Choix éditoriaux
une question bibliographique plus complexe
que celle de L'Astrée.
O.-C. Reure,
Bibliothèque des écrivains foréziens, II, p. 466.
1 Renate Jürgensen a établi une impressionnante liste de toutes les éditions η anciennes et modernes de L'Astrée (pp. 385-507). Jean-Dominique Mellot a noté « qu'en une trentaine d'années (1607-1637), on compte au moins huit privilèges et une permission » pour « plus de 60 éditions en langue française des diverses parties de L'Astrée » (p. 219). Anne Sancier-Chateau a démontré de manière tout à fait persuasive que chacune des éditions du XVIIe siècle a ses caractéristiques, je dirais presque son idiosyncrasie. Jean-Marc Chatelain a souligné « l'obscurcissement de l'autorité du texte sous l'effet d'une multiplication des instances de responsabilité dans sa tradition » (p. 228). Le site de Delphine Denis et de son équipe, Le Règne d'Astrée (30 septembre 2010), offre un tableau exhaustif des éditions, apportant ainsi un démenti au chanoine Reure qui déclarait au début du siècle dernier :
Il serait infiniment long et d'ailleurs impossible de donner la bibliographie complète de L'Astrée (Reure, p. 216, les italiques sont dans le texte).
Cette masse d'ouvrages fait problème. Comme il n'existe pas de manuscrits du roman, quel critère permet de décréter quelle édition de L'Astrée est la plus fidèle à Honoré d'Urfé ? La tradition universitaire veut qu'on privilégie la dernière édition revue par l'auteur et parue avec son consentement.
J'édite aussi la quatrième partie de 1624 publiée par ce même Toussaint Du Bray parce qu'elle est plus fiable que les autres suites du roman.
Est-ce le bon choix lorsqu'il s'agit d'un roman interrompu brusquement par le décès de son auteur ? Est-ce la solution la plus sage pour un roman complété par un secrétaire ? Pour justifier mes choix, je rappellerai les mésaventures de plusieurs écrits d'Honoré d'Urfé et l'histoire tourmentée du roman. Les quatrièmes parties et les divers problèmes de logique et d'histoire littéraire qu'elles soulèvent auront droit à un fichier indépendant.
2 Infortunes de l'auteur et de ses œuvres
Le destin a fait naître d'Urfé η sous le règne de Charles IX, lorsque débutent les guerres de religion, des guerres civiles auxquelles Honoré d'Urfé a participé et qui « firent pendant quarante ans du peuple le plus poli un peuple de barbares » (Voltaire, II, p. 90). En dépit d'une vie mouvementée de guerrier, d'Urfé, perfectionniste, a toujours travaillé longtemps et lentement sur ses textes. Il aime à se corriger. Il est encore au collège quand il publie lui-même La Triomphante entrée, un travail collectif. Pendant quatre ans, d'Urfé compose Le Sireine η en multipliant additions et modifications. Les Epistres morales restent sept ans sur sa table de travail. Quant à son chef-d'œuvre, L'Astrée, sa publication s'est échelonnée pendant les dix-sept dernières années de sa vie. Ses deux autres œuvres, La Sylvanire η et La Savoisiade η, n'ont pas paru de son vivant.
Doté d'une grande générosité, d'un admirable détachement ou d'une étrange indifférence, Honoré d'Urfé offrait ses manuscrits ou les laissait dérober. J'ai eu la chance d'étudier nombre de romanciers du premier XVIIe siècle ; aucun, jamais, n'a fait preuve d'autant de libéralité - voire de désinvolture. À ma connaissance, aucun n'a donné, comme Honoré d'Urfé, des procurations en blanc avec ses manuscrits :
Le même jour [2 mars 1614], d'Urfé signa une procuration en blanc, qui permettait de poursuivre toute personne voulant s'opposer à la validation des lettes patentes
(Koch, p. 387, note 13).
Posons quelques jalons indispensables pour saisir la complexité de l'histoire éditoriale de L'Astrée. Le temps des publications sauvages est suivi par la parution des trois parties de L'Astrée. Le temps des complications suit de près.
3 Le Temps des désordres
• En 1593, Jean Du Crozet η dédie à celui qui n'est pas encore l'auteur de L'Astrée une pastorale qui renferme deux sonnets « dressez sur les Bergeries de Monsieur le Chevalier d'Urfé, qui luy avoit faict cest honneur de les luy communiquer » (Reure, p. 30). Céladon, Astrée, Lycidas, Aminthe et Galathée évoluent donc dans la Philocalie de Du Crozet. Ces Bergeries, elles, n'ont pas fait surface.
• En 1597, Honoré d'Urfé tombe gravement malade. Il lègue le manuscrit de la première partie de ses Epistres morales à Antoine Favre η, puis guérit. Antoine Favre η publie rapidement le texte de son ami « craignant que ses considérations ordinaires n'interrompissent [ce] desseing » (Reure, p. 76). Le privilège est accordé à Jacques Roussin, l'éditeur. Les Bergeries semblent bel et bien oubliées.
• En 1604, un médecin, Jean Aubery η, qui est le cousin et le protecteur de Jean de Lingendes η, un ami d'Honoré d'Urfé, séjourne à Châteaumorand η, dans le Bourbonnais (Saint-Martin-d'Estréaux, Loire). Il s'empare du manuscrit du Sireine et le publie η avec un privilège demandé au nom d'Honoré d'Urfé ! Il se reconnaît, au vu et au su de tous, « larron de bonne conscience » (Reure, p. 3). Dans l'édition de 1606 du Sireine, le Libraire confesse qu'il a d'abord fait paraître
« une tres-mauvaise coppie » et que
« ceste œuvre ainsi deschirée, et desbiffée η, faisoit mal au cœur à plusieurs qui l'avoient veuë en meilleur estat » ... C'est dire que Le Sireine a connu bien des avatars η.
4 La Publication des trois parties de L'Astrée
Les éditions du roman et le triomphe qui s'ensuit apportent leur lot d'embarras.
La première partie
5 • En 1607, paraissent successivement deux éditions de la première partie de L'Astrée avec un même privilège. Dans la préface, L'Autheur à la Bergere Astree, Honoré d'Urfé écrit que, s'il a autorisé la publication de ce texte, « ce n'est point par volonté, mais par souffrance ». On constate que le romancier a laissé tomber le titre initial et générique, Bergeries, qui correspond à une convention de la pastorale en vers ou en prose, et qui figure dans le résumé que donne Du Crozet.
La Première édition du roman, sans nom d'auteur, s'intitule Les Douze livres d'Astrée ; je l'édite dans mon site. La seconde version, celle qui est signée et qui est reprise dans les éditions ultérieures, introduit un titre bref : « L'Astree [...] Premiere partie ». D'Urfé ne s'explique pas et n'apporte aucune variante à la préface - même lorsqu'elle sera contredite en 1619 η. Les décisions éditoriales du romancier sont souvent ambiguës.
La deuxième partie
• En 1609, des poèmes qui devaient appartenir à la deuxième partie de L'Astrée paraissent dans le Nouveau recueil des plus beaux vers de ce temps que publie Toussaint Du Bray avec un privilège de 1608. Dans ce même recueil se trouve un fragment de La Savoisiade η, l'épopée que d'Urfé ne terminera pas. Ces publications répondent-elles aux vœux d'Honoré d'Urfé ?
• En 1610, la deuxième partie de L'Astrée voit le jour accompagnée d'une épître dédicatoire adressée à Henri IV et d'un privilège accordé aux éditeurs le 15 février, Peu après, une deuxième édition introduit quelques changements mineurs.
