Banderole
Première édition critique de L'Astrée d'Honoré d'Urfé
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Biographes et critiques


SignetHonoré d'Urfé
(1567 - 1625)

Il m'a été imposé de passer mon existence dans
le trouble causé par de nombreuses tempêtes.

Pétrarque,
L'Afrique, IX, p. 445.
Signet
1567 η Naissance (Marseille)
1583 La Triomphante entrée
1598 Les Epistres morales
1600 Mariage
1604 Le Sireine
1607 L'Astrée I
1610 L'Astrée II
1619 L'Astrée III
1621 L'Astrée I, II et III
1625 Décès (Villefranche)
1627 La Sylvanire

Honoré d'Urfé a

43 ans de moins que Ronsard (1524)
34 ans de moins que Montaigne (1533)
37 ans de moins que Montemayor (1530)
23 ans de moins que Le Tasse (1544)
14 ans de moins que Henri IV (1553)
14 ans de moins que Marguerite de Valois (1553)
12 ans de moins que Malherbe (1555)
10 ans de moins qu'Antoine Favre (1557)

Honoré d'Urfé a le même âge que François de Sales

3 ans de plus que Nervèze (1570 ?)
17 ans de plus que Camus (1584)
29 ans de plus que Baro (1596 ?)
37 ans de plus que Patru (1604)
39 ans de plus que Corneille (1606)
40 ans de plus que Mlle de Scudéry (1607)
52 ans de plus que Tallemant des Réaux (1619)

« La Fortune à mes pieds je sousmis », écrit d'Urfé η dans « À mon livre », le sonnet qu'il place tout au début de ses Epistres morales. La Fortune l'a pourtant beaucoup éprouvé : sa vie ressemble à un roman picaresque. S'il existe une « rue d'Urfé » à Marseille, un « hôtel de la Bastie d'Urfé » à Villefranche, une « place Honoré d'Urfé » à Virieu-le-Grand η, un orchestre « Astrée » à Turin, un cinéma « Astrée » à Chambéry, un lycée et une rue « Honoré d'Urfé » à Saint-Étienne, et, encore d'autres « rues Honoré d'Urfé » à Tournon-sur-Rhône et ailleurs dans la région, ce n'est pas simplement parce que l'auteur de L'Astrée fait partie du Panthéon littéraire. C'est parce qu'il a effectivement fréquenté la plupart de ces lieux η.

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Virieu-le-Grand. Merci à Christiane Fabricant.

1 Signet Le Milieu familial

Né en 1567 η à Marseille et mort en 1625 à Villefranche, Honoré d'Urfé a voyagé en France et en Italie (Voir Cartothèque). Il a passé un grand nombre d'années en Savoie et en Bourbonnais, mais il a toujours considéré le Forez comme la patrie qu'il voulait honorer dans son roman et par son roman. Sa famille, originaire de Souabe semble-t-il, vit dans cette contrée depuis le XIIe siècle (Voir Généalogie). Au XVIe siècle, son grand-père, Claude η d'Urfé, fait de la Bastie η d'Urfé, à Saint-Étienne-le-Molard η (Loire), une résidence remarquable. Il suffit de feuilleter le superbe catalogue de l'exposition consacrée à ce bâtisseur pour s'en convaincre (Claude d'Urfé, 1990). Le château, aujourd'hui propriété de la « Diana », société savante forézienne, est « labellisé Maison des Illustres par le Ministère de la Culture et de la Communication » (site forézien consulté le 3 mai 2014).
Voici l'un des chefs-d'œuvre de la Bastie, les boiseries de la chapelle, dues à Fra Damiano da Bergamo. Je peux inclure cette photo grâce à la généreuse politique du Metropolitan Museum de New York (Open Access for Scholarly Content ; Voir aussi ce site, 10 juillet 2014).

boiseries Metropolitan Museum of Art in New York

Honoré d'Urfé n'a pas connu Claude d'Urfé η, mais il a vu les merveilles réunies à la Bastie et dans sa chapelle, « sacellum mirabile », rappelle La Mure η, premier historien du Forez (I, p. 258). Enfant, Honoré a admiré les citations grecques et la savante iconographie d'une chapelle éclairée par des vitaux où figurait, entre autres rébus, la roue de la fortune (Claude d'Urfé, p. 168). Il a dû s'amuser dans l'étrange grotte où se dissimulaient des termes mystérieux. Il a regardé les livres nombreux. Il a contemplé les vingt-et-un précieux manuscrits rangés dans cette « librairie » (Ibid., p. 32) - dont des poésies des troubadours (Reure, p. 3). Il se trouvait dans la seule bibliothèque du Forez jugée digne d'entrer dans le catalogue d'Antoine du Verdier (Longeon, p. 150).

Le jeune Honoré a joué dans les jardins où couraient des canaux du Lignon. Il s'est interrogé sur les modèles des multiples sculptures qui se trouvaient à l'intérieur et à l'extérieur de la demeure, et qui renaîtront dans L'Astrée, comme la statue de Cérès ou les bustes antiques. Qu'a-t-il pensé du sphinx majestueux qui trônait à l'entrée de la maison ? A-t-il examiné le livre d'heures de son grand-père ? Les d'Urfé ont conservé jusqu'au XVIIIe siècle cet extraordinaire calendrier manuscrit et enluminé. Fêtes païennes et fêtes chrétiennes s'y succédaient avec un surprenant syncrétisme (Claude d'Urfé, p. 191). Tout, dans la Bastie d'Urfé, charme les yeux, intrigue les esprits, et surtout titille l'imagination des lecteurs de L'Astrée. Le roman lui-même constitue un ultime tribut à la Bastie, écrit une spécialiste de l'art de la Renaissance, Naomi Miller (p. 250).

Très jeune, Honoré perd son père, Jacques d'Urfé η. Par humilité, Jacques a demandé à être enterré sous les pieds des religieuses de Sainte Claire dans leur couvent de Montbrison (La Mure η / A. Bernard, p. 57). La mère d'Honoré, Renée de Savoie η, petite-fille du Grand Bâtard de Savoie (devenu le Grand Légitimé), deuxième époux d'Anne de Lascaris η, porte les titres de marquise de Bâgé η et de comtesse de Tende. Son portrait η, dessiné par Clouet, se trouve dans la Galerie des portraits. Fière descendante des Empereurs de Byzance, elle apporte en dot « douze mil escuz sol payables à un seul payement », stipule sa grand-mère, Anne de Lascaris η, dans son testament (cité par Panisse-Passis, p. 264). Les archives de Turin et celles de Savoie offrent une image sinistre des transactions η probablement légales qui ont permis à la marquise d'Urfé d'accumuler terres et titres après le décès de son père, Claude de Savoie, et de son frère, Honorat de Savoie (Voir Généalogie).

Jacques d'Urfé et Renée de Savoie η donnent le jour à onze ou douze η enfants dont un seul meurt en bas âge. La petite enfance en Bourbonnais à la fin du XVIe siècle n'est plus terra incognita grâce aux recherches de Claude Lamboley. En étudiant Jean Aubery η, un ami d'Honoré d'Urfé, né à Moulins en 1569, C. Lamboley raconte avec verve et science ce qui se passait dans une famille noble, cossue et puissante :

On a donné à l'enfant une nourrice qui, pour suivre les critères d'Ambroise Paré, avait entre vingt-cinq et trente-cinq ans, et qui avait donné le jour à deux ou trois enfants.
Il a dû être sevré entre dix-huit mois et deux ans. Des dents de loup attachées à ses vêtements ont aidé la sortie des dents.
Il a dû jouer « aux barres, à la lutte, au maniement de l'arc et au "boute-hors", sorte de "ôte-toi de là que je m'y mette" »
(pp. 4-5). 

On sait peu de choses des sœurs d'Honoré d'Urfé η. Deux d'entre elles font souche en France, une troisième en Italie, à Parme, et les deux dernières se font probablement religieuses. Les noces de Catherine et de Madeleine se déroulent le 14 novembre 1581 au château de Bagé η (dit Baugé dans les Archives de Savoie FRAD73-10F 330). Catherine (née en 1562) fait un testament en 1610 et un autre en 1613. Dans le premier, son exécuteur testamentaire est Jacques II η Paillard η d'Urfé, dans le second, Honoré (Archives de Savoie FRAD73-10F 330).

