 37 verso). Ce n'est pas le cas dans la troisième partie :
Il n'y eust [...] bois ny coline de qui je ne demandasse le nom (III, 3, 71 recto).

- Duquel et ses dérivés ne sont pas remplacés dans la troisième partie. Cette phrase ne choque donc pas d'Urfé : «  Andrimarte, la presence duquel elle desiroit » (III, 12, 524 recto).
La première partie de 1621 pourtant remplaçait desquels par dont dans un cas similaire (I, 10, 324 verso).
- Une proposition est refaite pour introduire desquels :
Les conseils que vous avez accoustumé de donner à ceux qui vous les demandent / Les conseils desquels vous avez accoustumé de consoler ceux qui vous les demandent (III, 4, 159 verso).

• La variante met 6 fois le pronom relatif qui à la place de qu'il :
Ce qu'il / qui luy estoit avenu (III, 1, 4 recto).
Mais le sens peut alors changer :
Parce qu'il a l'esprit subtil, et qu'il / qui se sçait insinuer (III, 11, 470 recto).

• La variante met 4 fois qu'il à la place de qui :
Faire ce qui / qu'il luy plaira (III, 11, 480 recto).
Le résultat peut être malheureux :
Tout ce qui / qu'il est bon est aymable (III, 10, 415 verso).

• La variante remplace parfois quel est ses composés :
Le poinct que nous allons cherchant, et lequel / qui est si malaisé (III, 9, 396 recto).
Il est vray que je ne sçay quelle / qui elle est (III, 7, 274 verso).

• La variante distingue souvent quelle et qu'elle :
Qu'elle / quelle opinion (III, 10, 440 recto).
Il n'empêche qu'on rencontre aussi :
Quelle / qu'elle occasion (III, 5, 213 verso).
Une variante revient même à une forme archaïque :
Ce que / quelle vous deviendrez (III, 3, 88 verso).

12 Signet3. Les pronoms démonstratifs

Par souci de clarté, le pronom démonstratif est sacrifié :
- Et cela / cette jalousie fut cause (III, 2, 46 verso) ;
Jamais le danger ne seroit celuy là / ce qui me feroit (III, 3, 77 verso).
Le sens alors n'est pas toujours clair :
Ne pensez pas je vous supplie, que cela / qu'il procede (III, 4, 131 verso).

- Le démonstratif peut faire double emploi sans être corrigé :
Ce qui ne s'est pu faire à ce coup, il s'achevera (III, 8, 346 recto).

13 Signet4. Les verbes

Le correcteur prête une grande attention aux verbes.
Il ajoute le verbe qui manque (III, 2, 28 verso). Il ajoute l'auxiliaire pour souligner une symétrie (III, 1, 16 verso) ou pour rétablir le sens (III, 10, 437 recto).

• Comme dans la réédition de la deuxième partie, le présent de l'indicatif est souvent condamné.
Il est remplacé par un temps du passé (III, 2, 49 verso ; III, 7, 295 verso, 5 fois en une page ; III, 9, 405 recto ; III, 10, 410 verso).
Il arrive qu'il soit remplacé par un futur (III, 10, 441 recto).
Cependant, il n'y a pas de corrections dans un récit fait au passé où une série de verbes au présent s'arrête sur un verbe au passé :
Ouvre [...] bande [...] et s'en alla ; Ouvre [...] présente [...] se retira (III, 7, 307 verso). Voir aussi III, 8, 335 recto.

Quelques modifications de temps ou de modes affectent le sens de la phrase (voudrois / voulois (III, 3, 67 recto) ; voulussay / voulusse (III, 7, 320 recto), surtout lorsqu'elles se succèdent dans une même page (III, 11, 457 verso).

SignetLe participe présent est supprimé avec une certaine régularité :
III, 1, 3 verso ; III, 1, 21 verso ; III, 2, 37 recto ; III, 3, 109 recto ; III, 4, 127 recto ; III, 10, 429 verso ; III, 11, 460 recto ; III, 11, 466 recto ; III, 11, 470 recto.

Cependant, le participe présent continue à suivre un verbe de mouvement. On trouve se venoit approchant (III, 2, 42 recto), ou alloit desrobant (III, 10, 426 recto), alors que la première partie corrigeait s'alloit cachant (I, 5, 153 verso). Cette correction est donc loin d'être aussi fréquente que le suggère Mme Sancier-Chateau (p. 193). 

• Les variantes uniformisent l'accord des participes passés.
Après l'auxiliaire avoir : III, 1, 12 recto; III, 2, 39 recto ; III, 6, 253 recto ; III, 10, 428 recto.
Après l'auxiliaire être : III, 4, 123 recto ; III, 7, 323 verso.

Là aussi il faut se garder de généraliser. Non seulement l'accord du participe n'est pas toujours corrigé par la variante, mais encore le participe lui-même est parfois supprimé (III, 4, 153 recto ; III, 6, 264 verso ; III, 7, 307 recto ; III, 11, 454 recto).
Pour les besoins du vers, dans un sonnet de Léonide, un participe passé qui la désigne reste au masculin dans toutes les éditions :
Attaint jusques au cœur [...]
Une Nymphe grava ces regrets de sa main
(III, 9, 375 recto).

• L'accord du verbe qui possède deux sujets, au lieu de suivre l'usage moderne (Sancier-Chateau, p. 143), rétrograde dans l'édition de 1621 :
Silvandre
et Philis nomment / nomme Diane leur maistresse (III, 9, 390 verso).

14 Signet5. Les prépositions

Les rééditions de la première partie ont multiplié les corrections de prépositions. Ce n'est pas le cas dans la troisième, car les choix de l'écrivain se sont stabilisés. Il faut quand même souligner que la troisième partie de 1621 marque parfois un retour en arrière :
- Le nez de ma nourrice / le nez à ma nourrice (III, 7, 299 recto). Voir aussi III, 2, 51 recto ; III, 11, 480 recto.
C'est un provincialisme selon La Curne de Sainte-Palaye ; Cotgrave l'admet sans l'ombre d'une restriction.

SignetLe verbe et son complément forment souvent une locution, comme dans la deuxième partie : donner jalousie (III, 11, 478 recto) ; prester consentement (III, 3, 73 recto) ; mettre terreur (III, 8, 341 verso) ; mettre remède (III, 12, 512 recto).
La variante ajoute un mot après le verbe :
Confesser la vérité (III, 2, 34 verso)
Faire difficulté (III, 9, 380 recto) suit un faire de difficulté (III, 9, 374 recto) à la forme négative.