•La troisième partie
L'histoire de la troisième partie commence en 1614 grâce aux démarches effectuées par Balthazar Dessay ou d'Essay η, un serviteur d'Honoré d'Urfé η. Toussaint Du Bray fait remettre à d'Essay η mille livres η (Arbour, p. 49). Est-ce que d'Urfé donnerait à Dessay η des arriérés de salaire aussi importants ?
• Dès 1616, des libraires provinciaux se permettent de publier à leur tour la première partie de L'Astrée ; l'auteur l'avait concédée à Toussaint Du Bray en 1607. Un arrêt du 5 mai 1617 confirme les droits des adversaires de Toussaint, car la première partie est tombée dans le domaine public. À cause du roman d'Honoré d'Urfé sans doute, « tout particulièrement durant la décade 1610-1620, les procès se multipli[ent] » entre libraires, relève H.-J. Martin (I, p. 449). Le monde de la librairie est amateur de chicanes, comme le montre encore l'histoire de Charroselles qui se plaint d'être « tombé dans la disgrace des libraires », dans Le Roman bourgeois de Furetière en 1666 (p. 1084)
• En 1617, trois livres de la troisième partie de L'Astrée paraissent à Arras « échappé[s] du cabinet de [leur] autheur », dit-on dans l'avis « Aux Liseurs » (Arbour, p. 50).
•En 1619, Du Bray et Varennes publient la troisième partie avec un privilège du 7 mai 1619. Ils la réunissent à la première et à la deuxième partie embellies de gravures et dotées d'une seconde épître dédicatoire. Nous voici en présence de la toute première édition complète de L'Astrée. D'Urfé leur a cédé ses droits, le 30 mai 1619, et délégué le pouvoir de poursuivre les contrefacteurs (Koch, p. 389).
• En 1620 paraît une nouvelle édition de la troisième partie. Des additions et des soustractions la distinguent de l'édition de 1619, comme l'annonce la page de titre.
La même année, Jean Baudoin réunit dans le Second livre des Delices de la poesie françoise quarante-six poèmes d'Honoré d'Urfé (pp. 9-63), dont certains viennent de L'Astrée (Lallemand, p. 297). Avec ou sans le consentement de l'auteur ?
• En 1621, Toussaint Du Bray et Olivier de Varennes publient de nouveau la troisième partie revue l'année précédente. Ils donnent en même temps une nouvelle Astrée en trois volumes. C'est l'édition que je présente dans ce site. Fait curieux : les trois éditions successives de la troisième partie portent non seulement le même privilège, mais encore le même achevé d'imprimer !
6Le Temps des complications
Le succès de L'Astrée attise la convoitise. Les vols et indélicatesses qui vont se succéder témoignent de la valeur marchande de l'œuvre d'Honoré d'Urfé.
•7Le brouillon dérobé qui va devenir une édition escamotée
En 1623 ou à une date antérieure, Gabrielle η d'Urfé, fille de Jacques II d'Urfé η, le frère aîné d'Honoré, entre en possession d'une quatrième partie inachevée. Avec sa mère, Marie de Neufville η, Gabrielle η s'entend avec le libraire, François Pomeray, le 3 ou le 6 novembre 1623. Elle obtient un privilège en son propre nom le 20 et le transmet au libraire le 22 novembre. Elle reçoit 365 des 700 livres η qui lui sont dues (Koch, p. 393, note 48). Gabrielle η promet des « lettres d'adveu » de son oncle dans six semaines. Pomeray à son tour s'associe rapidement avec Toussaint Du Bray, la veuve Olivier de Varennes, et Jacques de Sanlecque, parent de Du Bray. L'ouvrage de 900 pages reçoit un achevé d'imprimer le 2 janvier 1624, deux mois à peine après l'obtention du privilège.
Les aventures et avatars de cette malheureuse quatrième partie ont fait couler beaucoup d'encre (Koch en 1972, Yon en 1977, Henein en 1990, Arbour en 1992, Plazenet en 2003, etc. Voir Les Quatrièmes parties). Nul ne doute que le texte de 1624 soit bien d'Honoré d'Urfé. En revanche, peu de critiques admettent que ce texte a été gravement altéré par Balthazar Baro dans la quatrième partie publiée par Hugues Vaganay.
• 1624. Année troublante s'il en est ! Les événements qui se déroulent alors sont particulièrement difficiles à croire quand on les rapproche les uns des autres. « Honoré d'Urfé a vécu ordinairement à Virieu η ou à Turin pendant les six dernières années de sa vie » (Reure, p. 332). Il fait des séjours en Forez où il s'occupe activement du mariage d'une de ses nièces, Charlotte-Emmanuelle, fille de son frère décédé, Christophe η.
Les mandataires qui représentent Honoré d'Urfé à Paris prennent nombre d'initiatives. Obéissent-ils toujours au romancier ? Rien ne le prouve.
• Le 24 mai 1624, ils intentent un procès à la propre nièce d'Honoré d'Urfé. Faut-il imputer cette réaction si violente au romancier lui-même ? Le chanoine Reure considère que l'audace de Gabrielle η d'Urfé soutenue par des éditeurs
cachait une spéculation qu'Urfé estima frauduleuse, puisque, par une permission du 24 mai 1624, il fit saisir les exemplaires chez les libraires, saisie qui fut du reste déclarée abusive, injurieuse et nulle (Reure, p. 210).
Étrange ! Le tribunal donne tort à l'auteur. Comme rien ne prouve que le romancier était effectivement à Paris au moment du procès, ce sont ses soi-disants mandataires qui sont intervenus et qui ont été déboutés. S'agit-il même de mandataires fiables ? Honoré d'Urfé n'avait jamais réagi aussi violemment devant une indélicatesse. Antoine Favre η (avec Les Epistres morales) et Jean Aubery η (avec Le Sireine) ont fait la même chose que Mademoiselle d'Urfé : ils ont publié un manuscrit sans le consentement de son auteur. Ils n'ont pas encouru de reproches publics. Aucune de ces publications n'a empêché Honoré d'Urfé de donner des prolongements à l'œuvre. Il y a une seule différence entre les trois publications subreptices : Gabrielle η a obtenu un privilège en son propre nom pour la quatrième partie de 1624.
Le romancier aurait-il, pour la toute première fois, cherché à protéger ses droits d'auteur η en s'en prenant à sa nièce ? Le traitement ignominieux de Gabrielle η d'Urfé insulte le nom de toute la famille. Le père de la jeune fille, Jacques II η, vit, comme Honoré, dans la cour du duc de Savoie η. C'est lui qui, en mai 1625, hébergera le romancier mourant chez lui, à Villefranche. Le Testament du romancier privilégie et Jacques η et Gabrielle η d'Urfé. Même si ce document pèche par bien des côtés, une chose reste irréfutable : de son vivant, Honoré d'Urfé ne s'est pas écarté de la famille de son frère à la suite de la publication abusive de 1624. Par ailleurs, on doit s'étonner qu'aucun des contemporains du romancier n'ait jugé utile de mentionner l'un ou l'autre des procès qui entourent L'Astrée η.
La Quatriesme partie de 1624 survit, protégée par son privilège (Koch, p. 390). C'est elle qui renaît dans ce site. Comme je le démontre en examinant les Quatrièmes parties, Balthazar Baro, en 1627, a déformé le texte original et trompé des générations de lecteurs.
Les disputes éditoriales se poursuivent. « Pomeray et ses associés intent[ent] des procès aux parents de l'écrivain » pour préjudice causé par les poursuites contre l'édition de 1624 (Koch, p. 390).
