Évolution de L'Astrée
Variantes de la deuxième partie
Des Éditions similaires
1 Choix des éditions
Les éditions de la deuxième partie de L'Astrée que je compare sortent de chez le même éditeur que les éditions de la première partie, Toussaint Du Bray, mais cette fois, pour l'édition de 1621, Toussaint s'est associé avec Olivier de Varennes. La deuxième partie n'a pas du tout connu le même sort que la première : elle est restée moins longtemps en chantier, et elle a eu moins de rééditions du vivant d'Honoré d'Urfé.
Ses débuts sont surprenants. Comme l'explique Anne Sancier-Chateau, il y a eu en 1610, en l'espace de quelques mois, deux éditions et trois états de cet ouvrage. Les volumes examinés par Mme Sancier-Chateau renferment seulement des
variantes « peu nombreuses et de faible importance » (p. 27, note 3) ; elle exclut donc la deuxième partie du corpus qu'elle examine en étudiant les variantes de L'Astrée (p. 53). Cependant, dans sa conclusion, elle modifie légèrement sa position et signale quelques modifications textuelles significatives (pp. 407-410). Un vers est ajouté au début du poème du « Temple d'amitié » :
Par amitié l'on peut avoir l'entrée
Du Sainct Temple d'Astrée.
Ces deux vers deviennent :
Le Temple d'amitié,
Ouvre sans plus l'entrée
Du sainct Temple d'Astrée (p. 409).
L'édition de la deuxième partie que je présente ici offre la formule longue : elle donne neuf vers et non huit au poème η du « Temple d'amitié » (II, 5, 289).
Paule Koch décrit un exemplaire incomplet de la deuxième partie qui lui appartient. Il date aussi de 1610, mais il est folioté, et non paginé comme l'exemplaire de la Bibliothèque de Versailles que j'édite. L'ouvrage de Mme Koch comprend en plus un achevé d'imprimer du 24 avril 1610 ainsi que le nom de l'imprimeur, Charles Chappellain (sic). On découvre à la fin de ce volume une liste de « Fautes à corriger » (Koch, p. 396). Mme Sancier-Chateau a consulté ce volume et dépouillé « les dix premiers feuillets de chacun des douze livres » ; elle y a relevé quelques variantes (p. 408). Un exemplaire similaire se trouve à la Bayerische staatsbibliothek de Münich. Le poème du « Temple d'amitié » présente aussi neuf vers, et ici encore un errata suit l'achevé d'imprimer. Les pages sont foliotées comme dans les éditions de la première et de la troisième partie, mais il n'y a pas de guillemets dans les marges.
Mme Sancier-Chateau écrit que, dans les éditions postérieures à 1610, la deuxième partie n'a plus changé ; « aucune variante textuelle n'a été constatée par rapport au texte de l'édition originale » (p. 28). Cependant, entre l'édition de 1610 et celle de 1621, la deuxième partie connaît quelques modifications linguistiques que j'ai trouvées intéressantes.
VARIANTES
Dans l'analyse des variantes, orange reste la couleur de la première édition, et les caractères gras et plus petits le propre de l'édition de 1621.
Les mots ajoutés à la première édition ont des caractères espacés, et les mots supprimés sont barrés.
La barre oblique (/) sépare les deux éditions.
2 I. Variantes onomastiques
Je signale ici et dans les Notes une catégorie particulièrement trompeuse de variantes, les modifications des noms propres. Elles sont bien plus nombreuses dans la deuxième partie que dans la Première. L'une d'entre elles a induit en erreur Daniel Huet η (Voir Laignieu η).
Faux en 1610 | Corrigés en 1621 |
---|---|
Diane | DorisΞ (II, 8, 548) |
Leonide | LaoniceΞ (II, 8, 538) |
Lidas | LycidasΞ (II, 12, 891) |
Montrerdun | MontverdunΞ (II, 1, 30) |
Philis | ParisΞ (II, 5, 301) |
Seriane | LerianeΞ (II, 6, 365) |
Thamaris | TharamisΞ (II, 12, 890) |
Vincenne | VincenceΞ (II, 12, 841) |
Justes en 1610 | Faux en 1621 |
---|---|
CelidéeΞ | Calidée (II, 2, 106) |
CléontineΞ | Clotine (II, 2, 69) |
CyrcéneΞ | Sirene (II, 4, 207) |
Dame | Diane (II, 6, 380) |
FeursΞ | Feux (II, 7, 472) |
LycidasΞ | Lydas (II, 7, 480) |
LavieuΞ | Laignieu (II, 8, 491) |
ScithieΞ | Syrie (II, 12, 826) |
PhillisΞ | Supprimé (II, 9, 604) |
ThautatesΞ | Thautes (II, 8, 510) |
VeronneΞ | Supprimé (II, 12, 841) |
3 II. Variantes graphiques
L'imprimeur de 1621 continue à prendre pour règle de rappeler l'étymologie des mots. La graphie de l'édition de 1610 est donc plus moderne que celle de l'édition de 1621.
C'est le cas pour des verbes (fait / faict, dit / dict, fasse / face),
pour des substantifs (clarté / clairté, genoux / genouïl),
et pour des prépositions
(hormis / horsmis).