• Les compléments de aider ne sont pas touchés par la variante.
On rencontre ayder à marcher (III, 6, 227 recto) comme ayder à un berger (III, 6, 253 recto).

SignetLes compléments de tourner changent beaucoup plus rarement que dans la réédition de la première partie :
Tourner vers reste la formule la plus courante quand le complément est un personnage (par exemple III, 1, 7 recto). Mais le vers de 1619 peut être remplacé par sur en 1621 (III, 7, 277 verso).
Tourner sur un personnage, forme emphatique, figure aussi dans une prière (III, 10, 433 verso).
Se détourner sur quelqu'un, signifiant regarder, est plus rare (III, 3, 59 recto).
Tourner l'œil sur (III, 12, 551 recto) est synonyme de regarder.
Tourner à signifie retourner (III, 3, 99 recto). Une variante remplace retourner par se tourner à (III, 7, 280 recto).
Seul le participe de tourner est suivi de contre (le dos tourné contre luy, III, 10, 442 verso).

Contre peut effectivement signifier vers (III, 8, 360 recto).
Avoir les yeux contre le ciel a été corrigé dans la réédition de la première partie (I, 2, 34 verso). Il ne l'est ni dans la deuxième (II, 5, 278) ni dans la troisième partie (III, 6, 238 recto).
Sourire contre apparaît dans la première (I, 7, 201 verso) et la troisième partie (III, 5, 191 recto).

Signet• Les compléments de parler restent placés indifféremment avant ou après le verbe sans être modifiés par la variante :
Il luy parla (III, 1, 20 recto) ; elle voulut parler à luy (III, 1, 4 verso) ; je parle à vous (III, 3, 79 recto); je vous parle (III, 5, 193 recto).
La deuxième partie aussi donne Parler à vous (II, 11, 723) et Vous parler (II, 12, 829). Voir aussi les Variantes de la première partie.

En la main (III, 1, 14 verso) et dans la main (III, 10, 435 recto) ne sont pas modifiés.

De suit toujours sembler, désirer et bien d'autres verbes.
Quand l'édition de 1621 l'élimine après que, la phrase est incorrecte :
- Il ne doivent pas, que de s'acquitter (III, 8, 332 verso)
- Avant que de vous en faire (III, 11, 459 verso).

À est la préposition qui appelle le plus de modifications (comme dans la réédition de la première partie).
L'édition de 1621 distingue la préposition à du verbe avoir (III, 10, 440 verso par exemple).

- À est remplacé par en :
Venir à / en mon logis (III, 3, 120 recto)
Voir à / en mon visage (III, 4, 156 recto)
Avoir le bras plié l'un à / en l'autre (III, 2, 42 verso)
Aller querir cette beauté au / en pays estrange cette beauté (III, 11, 455 verso).

- La correction peut être logique :
Faisant produire à / en nos esprits les fleurs (III, 10, 414 verso).

- Elle peut être regrettable :
au desespoir / en desespoir (III, 11, 468 verso)
J'avois esté des premieres à les condamner, et à / de rendre ce tesmoignage (III, 9, 391 verso).

15 Signet6. La Syntaxe.

C'est un domaine que les variantes ne cherchent pas souvent à améliorer ; la construction reste fautive, voire incompréhensible (III, 4, 167 recto). Une trentaine de Notes relèvent les phrases les plus maladroites. Voir par exemple Mal (III, 3, 90 verso).

- Une phrase est corrigée, mais aux dépens d'une répétition de afin que (III, 6, 254 recto).
- La variante elle-même introduit un non-sens :
Enfin / apres s'estant deshabillé, il se mit dans le lict (III, 8, 355 recto).
- La variante détruit la symétrie de la phrase (III, 1, 8 recto ; III, 2, 46 recto).

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16 SignetIV. Variantes linguistiques

« Il n'y avoit qu'elle seule qui entendit le langage des Gaulois »
(III, 7, 276 verso).

La troisième partie présente une sensibilité à la langue des personnages qu'on n'avait pas rencontrée auparavant. L'Histoire d'Euric, Daphnide et Alcidon, au livre 3, est le récit qui renferme le plus de mots archaïques : choix délibéré. Honoré d'Urfé tient à ce que ses lecteurs comprennent qu'il parodie les romans de chevalerie. Un Dom de l'édition de 1619 devient Dam dans l'édition de 1621 pour que la forme ancienne déroute encore plus le lecteur (III, 3, 91 verso). D'autres notations sur la langue se trouvent dans l'histoire de Criséide. Le romancier se soucie alors des personnages qui parlent italien (III, 8, 338 verso) mais voyagent en Gaule ou se déguisent en marchand gaulois ; leur accent peut les faire reconnaître (III, 8, 353 verso).

D'Urfé se préoccupe également du langage - plus recherché - des membres du clergé. Il introduit dans les dialogues des formules qu'on n'avait pas souvent rencontrées dans L'Astrée. Cléontine, rappelant sévèrement à Galathée les devoirs du chef d'État, invoque « le deub de la vacation », le devoir de sa fonction (III, 6, 231 recto). De son côté Adamas multiplie les hyperboles en parlant d'Euric à Daphnide. Langage de courtisan obséquieux sans doute. Le druide prétend que la réputation du défunt roi aurait atteint « le Gange et le Tyle » (III, 4, 159 verso) de l'Écriture sainte !

Langage savant encore dans la description de la liturgie. Si la « mole salée » est définie dans certains dictionnaires, « LABITH HORCHIA η » a dû dérouter de nombreux lecteurs.

Les variantes affectent quand même la langue de la troisième partie.

17 Signet1. Le fréquent sacrifice des répétitions est évident dans les douze livres de la troisième partie.

1619 : Et parce que Thamire et Celidee s'estoient esloignez, voyant que Damon continuoit de parler un peu bas à la Nymphe, Damon continuant son discours.
1621 : Et parce que Thamire et Celidee s'estoient esloignez, voyant que Damon continuoit de parler un peu bas à la Nymphe, Damon continuant son discours (III, 11, 453 verso).

Le résultat, souvent heureux, passe inaperçu évidemment. Il faut donc au moins souligner les deux procédés correctifs les plus importants, l'introduction de pronoms (par exemple III, 4, 136 recto ou III, 6, 255 recto) et surtout le recours aux synonymes - qui rappelle les variantes de la première partie : 

chemin / sentier (III, 1, 14 recto) ; mal / indisposition (III, 3, 66 verso) ; dire / proposer (III, 3, 69 recto) ; jugemens / consequences (III, 4, 123 recto) ; croire / penser (III, 6, 228 recto) ; mais / toutesfois (III, 7, 268 verso) ; monceau / provision (III, 7, 269 verso) ; voir / croire (III, 7, 321 verso) ; desirable / avantageuz (III, 8, 359 recto) ; honorable / venerable (III, 10, 415 recto) ; assistance / compagnie (III, 11, 463 recto) ; nymphes / dames (III, 12, 491 recto).