Les cinq fils d'Urfé sont tous assez célèbres pour figurer dans les dictionnaires historiques ; les deux premiers ont altéré le destin d'Honoré d'Urfé. Anne η, l'aîné, grandit à la Cour, page de Charles IX, grâce à son parrain peut-être, Anne de Montmorency. Celui-ci est l'époux de Madeleine de Savoie, la sœur de Renée et la fille du Bâtard de Savoie et d'Anne de Lascaris (voir Généalogie). Claude Longeon a consacré un bel article à Anne η d'Urfé, celui qui a pu inspirer le personnage de Lycidas dans L'Astrée, celui qui a été le premier époux de Diane de Châteaumorand η. Le puîné, Jacques II η, a vécu auprès du duc de Savoie η, en tant que page d'abord (Reure, p. 18, note 1), et ensuite en tant qu'amiral des galères. Il est le seul d'Urfé de sa génération qui ne se soit jamais distingué par sa plume. Il a hérité d'Honoré d'Urfé et perpétué le nom de la famille. C'est son fils qui a communiqué à Daniel Huet η des informations tendancieuses sur le romancier (voir Biographes).

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2 SignetLes Années de formation

Honoré, avec ses deux autres frères, Christophe η et Antoine η, fréquente le collège des Jésuites η à Tournon-sur-Rhône η, dans l'Ardèche, aujourd'hui Lycée Gabriel-Fauré. Les jeunes gens bénéficient d'un enseignement moderne qui fait une place aux mathématiques à côté des humanités et de la philosophie. Le futur auteur de L'Astrée se distingue dès l'âge de seize ans. Il signe sa première œuvre pour marquer l'arrivée de l'épouse du protecteur du collège, et il la fait lui-même imprimer :

La Triomphante entrée de tresillustre dame Madame Magdeleine de la Rochefocaud, espouse de hault & puissant seigneur messire Just-Loys de Tournon, seigneur & baron dudict lieu, comte de Roussillon, &c. faicte en la ville & université de Tournon, le dimenche vingtquatriesme du moys d'avril 1583.

Le Forez connaît une véritable effervescence littéraire à la fin du XVIe siècle, en partie grâce à Loys Papon η, fils du célèbre juriste, Jean Papon. Loys, prieur et chanoine, est aussi poète, musicien, dessinateur, artiste décorateur et maître ès lettres. On joue à Montbrison une pastorale historique qu'il a composée pour célébrer Henri de Guise. On admire des emblèmes η que ce prieur dilettante a calligraphiés et illustrés - mais non publiés. Les Foréziens échangent des manuscrits. Une ébauche de L'Astrée qui porte le titre générique de Bergeries tombe entre les mains de Jean Du Crozet ; il la résume dans sa Philocalie en 1593. Les Foréziens écrivent également des vers liminaires pour leurs amis (voir par exemple Poèmes), et des épîtres qu'ils adressent à ceux dont ils désirent la protection. Les travaux de C. Longeon brossent un tableau édifiant de la vie intellectuelle forézienne.

3 SignetEn 1571, Anne η d'Urfé est uni à une riche héritière, Diane de Châteaumorand η, descendante des Lévis η (Longeon, p. 49). Jacques η et Christophe η sont aussi mariés. Les deux autres fils sont voués au sacerdoce : Antoine η, le benjamin, sera prieur de Montverdun puis évêque de Saint-Flour. Honoré, en devenant chevalier de Malte en 1584, rejoint un ordre religieux qui l'engage à se battre pour la chrétienté, et qui lui interdit de fonder une famille. Il suit la voie prestigieuse où ses parents Lascaris η se sont distingués. Le Catalogue des Chevaliers de Malte établi par Louis de La Roque énumère une vingtaine de Lascaris (p. 138), mais ne nomme aucun d'Urfé. Pourtant, Honoré a certainement fait partie de cet ordre, puisqu'il lui faudra une autorisation de Clément VIII, pape de 1592 à 1605, pour s'en détacher. Le portrait du Pape se trouve à Virieu (Inventaire). Signe de gratitude ?

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Croix de Malte dans ce site (2 octobre 2015).

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4 SignetLa Ligue

Selon Brantôme, les Français n'aiment pas vivre en paix et se battent entre eux quand ils ne rencontrent pas assez d'ennemis étrangers : « Aussy le Bourguignon et le Flamand disent de nous que : quand le Français dort, le diable le berce » (p. 662). Les guerres de religion, commencées en 1562, en se succédant, multiplient « les misères de ce temps » (Ronsard, Œuvres, éd. Blanchemain, VII, p. 17).

Le décès du dernier des trois fils d'Henri II et de Catherine de Médicis, en 1589, sonne le glas pour la Maison de Valois. L'héritier du trône sera un lointain cousin, le roi de Navarre, Henri de Bourbon, un descendant de saint Louis, mais aussi un protestant. Cet Henri - qu'on appelle « Henric » à la Cour - est, depuis 1572, l'époux d'une fille d'Henri II, Marguerite de Valois η. L'alliance devait en principe unir protestants et catholiques ; elle coïncide avec le désastreux massacre de la Saint-Barthélémy.

Les Français sont plus divisés que jamais. Les protestants, conduits par les Condés, princes de sang, soutiennent Henri de Navarre. Les catholiques, conduits par les Guise, seigneurs alliés aux Valois, au roi d'Écosse et au duc de Savoie η, forment la Ligue η et refusent de céder le trône à un protestant. Leur candidat, le cardinal de Lorraine, est soutenu par Rome, l'Espagne et la Savoie. Les « Politiques η », des catholiques modérés, reconnaissent la légitimité d'Henri de Bourbon, héritier désigné par Henri III. Parmi eux se trouve Étienne Pasquier η.

Les poètes se lamentent. Ronsard η décrit ainsi la France de l'époque :

[...] ses propres enfans l'ont prise et devestue,
Et jusques à la mort vilainement batue.
(« Continuation du Discours des miseres de ce temps »,
Ronsard, Œuvres, éd. Blanchemain, VII, p. 17).

Remy Belleau, tout au début de sa Bergerie, proclame :

[...] Depuis que la France
Couve dedans son sein, le meurtre et la vengeance,
La France ensorcelee, et surprise d'erreur,
De guerre, de famine, et de peste, et de peur,
France le petit œil et la perle du monde,
Est maintenant sterile, au lieu d'estre feconde (p. 29).

Les guerres civiles sont une époque de désordres et de bouleversements qui rend les historiens même lyriques. Le souvenir de ces « sept cruelles et sanglantes guerres [..] m'oste l'esprit, estouffe ma parole, et rend ma plume inutile en ma main », déclare l'historiographe d'Henri IV, Pierre Matthieu (f° 1 verso). Durant « ce temps calamiteux, et qu'il ne faut ni descrire ni descrier » (Camus, I, p. 112), quand les Français « baign[ent] dans le sang les uns des autres » (La Nouë, p. 621), « il étoit également funeste de vaincre ou d'être vaincu » (De Thou, Préface, n. p.). La guerre, « cette longue maladie » (Lucinge, p. 13), a fait des martyrs dans tous les camps. Rome pourtant ne semble pas avoir estimé le sang sacrifié par les Ligueurs ; aucune canonisation η entre 1528 et 1588 (Descimon, p. 22).

Le Forez subit, évidemment, les guerres de religion. Loys Papon rappelle en 1588 les drames déjà vécus dans le pays : ses bergers fuient l'envahisseur, « loup veu de trop prés » (Pastorelle, II, 1. Œuvres, I, p. 34). Il s'agit du baron des Adrets, modèle de Barbe-bleue, le protestant qui a saccagé Montbrison en 1562. L'assassinat du duc de Guise, le 23 décembre 1588, horrifie les catholiques ; l'assassinat d'Henri III quelques mois après les alarme. Le Lyonnais (dont le Forez fait partie) se prononce pour la Ligue η le 24 février 1589 (Reure, p. 36). Papon chante les bienfaits de l'unité :

Des regnes divisés les peuples sont destruicts,
[...] Au rebours de ceux-cy, ceux qui demeurent fermes
En la saincte union, sont heureux et bénis
(Pastorelle, V, 1. Œuvres, I, p. 124 ).