Il arrive fréquemment
- que le i devienne y
voioient / voyent, lui / luy,
- et que l'édition de 1621 introduise le r' dans la première syllabe
ravoir / r'avoir, rassirent / r'assirent,
-
ou que le é de 1610 deviennent es en 1621
déplaisir / desplaisir, dépouïller / despouïller, étoit / estoit.
Étienne Pasquier recommande dans ses Recherches la suppression de ce s qui indique l'étymologie, et qui a suscité des querelles du temps d'Henri II. « L'escriture n'offençant point les aureilles », le s survit mais ne s'entend pas, conclut-il (VII, p. 676). C'est le choix archaïque que fait l'édition de 1621 de la deuxième partie.
Bien que la confusion entre à et a soit beaucoup moins fréquente que dans les éditions de la première partie, les erreurs se multiplient quand il y a élision. L'édition de 1621 corrige souvent l'édition de 1610 dans ce domaine :
la / l'a (II, 1, 10 ; II, 2, 75 ; II, 4, 241 ; II, 5, 319)
l'a / la (II, 2, 101 ; II, 3, 128 ; II, 6, 414)
las / l'as (II, 4, 239)
ma / m'a (II, 4, 222 ; II, 5, 299 ; II, 11, 706 ; II, 11, 707).
Dans le cas de quelle(s) et qu'elle(s), mots pièges s'il en est, il y a des erreurs dans les deux éditions (par exemple II, 3, 161 ; II, 4, 250 ; II, 6, 380 ; II, 7, 449).
L'édition de 1621 semble un peu plus souvent fautive que l'édition de 1610.
Plusieurs erreurs de lecture de 1610 sont corrigées en 1621. La modification peut être superficielle (vimmes / vinsmes ii, 6, 417) ou au contraire affecter le sens (ces Bergeres / ce berger II, 2, 81).
Dans les variantes les plus significatives, la correction de la graphie se confond avec la correction du vocabulaire :
- L'édition de 1621 corrige :
peut auparavant / peu auparavant (II, 2, 89)
trouver / tonner (II, 3, 172)
reduire / redire II, 4, 199)
avantageux / desadvantageux (II, 4, 248)
attacher / achepter (II, 5, 308)
desirez / desdirez (II, 5, 315)
entree / antre (II, 8, 517)
devisast / divisast (II, 9, 601)
commandements / commencements (II, 9, 562)
protestation / protection (II, 10, 658)
cacher / racheter (II, 11, 741)
fond / front (II, 11, 749)
discerné / decerné (II, 12, 833)
dos / gros (II, 12, 866)
- Dans d'autres cas, la leçon de 1610 est plus correcte que celle de 1621, par exemple :
attendre / entendre (II, 1, 8)
election / affection (II, 1, 42)
raisons / oraisons (II, 2, 96)
void / veut (II, 2, 96)
garderay / regarderay (II, 2, 106)
paroles / parens (II, 4, 260)
apprendre / prendre (II, 4, 254)
condition / occasion (II, 5, 312)
renonçoit / reconnoît (II, 7, 463)
reprise / prise (II, 9, 603)
avenu / tenu (II, 10, 621)
survivre / suivre (II, 10, 653).
• Deux variantes graphiques rendent des vers incompréhensibles en 1621 :
-
Car d'en-haut / d'un chaud bien souvent quelques neiges se fondent
(II, 10, 636).
- Jamais les bancs / blancs couverts n'ont veu tant de naufrages
(II, 12, 792).
4 III. Variantes grammaticales
Si les corrections sont moins nombreuses que dans la première partie, ce n'est pas seulement parce que le correcteur intervient moins souvent, c'est surtout parce que la langue d'Honoré d'Urfé s'est modernisée. Les variantes qui relèvent de la grammaire sont heureuses.
• Le t analogique manque rarement dans l'édition de 1610. L'édition de 1621 l'ajoute 15 fois (par exemple II, 1, 40). Même situation dans la réédition de la première partie.
Les deux caractéristiques les plus frappantes de la deuxième partie en 1610 et en 1621 sont rarement affectées par les variantes. Il s'agit de l'absence du sujet et de l'absence de l'article dans les locutions verbales. Alors que l'ordre des pronoms subit des modifications désordonnées, la concordance des temps semble mieux respectée.
• En 1610 comme en 1621, le sujet manque souvent devant les verbes impersonnels à l'indicatif.
Dans le premier livre par exemple six verbes n'ont pas de sujet :
Et sembloit que le Ciel (II, 1, 1)
Et ne faut douter (II, 1, 2)
Et n'y a point d'autre (II, 1, 12)
Et vaut mieux que nous allions (II, 1, 29)
Et fut tres à propos (II, 1, 49)
Et falloit bien (II, 1, 51)
Dans l'ensemble du roman, le verbe falloir en particulier revient 304 fois et se passe de sujet dans 10 % des cas. Mme Sancier-Chateau rappelle que l'omission du il impersonnel est fréquente à l'époque, mais elle trouve chez d'Urfé une « tendance en faveur de son expression » (p. 109).
• Le sujet manque aussi - mais moins fréquemment - dans le cas des verbes dont le sujet est à la première personne du singulier.
Au livre 9 par exemple, on lit :
Et suis bien marrie (II, 9, 567)
Et croirois d'avoir (II, 9, 573)
Et voudrois bien (II, 9, 600)
Et sçay fort bien (verbe coordonné à j'en ay aymé) (II, 9, 602)
Et ne crois pas (II, 9, 603).