Le synonyme le plus intéressant est au livre 3 :
N'ayez peur Chevalier de ceste mortfortune  (III, 3, 81 verso).

Une correction me semble habile bien qu'elle déplace seulement le mot répété.
- On dit à un chevalier qu'il existe des
 personnes qui donnent l'esperance des remedes inesperez.
Le chevalier répond que ce qui le fera agir :
Ce ne sera jamais l'esperance des remedes de guerison (III, 6, 232 verso et III, 6, 233 recto).

• Il arrive pourtant que la suppression de la répétition soit regrettable :

- La variante bien intentionnée entraîne une série malencontreuse d'erreurs dans ces deux instances :
Pour éviter la répétition de élément, on remplace ce substantif par eau (III, 4, 142 verso). Les nombreux pronoms qui suivent restent tous au masculin ... ils renvoient à élément !
La répétition de recevoir est corrigée par un rendre qui est répété. Une absurdité s'ensuit : rendre un bon visage (III, 5, 198 recto).

- La variante détruit la symétrie des répliques de Silvandre et d'Hylas, ainsi que le comique qui en découlait :

Et comment estes vous maintenant, dit-elle, en ceste contree avec cét habit de berger, et qui vous y retient ? - La Fortune, dit-il, m'y a conduit, et l'Amour m'y retient / arreste. - Et moy, dit Hylas, l'Amour m'y a conduit, et Alexis m'y retient / fait demeurer (III, 2, 41 verso).

Le lecteur de L'Astrée - surtout une fois arrivé aux derniers livres - reste encore et toujours frappé par les mots répétés. Voir par exemple contentement (III, 10, 436 verso) et fit (III, 11, 451 recto). J'ai relevé dans les Notes η six occurrences gênantes.

18 Signet2. La variante bénéfique naît à la suite de la recherche du mot juste :

La première partie de 1621 donnait des synonymes à chose, pratique et gracieux, alors que la deuxième partie de 1621 ne remplaçait pas ces mots.

- Chose(s) revient 573 fois dans l'édition de 1619. Dans l'édition de 1621, il est supprimé deux fois (III, 10, 439 verso ; III, 11, 466 verso), remplacé deux fois (III, 3, 97 recto ; III, 4, 165 verso), et ajouté deux fois (III, 4, 129 recto ; III, 4, 167 verso). Mme Sancier-Chateau se montre donc optimiste quand elle traite de la suppression de ce mot (p. 356).

- Pratique (verbe et substantif) revient 9 fois et ne disparaît jamais.
De même, gracieux (ou gracieuse) ne change pas, bien qu'il revienne 12 fois.

• La variante révèle parfois la recherche du mot le plus adéquat :

- Quand il s'agit des souhaits faits pour Amasis,
authorité est remplacé par prospérité η (III, 2, 31 recto).
- Quand il s'agit des religieuses qui escortent Chrisante,
charge est remplacé par suitte (III, 2, 31 verso).
- Deux fois fortune appelle des mises au point significatives :
Elle cède sa place à périls (III, 3, 102 verso), et ses faveurs, au lieu d'être recherchées, sont méprisées (III, 6, 246 recto).

Notons aussi ces cas où le choix de 1621 est supérieur au choix de 1619 :
Alleger / soulager (III, 4, 122 verso)
Pensée / jugement (III, 4, 150 verso)
Vérité /vertu (III, 4, 169 verso)
Affection / amitié (III, 5, 210 verso)
Faire / raconter (III, 6, 239 verso)
Escalier / eschelon (III, 7, 295 recto)
Bienfaits / devoirs (III, 8, 360 verso)
Assistance / compagnie (III, 11, 463 recto)
Mortels / mors (III, 12, 517 recto).

19 Signet3. La variante modifie le genre des substantifs.

• Les substantifs au genre variable continuent de fluctuer comme dans les rééditions de la première et la deuxième partie, mais la variante les affecte rarement.

- Affaire(s) reste variable : 15 fois au féminin et 7 fois au masculin. La variante ne change pas le genre du mot mais sa graphie (à faire) et donc sa nature. Affaire serait pourtant toujours féminin en 1621, selon Mme Sancier-Chateau (p. 406).
- Une debte devient un (III, 3, 76 verso), mais debte reste au féminin ailleurs (III, 3, 120 verso par exemple).
- Délice reste au féminin qu'il soit au singulier ou au pluriel dans l'édition de 1621. On rencontre une seule variante : les delices / la delice (III, 12, 507 recto), dans la périphrase qui désigne Mérovée chez les historiens du temps.
- Un doubte devient une (III, 5, 204 verso ; III, 6, 236 verso). Ailleurs doubte est encore au féminin (III, 4, 149 recto; III, 5, 186 verso). Le doute devient la doute (III, 11, 488 verso) et le féminin reste la forme la plus fréquente (III, 10, 412 verso ; III, 12, 503 verso).
- Guide est au féminin (par exemple III, 3, 77 verso). Il arrive une seule fois que la guide de 1619 devienne le guide (III, 8, 351 verso).
- Regret passe une seule fois du masculin au féminin (III, 12, 545 verso). Il est au masculin partout ailleurs.
- Ce rencontre devient ceste (III, 6, 264 recto). Rencontre est au féminin dans l'édition de 1621 (III, 10, 418 verso, par exemple).
- Ce reproche devient cette (III, 8, 332 verso). Reproche reste féminin ailleurs (trois fois au livre 4 par exemple).
- Tigre
(écrit généralement tygre) conserve les deux genres. Une seule variante : la / le Tygre (III, 12, 495 recto).

- Le genre de l'adjectif qui accompagne gens est corrigé une fois en 1621 :
Toutes ses gens / tous ses gens (III, 8, 351 recto).
Cette excellente correction est en avance sur son temps ! Malgré les règles exposées par Vaugelas, une certaine confusion régnera longtemps. Richelet par exemple, dans son Dictionnaire, écrit:

L'adjectif tout est aussi feminin devant le mot de gent. Exemple [Toutes les petites gens ne sont pas capables de ces maximes.] Ce qu'il y a donc à faire là dessus. C'est de consulter l'oreille & les hommes habiles dans la langue (Article Gens).

- L'édition de 1621 corrige aussi lieu / lieue (III, 3, 107 recto) pour lui donner la graphie et le genre que le contexte exige.