Les cinq frères d'Urfé soutiennent la Sainte Ligue ou Sainte Union contre ceux qu'on nommait les reallistes (Bernard, p. 267). Les d'Urfé sont parents des grands chefs ligueurs, puisque la cousine germaine de leur mère, Henrye de Savoie, épouse le duc de Mayenne en 1576 (voir Généalogie). Veuve fortunée et mère de huit enfants, Henrye de Savoie a treize ans de plus que son second mari (Panisse-Passis, p. 180). Le demi-frère du duc de Mayenne et d'Henri de Guise est le duc de Nemours, le fils du prince qui servira de modèle à Madame de Lafayette dans La Princesse de Clèves. Nemours est gouverneur du Forez. Anne η d'Urfé, bailli η du pays, est nommé Lieutenant pour la Ligue (Bernard, p. 100). Le Chevalier d'Urfé - titre d'Honoré - s'engage aux côtés de ses frères aînés.

SignetPourquoi tant d'élans belliqueux ? Dans son dialogue de L'Honneur, Antoine d'Urfé η introduit un « Polemophile » qui a quelques points communs avec Honoré d'Urfé, et qui décrit la « vraye intention d'un Gentilhomme Chrestien allant à la guerre » :

l'une principale, qui est l'amour de mon Dieu, et de ma Religion, qu'on tasche bannir de ce Royaume jadis treschrestien : l'autre depend, et est comme attachee à ceste cy, qui est l'accroissement de mon honneur, et reputation (pp. 4-5).

5 SignetHonoré d'Urfé, celui « qui ne respiroit que Mars » selon Jean-Pierre Camus η (cité par Bernard, p. 164), court d'une infortune à l'autre pendant près de dix ans. Ses biographes ne lui attribuent pas la moindre action d'éclat, le moindre geste héroïque. Auguste Bernard (pp. 249-367) et le chanoine Reure (pp. 34-55), cependant, rapportent scrupuleusement tous les accidents tragiques qui se succèdent autour d'Honoré en ces temps de « combats sans cesse renaissants et renouvelés » (Bernard, p. 297). Les rivalités entre les Ligueurs, les jalousies et les hésitations des échevins η de Lyon servent de toile de fond à la mort de deux frères d'Honoré d'Urfé, à ses deux séjours en prison, à un procès pour ce qu'on n'appelait pas encore crime de guerre, et enfin à une profonde et irrémédiable mésentente entre Honoré et Anne η d'Urfé.

1590 à 1597

• Le 2 mai 1590, le chevalier d'Urfé est chargé de la garde de Saint-Étienne. Il écrit alors aux échevins η de Lyon au sujet de « quatre pacquets d'estoffes » qu'il attend pour faire faire des cuirasses à ses troupes (Voir Lettres). Peine perdue, les royalistes prennent Saint-Étienne. Honoré d'Urfé se jette sur le château d'Essalois (voir ce site, 18 juin 2014). Ses soldats commettent tant d'abus qu'il sera poursuivi en justice (Reure, p. 38).
• En décembre 1592, le duc de Nemours entre dans Montbrison profitant de l'absence d'Anne η d'Urfé qui assiste aux États Généraux de la Ligue à Paris. Le peuple crie : « Ou la paix ou le pain » (Lucinge, p. 166). Le duc de Nemours veut s'assurer de garder pour lui le gouvernement de Montbrison, ville ligueuse (Bernard, p. 312).
• Le 27 janvier 1593, Henri de Navarre nomme Anne η lieutenant général en Forez (Bernard, p. 319).
• Le 25 juillet 1593, Henri de Navarre se convertit et devient Henri IV.
• Le 30 juillet 1593, les Ligueurs acceptent une trêve pour attendre l'avis du Pape sur la conversion. Nemours cependant refuse de renvoyer ses armées avant que les échevins η de Lyon ne paient leur solde. Il réclame huit mille écus. Les protestations sont si véhémentes que le duc, pour éviter « la fureur populaire », finit par « demander la sûreté d'une prison » (Bernard, pp. 325-326).
• Le Chanoine Reure résume différemment ce vil marchandage. Selon lui, en septembre 1593, les échevins η, mécontents du duc de Nemours, le font enfermer au château de Pierre-Scize (Reure, p. 43).
• En octobre 1593, le chevalier d'Urfé s'empare de Sury-le-Comtal (le Surieu de L'Astrée). Il est forcé de céder la place au marquis de Saint-Sorlin (Bernard, p. 331). Comme le marquis est le frère du duc de Nemours, il faut comprendre qu'Honoré n'appartient pas au camp nemouriste à ce moment précis (Reure, p. 44).
• En février 1594, Lyon se prononce pour le Roi (Bernard, p. 347).
• Le 6 mars 1594, Anne η d'Urfé écrit aux échevins η :

Croyez que je suis entieremant à vostre disposition puisque vous avez ambrassé le service du roy (Bernard, p. 409).

• Le 26 juillet 1594, le duc de Nemours s'enfuit déguisé de Pierre-Scize η.
• Le 14 septembre 1594, de Lyon, M. de de Bellièvre écrit à Henri IV :

Le chevalier d'Urfé, lequel n'avoit point faict de serement à Vostre Majeste, et s'estant contenu quelque temps sans se declarer, a de nouveau prins les armes pour la Ligue η 
(Reure, p. 47).

• Le cadet nuit à l'aîné ? Bellièvre, dans cette même lettre, note que le Marquis d'Urfé « est importun de corps, et [que] son esprit n'est pas tendu à soustenir le faix de ce gouvernement » (Reure, p. 49). Anne η démissionne. Il appartient à la génération des sacrifiés (Longeon, p. 21).
• Le 30 septembre 1594, le duc de Nemours offre à Honoré la fonction qui appartenait à Anne η, lieutenant général en Forez. Honoré ne la refuse pas.
• Le 1er octobre 1594, Antoine d'Urfé η est abattu accidentellement par un homme d'armes d'Honoré. Il sera enterré à la Bastie (Bernard, p. 224).
• Le 14 novembre 1594, les hommes du chevalier d'Urfé arrêtent le seigneur de Riverie. Le Roi demande sa libération dans une lettre aux échevins η (Bernard, p. 359, note 1).
• Le 16 février 1595, le chevalier, arrêté à Feurs, est mis à rançon (Bernard, p. 136).
• Le 15 août 1595, d'Urfé se rend en Savoie. Nemours, un maître et un ami, meurt à Annecy. Sa plus belle épitaphe, la plus instructive, est celle qu'on attribue à Henri IV : « Il avait le cœur trop grand et trop haut » (cité par Combaz, p. 53).
• Le 4 septembre 1595, Lyon réserve un accueil triomphal à Henri IV. « On avait érigé une statue d'Hercule relevée en marbre, affublé de sa peau de lion posé sur un piédestal de la hauteur de douze pieds » (Bardon, p. 95).
• Le 17 septembre 1595, le Pape absout Henri IV.
• Le 24 septembre 1595, Honoré d'Urfé revient en Forez pour secourir Montbrison, « la capitale et la plus forte ville du Forez » (Bernard, p. 312). « Acte de folie héroïque », considère l'indulgent chanoine Reure (p. 55). D'Urfé est de nouveau prisonnier.
• Le 12 décembre 1595, Montbrison se rend au roi.
• Au début de 1596, Honoré s'installe en Savoie (Voir Cartothèque) parce que sa famille maternelle y a des liens. Il achète le domaine de Senoy, dans le Bugey, à deux lieues de Virieu‑le‑Grand η (Trenard, p. 24). La propriété consiste « en maison forte, granges, vergers, colombiers, un grand clos de terre adjacent, quelques pièces de pré, une pièce de vigne et une forêt (Acte du 18 avril 1602. Bibl. Nation. mss. fr. 5 305) » (Chapoy, p. 4, note 3). D'Urfé fréquente alors les Fabri η.
• Le 18 juillet 1597, la rançon de 3 000 écus (prêtée par Diane de Châteaumorand η) est payée par Jacques II d'Urfé η.
• À une date inconnue, Christophe d'Urfé η perd la vie au service de la Ligue η et du duc de Savoie η. Honoré écrira un poème à sa mémoire avant 1599.

6 SignetHonoré d'Urfé rapporte lui-même ses derniers malheurs alors qu'il est encore en prison à Montbrison. Dans ses Epistres morales, il enchevêtre les événements pour noircir sa situation et illustrer son accablement. Il écrit dans la préface « Au Lecteur » :

Les moindres blesseures ont esté deux prisons, l'une n'attendant entierement l'issue de l'autre. Et encor que toutes deux par trahison : l'une toutesfois par mes ennemis, et l'autre par ceux que je tenoy pour mes amis η (n. p.).