• L'imposture des Tristes amours
Le 3 février 1625, au nom du romancier, des mandataires obtiennent un privilège pour
Les Tristes amours de Floridon berger & de la belle Astree Naïade, par Messire Honoré d'Urfé, Ensemble les Fortunées amours de Poliastre et Doriane (Paris, N. Rousset, 1628).
La fortune des Tristes amours apporte une mise en garde essentielle à tout éditeur de textes anciens : il est impératif de douter des mœurs éditoriales du premier XVIIe siècle - surtout en ce qui concerne les romans, genre littéraire souvent déprécié. Le fait que le privilège soit destiné à une œuvre intitulée « Le Berger désolé η » et non « Les Tristes amours » n'a arrêté aucun des critiques qui attribuent ces deux piètres histoires sentimentales à Honoré d'Urfé. La seule information qui importe, c'est la date du privilège. « On pourrait douter que ce petit opuscule du berger désolé fût d'Honoré, si le privilège n'était daté du 3 février 1625, c'est-à-dire deux mois avant sa mort », écrit Auguste Bernard (p. 177). Le chanoine Reure emboîte le pas : « Personne n'aurait osé, de son vivant, se faire donner un privilège sous son nom », ajoute-t-il (p. 334), oubliant ainsi les premières éditions du Sireine et des Epistres morales. Les Tristes amours ne sont certainement pas d'Honoré d'Urfé η. Mandataires et éditeurs tirent profit de la notoriété de L'Astrée et de l'éloignement de son auteur.
8Le Temps des surprises
Durant les derniers mois de la vie d'Honoré d'Urfé, la quatrième partie est à l'honneur. On la réclame, on la promet, mais aussi, on en dispose ou on prétend en disposer.
• 9La Bonne fortune : la réponse à une lettre qui vient de loin
Le 10 mars 1625, le romancier date de Châteaumorand la lettre qu'il adresse aux Princes allemands, ses admirateurs. Il écrit alors :
La suitte que vous me demandez va veoir le jour sous vostre protection, et ce seroit sous vos noms si j'en avois la cognoissance, Quand le bruit des canons cessera, et que la douceur de la paix nous ostera l'espee de la main, j'y remettray la plume, pour donner le repos aux desirs de mes Bergers, et peut-estre à la curiosité que cet ouvrage aura fait naistre en vous (Réponse).
Si le romancier compte « y remettr[e] la plume », c'est d'abord que cette quatrième partie commencée n'est pas terminée, c'est ensuite que l'auteur a la ferme intention de « donner le repos » aux personnages et aux lecteurs.
•10La procuration bancale
Le 11 mars 1625, le lendemain donc, à Virieu-le-Grand η, devant le notaire Bal, Honoré d'Urfé aurait remis à Balthazar Dessay η une procuration et deux manuscrits, celui de La Sylvanire η, une pastorale dramatique dédiée à Marie de Médicis η, et celui d'une quatrième partie de L'Astrée (Koch, p. 390). Ce Balthazar Dessay η que nous avons rencontré plus haut est un « serviteur » qu'Honoré d'Urfé estime puisqu'il lui léguera 300 écus d'or (Voir Testament). C'est lui qui sera chargé par Jacques II η d'Urfé de dresser l'Inventaire après décès du château de Virieu η (Reure, p. 354).
Cette procuration du 11 mars 1625 pose problème et ne résiste pas à l'examen. Trois questions se posent :
• Si, le 11 mars 1625, une quatrième partie de L'Astrée avait été prête, Honoré d'Urfé n'aurait-il pas annoncé sa publication imminente dans la lettre écrite la veille à ses admirateurs ?
• Le romancier qui était à Châteaumorand (Saint-Martin-d'Estréaux) le 10 pouvait-il se trouver le 11 à Virieu-le-Grand η ? Aurait-il parcouru cent quatre-vingt kilomètres en vingt-quatre heures ?
À l'époque, les gens de pied font quatre kilomètres en une heure et demie (La Nouë, p. 568), et la vitesse moyenne d'un chevalier est de quarante à cinquante kilomètres par jour (Carmona, p. 45). Pour définir heure, Furetière écrit : « [C']est aussi une mesure de chemin chez la plus-part des nations. On dit, Il y a tant d'heures de chemin, pour dire, un chemin qu'on peut faire en tant d'heures : cela se rapporte à une grande lieuë de France ». La Cour du roi de France a besoin d'« une grosse journée » pour parcourir la soixantaine de kilomètres qui séparent Paris de Fontainebleau (Zerner, p. 67). Dans L'Astrée, on admire la « si grande diligence » de Damon d'Aquitaine : il vole au secours de Madonthe, à Toulouse, en franchissant à cheval « plus de huit » lieues (trente-deux kilomètres) en un peu plus d'une nuit (III, 6, 253 verso). À ce compte, pour deux cents kilomètres, il lui aurait fallu une cinquantaine d'heures, deux jours pleins.
Et que dire si ce chevalier, comme Honoré d'Urfé, devait se rendre de Châteaumorand à Virieu η, c'est-à-dire emprunter des chemins de montagne ? Selon la légende, Hercule le premier réussit à franchir les Alpes (Tite-Live, V, ch. XXXIV, 6-7).
Bref, étant donné qu'Honoré d'Urfé a signé le 10 mars, à Châteaumorand, sa Réponse aux Parfaits Amants, il n'était pas en mesure de rencontrer un homme de loi à Virieu-le-Grand η le 11 mars.
• La procuration du 11 mars 1625 est signée devant un certain Jean Bal. Qui est exactement ce prétendu notaire ? Dans l'Inventaire de Virieu η, un Jean Bal est appelé « greffier » (Reure, p. 354) alors que le juge et le bailli sont des Fabri, probablement les fils d'Hugues Fabri (Ibid., p. 354). En effet, le notaire attitré d'Honoré d'Urfé a toujours été Hugues Fabri η (Ibid., pp. 57, 116, 176, 180). Traité en ami, cet homme a reçu plusieurs lettres du romancier (Voir Lettres). Jacques II η d'Urfé, après le décès de son frère, écrit à Balthazar Dessay η que « M. Fabri » pourra s'occuper de la maison de Virieu η (Ibid., p. 353). C'est à la veuve de Fabri, Philiberte de Lucinge, que Diane η de Châteaumorand confie ses affaires à Virieu η (Ibid., p. 355). Pourquoi donc les Fabri ne se sont-ils pas occupés de l'étrange procuration du 11 mars 1625 ?
et qui a une importance cruciale
est sujette à caution
à cause de la mention d'une quatrième partie dite complète ;
à cause de la date de l'acte ;
à cause de l'identité du notaire.
11 • Les manuscrits mystérieux
Le 7 avril 1625, Balthazar Dessay η confie à l'épouse et procuratrice de Robert Fouet η La Quatrième partie et La Sylvanire η, deux manuscrits qu'il dit posséder. Ces œuvres connaissent un destin étrange que Paule Koch décrit à partir de documents d'archives.
L'éditeur habituel de L'Astrée n'est pas Robert Fouet η mais Toussaint Du Bray. C'est à des associés de Du Bray que Dessay η s'adresse en 1614 et Gabrielle η d'Urfé en 1623. En 1625, les enchères montent considérablement : Fouet donnera 3 600 livres η au domestique d'Honoré d'Urfé (Arbour, p. 54). Le 29 avril, Dessay η accorde un délai de trois mois à l'éditeur et à son épouse, Gillette Chaudière (Koch, p. 391). Pourquoi ? Les archives ne le disent pas. Est-ce que Dessay η n'aurait pas réclamé lui-même ce délai pour réunir les documents promis ?