L'édition de 1621 ajoute le sujet une dizaine de fois, notamment II, 1, 16 ; II, 1, 51 ; II, 3, 129 ; II, 5, 274 ; II, 7, 440 ; II, 9, 601 ; II, 11, 679 ; II, 11, 760. Même lorsque ce pronom est supprimé par la variante, la phrase reste logique (II, 1, 16).
Quand l'article manque entre un verbe et son complément, la locution peut être consacrée par l'usage (prendre garde), elle peut aussi avoir survécu tout le long du XVIIe siècle (dire vérité, perdre temps). La première partie déjà, en 1607 comme en 1621, présentait des cas intéressants d'absence d'article (voir la note 79 verso η). Dans la deuxième partie, le verbe est soudé au complément une bonne centaine de fois.
On rencontre notamment :
- Avec le verbe avoir : avoir crainte, avoir memoire, avoir opinion, avoir consideration, avoir frayeur, avoir intention, avoir doute et avoir repos.
- Avec le verbe faire : faire divorce, faire doute, faire dessein, faire difficulté, faire rapport, faire compte, faire progrez, faire amitié, faire choix, faire service, faire bruit, faire resolution, faire passage, faire bon jugement, faire resistance.
L'édition de 1621 ajoute rarement l'article :
° Sauter la teste la premiere (II, 12, 766) ;
° Je fais la profession de Myre (II, 1, 45) ;
°
Animaux privez de la raison (II, 9, 614).
Absence de sujet et absence d'article donnent un air suranné au texte de la deuxième partie et en 1610 et en 1621.
Souvent modifiées dans les éditions de la première partie, les prépositions ne le sont guère dans la deuxième.
Encore une fois, les corrections semblent moins nécessaires, car Honoré d'Urfé, dès 1610, utilise plus souvent des formes courantes au XVIIe siècle. Notons pourtant quelques cas où les formes encore utilisées dans la deuxième partie ont été corrigées ailleurs :
- Ayant les yeux contre le Ciel (II, 5, 278). Cette acception archaïque de contre a été corrigée dans la première partie (I, 2, 34 verso).
- D'Urfé écrit généralement en la main. À la main ne survient qu'une seule fois (II, 6, 399). À la main était corrigée dans les éditions de la première partie (I, 1, 6 verso).
- Se tourner à apparaît aussi une seule fois (II, 10, 651). Tourner à survit seulement avant le mot costé (II, 3, 175 ; II, 11, 691). Le se tournant à ses pieds de l'édition de 1610 est remplacé en 1621 par se prosternant à ses pieds (II, 10, 644). La première partie également corrigeait tourner à (I, 3, 68 recto).
- Dans deux cas, la deuxième partie se montre plus stricte que la première.
° Mettre en mon lict / dans mon lict (II, 6, 388). La première partie n'a pas corrigé en son lict (I, 12, 404 recto).
° Se mettre en un cabinet / dans un cabinet (II, 9, 581). La première partie n'a pas corrigé en un cabinet (I, 4, 108 recto).
Mme Sancier-Chateau étudie la modification de à la ruelle du lit (devenu en la ruelle du lit) dans la première partie de L'Astrée. Elle note que « pour indiquer le lieu réel où l'on va, c'est toujours en qui est préféré à à » (p. 229), et même que dans serait écarté (p. 226). Les variantes de la deuxième partie infirment ces remarques.
La deuxième partie présente d'autres passages de à à en :
° Devant les noms de ville féminins :
En Rome / à Rome (II, 11, 763). À Rome est la forme courante dans les deux éditions. En Rome apparaît une seule fois (II, 12, 858). Par contre, en Constantinople est la forme la plus courante. À Constantinople survient une seule fois (II, 12, 844).
° Ce qui estoit en moy / à moy (II, 2, 102). La correction convient mieux au contexte.
° À moitie en colere / à moitié coleré (II, 4, 186). L'accent ajouté est sans doute une coquille, colere étant également un substantif et un adjectif. En colere n'est pas modifié dans la première partie (I, 3, 71 recto).
° La variante deux fois suppose une véritable réflexion sur le sens la phrase.
S'accommodant avec / à son malade (II, 8, 506).
Cette modification altère le sens : S'accommoder avec signifie concorder, s'accommoder à signifie se conformer. La deuxième forme est préférable dans le contexte, parce qu'il s'agit d'un médecin qui se vante d'avoir soigné des malades de plusieurs nationalités.
Passer contre les
flambeaux / devant les
flambeaux (II, 12, 798).
La deuxième préposition est évidemment plus logique.
Les formes composées du pronom relatif, un peu plus rares que dans la première partie, ne subissent pas de variantes, La fréquence de dont serait un signe positif si les formes complexes (duquel, etc.) avaient été remplacées. L'édition de 1621 confond qu'elle et quelle, qu'il et qui (II, 1, 4 ; II, 3, 137 par exemple).
Les modifications des pronoms compléments sont moins nombreuses que dans la première partie, mais aussi certaines formes particulièrement archaïques de l'édition de 1607 - ayant lui (I, 4, 95 verso), le m'avoir (I, 4, 105 recto), ne le pas approuver (I, 6, 170 verso) - ne figurent pas du tout dans la deuxième partie de 1610.
• La variante est parfois bénéfique.