• Les substantifs qui commencent par une voyelle connaissent moins de fluctuations que dans la première et la deuxième partie de 1621 :

- Affection, Escritoire et Isle restent au féminin.
- Outrage
reste au masculin (III, 11, 488 verso).
- Erreur est généralement au féminin. Une seule fois, l'édition de 1619 donne une erreur qui devient un erreur en 1621 (III, 5, 200 verso).
- On ne peut pas déceler le genre de épitaphe, d'enclume et d'ongle.
- Un nouvel arrivé change de genre entre 1619 et 1621 :
une / un Androgine (III, 12, 531 recto). Huguet met Androgine au féminin, alors que Furetière fait d'Androgyne un mot « hermaphrodite ».

• Malheureusement, les variantes introduisent quelques erreurs dans le domaine du genre des mots. La première est particulièrement regrettable puisqu'il s'agit du Forez !
Le / la Forests (III, 11, 465 verso ; cette page renferme plusieurs mauvaises corrections).
Hylas était tout estonné mais devient toute estonnee (III, 11, 475 recto ; estonner ne s'applique plus à lui mais à la druide.
Le druide est remplacé par la druide (III, 10, 428 recto), bien qu'il s'agisse d'Adamas. À maintes reprises, Bergers et Bergères sont intervertis (Voir les Notes η). Ces coquilles déparent la troisième partie de 1621.

20 Signet4. Est-ce que le vocabulaire s'avère plus moderne en 1621 ?

Notons d'abord que, dès 1619, la langue de la troisième partie est nettement plus moderne que celle de la première partie de 1607. Ains a disparu. La plupart des verbes désuets relevés en 1607 ne reviennent pas. Souloir et douloir survivent cependant, ainsi que les formes anciennes du verbe pouvoir. Si Print devient prit en 1621 (III, 3, 88 verso), prit devient print (III, 5, 195 recto) !
La variante, quelquefois, modifie les archaïsmes :
Dautant est toujours corrigé. Pour ce (ou pour-ce) n'est plus synonyme de parce que ; il signifie en ce qui concerneVas-je est remplacé par vay-je (III, 7, 324 recto). On trouve aussi :
Desbendant / descendant (III, 1, 14 recto)
Seoir / asseoir (III, 5, 192 verso)
Espandu / respandu (III, 7, 299 verso)
Creance / croyance (III, 9, 373 verso)

• On butte encore sur des mots désuets.
Admiration
reste synonyme d'étonnement (III, 1, 4 recto) ; désaimer demeure irremplaçable (III, 1, 9 recto) ; l'espie est un espion (III, 3, 111 verso) ; gravier et grève sont confondus (III, 6, 237 recto) ; persuasion signifie exhortation (III, 3, 71 verso) ; preuve et épreuve sont synonymes (III, 3, 96 recto). Il faut aussi souligner que cuiseur, archaïsme corrigé dans la première partie de 1621 (I, 6, 167 verso), jouit de deux occurrences dans la troisième (III, 7, 289 recto ; III, 12, 513 verso). Vistement (III, 1, 3 recto) peut nous sembler archaïque, mais il ne l'est pas au XVIIe siècle. Feintement en revanche est déjà vieux (III, 9, 405 verso).

• Des variantes exposent une curieuse confusion entre le deuil et le duel. Ces deux substantifs, malgré les apparences, n'ont pas la même étymologie. Deuil signifiait colère et pouvait s'écrire Dueil, rappelle le Dictionnaire de Huguet (Article Dueil).
Dueil est corrigé et remplacé par duel (III, 7, 324 recto ; III, 7, 325 recto).
Deuil est remplacé à tort par l'archaïque dueil (III, 4, 157 recto).

21 Signet5. Cette hésitation entre des quasi homophones nous mène tout naturellement à des fautes qui pourraient être imputables aux typographes, mais qui semblent appartenir plutôt au secrétaire d'Honoré d'Urfé. Ce type de variante linguistique insolite nous permet de supposer que le romancier dictait sa troisième partie à un individu qui comprenait mal son accent. D'Urfé est alors installé en Savoie. Les métaplasmes abondent dans le texte de 1619 (Voir Romps/Rien η). La réédition corrige plusieurs déformations phonétiques.

Cette liste est loin d'être complète :

Aprends / appends (III, 4, 167 recto)
Arres / erres (III, 10, 442 recto)
Craignant / croyant (III, 7, 306 verso)
Depescher / empescher (III, 12, 525 verso)
Devenir / deviner (III, 11, 475 recto)
Emporté / employé (III, 11, 462 verso)
Entendre / attendre (III, 10, 426 verso)
Je l'en quitte / Je le quitte (III, 11, 486 recto)
Laissant / lassant (III, 12, 530 recto)
L'avoit / la voit (III, 11, 481 recto)
Lions / lisons (III, 9, 385 recto)
Meurtres / myrthes (III, 4, 166 verso)
Plaintes / plaines (III, 10, 433 verso)
Prompte / importune (III, 6, 219 recto)
Saluts / saults (III, 12, 513 recto)
Temples / exemples (III, 6, 256 verso)
Ville / fille (III, 5, 183 verso)
Visage / voyage (III, 12, 537 recto).

• Les variantes elles-mêmes introduisent dans le texte leur lot d'altérations de sons. Dans la liste suivante, la version de 1619 est correcte, non la version de 1621. Erreurs du secrétaire ? du typographe ? du correcteur ?

Attendre / entendre (III, 8, 335 verso)
Contre vous / confusion (III, 9, 401 verso
Enterrer / entrer (III, 12, 496 verso)
Eventer / éviter (III, 10, 440 verso)
Humeur / honneur (III, 4, 156 recto)
Moins de / moindre (III, 3, 82 recto)
Pierre / piece (III, 9, 379 verso)
Occupation / occasion (III, 10, 432 recto)
Offenseroit / efforceroit (III, 10, 419 verso)
Pensans / plaisants (III, 10, 440 verso)
Survira / servira (III, 9, 405 recto)
Villes / vieilles (III, 9, 390 recto).

22 Signet6. Malgré tout, après 1619, le style se fait plus imagé, quelquefois plus précis :

- Les souvenirs ont occupé / nourry l'âme de l'auteur (III, L'Autheur à la rivière) ;
- Belle fille  / nouvelle amante (III, 1, 1 verso). Pourtant nouvelle est répété.
- Trois siecles de longues et fascheuses annees (III, 1, 1 verso);
- Feignant de vouloir reposer / que la clarté me faisoit mal (III, 7, 307 verso).
- Le propos de nostre affaire / progrez de ceste amitié (III, 7, 325 verso) ;
- Il leur sembloit / elles juroient (III, 8, 337 recto).
- Dans le cas suivant, il ne s'agit pas d'ajouter une image mais une sonorité puisque cauteleuse et malicieuse riment :
La cauteleuse et meschante / malicieuse Leriane (III, 6, 234 verso).