• La Sylvanire η suit un parcours lent mais sans surprises η. Le fait qu'elle jouisse d'une dédicace écrite par l'auteur et que la quatrième partie de 1624 et la quatrième partie publiée par Baro en 1627 n'en aient pas suggère que la pastorale dramatique était terminée avant la mort d'Honoré d'Urfé, alors que le roman, lui, ne l'était pas.
• Les dilemmes de Fouet η
L'Astrée livrée le 7 avril 1625 ne connaît pas le même sort que La Sylvanire. Pourquoi ?
Quels sont les termes exacts du contrat avec Dessay η ? Fouet η est-il déjà en correspondance avec Diane de Châteaumorand η ? Il lui dédie la traduction de L'Arcadie de Sidney qui porte un privilège du 1er décembre 1624 (Voir Astrées posthumes).
Je cite de nouveau
Paule Koch :
Le 7 avril 1625, Balthazar Dessay η « prom[et] de livrer aux époux Fouet les quatre partyes de l'Astree pour estre imprime in follio corrigee de la main dud. seigneur d'Urfé » dans un délai de quatre ans (p. 391).
Mme Koch ne s'arrête ni au report ni au verbe promettre (que je souligne) et se montre catégorique dans son commentaire : « Les manuscrits de la quatrième partie du roman contenaient douze livres ainsi que deux lettres », celle des Princes allemands et la réponse d'Honoré d'Urfé (Koch, p. 390). « Toute difficulté éditoriale est levée », espère même Laurence Plazenet en commentant les documents décrits par Paule Koch (p. 60).
Mais alors pourquoi Robert Fouet η ne demande-t-il pas de privilège pour le manuscrit de la quatrième partie complète que Dessay η lui aurait remis, ou pour l'ensemble des quatre parties de L'Astrée que Dessay η lui aurait annoncé ?
Cette fois la réponse est claire. Fouet η ne peut demander ou recevoir un privilège pour une « quatrième partie », ou même publier les pages qui ont déjà paru sous ce titre ; tout cela appartient aux éditeurs de la quatrième partie de 1624, le clan de Toussaint Du Bray. Il doit pourtant, en bonne logique, exploiter quand même les précieux manuscrits de Balthazar Dessay η en publiant aussi rapidement que possible les livres qui ne figuraient pas en 1624 et en les intitulant « cinquième partie ». C'est ce qu'il va faire.
Honoré d'Urfé disparaît le 1er juin 1625. Les droits dont se targuait Balthazar Dessay η ne sont plus valides. Les aventures rocambolesques des Astrées posthumes ont commencé.
En somme, la quatrième partie de L'Astrée, hélas, est une œuvre à histoire, comme Les Epistres, comme Le Sireine, comme la Première et la Troisième partie de L'Astrée. Du vivant même de leur auteur, ces volumes ont suivi des trajectoires éditoriales peu communes. Il n'est pas impossible que la comparaison des mérites de leurs diverses éditions divise encore longtemps les critiques (Les Quatrièmes parties).
Sélection
bransle du temps, qui ne laisse rien de caché,
tournant toutes choses de tous costez.
Honoré d'Urfé,
Les Epistres morales, I, 7, p. 59.
Pourquoi la première édition critique de L'Astrée a-t-elle adopté les éditions de 1621 et de 1624 ?
Je suivrai l'exemple de Lucien de Samosate en soulignant les qualités que je recherchais et les défauts que je rejetais (« Comment il faut écrire l'histoire » #6). Pour les trois parties publiées du vivant du romancier, j'ai choisi la dernière édition dotée d'un privilège et j'ai rejeté toute édition dénuée de privilège. Pour les suites publiées sans le consentement de leur auteur - de son vivant ou après son décès, j'ai écarté les textes transformés par d'autres écrivains.
12 Les Critères : les éditions dites complètes ?
En octobre 2006, une journée d'étude a été organisée en Sorbonne pour examiner la « Génétique éditoriale de la première modernité ». Delphine Denis a expliqué la sélection du texte de base pour l'édition de L'Astrée qu'elle annonçait. Elle préconisait le
choix d'un texte déterminé - en l'occurrence le plus diffusé, qui fut aussi celui retenu par les deux grandes éditions collectives de 1632-1633 et 1647 (p. 196).
Dans un message du 12 avril 2007, Mme Denis m'a écrit : « La confrontation de nos divers choix éditoriaux ne manquera pas de susciter le débat et de nourrir la réflexion ». Elle avait tout à fait raison.
Les Astrées posthumes de 1633 ou 1647 sont tentantes parce qu'elles offrent un dénouement - ce qui satisfait notre curiosité. On les appelle « complètes » alors qu'elles sont plutôt « complétées » puisqu'elles incluent deux volumes apprêtés par Balthazar Baro : La Vraye Astree et la Conclusion. Ces éditions ont connu un nombre incalculable de réimpressions. Le 15 octobre 2007, Gallica a rendu accessible la numérisation de L'Astrée de 1633.
Les éditions de 1633 ou 1647 n'ont pas séduit les critiques les plus sérieux, comme Auguste Bernard (p. 173), Maurice Magendie (p. 62) ou Antoine Adam (p. 194, note 3). Pour eux, ces Astrées ne sont que des pis-aller. Hugues Vaganay n'en a pas du tout tenu compte quand il a publié son édition en 1925. Pour mener les personnages à bon terme, il a juxtaposé des éditions dépareillées des trois premières parties ainsi que des suites données par Baro (Voir L'Édition de Vaganay). Le Trésor de la langue française informatisé et ARTFL (FRANTEXT) ont préféré l'édition d'Hugues Vaganay aux éditions anciennes.
Les éditions prétendues « complètes », malgré leurs nombreuses illustrations, bien qu'elles soient aisément accessibles, « belles infidèles » à leur manière, ne sont pas fiables.
Superbes exemplaires d'une Astrée complétée appartenant aux ducs de Luynes
mis en vente par Sotheby's le 31 avril 2013.
Merci à Bruno Marty.
La reproduction d'une Astrée fabriquée après la mort du romancier par des éditeurs dont les intentions et ambitions mercantiles sont avérées dénote une dangereuse absence de perspective. D'un autre côté, reproduire des éditions disparates de L'Astrée réduit considérablement la validité de l'étude de l'évolution du texte.
À mes yeux, le critère primordial quand il s'agit de classer les éditions de L'Astrée, c'est de privilégier les textes parus du vivant de leur auteur. Le roman est certainement inachevé à la mort de d'Urfé, en 1625, la Réponse aux « Parfaits amants » le prouve. Par conséquent, toutes les éditions qui offrent une clôture narrative sont, d'emblée, suspectes. Peut-on espérer que les éditions complétées reproduisent fidèlement au moins les premières parties du roman ? Ce n'est pas impossible, mais il est indispensable de comparer les éditions posthumes avec celles qui ne le sont pas. Dans ces conditions, pourquoi ne pas travailler directement sur les éditions parues du vivant du romancier ?
Heureusement, Delphine Denis a changé d'avis. En 2011, l'édition de la première partie qu'elle publie avec son équipe reproduit une version de 1612 (p. 99), et en 2016, la deuxième partie reproduit une version de 1614 (p. 20) - mais sans commentaire justificatif.
13 Éditions retenues : l'édition de référence
Parmi les multiples éditions, rééditions, réimpressions et tirages de chacune des parties de L'Astrée, l'édition du libraire Mathurin Hénault, en 1624, se distingue nettement. Fabriquée par des imprimeurs consciencieux, c'est la plus agréable à lire et, de loin, la plus correcte. Malheureusement, elle ne porte pas de privilège.