- En, pronom personnel complément, est supprimé six fois, car il faisait double emploi (II, 6, 339 ; II, 6, 344 ; II, 8, 513 ; II, 10, 671 ; II, 12, 834 ; II, 12, 863).
- Ce qu'il adore / celle qu'il adore (II, 5, 286). « Rupture avec l'ancien usage », note Mme Sancier-Chateau en analysant un cas où ce est remplacé par il (p. 93). L'édition de 1621 modernise.
• La variante est souvent regrettable.
Dans la première partie de 1621, les variantes donnaient quelquefois aux pronoms qui se suivaient la place qu'ils auraient aujourd'hui. Par exemple :
le me commande devenait me le commande (I, 10, 308 verso).
Situation diamétralement opposée dans la deuxième partie où l'édition de 1610 donne la forme moderne et l'édition de 1621 la forme ancienne :
Aussi ne te le / le te dis-je (II, 1, 58).
Le correcteur de la deuxième partie revient souvent aux règles anciennes quand il s'agit de la place des pronoms.
• L'ordre des pronoms compléments n'obéit pas à une règle ferme.
Les vous est une construction que Vaugelas condamne : « Il faut dire, je vous le promets, et non pas, je le vous promets, comme le disent tous les anciens Escrivains, et plusieurs modernes encore » (pp. 33-34).
La première partie, néanmoins, conservait les vous aussi bien que le vous :
Je les vous déplieray (I, 9, 280 recto), je le vous apportois (I, 3, 48 recto). La deuxième partie remplace une seule fois les vous par vous les (II, 2, 98).
Construction ancienne et construction moderne cohabitent dans toutes les éditions de L'Astrée.
Il y a un curieux changement à signaler à ce propos. Dans la deuxième partie de 1610, après le milieu du livre 6, il n'y a plus un seul les vous ; vous les revient 5 fois.
• La place des pronoms quand deux verbes se suivent reste aléatoire. Encore une fois, la deuxième partie de 1621 revient à l'usage ancien, mais cet usage était aussi celui d'Honoré d'Urfé dans la première partie de 1607.
Selon Mme Sancier-Chateau, les pronoms de la première et de la deuxième personne ont des traitements différents : Honoré d'Urfé « choisit l'ordre moderne quand le pronom régime indirect est à la première personne, il rétablit l'ordre ancien - dans des cas moins nombreux il est vrai - si le pronom objet indirect est à la seconde personne » (p. 273). On trouve pourtant te le dans la première partie (I, 1, 4 recto) et te les dans la deuxième (II, 9, 611).
• La situation est particulièrement claire avec les compléments du verbe pouvoir :
Mme Sancier-Chateau explique que la forme se pouvoir + infinitif est la plus courante (p. 280). En effet, cette construction se trouve dans toutes les éditions :
me puis souvenir (I, 4, 117 verso), se pouvoit dire (I, 2, 45 recto),
me puis donner (II, 9, 603), se pouvoit
estendre (II, 12, 768).
On voit rarement Il peut se (I, 4, 113 verso ; II, 2, 76).
- La première partie déplaçait une seule fois le pronom, mais elle changeait en même temps la conjonction :
Toutefois elle ne se pouvoit pas exempter /
si ne se pouvoit-elle exempter (I, 11, 355 recto).
- La deuxième partie déplace le pronom deux fois pour revenir à la forme que d'Urfé privilégie :
° Sentence dont je
ne puis me / ne me puis souvenir (II, 3, 124).
° Ne pouvoit se / se pouvoit figurer (II, 3, 137).
L'édition de 1621 choisit mieux les modes et les temps.
- Le verbe aller : je vas / je vais (II, 1, 6).
- Un verbe mis au présent en 1621 respecte mieux la concordance ; mais le correcteur doit alors ajouter un pronom malvenu :
L'esté, c'estoit / est le transport, dont le sang me boüillonne (II, 7, 477).
• Les verbes au présent abondent dans l'édition de 1610. Honoré d'Urfé devait parler (écrire ou dicter) d'une manière très vivante ! Mme Sancier-Chateau juge que « le présent qui coupe la narration est fréquemment corrigé » (p. 165).
chargent / chargerent (II, 3, 151)
met / mit (II, 3, 179)
employent / employoient (II, 3, 160)
approchent / approcherent (II, 3, 164)
entends / entendis (II, 4, 217)
escris / escrivis (II, 4, 252)
sçachez / scachiez (II, 4, 262)
rendent / rendront (II, 5, 300)
résoult / resolut (II, 5, 306)
tourne / tourna (II, 6, 349)
pouvons/ pouvions (II, 7, 471)
allons / allions (II, 8, 536)
avez / aurez (II, 8, 554)
respond / respondit (II, 10, 666)
avez / aviez (II, 11, 724)
cognoissent / cognoissoient (II, 11, 731)
baignons / baignions (II, 12, 767)
• La concordance des temps du passé est mieux respectée.
L'édition de 1621 met l'impafait après parce que :
Parce que je luy respondis / respondois (II, 6, 385).
Le conditionnel est plus fréquent :
tiendrez / tiendriez (II, 3, 143)
parlay / parleray (II, 4, 214)
rendoit / rendroit (II, 6, 355)
sçavoit / sçauroit (II, 6, 391).