23 SignetV. Variantes dans les poèmes

Les vers subissent peu de changements après l'édition de 1619 parce qu'ils ont été revus auparavant (Lallemand, p. 300 sq.). Le poème sur l'oiseau disparaît avec l'épisode qui l'a inspiré (III, 12, 514 verso). On rencontre un madrigal aux résonances modernes (III, 8, 354 verso). Un poème intitulé « Sonnet » devient « Stances » (III, 12, 519 verso). Quatre autres, dans les tout premiers livres, acquièrent des titres (III, 1, 10 recto ; III, 1, 15 verso ; III, 1, 21 recto ; III, 2, 47 verso). Il arrive qu'un substantif, un pronom ou un verbe soit plus juste après 1619 (III, 2, 35 verso ; III, 6, 248 verso ; III, 7, 266 recto ; III, 9, 376 recto, par exemple). Plus d'une fois, la variante semble essentiellement graphique (III, 4, 166 verso par exemple).

Deux poèmes se distinguent par leurs variantes bien que leur contenu soit plus prosaïque que lyrique.
• Au livre 1, la modification nuit à la clarté de la phrase et à l'harmonie (III, 1, 21 verso) :

1619   1621
Je vous ayme, Phillis, mais   j'ayme d'avantage :
Hylas que non pas vous.
  Je vous ayme, il est vray, je
   m'
ayme d'avantage :
Si faites-vous bien vous.

• Au contraire, au livre 3, le résultat est plus satisfaisant lorsqu'une strophe change (III, 3, 105 recto) :

1619   1621
Parce que l'esperance   Helas ! que l'esperance
Sert de peu d'allegeance   Sert de peu d'allegeance
Contre le mal cuisant,   Contre le mal presant,
D'une ame outrecuidee,   Et que le mal excede
Son bien n'est qu'en Idee,   De beaucoup le remede
Et son mal est present.   Qu'elle va produisant.

Les poèmes renferment quelques variantes malheureuses qui nuisent au sens (Amour remplace Amant, III, 5, 176 verso ; promet remplace permet, III, 11, 465 recto) et même à la mesure du vers (pouvoir remplace ennemy, III, 7, 266 recto).

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24 SignetVI. Variantes textuelles

La réédition de la troisième partie présente des variantes particulièrement intéressantes, car le correcteur semble inviter le lecteur à entrer dans les secrets de l'écriture en multipliant les remarques sur les motifs des personnages. Le livre 2 en particulier fournit plusieurs exemples typiques de modifications qui améliorent le flot du récit. Plusieurs variantes substantielles - c'est-à-dire qu'elles impliquent plus d'une phrase - surviennent. Additions, substitutions et soustractions sont certainement nées d'une relecture faite par un écrivain qui parfois s'amuse, mais qui se soucie aussi de respecter une relative cohérence dans la chronologie des aventures.

25 Signet1. La variante apporte des corrections ponctuelles :

• Elle corrige certains noms propres comme on l'a vu plus haut. Elle corrige les bourdons en ajoutant une phrase (III, 3, 101 recto ; III, 10, 431 verso) ou un nom propre (III, 9, 372 recto). Elle redresse même une ponctuation défaillante (III, 11, 482 recto).

• Une prison n'est plus gardée par un portier mais par un sergent (III, 8, 349 recto).

• « Belenus, c'est-à-dire dieu-homme » (III, 9, 373 verso). Le nom du dieu et ses caractéristiques sont ajoutés dans une énumération des noms de Tautatès.

Guyemant promet à Childéric déchu de le remettre sur le trône de Mérovée, son père (III, 12, 547 recto). En 1619, il s'agit du trône des ayeulx du Prince, ce qui est erroné puisque les ancêtres de Childéric n'avaient pas de trône en France. Néanmoins, il est question des Ayeux qui auraient porté la couronne un peu plus loin (III, 12, 547 verso).

26 Signet2. Comme dans la première partie, la variante modifie la mesure du temps.

• Le cadre gaulois est évoqué avec la mention de la Lune (III, 4, 149 verso ; III, 6, 259 verso), ce qui rappelle aussi les variantes de la première partie

• Pour aller chercher l'onguent de sympathie en Afrique il faut huict ou dix jours en 1619, mais douze ou quinze dans les éditions suivantes (III, 11, 455 verso).
Le romancier se corrige-t-il au nom de la vraisemblance ? À vol d'oiseau, plus de mille kilomètres séparent les habitants du Forez du savant mire qui exerce dans le royaume de Genséric. Si un voyageur parcourt une lieue en un jour comme l'affirme Furetière (Article Lieue), puisqu'une lieue fait quatre kilomètres, ce voyage requiert au moins deux cent cinquante jours ... sans même tenir compte de la traversée de la Méditerranée !
La variante signifie probablement qu'Honoré d'Urfé songe à l'organisation de la suite des événements : il envisage de rendre sa beauté à Célidée dans moins de deux mois grâce à l'onguent de sympathie. Il n'est pas impossible que cette date butoir approximative s'applique non seulement au dénouement de l'aventure de la jeune femme mais encore à la conclusion du roman.

Silvandre est resté insensible au contact des bergères tant d'années dans l'édition de 1619, mais si longuement ensuite (III, 9, 390 verso).
Cette variante ressemble à une modification apportée dans la première partie (I, 7, 195 recto) au sujet de la durée du séjour de ce jeune homme en Forez. Encore une fois, la modification a des retombées notables. Silvandre est arrivé dans le pays pour consulter la fontaine de la Vérité d'amour. Malade pendant six mois, il trouve la fontaine inaccessible au moment où il se rétablit. Parler d'un séjour de tant d'années est trompeur, puisque les chevaliers foréziens sont partis rejoindre les armées de Mérovée après ce dernier enchantement de la fontaine : d'Urfé surveille la cohérence des événements clés.
Un peu plus bas, toujours en parlant du séjour de Silvandre, l'édition de 1619 donne quelques lunes. Les éditions suivantes donnent une notation plus vague, quelque temps (III, 9, 403 verso).
Cette fois il semble que le romancier corrige une répétition, car il s'agit de cinq ou six Lunes quelques lignes plus haut (III, 9, 403 recto).