14 L'édition complète de 1621
Comme je l'ai rappelé (1619), il existe une édition des Astrées pour laquelle l'auteur lui-même a obtenu un privilège. La fortune, hélas, joue des tours au romancier et à ses lecteurs : « Les deux premiers tomes de 1619 sont inconnus », Maurice Lever le signale dans sa Bibliographie (p. 79). C'est donc l'édition de 1621 qui est l'édition de référence. Toussaint Du Bray et Olivier de Varennes offrent alors une Astrée en trois volumes avec frontispices et portraits. Ces volumes sont parvenus jusqu'à nous. Ils constituent un ensemble exceptionnel qui a vécu sous le boisseau dans une bibliothèque parisienne dont les catalogues sont restés manuscrits jusqu'à la fin du XXe siècle, la Bibliothèque de l'Arsenal.
Deux visages de L'Astrée ressuscite cette édition que trois caractéristiques rendent précieuse :
comme le même éditeur réunit la première partie avec la deuxième et la troisième, elle est cohérente η ;
comme elle bénéficie d'un privilège donné au romancier lui-même, à une date où il se trouvait à Paris, elle est juridiquement fondée ;
comme elle est la dernière édition licite et légitime qu'Honoré d'Urfé a pu voir, elle mérite une diffusion à grande échelle.
15 Éditions retenues : les éditions préliminaires
Pour étudier l'évolution du roman, une fois désignée l'édition de référence, je suis partie en quête des premières éditions connues, les éditions préliminaires. Pour le moment, j'édite la première partie anonyme de 1607, la deuxième partie de 1610 et la troisième partie de 1619. Je les compare avec le point d'arrivée, l'édition la plus digne de confiance, l'édition de 1621. Lorsque, comme l'a annoncé en 2007 Georges Molinié, partenaire de l'équipe de Delphine Denis, des éditions antérieures seront retrouvées, elles enrichiront notre connaissance du roman et de sa longue et tortueuse histoire.
En examinant chaque partie de l'œuvre à sa date de parution originale puis en 1621, on assiste au changement de la langue et de la pensée d'Honoré d'Urfé : L'Astrée introduit une nouvelle éthique en 1610 et une nouvelle esthétique en 1619. Respecter l'ordre chronologique des premières éditions de L'Astrée, mettre en valeur les virages, c'est suivre Honoré d'Urfé à la trace et donc découvrir dans son œuvre une progression fascinante (Voir Évolution).
Il n'a pas encore été possible de faire ce type d'analyse fouillée, parce que, tout au long du XXe siècle, l'édition hybride d'Hugues Vaganay a servi de canon grâce à la vaste diffusion des Slatkine Reprints, et, au XXIe siècle, grâce à des versions numérisées avec plus ou moins d'exactitude. Cependant, le travail de Vaganay manque de rigueur, et se base sur des éditions anciennes inacceptables (V, pp. 551-561). Vaganay lui-même, en 1920, en publiant le premier spécimen de son Astrée, reconnaît que « les éditions de 1607, 1610 ou 1619 » renfermaient des leçons plus sûres (Vaganay, p. 13) que les éditions qu'il avait lui-même retenues, fortuitement semble-t-il (Voir Vaganay).
Il est grand temps que L'Astrée retrouve ses traits authentiques. Il est grand temps que tout lecteur puisse se rendre compte du travail prodigieux accompli par Honoré d'Urfé. Il est grand temps qu'une édition scientifique élucide les secrets de ce roman. Il est grand temps que les nouvelles techniques entrent au service de cette œuvre énorme, complexe, compliquée et essentielle. Il est grand temps que ce texte se mette à la portée de tous les budgets et de tous les curieux. Pour atteindre ce but, Deux visages de L'Astrée présente donc une édition critique des deux états les plus dignes de confiance de la première, de la deuxième et de la troisième partie du roman, ainsi qu'une édition de la quatrième partie originale.
16 Description des éditions retenues
• La première édition connue, extrêmement rare, a paru sans nom d'auteur mais avec un privilège daté de 1607 :
Les Douze livres d'Astree, où, par plusieurs histoires et sous personnes de bergers et d'autres, sont deduits les divers effets de l'honneste amitié. A Paris, chez T. Du Bray, M.DC.VII.
In-8°, pièces liminaires et 508 ff. [sic 408].
Privilège du 18 août 1607. Donné à « l'Autheur du present livre » qui le cède à Toussaint Du Bray. Imprimerie de Charles
Chappellain.
Dernière page : A Paris de l'Imprimerie de Charles Chappellain, ruë des Amandiers, à l'Image nostre Dame.
Ms. Rothschild-V, 2, 18 (1527)
BnF, Site Richelieu (Manuscrits occidentaux).
• La dernière édition portant un privilège, datée de 1621, et donc parue du vivant d'Honoré d'Urfé :
L'Astree de Messire Honore d'Urfe, Marquis de Verromé, Comte de Chasteau‑neuf, Baron de Chasteau‑Morand, Chevalier de l'Ordre de Savoye, &c. Où Par Plusieurs Histoires et sous personnes de Bergers & d'autres sont deduits les divers effects de l'honneste Amitié. Premiere partie. Reveue, & corrigee, par l'Autheur en cette derniere Edition. Dedié au Roy. À Paris, chez T. Du Bray, M.DC.XXI.
In-8°, pièces liminaires et 406 ff.
Privilège du 7 mai 1619, donné au « Sieur d'Urfé, marquis de Verromé, Chevalier de l'Ordre de Savoye », qui peut faire imprimer les trois parties de son roman par Olivier de Varennes et Toussaint Du Bray.
8°BL - 20631 (1)
Arsenal-magasin.
Anne Sancier-Chateau pense que cette édition reproduit le texte de 1616 (p. 30). Cette édition de 1616, écrit-elle, donne « un nouvel état du texte » (p. 23). Elle est reprise dans les éditions générales parues du vivant d'Honoré d'Urfé. Jean-Marc Chatelain préfère considérer l'édition de 1612 comme « le dernier état textuel » de la première partie de L'Astrée (p. 233). C'est l'édition retenue par Hugues Vaganay en 1925, et par l'équipe de Delphine Denis en 2011.
• Première édition :
L'ASTREE DE
MESSIRE
Honoré
D'Urfé.
Seconde partie,
1610.
A PARIS, Chez Toussainct
Du Bray, Rue St Jacques
Aux Espics Meurs et en
Sa Bouticque au Palais
en la Gallerie
des Prissonniers.
Avec Privilege du Roy.
In-8°, pièces liminaires et 904 p., tables.
Privilège du 15 février 1610, donné à Jean Micard et Toussaint Du Bray.
Rés. Lebaudy in-12° 410
Bibliothèque municipale de Versailles.
Anne Sancier-Chateau explique que la deuxième partie de L'Astrée a eu la même année deux éditions avec des changements de faible importance (pp. 27-28). Un vers η a été ajouté entre la première et la seconde publication (p. 409). L'édition que je retiens reproduit le second état du texte.
• La dernière édition portant un privilège, datée de 1621, et donc parue du vivant d'Honoré d'Urfé :
L'ASTREE DE MESSIRE HONORE D'URFE, MARQUIS DE VERROME, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-morand, Chevalier de l'Ordre de Savoye, etc. OU PAR PLUSIEURS HISTOIRES ET sous personnes de Bergers et d'autres sont deduits les divers effects de l'honneste Amitié.
SECONDE PARTIE. Reveuë, et corrigee par l'Autheur en cette derniere edition.
Dedié au ROY.
A PARIS, Chez Olivier de Varennes, ruë S. Jacques à la Victoire. M. DC. XXI. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Frontispice de 1622.
In-8°, pièces liminaires et 890 sic 892 p.