• Cependant les graphies de pouvoir aux différents temps et modes (pût, pûst, pust, peust, puz) entraînent des ambiguïtés parce que l'édition de 1621 met beaucoup trop souvent ce verbe au présent.
Avant de passer aux variantes linguistiques qui ne dépendent pas des règles de grammaire, il faut noter deux cas ambigus :
- Une répétition dont la suppession corrige le solécisme mais altère le sens :
IL NE VEUT
NI NE DAIGNEROIT PLUS (II, 8, 552, les majuscules sont dans le texte).
- Un adjectif possessif dont la modification change le sens :
Tenez Silvandre, c'est ainsi que je vous
fais part de vos / mes biens (II, 4, 193).
Quand Silvandre a cueilli des cerises et les a données à Diane, la bergère lui en a offert (Tenez ...).
Le jeune homme remercie en disant qu'il espère que tous les dons qu'il fera à Diane seront aussi bien reçus. Par conséquent, dans la réplique de Diane, vos biens peut sembler préférable à mes biens.
10 IV. VARIANTES LINGUISTIQUES
La plupart des archaïsmes relevés dans les éditions de la première partie (dorrer, lairrer, meschantement) ont disparu dans la deuxième partie dès 1610. Honoré d'Urfé a un vocabulaire plus moderne qu'en 1607. Il continue à utiliser le suranné pour ce que (9 fois), mais parce que est infiniment plus fréquent (367 fois), et par ce que aussi (47 fois). Voici un exemple probant de modernisation (voir la première partie) : dautant n'apparaît que 8 fois dans l'édition de 1610. L'édition de 1621 le remplace par d'autant 6 fois (par exemple II, 7, 457).
11 1. Le Vocabulaire
12 • L'édition de 1621 corrige les archaïsmes de l'édition de 1610.
consulté / consideré (II, 6, 413) ;
erres / arres (II, 3, 138) ;
demourer / demeurer (II, 12, 791) ;
lievre / lèvre (II, 3, 177) ;
pongnée / poignée (II, 12, 766) ;
songneux / soigneux (II, 10, 625) ;
guiere / guere (II, 7, 433)
Guiere figurait dans la première partie en 1607 et en 1621.
On rencontre pourtant ces modifications qui vont dans des sens contradictoires !
- Je vas / je vais (II, 1, 6) dans un poème ;
-
Ainsi / ains (II, 3, 128) dans un passage en prose.
Certaines expressions sont corrigées pour les rendre plus précises.
- Mal accostable / peu accostable (II, 6, 357) ;
- Paroles arrangees / agencees (II, 9, 597) ;
- L'onde raportoit en arriere / emportoit (II, 12, 769).
Mais il y a des modifications qui n'ont aucune raison d'être :
- Le Berger luy respondit / fit ceste response, (II, 8, 518).
13 • L'édition de 1621 de la première partie donnait des synonymes à chose, pratique et gracieux.
Ces trois mots ne changent pas dans la réédition de la deuxième partie :
- Gracieux(se) revient deux fois.
- Pratique (verbe et substantif) revient 5 fois, et remplace tenir :
Tenant / practiquant cette maxime (II, 4, 208).
- Chose, qui revient 137 fois au pluriel et 276 fois au singulier, ne change jamais - pas même pour corriger un déplaisant chère chose (II, 2, 77 ; II, 11, 697) !
Trois fois seulement, le correcteur propose des synonymes ; deux fois la variante est heureuse :
- Il disoit vray / il estoit vray (II, 12, 768).
Verbe d'état et forme impersonnelle rendent l'expression moins vivante.
- Adjouta Philis / repliqua Paris (II, 5, 301).
La variante corrige le nom propre. Le nouveau verbe convient mieux au contexte.
- Declare son intention / découvre son intention (II, 6, 377).
Comme cette intention était cachée, le nouveau verbe convient mieux.
14 • Certains substantifs dont le genre fluctuait entre la première partie de 1607 et celle de 1621 (affaire, doute, isle, outrage, rencontre, reproche) se stabilisent dans la deuxième partie.
- Isle et Rencontre sont toujours féminins.
- Reproche est toujours masculin.
Cependant :
- Doute, généralement féminin en 1610 et 1621, devient une fois masculin dans les deux éditions (II, 3, 139).
- Erreur est quelquefois masculin et quelquefois féminin en 1610 et en 1621. Ce substantif passe une fois du féminin au masculin en 1621 (II, 2, 97) ; il passe également du masculin au féminin (II, 2, 105).
- Affaire est masculin et féminin en 1610 et en 1621. On rencontre des contradictions en 1610, car le substantif passe deux fois du masculin au féminin (II, 10, 649 et II, 12, 870). Il peut s'agir de la correction d'une coquille dans ce cas :
Cest affaire secrette devient en 1621 cette affaire secrette (II, 10, 649).
- Outrage, généralement masculin en 1610 et en 1621, devient une fois féminin dans l'édition de 1621 (II, 12, 858).
D'autres substantifs qui commencent par une voyelle restent au masculin dans les deux éditions de la deuxième partie. C'est le genre que leur donne Huguet : épitaphe (II, 8, 553), escritoire (II, 5, 306) et enclume (II, 8, 537). Ongle présente un cas particulièrement curieux. Ce substantif est au féminin dans Huguet et au masculin dans Furetière. Il est masculin dans l'édition de 1610, mais féminin dans l'édition de 1621 (II, 8, 537).