« L'issue » signifie sans doute l'acquittement de la rançon exigée par ses geôliers à Feurs. D'Urfé ajoute dans la première des Epistres :

Regardons quelle a esté ceste vingt-septiesme annee de mon aage ? Le plus cher de mes freres par sa mort me marqua de noir le premier d'Octobre. Incontinent le mois de Fevrier d'apres pour ne m'estre plus heureux me veid vendre à Feurs, sous l'entreprise d'autruy. Depuis je n'ay plus esté à moy-mesme : car apres avoir languy quelque temps en une tres estroite prison, et plaint longuement la maladie du Prince que je suivois, la nuict du quinziesme d'Aoust de l'annee 1595 ravit toutes mes esperances de la mesme main dont elle trancha le filet de la vie de ce grand Prince (p. 4).

La « tres estroite prison » est sans doute la seconde, celle de Montbrison, celle qui a suivi la mort du duc de Nemours. Qui dirait - d'après ce texte - que neuf mois séparent le décès du prince de celui d'Antoine η d'Urfé ?

Plus loin, Honoré d'Urfé raconte avec un grand art l'agonie du Duc de Nemours. Il semble qu'il modifie la chronologie pour que les derniers mots soient riches de signification. On annonce à celui qui rend l'âme le 15 août que le Pape a donné l'absolution à Henri IV. Cet événement pourtant a eu lieu le 17 septembre.

« Nous vivrons en un repos honorable », conclut le Duc sur son lit de mort, puisque le Roi de France est rentré dans le giron de l'Église ; la Ligue n'a plus de raison d'être, l'honneur est sauf. Le commentaire que d'Urfé ajoute surprend :

[Le duc de Nemours] jugeoit que pour le repos, les maniemens honorables mesmes estoient à desdaigner (I, 23, p. 204).

Ces « maniemens » à écarter sont les ententes que les chefs ligueurs signent avec le pouvoir. Henri IV, entre 1590 et sa mort, en 1610, offre argent, terres et titres aux adversaires qu'il veut gagner (Bayrou, p. 406). L'un des premiers Ligueurs négociateurs est Honorat (ou Honoré) de Savoie, marquis de Villars. Ce grand-oncle d'Honoré d'Urfé demande et obtient 3 477 800 livres η (Bayrou, p. 340). En 1593, le Roi charge le bien nommé sieur de la Fin de faire des offres financières dans le Lyonnais (Bernard, pp. 334-344). D'après Sully, Nemours et les siens auraient reçu en 1596 « une somme de 378 000 livres η pour la reddition des places qu'ils tenaient » (Bernard, p. 363, note 2). François Bayrou conclut : « L'ensemble des subsides promis aux grands montait à environ 30 millions de livres η » (p. 342). En 1614, lors des États Généraux, la Régente confirmera que le feu Roi a grevé le budget de l'État à cause des présents faits aux Ligueurs (Mercure françois, 27 février 1614, p. 332).

Honoré d'Urfé ne pouvait pas ignorer tout cela. Est-ce qu'il escomptait un maniement honorable quand il a tenté de conserver Montbrison ? C'est ce que déduit Auguste Bernard (p. 143). L'obstination serait-elle une forme désespérée de l'honneur ?

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7 SignetL'Exil

Les guerres de religion dégénèrent en luttes fratricides. Les dernières années du siècle bouleversent la famille d'Urfé. Chevalier errant des temps modernes, chevalier sans Graal, chevalier d'une Dame inavouable peut-être, Honoré d'Urfé quitte la Bastie et se rend en Savoie. Il emprunte les mots d'Énée :

Quelle terre, ou quell'eau me recevra en fin ?
Ou que reste il plus à mon cruel destin ?
Puis qu’avecques les Grecs je n’ay point d’asseurance,
Ny avec les Troyens, qui cherchent pour vengeance
Mon sang comme offensez (Epistres, Au lecteur, n.p.).

• En 1598, Anne η d'Urfé, accusé d'impuissance, subit l'humiliante épreuve du congrès η : Diane de Châteaumorand η reprend sa liberté après une vingtaine d'années de mariage. Anne η cède ses droits d'aînesse à son frère puîné, Jacques η, et quitte la scène politique. Il deviendra prieur de Montverdun.

• En 1599, Honoré d'Urfé est « quitte et absous dudit prétendu vœu et profession » (Reure, p. 97). Il avait demandé en 1592 à être libéré de ses vœux de Chevalier de Malte, expliquant qu'il avait agi sous la contrainte de sa mère - Renée de Savoie η est morte en 1587 (Longeon, p. 18). Honoré reçoit sa part de l'héritage de ses parents seulement après avoir menacé d'un procès ses frères aînés, Anne η et Jacques II η (Voir Héritages).

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8 SignetLe Mariage

Honoré d'Urfé épouse Diane de Châteaumorand η en 1600. Il s'agit d'un mariage d'amour puisque le romancier, à sa mort, portait encore au cou le portrait de son épouse (Voir Testament). La famille d'Urfé a probablement condamné cette union qui a terni la réputation de leur aîné puisqu'aucun d'entre eux ne signe le contrat de mariage. Honoré s'installe à Châteaumorand (Saint-Martin-d'Estréaux, Loire) à la frontière du Forez et du Bourbonnais (voir la Cartothèque). Le plan du château, reproduit par le chanoine Reure, est dans les Notes en images η. On sait que c'est à Diane de Châteaumorand que le chanoine Reure η, judicieusement, dédie La Vie et les œuvres d'Honoré d'Urfé, cette étude irremplaçable.

9 SignetHonoré se rend souvent à Virieu-le-Grand η (Ain) avec son épouse et sans elle. Il habite une forteresse transformée en château avec donjon et mâchicoulis (Trenard, p. 27 ; Voir le plan du château et des photos du lieu). Il devient alors Bugiste, Bressan et Virolan (Ibid., p. 30). Il habite à 50 km de Chambéry, ancienne capitale de la Savoie, mais à 300 km de Turin, la nouvelle capitale (Voir Cartothèque). D'Urfé est au service de Charles-Emmanuel η, duc de Savoie, un lointain parent des d'Urfé et un rival intermittent d'Henri IV. Selon l'accord signé en 1599, d'Urfé tient le rang de Chambellan η du Duc, « Grand Conseiller du Roy en son conseil d'Estat » (Manuscrit Châteaumorand a2 20). Le Français le plus en vue à la Cour est alors Charles de Simiane, seigneur d'Albigny, un Ligueur du Dauphiné qui s'est exilé en Savoie, qui a épousé la demi-sœur du duc. Il finit décapité en janvier 1608 parce qu'il soutenait une politique qui n'était plus celle de son maître (Gal, pp. 387-389).

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10 SignetAu service du duc de Savoie

Servir le Duc n'est pas un poste de tout repos étant donné ce qu'on sait de ce Prince impétueux, sujet à « la chaleur de foie » (Malherbe, p. 562), et qui « ne pardonne jamais quand il a offencé un serviteur » (Lucinge, p. 100). Ses « chimères ambitieuses » (Larousse du XIXe), nourries par sa passion pour les généalogies princières (Rott, p. 78), ont indisposé Henri IV. Dans une lettre de 1600, le Roi de France le surnomme « le duc sans Savoie » (Henri, p. 269). « Vous êtes un remuant et un brouillon », lui dit-il (cité dans Bayrou, p. 492). Sully est à peine plus mesuré. M. de Savoie, écrit-il, « est mal voulu de tous les autres princes d'Italie, à cause de son esprit inquiété et de ses ambitions démesurées » (IV, p. 171). Tallemant des Réaux appelle régulièrement le Duc « le Bossu » (I, pp. 56, 88, 294). Il était seulement petit de taille, semble-t-il (Gal, p. 476, note 8). Hardouin de Péréfixe considère que le cœur du duc de Savoie était couvert de montagnes, « n'y ayant jamais eu prince moins pénétrable et plus caché » (p. 112) que ce « Protée qui se changeait en toutes sortes de formes » (p. 116). « Ç’a été de tout temps la maxime de la maison de Savoie [...] de clocher de deux pieds et de marcher de deux endroits », affirme un historien de la Provence que cite Panisse-Passis (p. 100). De nos jours encore, dans son Histoire de la Savoie, Henri Ménabréa admet que Charles-Emmanuel « manquait de droiture d'esprit » (p. 152). On reconnaîtra sans peine que René de Lucinge η n'a pas tort : le duc de Savoie η, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, déplaît toujours aux Français (p. 175).