Privilège du 7 mai 1619, donné au « Sieur d'Urfé, marquis de Verromé, Chevalier de l'Ordre de Savoye », qui peut faire imprimer les trois parties de son roman par Olivier de Varennes et Toussaint Du Bray.
Rés. Lebaudy in-12° 416
Bibliothèque municipale de Versailles.
• Première édition :
L'ASTREE DE MESSIRE HONORE D'URFE.
Troisiesme partie.
Paris, Olivier de Varennes, 1619.
Avec privilège du Roy.
Ces informations viennent du frontispice, car
la page de titre manque.
In-8°, pièces liminaires et 548 ff. sic 522. Tables.
Privilège du 7 mai 1619, donné au « Sieur d'Urfé, marquis de Verromé, Chevalier de l'Ordre de Savoye », qui peut faire imprimer les trois parties de son roman par Olivier de Varennes et Toussaint Du Bray.
Achevé d'imprimer le
3 Juin 1619.
Bibliothèque Mazarine 8° 63931-3.
• La dernière édition portant un privilège, datée de 1621, et donc parue du vivant d'Honoré d'Urfé :
L'ASTREE DE MESSIRE HONORE D'URFE, MARQUIS DE VERROME, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-morand, Chevalier de l'Ordre de Savoye, etc. OU PAR PLUSIEURS HISTOIRES ET SOUS personnes de Bergers et d'autres sont deduits les divers effects de l'honneste Amitié. TROISIESME PARTIE. Reveuë, corrigee, et augmentee de beaucoup en cette derniere Edition. Dedié au ROY.
A PARIS, Chez TOUSSAINCT DU BRAY, ruë S. Jacques aux Espics-meurs : Et en sa boutique au Palais en la galerie des Prisonniers.
1621. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
In-8°, pièces liminaires, dont l'« Ode à la Riviere de Lignon par le Sr de ». 548 ff. sic 552. Tables.
Privilège du 7 mai 1619, donné au « Sieur d'Urfé, marquis de Verromé, Chevalier de l'Ordre de Savoye », qui peut faire imprimer les trois parties de son roman par Olivier de Varennes et Toussaint Du Bray.
Achevé d'imprimer le
3 Juin 1619.
Watkinson Library, Trinity College (Hartford, CT, USA), PQ 1707.U7.
Ce volume porte un frontispice d'une édition postérieure, ce qui est le cas de plusieurs exemplaires de la troisième partie (Sancier-Chateau, p. 34). Un seul des trois exemplaires de l'Arsenal - cote 8°BL - 20632 (3) - jouit d'un frontispice identique à celui de la troisième partie de 1619. Hugues Vaganay a raison : « Une singulière malchance semble avoir poursuivi ce troisième volume » (V, p. 559). Cette « malchance » prend la forme de reliures inadéquates.
La quatrième partie de 1624 que j'édite se trouve à la Bibliothèque municipale de Lyon (Cote : B 510094 (II)).
L'ASTREE DE MESSIRE HONORÉ D'URFÉ, Marquis de Bagé, Verromé, et Virieu le grand, Conte de Chasteau-morant & Chevalier de l'Ordre de Savoye.
Quatriesme partie.
À
Paris, Chez TOUSSAINCT DU BRAY, ruë Sainct Jacques, aux Espics meurs, 1624, Avec Privilege du Roy.
Privilège à Gabrielle d'Urfé daté du 20 novembre 1623 ; achevé d'imprimer du 2 janvier 1624.
In-8°, pièces liminaires et 945 pp. sic 941.
La quatrième partie a eu encore plus de malchance que la troisième puisqu'elle a fini par disparaître entraînée dans la marée de la Vraye Astree. Mme Sancier-Chateau elle-même lui accorde peu de place (pp. 381-383). Ce n'est pas le lieu ici pour rappeler les faits présentés plus haut. Il est plus important de scruter ce qu'on pourrait appeler « l'affaire Balthazar Baro » qui se déroule en 1627 et 1628 (Les Quatrièmes parties).
21 Compléments d'information :
la petite histoire
Qu'entre les mains de mes plus chers amis.
Honoré d'Urfé,
Epistres morales, « À mon livre ».
Chaque exemplaire de L'Astrée a son histoire, parfois mouvementée, parfois romanesque ...
L'édition anonyme de 1607 a un passé curieux.
• Grâce à l'obligeance de Catherine Faivre d'Arcier, Conservateur au département des Manuscrits (Bibliothèque nationale de France), j'ai appris que « l'ouvrage a été acquis le 5 octobre 1869 par James de Rothschild η [...] auprès du libraire Tross η, pour 300 francs. La reliure a coûté 100 francs ; elle a été payée le 22 avril 1871 à Trautz-Bauzonnet, qui l'a réalisée en maroquin bleu, avec des filets, des compartiments et des tranches dorées ».
• Le prix de l'ouvrage me semblait relativement modeste pour une édition rarissime, et pour un roman faisant partie du patrimoine français. En 1864, à Londres, Edwin Tross η a vendu pour 15 000 francs une Bible de Gutenberg en deux volumes, reliée en maroquin marron, à laquelle manquaient quatre feuillets (Voir ce site, 30 septembre 2010). Les 300 francs de L'Astrée de 1607 - reliée en parchemin et sans gravure - représentent une somme importante η, peut-être même un « prix exorbitant η ».
• Le Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. le Baron James de Rothschild d'Émile Picot (Paris, Damascène Morgand, 1887, tome II, Belles-Lettres, 1527), renvoie à un article de A. Benoist dans la Revue Forézienne (III, 1869, pp. 269-271), « L'édition originale de L'Astrée est retrouvée ». M. Benoist a vu l'annonce de vente en septembre. James de Rothschild η, « avocat à la cour impériale », lui a communiqué l'ouvrage alors relié en parchemin. La suite de l'article, une description détaillée du livre, n'apporte pas plus d'informations.
• Le Catalogue Picot signale aussi que cet exemplaire de L'Astrée de 1607 « a été découvert par M. Edwin Tross η, à Augsbourg, en 1869 », nouveau lien inattendu entre Honoré d'Urfé et l'Allemagne η !
Cette précieuse édition anonyme de 1607 qui a tant voyagé est d'un grand intérêt. Je suis heureuse et fière de lui rendre les honneurs et la place qu'elle mérite.
Les éditions de 1610 et de 1621 que j'ai retenues se trouvent à la Bibliothèque municipale de Versailles. Je voudrais ici remercier de nouveau les bibliothécaires remarquables que j'ai eu la chance de rencontrer.
Les deux ouvrages appartiennent au fonds Lebaudy. Le Dictionnaire de Biographie française nous apprend que la famille Lebaudy est originaire de Tinchebray, dans l'Orne. Jean Lebaudy (1775 - 1847) s'installe à Paris et fonde une fabrique de raffinerie de sucre. La famille s'enrichit tellement qu'un petit-fils de ce Jean Lebaudy laissera une fortune de plus de cinquante millions en 1889. Un autre petit-fils, Jacques, est un personnage haut en couleur qui a fait la joie des caricaturistes. Il meurt en 1919 assassiné par son épouse. La famille a inspiré au moins trois romans, La Vie secrète de Madame Jules Baudley (Marcel Barrière, 1948), Les "Affaires" au 19e siècle, Max, le "petit Sucrier" (Gérard Delaisement, 1995), Les Turbulences d'une grande famille (Henri Troyat, 1998).