La première partie donnait leur genre moderne à deux de ces substantifs qui commencent par une voyelle : Ongles était toujours au masculin dans la première partie (I, 3, 71 verso), Escritoire toujours au féminin (I, 4, 101 recto). Épitaphe et enclume ne figuraient pas dans cette partie.
15 2. La Syntaxe
16 • La correction de la syntaxe illustre le même souci de clarté dans la deuxième partie que dans la première. Seuls les procédés semblent moins variés.
• La suppression d'un mot rend la pensée intelligible :
- Dois-je dire cette veuë heureuse ou malheureuse pour moy,
qui m'a cousté
tant de travaux et tant de soing ? Mais comment le puis-je mettre en doute, puis que jamais personne
ne fut plus heureux (II, 12, 776).
Malheureuse était une digression inutile.
• On devine aussi un certain souci d'élégance quand les propositions coordonnées deviennent symétriques :
- T'ay-je manqué de parole, ou d'amitié ? ou, si tu as recogneu /
T'ay-je manqué de parole, ou d'amitié ? ou,
as tu recogneu (II, 1, 57).
- Jamais Amant ne fut mieux aymé ; ny Aimée plus Amante /
Jamais Amant ne fut mieux aimé ; ny Amante plus
aimee (II, 11, 709).
• La variante quelquefois essaie en vain de corriger :
- À ceste heure que je devois / veux parler à vous, et que je vous veux dire chose qui ... (II, 11, 723).
Devoir à l'imparfait est une erreur, mais le remplacer par veux introduit une répétition.
- Mais se démeslant de nos mains / nous, il se jetta (II, 12, 883).
La correction ne rend pas la phrase plus correcte. Se démesler signifiant se tirer d'affaire aurait dû être remplacé par se dégager, se libérer.
• Il arrive que la variante, en déplaçant une subordonnée, change la signification de la phrase - résultat regrettable :
-
Je pris bien garde que de fois à autre il me regardoit /
Je pris bien garde de fois à autre qu'il
me regardoit (II, 6, 374).
17 • La répétition est parfois supprimée.
Par exemple, dans une conversation, l'un des dit est remplacé par respondit (II, 10, 629 ; II, 12, 890).
- Il faut qu'elle soit punie comme elle merite, et vous devez croire que Dieu l'a de ceste sorte punie / abandonnée (II, 6, 392).
-
Le refus qu'elle faisoit de luy, ne
luy procedoit (II, 12, 807).
Dans l'ensemble, le correcteur de la deuxième partie est peu sensible aux répétitions, ou moins attentif que le correcteur de la première partie :
Répétition de faire (II, 7, 467 ; II, 9, 567 ; II, 11, 704 ; II, 11, 758),
grand (II, 7, 434 ; II, 10, 635),
prendre (II, 8, 534),
écrire (II, 8, 552),
falloir (II, 12, 874).
Quelques cas semblent même choquants :
- La grandeur d'Adamas,
qui pour sa qualité de grand Druyde (II, 1, 8).
- L'esperance du
support qu'ils esperoient (II, 11, 684).
- Lorsque le druide propose à Céladon de construire un temple à Astrée, il dit une première fois :
Vous addressez vos vœux à ceste belle, comme à l'œuvre le plus parfaict qui soit sorty de ses mains (II, 8, 507).
Il répète la même chose dix pages plus loin dans la même conversation :
Pourveu que vous y honoriez ceste Astree comme l'un des plus parfaicts ouvrages qu'il ayt jamais fait voir aux hommes (II, 8, 518).
18 • Les corrections les plus frappantes de la deuxième partie consistent en mots ajoutés qui souvent rendent les phrases plus claires.
Pour mieux lier les segments de phrase, l'édition de 1621 ajoute
- des conjonctions (et, donc, que) ;
- des prépositions (de) ;
- des adverbes (ainsi) ;
- des adverbes de négation (ne, plus ou pas) ;
- et surtout des pronoms ajoutés ou remplacés, par exemple :
° À fin de la rassurer (II, 1, 33)
° Ce n'avoit esté que
l'injustice de ces loix, qui luy / l'y avoient poussé (II, 5, 317).
° Elle trouva que son oncle se promenoit /
Elle trouva son oncle qui se promenoit (II, 8, 489).
• Quelques phrases sont transformées par l'ajout de plusieurs mots. Même si dans certains cas, il peut s'agir simplement de la correction d'un bourdon, il faut souligner que la correction est toujours bénéfique :
- Le sens d'une phrase est rétabli grâce à une addition :
Un grand cerisier, qui mesme leur faisoit une partie de l'ombrage (II, 4, 193).
- On lit en 1610 :
Il demeura sept ou huict jours au chevet du lict de Calydon, et toutes les jeunes Bergeres de nostre hameau et d'alentour le vinssent visiter separément (II, 1, 48).
Pour mieux lier les propositions et justifier le subjonctif vinssent, l'édition de 1621 donne :
Il demeura sept ou huict jours au chevet du lict de Calydon, et me conseilla cependant de faire en sorte, que toutes les jeunes Bergeres de nostre hameau et d'alentour le vinssent visiter separément (II, 1, 48).
- 1610 : De sorte que si veritablement, comme vous dites, je suis monstre d'amour, pource que c'est chose
monstrueuse ... (II, 2, 86).