Le Duc acquiert un brillant avocat en 2012. Stéphane Gal, professeur d'histoire, analyse un prince qui « conjug[ue] en sa personne les idéaux de la Renaissance » (p. 53) et qui mêle dans ses veines un sang espagnol et un sang français. En quête de légitimité, rêvant d'une couronne royale, le Duc reste tributaire de la France et de l'Espagne. « La neutralité est impossible » (p. 224) à ce passionné (p. 464). Pour survivre à l'ombre des géants, il est acculé à la « politique du précipice » (p. 302). Il n'hésite pas à « pêche[r] en eau trouble » (p. 160) ou à dépasser les bornes lors des négociations. On comprend mieux la politique savoyarde grâce à Stéphane Gal, mais on compatit davantage avec d'Urfé. Montesquieu l'a bien dit :

Pour rien ne voudrais être sujet de ces petits princes !
(Voyage de Gratz à La Haye, in Œuvres complètes, Paris, 1949, p. 607.
Cité par S. Gal, p. 481, note 36).

11 SignetAu service du duc, dès 1597, Honoré d'Urfé lève des troupes pour participer à l'expédition de la Maurienne η. Les combats ont lieu en plein hiver ; les Savoyards, conduits par un Français (d'Albigny), se battent contre un autre Français (Lesdiguières), et remportent la victoire en 1598. Honoré d'Urfé ne renonce pas aux activités littéraires. Il compose des vers « De Ripaille » pour honorer le duc Amédée VIII de Savoie, dit le Pacifique (Mélanges, f° 59 verso sq.). Dans un sonnet, il fait l'éloge d'Antoine Favre (Poèmes), magistrat savoyard et fondateur de l'Académie Florimontane. Cet ami d'Honoré d'Urfé « n'es[t] prés de Dieu, mais [...] vi[t] en Dieu mesmes » (Second livre des Delices, p. 9). Son portrait se trouvait à Virieu‑le‑Grand η (Inventaire).

Les Epistres morales

D'Urfé poursuit la méditation commencée en prison quand il rédige ses Epistres morales. Il s'inspire certainement des Lettres à Lucilius de Sénèque, en s'adressant à un jeune homme tenté par l'épicurisme, et en prônant une morale stoïque (Henein, p. 137). Il réagit aussi peut-être à l'exemple donné par les Essais de Montaigne, publiés de 1580 à 1595, ou par les Diversitez de Jean-Pierre Camus η, parues de 1609 à 1618 ; ce sont des réflexions sur une grande variété de sujets émises par un penseur qui n'hésite pas à dire « je » et qui écrit en français. Honoré d'Urfé est, en un sens, plus moderne que Montaigne, Camus ou encore Charron. Il s'astreint à citer les écrivains de l'Antiquité en français, non en grec ou en latin. Il affiche son admiration pour des romanciers et des poètes qu'il cite en italien et en espagnol, langues vivantes.

Le premier livre des Epistres est une pathétique étude de la fortune, le deuxième une savante réflexion platonicienne sur l'histoire et sur la mort, tandis que le troisième apporte une conclusion sous la forme d'une exploration de ce qui fait le bonheur de l'homme sur cette terre.

Que la felicité qui nous vient des vertus morales nous rend plus semblables à Dieu que la contemplative. Qu'elle n'a point d'autre fin que soy-mesme. Et qu'elle est la seule, propre et particuliere de l'homme (Epistres, III, 10, p. 478).

La première édition des Epistres morales paraît en 1598 grâce aux bons soins d'un ami savoyard d'Honoré d'Urfé, Antoine Favre η, avec une dédicace au Duc de Savoie η. L'histoire de cette publication est révélatrice. Favre η explique dans l'épître que d'Urfé a été gravement malade.

Et pour m'honorer en peu de paroles d'un tesmoignage qui en porta la memoire jusques à la posterité, il enchargea l'un des plus confidens de ses amis là present, de garder soigneusement les discours qu'il avoit n'agueres composez en forme d'Epistres morales, avec une bien estroitte recommandation de me les remettre, pour en faire ce que je voudray, comme de chose qu'il faisoit mienne (Epistres, n. p.).

Favre η retrouve son ami guéri. Il va publier les textes dont il dispose :

Je n'ay voulu demander ny attendre plus particuliere permission de luy, craignant que ses considerations ordinaires n'interrompissent mon desseing (Epistres, n. p.).

Malheureusement, bien plus tard, lorsqu'il sera sur son lit de mort, d'Urfé ne va pas confier ses papiers à un ami.

Les Epistres jouissent de plusieurs dédicataires ! L'auteur offre lui-même son œuvre au Duc de Savoie η dans une courte épître de juillet 1599 η. Et pourtant en 1595, il a déjà offert ces Epistres à une dame qui est probablement Marguerite de Valois η. Les deux dédicaces se suivront dans l'édition de 1608, édition qui renfermera enfin le troisième et dernier livre des Epistres morales (Reure, p. 77). Ensuite, la dédicace à Marguerite disparaîtra pour toujours (voir Épîtres).

Honoré d'Urfé mène de front deux autres projets littéraires de longue haleine : un poème pastoral commencé en 1596 voisine avec un poème épique commencé en 1599. Des manuscrits autographes réunis sous le titre de Mélanges exposent ses progrès presque au jour le jour : chacun des chants du Sireine, chacun des livres de La Savoisiade finit par un « Laus Deo », Dieu soit loué.

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Mélanges, f° 53 verso.

Malheureusement, les Bergeries résumées en 1593 dans la Philocalie de Du Crozet n'ont laissé aucune trace dans ce recueil hétéroclite. La gestation de L'Astrée garde ses mystères.

Le Sireine

Le Sireine est un habile pastiche de la Diane de Montemayor η. Dans ces 3 606 vers, l'auteur pratique plusieurs formes de subversion littéraire (Henein), mais aussi il présente sa propre situation de poète éloigné de celle qu'il aime : Sireine rime surtout avec peine (pp. 73, 74, 75, etc.). L'épopée qui évolue en même temps que Le Sireine est en revanche une œuvre de circonstance, probablement écrite à la demande du duc de Savoie η. Son titre fluctue : « La Savoisiade η » est appelée aussi Savoye, Berol et Beroldide. Bruno Méniel sort aujourd'hui de l'oubli ces vers restés presque tous inédits, mais qui révèlent parfois un discret sens de l'humour chez l'auteur d'un poème pastoral qui ose se lancer dans l'épopée (Henein, p. 295). La réflexion sur le genre épique va inspirer à Honoré d'Urfé un Jugemant de l'Amedeide de Chiabrera qui est longtemps resté manuscrit.

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12 SignetLe Séjour à Paris

En 1601, le Traité de Lyon signé par la France et la Savoie fait que les domaines savoyards d'Honoré d'Urfé passent sous la juridiction d'Henri IV (Voir ce site, 15 juin 2019). En 1602, Honoré se trouve à la Cour. Sans doute accompagné de sa nouvelle épouse, il voit pour la première fois un Paris pacifié. Il loue des résidences sur la rive droite plus souvent que sur la rive gauche η.

J'introduis ici une parenthèse pour rêver au premier contact d'Honoré d'Urfé avec les décorations des palais royaux. La première partie de L'Astrée s'ouvre et se ferme sur les fresques extraordinaires du Palais d'Isoure ; l'une est basée sur des mythes connus, les « peintures esclatantes η » (I, 2, 27 recto), et l'autre sur une fable originale, l'Histoire de Damon et de Fortune (I, 11, 367 verso). La deuxième et la troisième partie montrent la galerie du druide Adamas (II, 11, 736 ; III, 3, 58 recto). L'ample iconographie du roman ne correspond pas simplement à « un salon vers 1610 » (Magendie, p. 276), c'est l'œuvre d'un amateur éclairé pour qui tout spectacle est code (Henein, pp. 109-144) et tout peintre un habile illusionniste (Henein). D'Urfé a connu les chefs-d'œuvre de la première et de la deuxième École de Fontainebleau. Malheureusement, aucun écrivain ne nous a rapporté comment le petit-fils de Claude d'Urfé a réagi devant les merveilles exhibées dans l'un ou l'autre des châteaux qu'il a pu fréquenter, et surtout à Fontainebleau, dans la galerie François Ier.