Le Jean Lebaudy qui nous intéresse est mort en 1970. C'est un bibliophile émérite, membre de la prestigieuse « Société des Bibliophiles françois ». Avec son épouse, Henriette, en 1962, il a offert ses collections de livres, de manuscrits et de recueils d'eaux-fortes à la bibliothèque de Versailles. Le catalogue est en sept gros volumes. À la page 5, M. Lebaudy écrit : Ces documents représentent « plus de 45 ans d'efforts de toutes sortes. Il ne faut jamais oublier que je n'ai pas hérité un seul volume de ma famille ». Il ne donne malheureusement pas plus de renseignements sur ses acquisitions. Les éditions originales de L'Astrée sont donc entrées à Versailles en 1962. (Voir un article de 1972 de Pierre Breillat dans ce site, 27 juin 2014).
L'édition de 1619 de la Mazarine est un don fait par Madeleine Berthault (1881 - 1906). Le catalogue de la bibliothèque donnait quelques informations (27 septembre 2010) complétées et corrigées aujourd'hui (Voir ce site, 21 avril 2015). Issue d'une famille d'armateurs protestants, Anne Madeleine Berthault perd son père à 13 ans. Elle perd aussi son correspondant fidèle, Marcel de Porto-Riche, en 1905. Quelques mois après, elle meurt à 25 ans d'une crise d'appendicite. Elle laisse un journal qui s'arrête au milieu d'une phrase. Sa mère s'entend avec le père de Marcel de Porto-Riche, directeur de la Mazarine, pour que la bibliothèque réunisse les livres d'Anne Madeleine et ceux de Marcel. Ces dons sont faits en 1907. La bibliothèque d'Anne Madeleine Berthault inclut plus de 500 titres, des œuvres qui vont de 1534 à 1906 et qui traitent de littérature, d'histoire et de religion. On y trouve une Astrée mixte : Astrée I, 1616, Astrée II, 1614, Astrée III, 1619 (2 exemplaires), La Vraye Astree, 1627, Conclusion, 1628.
L'édition de 1621 que j'ai choisie a une histoire touchante, mais moins romanesque. Merci encore à Sally Dickinson, Special Collections Librarian (Watkinson Library, Trinity College, Hartford). Sans son aide et sa générosité, je n'aurais pas pu travailler dans des conditions aussi favorables, et je n'aurais pas su l'histoire de cet exemplaire de L'Astrée.
Un Francophile, originaire de Hartford (Ct.), George Ferdinand Bacon (1815 - 1891), en 1876, a offert à la Watkinson Library la troisième partie de L'Astrée de 1621 divisée en deux volumes dotés d'une reliure ancienne. George F. Bacon, fils d'un marchand de pianos, a fait des études de théologie. Il a choisi de ne pas prêcher à cause de ses « more mature views », écrit prudemment D. Clarke (p. 43), auteur de l'histoire de la Watkinson Library. George F. Bacon a vécu à Paris de 1865 à 1875. Il est mort de la grippe à 76 ans, aux États-Unis. Sa nécrologie a paru dans le NY Times du 30 juin 1891 (consulté le 28 avril 2014). Parce qu'il était l'ami de J. Hammond Trumbull, le tout premier bibliothécaire de la Watkinson, avec une générosité typiquement américaine, chaque année, George F. Bacon a offert une centaine de livres achetés à Paris.
Ce n'est pas tout !
Au dos de la page de titre de la troisième partie de L'Astrée on trouve cette inscription:
« Cet ouvrage est le 218e de Jean-François Dupuis ». Merci à Bruno Marty, Chargé de mission au Centre de Conservation du Livre, qui a réussi à déchiffrer la marque que je trouvais cabalistique. M. Marty a eu l'amabilité de me communiquer cette explication :
(Date) composée des raccourcis phonétiques et graphiques habituels : le m (bien acrobatique), le V de 5 sous sa forme commune de b minuscule, suivi de ii, et relié à Liij par une boucle artistiquement liée à la haste du L, signifiant cent ; on a donc : mille/ sept/ cent /cinquante/ trois.
Jean-François Dupuis était probablement un collectionneur peu regardant et un grand amateur du roman d'Honoré d'Urfé. Pour plus d'informations, voir « Défauts de fabrication ».
Le premier volume de cette Astrée jouit d'une page de titre impeccable (« Paris, Toussainct Du Bray, 1621 »), alors que le frontispice vient d'une édition due à « La Société des Imprimeurs η », et donc postérieure à 1630. « III Partie » est écrit à la main dans le médaillon supérieur. Le deuxième volume commence au début du livre 7. Il jouit d'une page de titre indépendante et « fausse » dans la mesure où elle ne correspond pas au texte qui la suit. La page de titre donne : « Paris, Philippes Gaultier η, 1630 ». Le frontispice qui suit est identique à celui de la première partie de 1621. Le texte du roman enfin est bien celui qui se trouve dans toutes les éditions de 1621 de la troisième partie - mises à part les habituelles fluctuations typographiques.
La quatrième partie de 1624 que j'édite se trouve à la Bibliothèque municipale de Lyon (Cote : B 510094 (II)). Elle n'a aucun défaut de fabrication. De plus, elle accompagne un bel exemplaire de la troisième partie de 1619.
« Le Guichet du Savoir » de la bibliothèque municipale de Lyon offre un service exemplaire. Voici le message reçu le 2 novembre 2016, deux heures après avoir posé une question au sujet de ces volumes :
L'exemplaire de la bibliothèque municipale de Lyon de la partie 4 de l'Astrée d'Honoré d'Urfé, datant de 1624, a été acheté à la vente aux enchères du 16 octobre 1985, à Nouveau Drouot (Salle 4). [...] Cet exemplaire faisait partie du lot n° 160 qui comprenait en réalité 4 volumes, chacun proposant une édition d'une des parties de l'Astrée d'Honoré d’Urfé [...] Un possesseur antérieur à la bibliothèque municipale de Lyon a cherché à redonner une cohérence (factice) aux quatre volumes [...] en conservant la reliure d'origine aux armes de Bavière [...] Sur le frontispice, un possesseur antérieur a noté ce qui semble être une devise, difficile à déchiffrer, mais qu’on pourrait lire ainsi « A toutes heures servir : pour une seule mourir », sans qu'il soit possible de la relier à une personne en particulier.
La devise surmonte le frontispice de la troisième partie (B 510094 (I)) :
Grâce à Google, j'ai trouvé dans les Mémoires de la Sociéte archéologique de l'Orléanais (1889, vol, 22, p. 517) un texte similaire et bien plus compréhensible. Il est attribué à « Samuel Wys, de Sion en Suisse », auteur d'albums d'inscriptions morales ou savantes à la fin du XVIe siècle :
« A toutes dames servir, mays pour ungne seule mourir ;
constant à jamais ».
Munie de ces renseignements, je me suis ensuite adressée à Bruno Marty (Centre de Conservation du Livre, Carpentras) pour savoir si, à sa connaissance, cette devise aurait une date de naissance. Il m'a écrit que Samuel Wys n'était « que le dédicataire des sentences contenues dans son Liber Amicorum », et que cette devise chevaleresque décorait aussi un éventail du XIXe siècle, d'origine allemande ou autrichienne (message du 8 novembre 2016). M. Marty a ensuite envoyé une correction au « Guichet du Savoir ».
Que retenir de ces échanges sur des minutiae ? Que les bibliothèques autrichiennes et allemandes recèlent de nombreuses preuves du grand et durable succès de L'Astrée dans les pays germaniques en général, et dans la Bavière catholique en particulier (la Souabe des d'Urfé en fait partie). Cela confirme évidemment la thèse de Renate Jürgensen η et l'information apportée par la Lettre des Parfaits amants. Cela démontre enfin que la Quatrième partie de 1624 s'est vendue comme une suite légitime de la troisième partie et que, pendant longtemps, les acheteurs n'ont pas douté de son authenticité.