1621 : De sorte que si veritablement, comme vous dites, je suis monstre d'amour, je le suis, pource que c'est chose monstrueuse ... (II, 2, 86).
- 1610 : Si l'Amour que je vous porte n'eut eu esté en
quelque sorte obligé à quelque assistance (II, 4, 188).
1621 : Si l'amour que je vous porte n'eust eu plus
de puissance sur moy que la civilité j'eusse esté en
quelque sorte obligé à quelque assistance (II, 4, 188).
- 1610 : Il me la donna le soir quand je me
retirois (II, 4, 252).
1621 : Il me donna le loisir quand je me retirois de la lire (II, 4, 252).
- 1610 : Puis que tu ordonnes que l'Automne n'ait point de fruicts pour moy que le Printemps me donne des fleurs ? (II, 7, 478).
1621 : Puis que tu ordonne
que l'Automne n'ait point de fruicts pour moy que ne permets-tu
pour le moins que le Printemps me donne des fleurs ? (II, 7, 478).
- 1610 : En fin le Soleil
estant prest à se cacher elle fut contrainte de le revoir bien souvent (II, 7, 466).
1621 : En fin le Soleil estant prest à se cacher elle fut contrainte de
se retirer, avec promesse de le revoir bien souvent (II, 7, 466).
- 1610 : Et m'en retirois tout en colere de les avoir estimees
autres que je ne les trouvois pas (II, 9, 610).
1621 : Et me retirois tout en colere de ce que je les avois estimees autres que je ne les trouvois pas (II, 9, 610).
- 1610 : L'ennuy que je luy puis avoir donné en l'aymant
plus, peut estre qu'elle ne croyoit pas (II, 9, 584).
1621 : L'ennui que je luy puis avoir donné en l'aymant
plus, peut estre qu'elle ne vouloit, ou qu'elle ne croyoit pas (II, 9, 584).
19 V. Variantes dans les poèmes
La deuxième partie renferme 40 poèmes, y compris les deux versions des Tables d'Amour. Les vers n'ont pas subi de corrections importantes entre 1610 et 1621. Dans la première partie en revanche les poèmes avaient été souvent transformés entre 1607 et 1621. Notons que le dam supprimé en 1621 dans les vers de la première partie (I, 4, 99 recto) survit dans ceux de la deuxième (II, 12, 793) et en 1610 et en 1621.
C'est avant la parution de l'édition de 1621 que les poèmes de la deuxième partie ont subi des corrections notables. Mme Lallemand l'a relevé en étudiant ces mêmes vers réunis dans un recueil collectif de 1609 (pp. 306-307).
• Deux nouvelles variantes cependant rendent la métaphore cohérente :
- Et ces beaux yeux / soleils aussi ne sont-ce pas des Dieux ? (II, 5, 295).
La rime intérieure disparaît mais le sens est plus clair.
- Les vents sont mes / leurs desirs ardans de / des leur naissance (II, 7, 476).
L'adjectif possessif est plus correct, la préposition aussi.
20 VI. VARIANTES TEXTUELLES
Bien que peu nombreuses, les variantes textuelles ne sont pas dénuées d'intérêt. Elles rendent la pensée moins équivoque, le plus souvent en supprimant des mots. Dans la plupart des cas, il s'agit de variantes essentiellement linguistiques, mais qui affectent la signification du texte.
21 • Suppressions
- Célidée déclare qu'elle reconnaît qu'elle aime Thamire.
Incontinent j'adjousteray pour sa vertu, et que, de mesme, j'ay esté aymee de Thamire, mais selon la vertu (II, 2, 90).
Une répétition est supprimée, mais surtout la jeune fille évite la digression.
- Je vous remets librement l'injure, puis que je suis beaucoup plus obligee à vostre changement que je n'eusse receu de satisfaction de vostre constance (II, 4, 186).
Plus brève, la phrase est aussi plus élégante sans la première subordonnée.
- Est-il raisonnable que Diane qui a tousjours esté
en consideration parmy les Bergers de cette contrée,
espouse par amour un Berger incogneu, et qui n'a rien que son
corps (II, 6, 428).
L'emphase porte maintenant sur Berger incogneu.
- Paris dit que ce qui manque à Diane c'est la volonté de l'aimer. La bergère a donc un défaut,
en ce qui est de la volonté : mais ce qui est cause que je ne puis arrester vostre pensee (II, 8, 540).
La phrase n'est pas beaucoup plus claire, mais la suppression du second qui est la rend plus compréhensible.
- 1610 : Sans faire compte du contentement qu'il pouvoit avoir de moy qu'il avoit desirée et recherchée avec tant de passion
1621 : Sans faire compte du contentement qu'il pouvoit avoir de moy qu'il avoit desiré et recherché avec tant de passion (II, 11, 710).
En supprimant la première subordonnée relative, la phrase devient plus bienséante. C'est la jeune fille qui est désirée, non le contentement. La répétition de qu'il disparaît.
- Eudoxe dit à Ursace qu'elle ne va pas lui permettre certaines caresses :
Ne me contraignez donc point [...] de vous
permettre ce que je ne puis ny ne dois faire sans
mourir (II, 12, 801).
Pouvoir, dans ce contexte, semble excessif et redondant.