Entouré d'une multitude de figures peintes ou sculptées par Le Primatice, Rosso, Niccolo Dell'Abate ou le Maître de l'Énéide, devant les fresques que Toussaint-Dubreuil restaurait (Béguin, p. 119), Honoré d'Urfé a certainement cherché à comprendre les messages que renfermait chaque salle, chaque mur. Henri Zerner, spécialiste de l'art de la Renaissance française, nous aide à imaginer l'attitude du futur père de L'Astrée quand il explique : 

La galerie exige une attention soutenue, invite à une longue réflexion, et stimule chez le visiteur une invention et une fantaisie répondant à celle des créateurs (p. 87).

D'Urfé a probablement vu aussi le château d'Anet η, hymne de pierre dédié à Diane de Poitiers. Le H et le D entrelacés dans un croissant de lune et disséminés sur les portes et les murs ont dû faire sourire Honoré et Diane.

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Dessin de D. Roussel, p. 37.

La fontaine-sarcophage sur laquelle Diane couchée accole Actéon transformé en cerf apprivoisé (Voir ce site, 10 avril 2014) n'a pas pu laisser le romancier indifférent. Elle réunit des adversaires. Elle scelle une réconciliation qui fait mentir les fables. Elle marie la vie et la mort, l'éphémère et l'éternel (Miller, p. 146). Cette manière de subvertir une tradition n'est-elle pas l'une des caractéristiques de L'Astrée (Voir Parallèles) ?

Honoré d'Urfé reçoit le titre de « gentilhomme η ordinaire de la chambre du Roy ». « C'était bien peu de chose pour un homme tel que lui », comme le remarque le chanoine Reure (p. 120). En effet, le titre décerné par Henri IV est moins prestigieux que les titres donnés à Honoré d'Urfé par le duc de Savoie η. En 1598, d'Urfé était : « Escuyer et Chambellan ordinaire de S. A. Colonel general de sa Cavalerie et Infanterie Françoise, et Capitaine de cent Chevaux legers η de ses ordonnances » (Reure, pp. 87-88). Honoré d'Urfé est l'un des derniers ligueurs qui se rallient. Ceux de la première heure ont été mieux traités. René de Lucinge η, ambassadeur de Savoie, exagère à peine lorsqu'il explique :

Le Roy contourna les uns avec des promesses exquises et de grands dons ; il amorça les autres avec des dignités et en desbauchat tant avec le vent des belles parolles pour pasture, à chasqu'un sellon son humeur et portée, qu'il escarta presque en un moment tous les grands et les plus nécessayres à ce party [la Ligue] (Lucinge, p. 55).

En tant que « gentilhomme η ordinaire » d'Henri IV, d'Urfé doit passer quelques mois à la Cour chaque année. Comme ses personnages, il connaît donc

les incommoditez de la Cour, qu'il est impossible à tout autre qu'au Roy d'éviter (III, 4, 127 verso).

C'est alors qu'il rencontre l'intelligentsia parisienne, non seulement autour de Marguerite de Valois η, mais encore chez Madame de Rambouillet, une Italienne dont l'époux sert d'intermédiaire entre la Cour de France et la Cour de Savoie en 1614 (Combaz, p. 123). D'Urfé fréquente également le cardinal Du Perron, Étienne Pasquier η et François de Malherbe - qui était aussi gentilhomme de la chambre du Roi.

13 SignetLes Publications

Coup sur coup, deux ouvrages dûment signés et extrêmement différents paraissent chez Jean Micard, libraire qui a tenu boutique à Paris de 1595 à 1605. Ces œuvres (sur le chantier depuis longtemps) apportent la célébrité à Honoré d'Urfé dans le cercle des moralistes et dans le cercle des poètes. Il s'agit de la réédition des deux premiers livres des Epistres (Reure, pp. 87-90) et de la première version du Sireine (Reure, pp. 71-74).

Les Epistres morales de Messire Honoré d'Urfé. Capitaine de cinquante hommes d'armes, Comte de Chasteauneuf, et Baron de Chasteaumorand, etc. Dédiées à son Altesse η de Savoye [par A. Favre η], A Paris, Chez Jean Micard, 1603. Privilège du 24 septembre 1595.

Le Sireine de Messire Honoré d'Urfé, Gentilhomme de la Chambre du Roy, Capitaine de cinquante hommes d'armes de ses Ordonnances, Conte de Chasteauneuf, et Baron de Chasteaumorand, etc. Paris, Jean Micard, 1604.

Jean Micard a un privilège de dix ans pour toutes les œuvres de d'Urfé (Reure, p. 72).  Le Sireine connaît une nouvelle édition dès 1606, avec une épître dédicatoire adressée à une dame anonyme, sans doute Diane de Châteaumorand η. L'anonymat est de rigueur : la Diane du Sireine a quitté le héros pour épouser un homme qu'elle n'aime pas ; elle évoque trop bien Diane de Châteaumorand mariée avec Anne η d'Urfé jusqu'à l'annulation de ce mariage (procédure entamée en 1598, comme on l'a vu plus haut).

Honoré et Diane η voyagent ensemble de Châteaumorand à Paris et à Virieu η (Voir Cartothèque). Ils ne réussissent pas à avoir d'enfants. Ils entreprennent un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette η. Ils s'occupent de leurs nièces, les deux filles de Christophe η (décédé) et Éléonore, la fille de Madeleine Cavalque (cette sœur d'Honoré installée à Parme). Nous ne savons presque rien de la vie quotidienne des d'Urfé en province ou à Paris. Les correspondants du romancier n'ont pas conservé ses lettres. Lui-même a fait quelques confidences dans le premier livre des Epistres morales, il les a volontairement voilées η dans son roman, comme dans Le Sireine.

14 SignetLa Publication du roman

De 1607 à 1624, les Astrées se succèdent. Les lecteurs, vite enthousiasmés par ce roman qui ne ressemble à aucun autre, ne remarquent pas qu'ils assistent à un curieux phénomène : la première édition de chacune des trois parties connaît rapidement une deuxième édition qui renferme souvent des modifications notables (Voir Évolution).

SignetLorsque L'Astrée paraît en 1607, sans nom d'auteur et sans épître dédicatoire, mais avec un privilège du 18 août, le marquis et la marquise de Châteaumorand sont à Paris. Honoré a confié son œuvre à Toussaint Du Bray, libraire-éditeur renommé (Arbour). La première partie du roman s'intitule :

Les Douze livres d'Astree, où, par plusieurs histoires et sous personnes de bergers et d'autres, sont deduits les divers effets de l'honneste amitié. A Paris, chez T. Du Bray, 1607. Privilège du 18 août 1607. Édité dans ce site.

L'auteur qui se cache suit peut-être une recommandation de Du Bellay :

« Mais si tu veulx un jour quelque chose éventer,
Il fault premierement la fortune tenter,
Sans y mettre ton nom »
(Trad. d'une Epistre latine de M. Tornebus, citée dans Huguet, Article Esventer).

Avant la fin de 1607 survient une édition qui conserve le même privilège que l'édition anonyme, 18 août 1607. Elle est pourtant signée et dotée d'un titre différent :

L'Astree de Messire Honore d'Urfe, Gentilhomme de la chambre du Roy, Capitaine de cinquante hommes d'armes de ses Ordonnances, Comte de Chasteauneuf, et Baron de Chasteaumorand, etc., OU Par plusieurs Histoires, et sous personnes de Bergers & d'autres, Sont deduits les divers effets de l'honneste amitié. A Paris Chez Toussaincts Du Bray, au Pallais, en la galerie des prisonniers 1607. Avec Privilege du Roy.

Peu après, Les Epistres morales en trois livres voient le jour :

Les Epistres morales de Messire Honoré d'Urfé, Capitaine de cinquante hommes d'armes de ses Ordonnances, Comte de Chasteauneuf, et Baron de Chasteaumorand, etc. Reveuë, corrigee et augmentée d'un troisiesme livre. 1608. A Paris, Chez Jean Micard. Privilège du 27 août 1608.