27 Signet 3. Le rapport de causalité et la vraisemblance psychologique en particulier bénéficient de la présence de variantes :

Chrisante défend aux hommes l'entrée du temple. L'addition donne le motif de l'interdiction : mais qu'elle y estoit contrainte par l'ordonnance de la Deesse, qui vouloit que les hommes fussent bannis de ses Autels (III, 2, 28 verso).

• Une notation sur la chorégraphie éclaire les rapports des personnages entre eux : parce que Daphnide s'estoit reculee expressement (III, 2, 46 recto).

• Plus loin, des additions rendent les phrases plus claires en réunissant mieux les informations. :
- puisqu'il estoit si pres de moy (III, 3, 111 verso) ;
- fut cause que (III, 1, 12 recto), et cela fut cause (III, 4, 127 recto) ;
- Au livre 8, Galathée ne projette plus d'aller au temple, mais bien d'y retourner (III, 8, 336 verso) ; elle y était déjà au livre 6. Correction similaire un peu plus loin (III, 8, 351 recto).

• Quand un berger récite des stances, la troupe s'arrête l'écouter. La longue subordonnée relative ajoutée explique pourquoi :
et lesquels il sembloit que Diane fust bien aise d'escouter, tant pour la douceur de la voix de celuy qui les chantoit, que pour mettre fin à leur discours avant que toute la trouppe fut arrivée (III, 1, 9 recto).

Daphnide connaît la réputation des bergères du Forez en 1619. Dans les éditions suivantes, la renommée lui a appris également la vertu du druide Adamas :
ayant desja fort ouy parler de sa prud'hommie (III, 2, 40 verso).

• Le druide fait semblant de ne pas reconnaître cette Daphnide dont on lui a annoncé l'arrivée, et dont il possède le portrait. Après l'édition de 1619, le romancier explique qu'Adamas ne se laisse pas distraire par l'étrangère déguisée parce qu'il tient à faire honneur aux bergères qui lui rendent visite (III, 2, 45 verso).

• Lorsqu'Alexis est désespérée, le romancier ajoute imitant presque en ce transport Adraste en sa folie (III, 2, 42 verso). Le rappel des absents enrichit la cohérence du roman.

• Ailleurs, une notation ajoutée explique pourquoi Damon d'Aquitaine ne répète pas le récit de sa maîtresse. Il veut : abreger par ainsi une grande partie de [s]es cruelles peines (III, 6, 235 recto).

• En 1619, Hylas et Stelle commencent à éprouver l'un pour l'autre une amitié plus grande. Les éditions suivantes ajoutent qu'il s'agit d'un sentiment qu'ils n'avaient jamais ressenty pour quelqu'autre subject que fut presenté devant leurs yeux (III, 9, 387 recto). L'addition est nécessaire puisque ces deux jeunes gens s'enflamment souvent et aisément.

• Au livre 11, en 1619, Léonide, mise en présence d'Alexis, jura ne l'avoir jamais veuë si belle. La nymphe ne pouvait certainement pas dire son admiration en public à ce moment. Les éditions suivantes donnent : Léonide mesme ne sçavoit qu'en dire (III, 11, 465 verso). La variante rend la réaction du personnage plus crédible.
Un compliment similaire à celui de 1619 se trouvait dans la deuxième partie : Léonide et Silvie juraient « qu'elles ne s'estoient jamais veuës si belles » (II, 10, 650). Il s'agissait alors de deux jeunes filles qui se saluaient sous l'oeil amusé du romancier η.

• Au livre 12, Adamas recommande que Lindamor revienne vite en Forez. Après 1619, le romancier prévoyant ajoute que le chevalier doit réunir des troupes : autant qu'il en pourra promptement recouvrer d'ailleurs (III, 12, 549 verso).

28 Signet4. Deux Additions substantielles caractérisent la réédition de la troisième partie.

29 Signet La description de la galerie d'Adamas (III, 3, 58 recto à III, 3, 59 verso).

Avec cette addition, Honoré d'Urfé réorganise les tableaux de manière à suivre de plus près l'histoire de l'Europe dessinée dans son roman. Il rappelle donc l'histoire du Forez en nommant la Galathée mythique et l'Hercule Gaulois. S'il conserve l'Alexia de triste mémoire, les victoires des Gaulois, Sigovèse, Bellovèse, et Brennus contrebalancent les souvenirs de défaites. D'Urfé ajoute les grands noms du druidisme et la dynastie des chefs de deux peuples majeurs, les Francs et les Bourguignons. Pourquoi supprime-t-il les Roys de la grande Bretagne, d'Alemagne et d'Espagne ? Les deux premières nations n'ont pas de place notable dans L'Astrée. La troisième, l'Espagne, est remplacée dans la description par l'Aquitaine des Wisigoths qui est plus familière aux lecteurs du roman.

Choix plus opportun aussi puisque c'est Euric, un roi Wisigoth, qui sera le héros de la première histoire intercalée. Daphnide est représentée aux côtés de ce Roi dont elle ne porte pas le deuil puisqu'elle est déguisée en bergère. Le portrait de la Dame sert de transition entre l'ekphrasis et la narration. D'Urfé a utilisé cette méthode dans la deuxième partie pour enchaîner le roman pastoral et l'histoire de l'Empire romain représentée par quelques portraits (II, 11, 736). Dans la troisième partie, le modèle en chair et en os confronte le portrait. Et pourtant, dans l'édition de 1619 comme dans l'édition de 1621, la présence du modèle n'entraîne aucun commentaire sur le travail du peintre ou la fidélité du tableau (Henein, p. 120). Les deux formes données à Daphnide (portrait et déguisement) illustrent l'imbrication du romanesque et de l'historique. Le temps n'est plus où d'Urfé interdisait la recherche de clés !

À quoi sert la variante dans ces conditions ? D'une part, elle rend la décoration murale de la maison d'Adamas plus instructive ; elle renforce donc le rôle didactique de la peinture, cet art qui rend la vérité séduisante : « La Verité mesme que les anciens ont representée toute nüe a de si doux charmes sous ces voiles qu'elle instruit en divertissant » (Menestrier, p. 4). D'autre part, cette variante qui démontre combien l'art peut manipuler l'histoire et la présentation de l'histoire sert de préambule adéquat à un récit dont l'auteur manipule des faits authentiques modernes.