22 • Addition
La plus intéressante des variantes textuelles figure dans le poème η cité plus haut. Elle se trouve dans la première des deux éditions parues en 1610 :
1610 (1) : Par amitié l'on peut avoir l'entrée
Du Sainct Temple d'Astrée.
1610 (2) : Le Temple d'amitié,
Ouvre sans plus l'entrée
Du sainct Temple d'Astrée (II, 5, 289).
Cette variante qui ajoute un archaïque sans plus semble avoir pour seul but d'enfermer le temple d'Astrée dans un temple moins évidemment païen. Le « temple » d'Astrée pourrait suggérer une métonymie du corps ou du cœur de la bergère. Attaché à un autre temple, il présente plutôt l'image éminemment pétrarquiste des temples qui communiquent les uns avec les autres. Les hommes d'honneur, dans la préface,
cherchoient l'entree du Temple d'Amour par celuy de l'honneur : et celuy de l'honneur par celuy de la vertu.
Dans les Triomphes, Pétrarque η prend la position du songeur pour enchaîner les allégories. Il représente la vie de l'homme passant du Triomphe d'Amour au Triomphe de l'Éternité. Ce savant poème a inspiré de fort belles illustrations (Voir par exemple ce site, 10 mai 2013).
23 De toute évidence, jamais Honoré d'Urfé n'a éprouvé le désir de revoir la deuxième partie de L'Astrée. Entre 1610 et 1621, les variantes textuelles sont rares et les poèmes présentent peu de corrections remarquables. L'analyse de l'évolution des éditions de cette deuxième partie apporte cependant des informations assez cruciales pour que des leçons non négligeables en découlent :
1. Le fait que le correcteur propose si peu de synonymes en relisant le texte de 1610 me paraît être un signe probant : il serait téméraire d'attribuer à Honoré d'Urfé lui-même toutes les modifications de la deuxième partie.
2. On rencontre dans la deuxième partie de 1621 des tournures de phrases qui ont été supprimées à la même date dans la première partie, comme par exemple l'expression les yeux contre le ciel (II, 5, 278) - qui a été corrigée dans la réédition de la première partie (I, 2, 34 verso).
3. Par ailleurs, la langue de l'édition de 1610 s'avère nettement plus moderne que celle de l'édition anonyme de la première partie en 1607. En moins de trois ans donc, le vocabulaire du romancier a évolué. D'Urfé fait plus souvent des choix de moderne. Il n'est pas impossible que de vastes pans de L'Astrée de 1607 aient vu le jour au XVIe siècle, et se trouvent dans les Bergeries signalées par Du Crozet.
24 ERRATA
La deuxième partie de 1610 offre un bénéfice inattendu que j'ai signalé plus haut : une édition foliotée légèrement antérieure à l'édition paginée que je présente dans ce site renferme un errata avec trente-sept « fautes à corriger ». Il est donc possible de comparer l'Édition de Münich foliotée avec l'édition paginée de Versailles qui l'a suivie quelques mois après.
Quatre corrections supposent soit la consultation d'une copie plus correcte, soit une réflexion sur le texte :
« Fautes à corriger » dans l'Édition de Münich |
Édition paginée qui la suit | ||
« Lisez » | |||
92 b, Hebusiens | Sebusiens | II, 3, 171 | Il s'agit en fait des Sébusiens. |
211 a, pas bien | pas bon | II, 6, 394 | La répétition de bon est évitée. |
107 b, faire Cyrcene | faire Syrene | II, 4, 207 | C'est le jeu de mots imaginé par Hylas. |
433 a, Berger | Silvandre | II, 12, 799 | Le jeune homme n'était pas encore berger à l'époque. |
En revanche, trois des fautes relevées dans l'errata de l'Édition de Münich reviennent dans l'édition de Versailles de 1610. Il faut attendre l'édition de 1621 pour avoir la bonne leçon.
Il n'y a pas de grands miracles évidemment. Les noms propres qui sont faux dans l'édition de Versailles le sont aussi dans l'Édition de Münich.
« Fautes à corriger » |
Éditions suivantes |
|||
« Lisez » | 1610 | 1621 | ||
37 a, antes | autres | II, 2, 69 | autres | antres |
37 a, par effect | par l'effect | II, 2, 69 | par effet | par l'effect |
421 b, sappane | s'apparie | II, 12, 796 | s'appane | s'apparie |
Voir par exemple au livre 8, Doris pour Diane (f° 289 a ; II, 8, 538) et Léonide pour Laonice (f° 291 a ; II, 8, 538).
La grande majorité des variantes ne figurent pas dans l'errata. Qui plus est, le correcteur ne mentionne pas les nombreuses erreurs de foliotation ou l'absence de feuillets (Édition de Münich, f° 164 à 168 par exemple). L'errata lui-même contient des coquilles qui rendent certaines entrées inutiles (« 402 b ligne 2 immence lisez immence ») ou erronées (« 344 b ligne 14 sont lisez sol »). Aucune des « fautes à corriger » ne touche un groupe de mots (ordre des pronoms ou syntaxe). Aucune ne concerne le temps ou le mode d'un verbe ; seule la graphie d'un conditionnel présent est modifiée pour la moderniser (« 34 b ligne 26 aurois lisez auray »). Malgré tout, l'examen de l'historique des variantes de la deuxième partie rappelle au lecteur moderne les challenges que présente un texte comme L'Astrée pour les ateliers d'imprimeurs.