Surviennent ensuite, en 1610, deux éditions de la deuxième partie de L'Astrée, toutes deux signées et dédiées à Henri IV. Fait curieux, ces deux textes se distinguent l'un de l'autre par quelques corrections, et par un seul et unique vers (Sancier-Chateau, p. 409) qui ne semble pas crucial. Voici la description de l'édition qui renferme le vers supplémentaire :

L'ASTREE de Messire Honoré D'Urfé. Seconde partie, 1610. A PARIS. Chez Toussainct Du Bray, Rue St Jacques Aux Espics Meurs et en Sa Bouticque au Palais en la Gallerie des Prissonniers. Privilège du 15 février 1610. Édité dans ce site.

Cette deuxième partie introduit une extraordinaire religion inventée de toutes pièces par le romancier. L'ancien Ligueur s'avère un historien doublé d'un théologien pour mieux refléter l'irénisme η qui cherchait à s'étendre à la Cour. D'Urfé suit l'exemple des poètes de la Renaissance quand il imagine une liturgie et une théologie qui mêlent druidisme et christianisme sans pour autant rejeter les dieux païens (Voir Pleins feux). Fondée sur une admirable tolérance, cette religion a sa matérialisation dans le temple de Bonlieu, habile adaptation d'un temple païen η. Vestales et druides vont y cohabiter en servant et Vesta et la « Vierge qui enfantoit η » ! Les autels des deux divinités se trouvent « à une si juste distance que l'un n'estoit point plus esloigné du milieu que l'autre » (III, 2, 28 recto et verso). On comprend, dans ces conditions, que la publication de la deuxième partie de L'Astrée entraîne une indispensable refonte de la très païenne première partie dès 1610.

L'achevé d'imprimer de la deuxième partie dédiée à Henri IV est du 24 avril 1610. Le 14 mai 1610, le Roi meurt assassiné. « Ce funeste coup, qui avait percé le cœur du roi, coupait la gorge à tous les Français » (Hardouin de Péréfixe, p. 174) ... et coupait les ailes à Honoré d'Urfé.

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15 SignetLa Querelle avec Saint-Géran

En 1613, survient une aventure qui bouleverse les relations de Diane de Châteaumorand η et d'Honoré d'Urfé, et qui écarte de la Cour le « gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy ». Il a fallu toute la science du chanoine Reure pour démêler les événements qui ont lieu à cette époque (pp. 155-169). La correspondance manuscrite entre la Reine et les principaux intéressés est dans ce site.

Diane η, seule à Châteaumorand, pour faire respecter les droits qu'elle prétend avoir sur une chapelle, se permet de raser la tombe érigée pour la grand-mère de Jean-François de La Guiche, comte de Saint-Géran (1589 - 1632). Celui-ci est un homme violent qui s'est battu contre la Ligue η. Le jour du quarantième de sa grand-mère, il assiège le château de Châteaumorand et profane l'église paroissiale. Le prévôt de la maréchaussée du Forez doit venir délivrer Diane. Marie de Médicis η, et surtout Honoré d'Urfé qui se trouvait à Paris, apprennent la chose. Alors que la Régente commande à d'Urfé de la rejoindre à Fontainebleau, le gentilhomme se rend plutôt à Châteaumorand. Le duel avec Saint-Géran est probablement évité. L'affaire finit devant les tribunaux, et s'achève en 1620 par un accord entre Diane et Saint-Géran. Honoré d'Urfé s'éloigne de la Cour de France à une date qu'il est encore impossible de préciser. « Laisse, avant d'estre laissé d'elles, les faveurs de la Court » (Epistres morales, II, 3, p. 221) ?

Son rival, le comte de Saint-Géran, devient en 1619 maréchal de France puis chevalier du Saint-Esprit ; « il estoit de ces gens qui pretendent beaucoup, quoyqu'ils meritent fort peu », note Tallemant des Réaux (II, p. 633).

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SignetRetour en Savoie et rééditions

En octobre 1614, le frère d'Honoré d'Urfé, Jacques η, fait partie des représentants de la noblesse aux États généraux à Paris. Honoré, lui, est à Virieu η et à Turin. Il fréquente François de Sales, évêque de Genève, Jean-Pierre Camus η, évêque de Belley, et, bien sûr, Antoine Favre η, président du Sénat de Savoie. Ces trois hommes de lettres représentent fort bien les valeurs de la Contre-réforme par leur conception de la religion, et par leurs buts avoués de maîtres à penser - « docere, placere, movere ». Le style d'Honoré d'Urfé est moins didactique que celui de ses illustres amis, mais son œuvre est tout aussi instructive.

Pendant quelque temps, Honoré d'Urfé se lance dans la diplomatie et sert d'intermédiaire entre le prince de Condé et le duc de Savoie η. En février 1618, le romancier reçoit la plus haute décoration savoyarde, l'Ordre de l'Annonciade η. À la demande du Duc, il compose une ébauche d'art poétique, son « Jugemant sur l'Amedeide » de Chiabrera, un poème épique. Tout au début de 1619, d'Urfé souffre des yeux. Il guérit, pense-t-il, grâce à l'intercession du Père Favre η (ou Lefèvre), un jésuite dont la chapelle se trouve à Villaret η, mais qui ne sera canonisé qu'au XXIe siècle (par un pape jésuite). Honoré d'Urfé crée des fondations pour ce lieu saint où il se rendra chaque année en pèlerinage.

En 1619, d'Urfé est au sommet de sa carrière littéraire. Il séjourne à Paris quand ses premières œuvres sont rééditées. Il signe un nouvel accord avec ses éditeurs. Le Sireine et Les Espistres sont maintenant accompagnés d'extraits de L'Astrée pour bénéficier de la vogue du roman. Toussaint Du Bray présente

Le Sireine reveu, corrigé et augmenté de nouveau par l'auteur outre les précédentes impressions et autres poèmes du même auteur.

On y rencontre même les noms d'Astrée et de Céladon (Lallemand, p. 302) ! En même temps, Gilles Robinot fait suivre les très sérieuses Epistres morales de « lettres amoureuses tirees des Astrees ». Il intitule ce volume hybride qu'il achève d'imprimer le 6 août 1619 :

Epistres morales et amoureuses.

C'est l'édition que les Slatkine Reprints choisissent et diffusent en 1973.

Le 7 mai 1619 paraît la suite tant attendue du roman :

L'Astree de Messire Honoré d'Urfé. Troisiesme partie. A Paris, Chez Olivier de Varennes, rue St. Jacques a la Victoire. 1619. Privilège du 7 mai 1619. Édité dans ce site.

Elle est dédiée à Louis XIII. Le succès prodigieux de L'Astrée est confirmé avec une édition complète en trois volumes, qui s'ouvre sur un nouveau frontispice et deux portraits (Voir Illustrations).

16 SignetSurprise ! Cette volumineuse troisième partie est modifiée quelques mois plus tard. Les livres 3, 7 et 12 ont notablement changé dans une édition qui porte la date de 1620 et qui se dit à bon droit « Reveuë, corrigée, et augmentée de beaucoup en cette derniere Edition ». Comment expliquer ces corrections si rapprochées ?

En 1607, lors de la parution d'une première partie anonyme suivie de près par une première partie modifiée et signée, le lecteur pouvait croire que l'auteur n'avait pas consenti à une publication immédiate de son texte, ou qu'il avait remis la bonne copie avec du retard. Ce n'est pas du tout le cas de la troisième partie. L'édition de 1619 n'a rien d'une édition pirate, hâtive ou prématurée. Le romancier a sciemment modifié son œuvre après la parution, et il attachait assez d'importance aux changements pour les publier immédiatement avec une page de titre annonçant une modification (Voir Évolution).

17 SignetEn 1621, paraissent de nouveau les trois parties de L'Astrée. Toussaint Du Bray offre alors une édition partagée avec Olivier de Varennes ; ils divisent frais et bénéfices. L'épître à Henri IV trône maintenant au début de la première partie. Ce déplacement a induit en erreur quelques critiques (par exemple C. Vivanti, p. 95). Ils déduisent de cette dédicace mise à la place d'honneur que toute L'Astrée est un hommage rendu à Henri IV.