30 Signet L'oracle d'Isis (III, 12, 510 recto à III, 12, 510 verso).

C'est encore la vision de l'histoire - doublée peut-être d'un désir d'éblouir - qui motive l'addition de cet épisode qui se déroule chez les Francs, dans la cour du roi Mérovée. Honoré d'Urfé a inventé le nom de Méthine, la reine dont le seul rôle est d'engendrer Childéric et de s'installer à Paris. Cependant, d'après les historiens que le romancier a certainement consultés, Clovis, le petit-fils de Mérovée, est le premier Franc qui séjourne à Paris (Du Haillan, p. 71).
Honoré d'Urfé allonge une histoire intercalée (qui est déjà plus longue que la moyenne) en ajoutant un nouvel oracle et une nouvelle divinité pour justifier la présence de Méthine à Paris. Pourquoi ? parce qu'il a peut-être pris connaissance de l'étrange théorie du moine Abbon qui, en s'appuyant sur l'étymologie d'Issy, fait d'Isis la patronne de la ville de Paris (Henein, p. 77). Du même coup, d'Urfé souligne encore une fois que les Francs sont des Gaulois d'origine, non des envahisseurs. Pour Fauchet aussi, les Francs sont rentrés « comme d'une longue captivité, ou absence, en Gaule leur pays naturel et origine » (f° 56 recto).

Si la variante, évidemment, grandit les Francs, l'évocation de la très païenne Isis nuit à la vraisemblance et affaiblit la portée de l'épisode qui suit. Méthine, devenue veuve, quitte Paris pour se retirer à Reims et se recueillir près de saint Remi (III, 12, 536 verso). Encore une fois, le récit veut illustrer l'étymologie du nom d'une ville, Reims, dite ville des Remois. Il s'agit ici d'un chrétien authentique et de la ville prestigieuse où, depuis Clovis, les rois de France sont couronnés - Henri IV, lui, a dû éviter cette ville ligueuse et se faire couronner à Chartres.

La variante a une triple fonction. Elle accentue le syncrétisme religieux qui caractérise L'Astrée. Elle exemplifie l'une des fonctions des oracles : montrer les actes des personnages comme la réalisation de la volonté des dieux. Elle souligne le goût du romancier pour l'audacieux rapprochement du passé et du présent, du faux et du vrai.

31 Signet5. Une curieuse substitution me paraît gratuite : elle ne modifie pas le cours de l'action et elle n'ajoute rien à notre connaissance des personnages impliqués.

SignetLe dialogue d'Andrimarte et de Silviane (III, 12, 510 verso à III, 12, 512 verso).

L'histoire des Francs recèle la plus étrange des variantes textuelles, le remplacement d'une déclaration d'amour métaphorique par une déclaration basée sur une métaphore différente. Dans l'édition de 1619, Silviane regrette un oiseau qui a quitté sa cage. Andrimarte déclare alors pour la première fois son amour en disant qu'il n'aurait jamais quitté la cage s'il était à la place de l'oiseau : « Vostre prison est plus agreable que la liberté hors de vostre presence » (III, 12, 510 verso). Le chevalier contredit ainsi le proverbe qui veut que « Oncques n'y eut laides amours ny belle prison » (Cotgrave).

Dans les éditions qui suivent, le chevalier déclare également ses sentiments, mais en faisant l'économie de la mise en scène d'une métaphore pétrarquiste et lyrique. Honoré d'Urfé lui substitue un dialogue plus animé sur l'à-propos des images pétrarquistes. La variante introduit une discussion sur le sens littéral et le sens figuré de deux verbes. Silviane grave son nom sur un aune. Andrimarte ajoute « J'aime ». Curieuse, la jeune fille demande qui son compagnon aime. Andrimarte doit patiemment montrer du doigt que le verbe et le complément se suivent pour affirmer qu'il s'agit du nom gravé dans son cœur par les yeux de Silviane. Il s'ensuit une discussion sur ce graver métaphorique. Silviane refuse de reconnaître à ses yeux le pouvoir d'écrire. La preuve ? Elle regarde les petits chiens de la reine sans marquer son nom sur leur peau. La jeune fille propose ensuite de cacher ses yeux pour ne pas faire de mal au chevalier. Andrimarte affirme qu'il en mourrait. Elle offre ensuite de demander à toutes ses compagnes de regarder Andrimarte pour le soulager. Le chevalier refuse, car Silviane est la seule femme qui pourrait le toucher.

C'est ainsi qu'une page de l'édition de 1619 explose en quatre pages dans les éditions suivantes. Pourquoi cette escalade d'images mal comprises qui tentent de raviver des expressions éculées ? Pourquoi cet épisode basé sur ce que j'aimerais oser traiter d'enfantillages ? On croit entendre les trouvailles que Molière mettra dans la bouche de l'Agnès de L'École des femmes. Non seulement le livre 12 n'avait aucun besoin d'extension, mais encore cette scène retarde la narration de deux événements capitaux aux yeux des auditeurs et aux yeux du lecteur : l'exil de Childéric et la mort de Clidaman. La variante renferme un topos que la pastorale chérit, graver sur un arbre (I, 1, 10 recto) ou graver sur le sable le nom de l'infidèle (I, 4, 114 recto). Mais Silviane et Andrimarte n'ont aucun contact avec le monde pastoral, et ils ne succombent pas à l'infidélité. Leur dialogue illustre plutôt les amours enfantines, et rappelle la discussion d'Eudoxe et d'Ursace sur le cœur qui blesse (II, 12, 779). En illustrant la naïveté des très jeunes filles, les réactions de Silviane évoquent (et peut-être justifient) l'extrême simplicité d'Astrée qui se trompe quand elle interprète les métaphores qui abondent dans les poèmes et les lettres de Céladon.

Grâce à la variante, le lyrisme conventionnel surgit au premier plan, il crève les yeux. Le romancier ne brûle pas ce qu'il a adoré, il le jauge et se montre capable de s'en moquer. Il indique à ses lecteurs la voie à suivre pour mieux apprécier L'Astrée : reconnaître la métaphore et relever son invraisemblance.

32 Signet6. Les Soustractions.

Cette catégorie particulière de variantes textuelles doit nous étonner. En règle générale, Honoré d'Urfé remplace ce qu'il enlève, sauf évidemment quand il corrige une répétition. Quand il retranche une information sans lui substituer une autre, ses motifs sont toujours subtils. Nous l'avons vu dans la première partie lorsqu'une référence à Platon est supprimée (L'Autheur à la bergère), ou lorsque la description des vêtements et des voyages de Silvandre est effacée (I, 8, 228 verso).