26 Compléments d'information :
défauts de fabrication
L'Astrée porte hélas les marques du temps : les erreurs de composition et de foliotation sont aussi nombreuses que variées. Elles sont dues aux ateliers et aux différents propriétaires des volumes. Problème sans doute courant et sérieux, puisque Furetière juge pertinent d'écrire dans son Dictionnaire : « Ce Libraire m'a vendu un livre chastré » (Article Chastrer). J'ai corrigé les lacunes en consultant diverses éditions, et je l'ai expliqué dans les Notes.
•27 Dans l'édition anonyme de 1607 de la première partie, deux fois une ligne manque (I, 6, 182 recto ; I, 9, 303 recto), et un feuillet manque (I, 12, 404 recto).
L'édition de 1621 a connu au moins trois états avec des erreurs différentes (Arsenal 8°BL 20631 (1), 8° BL 20632 (1), 8° BL 20633 (1)). La page de titre est la même et les mêmes folios manquent, alors que la ponctuation et la graphie de plusieurs mots diffèrent. L'anomalie la plus étrange ? Une ligne a disparu (f° 94 verso).
Voici la ligne qui manque :
« car la froideur des Alpes, qu'il avoit passées par » (I, 4, 94 verso).
Les éditions de L'Astrée n'ont certainement pas fini de nous surprendre !
• 28La deuxième partie est la plus erronée. Je décris omissions et déplacements dans les Notes η. L'édition de 1610 est décorée de culs-de-lampe aux livres 2, 8 et 11, mais une ligne manque à la fin d'une page (II, 4, 188). Surtout, il y a, au livre 12, un ensemble de très graves erreurs de composition typographique qui ne sont signalées ni dans les catalogues de Bibliothèque, ni même dans l'ouvrage de Madame Sancier-Chateau sur les variantes de L'Astrée.
Dans cette édition critique, le texte fautif se distingue par une
police différente (voir par exemple, 1610, II, 12, 804 sq.).
La deuxième partie de 1621 jouit de culs-de-lampe aux livres 3, 4, 5, 7, et 9. Cette édition aère le texte en introduisant nombre de paragraphes η. Cependant, à deux reprises, une ligne manque au milieu d'une page (II, 6, 352 ; II, 8, 540), et quelques mots ont disparu dans le livre 4 (II, 4, 253).
•29La troisième partie est tellement volumineuse que ses mille pages ont parfois été divisées et reliées en deux parties, sans doute par des propriétaires qui se désolaient de voir des feuilles se détacher. C'est le cas de l'édition de 1619 qui se trouve à l'Université de Montréal (cote 843.91 U 75a v.3). C'est aussi le cas de l'édition de 1621 de la Watkinson Library.
« Une singulière malchance semble avoir poursuivi ce troisième volume », écrit Hugues Vaganay (V, p. 559). Ses divers exemplaires ont mal survécu, note Renate Jürgensen (pp. 438-439). Anne Sancier-Chateau critique toutes les copies qu'elle a consultées dans différentes bibliothèques (pp. 33-34, 407).
Certains volumes de la Bibliothèque de l'Arsenal par exemple, portent des dates contradictoires dans leurs liminaires (Arsenal 8° BL 20631-3 et 8° BL 20633-3), alors qu'il s'agit, selon Mme Sancier-Chateau, de plusieurs états d'une même édition (p. 33).
L'exemplaire de la troisième partie de 1621 de la Watkinson Library est tombé entre les mains d'un bricoleur au XVIIIe siècle (Voir Choix éditoriaux). À trois reprises, dans les livres 5, 9 et 12, il remplace quelques folios par des feuillets d'une édition postérieure (paginée non foliotée), ou par des gravures (dont l'une est signée par Guélard, l'un des illustrateurs de L'Astrée de 1733) ; il signale son intervention par un honnête astérisque. Comme je l'explique dans les Notes η, j'ai remplacé les pages fautives ou absentes par le texte qui figure dans l'exemplaire de l'Arsenal qui m'a paru fiable (8° BL 20632-3), c'est-à-dire dans le volume dont le frontispice et la page de titre portent bien la date de 1621. Dans l'ensemble, ce volume de l'Arsenal et celui de la Watkinson Library sont voisins (mêmes erreurs de foliotation au livre 11 par exemple). Certaines graphies les séparent pourtant. Les raccommodages de L'Astrée de la Watkinson Library démontrent qu'au XVIIIe siècle plusieurs éditions circulaient. Le roman était pourtant assez rare ou assez coûteux pour qu'un amateur ingénieux répare l'exemplaire qu'il était fier de posséder.
•30La quatrième partie de 1624 est, comme on l'a vu, un brouillon publié sans le consentement de l'auteur. On y trouve néanmoins bandeaux et lettrines que j'ai reproduits. Le cinquième et dernier livre ne compte que 26 pages. L'éditeur ajoute : « A ces mots finit ce volume, en attendant la suitte ».
Mme Sancier-Chateau a retrouvé dix exemplaires de ce texte (p. 37), mais elle n'a pas jugé utile de distinguer ses différents états (p. 413).
J'ai comparé deux exemplaires publiés la même année avec le même privilège, et le même achevé d'imprimer, mais chez deux éditeurs : les différences η sont notables.
J'ai préféré, évidemment, le texte qui sort du même atelier que les trois premières parties de 1621, celui de Toussaint Du Bray. Ce volume, qui appartient à la Bibliothèque municipale de Lyon
(B 510094(II)), a été numérisé par Google. Il a une grande qualité : aucun feuillet ne manque.
La BnF possède l'édition de François Pomeray (Arsenal, 8° BL- 20631(4)). Ce volume n'a pas de frontispice. On y rencontre, dès le premier livre, des mots illisibles au haut ou au bas des pages (par exemple pp. 8, 94, 95, 96, 98, 99) ou des taches d'encre (p. 16). Qui plus est, l'atelier de reproduction de la BnF a desservi l'atelier de Pomeray. Dans la copie que j'ai commandée, des feuillets manquent (IV, 2, pp. 260 et 261 ; IV, 3, pp. 518 et 519 ; IV, 4, pp. 658 à 663 ; IV, 5, pp. 905 à 908) et des marges sont rognées au point de rendre le texte difficile à lire (IV, 1, pp. 115, 129, 133 ; IV, 2, p. 277, 307, etc.).
31Qui construirait sur des sables mouvants, au-dessus de marais, à partir de ruines branlantes ? Les projets, peut-être légitimes, de Balthazar Dessay η et de Robert Fouet η du vivant d'Honoré d'Urfé, les méfaits, sans doute légaux, de Balthazar Baro et de la famille d'Urfé, après la mort du romancier, et encore, tout près de nous, l'absence de rigueur d'Hugues Vaganay, tout cela rend indispensable l'exposé scrupuleux des Choix éditoriaux quand il s'agit de L'Astrée. De solides prolégomènes sont nécessaires pour fonder la validité d'une édition critique de ce roman. Le XVIIe siècle et le XXe siècle ont laissé un étrange fouillis. Il faut chercher dans les décombres un texte présentant toutes les garanties de l'authenticité pour espérer bâtir une édition critique parfaitement fiable.
Deux visages de L'Astrée pose ses assises en étapes : Cet examen des Choix éditoriaux précède l'histoire des Quatrièmes parties et des Astrées posthumes ; l'analyse de l'Édition d'Hugues Vaganay le complète. C'est ainsi que s'érige l'hommage respectueux rendu à une œuvre qui doit impérativement sortir de ses cendres parce qu'elle est, comme l'écrit Henri Coulet, « la première œuvre où un romancier ait entrepris de saisir la totalité du réel et y ait réussi » (p. 138).