L'irremplaçable édition de 1621 se trouve aujourd'hui à la bibliothèque de l'Arsenal, à Paris. C'est celle que j'édite dans ce site parce que c'est la dernière parue avec un privilège du vivant d'Honoré d'Urfé (Voir Choix éditoriaux). Elle comprend la première et la deuxième partie, ainsi qu'une troisième partie explicitement revue :

L'ASTREE DE MESSIRE HONORE D'URFE, MARQUIS DE VERROME, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-morand, Chevalier de l'Ordre de Savoye, etc. OU PAR PLUSIEURS HISTOIRES ET sous personnes de Bergers et d'autres sont deduits les divers effects de l'honneste Amitié. TROISIESME PARTIE. Reveuë, corrigee, et augmentee de beaucoup en cette derniere Edition. Dedié au ROY. A PARIS, Chez TOUSSAINCT DU BRAY, rue S. Jacques, aux Espics-meurs : Et en sa boutique au Palais en la galerie des Prisonniers. 1621. AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Honoré d'Urfé n'a pas eu beaucoup de temps pour se réjouir de ses succès. En 1621, Anne η d'Urfé meurt. La mort de François de Sales le 28 décembre 1622 touche profondément Honoré d'Urfé. La dépouille du pieux évêque est emportée de Lyon à Annecy. Charles-Auguste de Sales, neveu de François, écrit :

Par les chemins, les peuples confluaient des bourgs, villes et villages, pour venir vénérer la sainte relique. Notamment, le très noble marquis d'Urfé courut en poste trois lieues de rencontre, à savoir depuis Virieu-le-Grand η, son château, jusques proches de Seissel, et mettant pied à terre, s'agenouilla humblement, vénéra le corps saint, avec beaucoup de dévotion, de tendresse et d'affection, embrassa la bière pitoyablement la larme à l'œil, et remontant à cheval, suivit honorablement ce triste spectacle environ une lieue (cité dans Boulangé, p. 314).

En 1624, c'est le meilleur ami d'Honoré, Antoine Favre η, qui décède.

Durant les années vingt, le prestige d'Honoré d'Urfé se confirme, et la Fortune rend service aux lecteurs de L'Astrée. À Turin, en 1623, le romancier s'entretient avec le jeune Olivier Patru (1604 - 1681), qui proposera des « Éclaircissements sur L'Astrée ». Toujours à Turin, d'Urfé rencontre le célèbre Anton Van Dyck (1599 - 1641), qui est à la Cour en 1624 (Michael Jaffé, mars 2007), et qui fera le portrait de l'auteur.

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18 SignetL'Année des surprises

En 1624, deux événements tout à fait inattendus qui se déroulent à des kilomètres du Forez affectent le destin de L'Astrée. En janvier, à Paris, une quatrième partie de L'Astrée paraît ; elle est incomplète et irrégulière (Voir Choix éditoriaux). En mars, en Allemagne, quarante-huit princes et princesses écrivent au romancier pour le féliciter et réclamer la suite du roman. Comment réagira Honoré d'Urfé ?

À Paris, le 24 mai 1624, les représentants du romancier intentent un procès à la nièce d'Honoré d'Urfé, celle qui a donné à un éditeur une quatrième partie incomplète. Le 3 février 1625, toujours au nom du romancier, ils obtiennent un privilège pour deux nouvelles η qu'Honoré n'a pas écrites. Ils se targuent d'avoir une quatrième partie complète et une pastorale dramatique, La Sylvanire. Ils prétendent jouir d'une procuration datée de Virieu η le 11 mars 1625 (Voir Choix éditoriaux). La chose est douteuse, car le 10 mars 1625, la veille, d'Urfé est à Châteaumorand. Il répond à la lettre que les princes allemands lui ont adressée l'année précédente en promettant de continuer son roman (Responce de l'Autheur).

SignetLa Sylvanire η, pastorale dramatique, dûment terminée et composée en vers libres paraîtra seulement deux ans après le décès d'Honoré d'Urfé.

La Sylvanire ou la Morte-vive. Fable bocagere de messire Honoré d'Urfé, Marquis de Bagé η et Verromé, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-Morand, et Chevalier de l'Ordre de Savoye, etc. À Paris, chez Robert Fouet, rue Saint Jacques. Au Temps, et à l'Occasion. 1627 η.

Pourquoi est-elle restée dans les tiroirs de son auteur ? Dédiée à Marie de Médicis η, La Sylvanire pourrait avoir été commandée en 1618 (Giavarini, p. IX, note 16). Elle pourrait avoir attendu en vain un véritable et durable retour en grâce de la Reine mère. On sait que depuis 1617 (assassinat de Concini et arrestation de Leonora Galigaï) les relations de Marie de Médicis η avec Louis XIII ont été souvent tendues. Devancée par une autre œuvre en vers libres, celle de Jacques Favereau η, La Sylvanire pourrait avoir été condamnée aux oubliettes par son auteur.

SignetLe 29 avril 1625, Honoré est en Savoie où il doit lever un régiment pour chasser les Espagnols de la Valteline η. L'armée est conduite par le fils du duc de Savoie η, Victor-Amédée η, époux de Chrétienne, fille d'Henri IV. Aux dires de Hardouin de Péréfixe, Victor-Amédée était « l'un des princes du monde qui avait le plus de capacité et de vertu » (p. 175). Il meurt fort jeune.

Le 16 mai, le Mercure de France rapporte la bataille d'Oneglia et nomme une dernière fois le « marquis de Châteaumorand » (p. 504), car le « marquis d'Urfé », c'est alors Jacques η, le frère aîné qui a succédé à Anne η.

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19 Signet La Mort

Honoré a 58 ans quand il agonise à Villefranche-sur-mer le 1er juin, des suites d'une chute de cheval peut-être. Comme son maître et ami, le duc de Nemours, Honoré d'Urfé ne meurt pas l'épée à la main. Il explique dans Les Epistres morales que le Duc, sur son lit de mort, a déclaré :

Il est bien plus honorable d'estre tué de la fievre que d'un soldat [...] mourir de la main d'un soldat, c'est tousjours estre inferieur en quelque sorte à un homme (I, 9, p. 76).

Nous ne saurons jamais comment et pourquoi d'Urfé franchit près de cent kilomètres pour aller du champ de bataille d'Oneglia à la résidence de son frère, Jacques d'Urfé η (Voir Cartothèque). Le 30 mai 1625, il dicte (« aurait dicté » serait plus exact !) un Testament en italien. Ce document avantage outrageusement son frère aux dépens de son épouse et de ses pupilles, les filles de Christophe d'Urfé η. Il sera contesté (Héritages). Le romancier trépasse entouré de son neveu, Charles-Emmanuel, et de la nièce que nous avons rencontrée plus haut, Gabrielle η. Ce testament renferme des invraisemblances gênantes et soulève des questions encore insolubles sur les relations d'Honoré d'Urfé avec Jacques η, devenu héritier universel. L'Inventaire du château de Virieu η, fait après le décès du romancier, nous apprend peu de chose sur les livres et manuscrits, sinon qu'ils sont tombés entre les mains de Jacques η d'Urfé.

La fortune, on le voit, ne sourit toujours pas à Honoré d'Urfé. Pas d'annonce de sa mort dans le Mercure françois en 1625. Pas de vers pour honorer sa mémoire. Pas d'hommage publié. Pas de témoignage d'un confident désintéressé. À la fin de sa vie, Ronsard η, lui, a confié ses œuvres à un ami fidèle, Jean Galland ; il a pris le temps de composer sa propre épitaphe ; des poètes lui ont érigé un tombeau littéraire. En 1606 encore, Desportes aussi a eu droit à un tombeau littéraire (Lavaud, p. 441). Autres temps, autres mœurs, dira-t-on. Néanmoins, l'isolement intellectuel de l'auteur de L'Astrée me semble tragique.

20 Signet

Ecusson

AUX

DIEUX MANES

ET
A LA MEMOIRE ETERNELLE
DU PLUS AYMABLE BERGER
DE LIGNON 

Annonciade

Épitaphe composée par Silvandre pour le cénotaphe de Céladon
L'Astrée (II, 8, 552).

Le blason d'Honoré d'Urfé et le collier de l'Ordre de l'Annonciade η,
dessinés par Arnaud Bunel,
viennent de son ancien site, Héraldique européenne (consulté le 30 septembre 2010).

Les armes réunies au collier de trouvent maintenant à cette adresse (20 mai 2014),
avec les armes de Jacques II et de Charles-Emmanuel d'Urfé η.

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