Dans la troisième partie, il arrive assez souvent que le romancier condamne quelques lignes de l'édition préliminaire.
- Quand il écarte la mention des mœurs de certains animaux (III, 9, 399 recto), c'est peut-être parce que cette remarque l'éloignait de sa thèse sur la sexualité animale.
- Lorsqu'il sacrifie une phrase lors d'un dialogue de Silviane et d'Andrimarte, Honoré d'Urfé semble épargner la pudeur des lectrices. Dans l'édition de 1619, en termes touchants, la jeune fille demande au chevalier de ne pas abuser des droits qu'elle lui donne par amour : Malaisément pourrois-je vous refuser chose que vous voulussiez de moy (III, 12, 516 recto).
Mises dans la même situation que Silviane, trois jeunes femmes ont une réaction différente. Daphnide, seule avec son amant, appelle au secours un chaperon (III, 3, 89 recto). Dorinde se confesse « aveugle » lorsqu'elle confie à son partenaire le soin de protéger sa réputation (II, 4, 236). Criséide dit presque la même chose que Silviane, mais elle se montre infiniment moins faible (III, 7, 324 verso). Le discours amoureux féminin tombe-t-il sous le tranchet de la censure quand il peut sembler trop franc ?

33 Signet• La fin de la narration d'Hylas (III, 7, 331 verso).

Au livre 7, le romancier sacrifie 70 lignes de l'édition de 1619. C'est - de loin - la plus importante des soustractions que j'aie rencontrées dans L'Astrée.
Le romancier coupe le récit que rapporte Hylas, et il ne mentionne pas le fait que le narrateur a pris la fuite. Corrige-t-il ainsi une répétition ? pas du tout. Au début du livre 8, une addition va compenser en partie la soustraction du livre 7 : Hylas a quitté Lyon parce qu'il avait peur d'être accusé de l'évasion de Criséide (III, 8, 333 recto). Cependant, une notation capitale qui se trouvait en 1619 disparaît pour toujours : Je jugeay estre à propos de me desguiser, et ne treuvant habit plus commode, je pris celuy de berger.

Le renseignement escamoté nous rappelle que ce « berger » de Camargue passait à Lyon pour « chevalier ». Dans la quatrième partie, la double appartenance d'Hylas sera soulignée par un autre personnage : « Je ne sçay comme je le dois nommer, Chevalier ou Pastre » (IV, 2, 238). La conséquence la plus frappante de la suppression ne porte pas seulement sur le traitement du personnage, mais aussi sur le traitement de la narration. La couardise de l'inconstant a peu d'importance, car Hylas n'agit jamais en chevalier. L'essentiel ici, c'est que la suppression entraîne un arrêt abrupt qui déroute auditeurs et lecteurs.

En 1619, Hylas s'étendait sur ce qui se passait après le récit de Criséide et terminait son discours en se référant au présent. Ce qui m'est arrivé depuis que je suis en ceste contrée, disait-il, a sans doute été rapporté par Phillis. Après l'édition de 1619, Hylas se tait après avoir annoncé qu'il avait éprouvé une petite esperance de pouvoir parvenir à ses fins avec Criséide, juste avant de se taire. Dans les deux versions, les auditeurs laissés en suspens se rebellent avec raison au début du livre suivant.

Madame Aragon, se fondant sur le texte modifié par le romancier, analyse cette clôture cavalière, entorse aux règles du récit, et lui attribue un nom fabriqué par Gérard Genette, « métalepse narrative » (p. 4). Il s'agit, dit-elle, d'une manière amusante de mettre « l'accent sur les rouages et la littéralité du récit » (p. 21). Effectivement, la variante impose le désarroi des auditeurs d'Hylas aux lecteurs d'Honoré d'Urfé : nous sommes tous sidérés. Alexis se plaint de la digression commise par celui qui avait promis l'histoire de sa vie et qui s'est contenté du récit d'une partie des amours de Criséide (III, 8, 332 verso). C'est au romancier qu'Alexis devrait adresser sa réclamation, car les histoires intercalées sont des digressions qui retardent la réunion finale de Céladon et d'Astrée (Henein, p. 23). La remarque est amusante. Don Quichotte aussi se plaint des nouvelles insérées dans son histoire (Cervantes, p. 544). La variante donc accentue le clin d'œil que l'auteur fait au lecteur par l'intermédiaire du plus prolixe de ses narrateurs. La variante engage le lecteur à prendre garde aux modalités du récit.

34 SignetLa description d'Andrimarte III, 12, 533 recto.

La prochaine suppression conséquente a pour cadre ce livre 12 que d'Urfé a tellement travaillé. En parlant avec Silviane, par jalousie, Childéric décrit Andrimarte d'une manière injurieuse. Le Prince prétend que son rival ne seroit pas le premier de sa race qui abandonnerait une femme qui lui est supérieure après l'avoir courtisée. Dans l'édition suivante, le discours est tronqué, alors que Silviane défend avec autant de vigueur le chevalier qu'elle aime. La variante ne rend pas Childéric plus ou moins sympathique. Pourquoi dissimuler cette information qui porte essentiellement sur la maison du chevalier et donc sur le modèle d'Andrimarte ? peut-être pour empêcher l'identification du personnage. Ce chevalier Franc inférieur à la fille du duc de la Gaule Armorique aurait-il un modèle dans l'histoire du temps ? Le duché de Bretagne a été réuni à la France en 1547 seulement.

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35 SignetDu premier au dernier livre de la troisième partie, le lecteur rencontre des altérations apportées par un romancier attentif qui rend une description plus précise (III, 1, 14 verso), un geste plus significatif (III, 2, 46 recto) ou une remarque politique plus pertinente (III, 12, 509 recto). Dans le domaine de la langue et de la graphie en revanche, les variantes sont d'intérêt inégal, puisqu'il arrive que la variante, faite à la hâte, introduise des erreurs (III, 2, 27 verso ; III, 4, 129 recto ; III, 4, 142 verso ; III, 4, 158 verso ; III, 6, 256 recto ; III, 12, 514 verso ; etc.). Il est donc impossible de suivre Anne Sancier-Chateau lorsqu'elle juge que l'édition de 1621 de la troisième partie « témoign[e], à l'évidence, d'une relecture attentive des épreuves » (p. 34). Les faits démentent cette affirmation péremptoire dans le cas de l'absurde devise de Childéric par exemple (III, 12, 548 recto. Voir Préface).

Si Honoré d'Urfé n'a certainement pas eu de bons auxiliaires, il lui a surtout manqué la prudence ou les loisirs nécessaires pour surveiller le résultat de leur travail. Cela ne doit pas voiler le fait que les variantes textuelles, sans changer la dynamique des récits, s'avèrent aussi essentielles dans la troisième partie que dans la première. Elles ont été ignorées par la critique jusqu'ici bien qu'elles appartiennent sans doute aucun à l'auteur.