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Liminaires
Bibliothèque Mazarine, 8° 63931-3
Voir Illustrations.
[page blanche]
Éd. Vaganay, III, p. 3 et 4.
AU ROY
SIRE ;
Cette Bergere qui s'oze presenter maintenant devant vos yeux, est celle‑là mesme qui autres-fois prenant une semblable hardiesse, fut receuë avec tant de faveurs, par HENRY LE GRAND, de tres-heureuse et tres‑glorieuse memoire, Pere de vostre Majesté : J'avois creu en la luy dédiant, que cette
ASTREE, que la sage Antiquité a tousjours prise pour la JUSTICE, se devoit offrir à celuy qui par ses armes luy avoit donné envie de descendre du Ciel, pour revenir dans les Gaules son ancienne et plus agreable demeure η : Mais aussi tost qu'elle a oüy le nom de Lôys, que vostre Majesté porte, elle a incontinent jugé qu'elle estoit bien plus obligée de se donner toute à vous, SIRE, puis que par l'election dune tres‑heureuse destinée, s'il est vray que les LOIS soient une mesme chose que la JUSTICE, vostre nom glorieux et le sien, ne signifient qu'une mesme chose : celuy de LOYS η ne pouvant estre escrit, que l'on n'y lise aussi cette sacree parole de LOYS η. Considerant cette heureuse rencontre de vostre Nom, avec vostre loüable inclination : j'avoüe que je l’ay prise pour
un infaillible augure, que comme nous avons eu un HENRY LE GRAND, par qui la France chancelante avoit esté relevee et r'afermie, ou pour mieux dire, par qui estant perduë elle avoit este reconquise ; de mesme nous verrons en nos jours un LOYS LE JUSTE, qui luy rendra sa premiere splendeur, et la maintiendra en son ancienne Majesté, avec tant de prudence et d'équité, que ce Regne ne sera pas moins admirable ny redoutable, par les solides fondemens d’une durable Paix, que celuy qui est passé l'a esté par la force et par les armes. Dieu qui a tousjours maintenu la Couronne que vous portez avec des particuliers soings, par dessus toutes les autres de la Terre, augmentera le nombre de ses Graces en vostre Majesté, tant que cette ASTREE sera en vostre ame et en vos
desseins, et tant que l'espee que vous aurez au costé ne sera employee que pour la maintenir, on ne tranchera η que par ses mains. Ne l'esloignez donc point de vous, SIRE, mais au contraire, à l'imitation de ce Grand Roy, Pere η de vostre Majesté, aymez-la, et la cherissez avec une tres certaine asseurance, que tant que vous reiglerez vos actions à son exemple, vous acquerrez une extreme gloire par-dessus tous les Princes de la Terre, une tres grande Amour parmy vos Peuples, et une infinie benediction de la main de Dieu. Toute l'Europe attend ces effects de vostre Majesté. Tous les François les esperent, et tous bons et fideles sujets les souhaitent ; et moy, SIRE, en cette qualité η, j'en supplie Dieu, avec tous ceux qui desirent la grandeur de vostre Couronne, le repos de vos Peuples,
et la gloire de vostre Nom, comme celuy qui sera à jamais,
SIRE,
Tres-humble, tres-fidele, et
tres-affectionné serviteur
et sujet de vostre Majesté,
HONORÉ D'URFÉ.
BMVR Alcazar. Cote 80173 (réserve).
Dans l'édition de 1619 la gravure est identique. On y lit aussi « Ludovic Bobrun delin. » et « I. Briot fecit ». Voir Illustrations.
L'AUTHEUR
A la Riviere de LIGNON.
BELLE et agreable riviere de Lignon, sur les bords de laquelle j'ay passé si heureusement mon enfance, et la plus tendre partie de ma premiere jeunesse, quelque payement que ma plume ayt pu te faire, j'avoüe que je te suis encore grandement redevable, pour tant de contentemens η que j'ai receus le long de ton rivage, à l'ombre de tes arbres fueillus, et à la fraischeur de tes belles eaux, quand l'innocence de mon aage me laissoit jouyr de moymesme, et me permettoit de gouster en repos les bon-heurs et les felicitez que le Ciel d'une main liberale respandoit sur ce bienheureux Pays, que tu arrozes de
tes claires et vives ondes : mais il faut que tu croyes pour ma satisfaction, que s'il me restoit encore quelque chose avec laquelle je te pusse mieux tesmoigner le ressentiment que j'ay des faveurs que tu m'as faictes, je serois aussi prompt à te la presenter, que de bon cœur j'en ay receu les obligations et les contentemens : Et pour preuve de ce que je dis, ne pouvant te payer d'une monnoye de plus haut prix, que de la mesme que tu m'as donnee, je te vouë et te consacre, ô mon cher LIGNON, toutes les douces pensees, tous les amoureux souspirs, et tous les desirs plus ardens, que η durant une saison si heureuse ont occupé mon ame de si doux entretiens, qu'à jamais le souvenir en vivra dans mon cœur. Que si tu as aussi bien la memoire des agreables occupations que tu m'as donnees, comme tes bords ont esté bien souvent les fideles secretaires de mes imaginations, et des douceurs d'une vie si desirable, je m'asseure que tu recognoistras aysément
qu'à ce coup je ne te donne, ny t'offre rien de nouveau, et qui ne te soit desja acquis, depuis la naissance de la passion que tu as veuë commencer, augmenter, et parvenir à sa perfection le long de ton agreable rivage ; et que ces feux, ces passions, et ces transports, ces desirs, ces souspirs, et ces impatiences sont les mesmes, que la Beauté qui te rendoit tant estimé par dessus toutes les Rivieres de l'Europe, fit naistre en moy durant le temps que je frequentois tes bords, et que libre de toute autre passion, toutes mes pensees commençoient et finissoient en elle, et tous mes desseins et tous mes desirs se limitoient à sa volonté. Et si la memoire de ces choses passees t'est autant agreable que mon ame ne se peut rien imaginer qui luy apporte plus de contentement, je m'asseure qu'elles te seront cheres, et que tu les conserveras curieusement dans tes demeures sacrees η, pour les enseigner à tes gentilles Nayades, qui peut estre prendront plaisir de les raconter quelquefois,
la moitié du corps hors de tes fraisches ondes aux belles Dryades, et Napees, qui le soir se plaisent à danser au clair de la Lune parmy les prez qui emaillent ton rivage d'un perpetuel Printemps de fleurs : Et quand Diane mesme avec le chaste Chœur de ses Nymphes η viendroit apres une penible chasse, despouiller ses sueurs η dans ton sein, ne fay point de difficulté de les raconter devant elles, et sois asseuré, ô mon cher LIGNON, qu'elles n'y trouveront une seule pensee qui puisse offencer leurs chastes et pudiques oreilles. Le feu η qui alluma cette affection fut si clair et beau, qu'il n'eut point de fumee,
et l'embrazement si pur et net, qu'il ne laissa jamais noirceur apres sa bruslure en pas une de mes actions, ny de mes desirs.
Que s'il se trouve sur tes bords quelque ame severe, qui me reprenne d'employer le temps à ces jeunes pensees, maintenant que tant d'Hyvers ont depuis neigé dessus ma teste, et que de plus solides
viandes devroient desormais repaistre mon esprit, Je te supplie, ô mon cher LIGNON, respons luy pour ma deffence, Que les affaires d'Estat ne s'entendent que difficilement, sinon par ceux qui les manient : Celles du Public sont incertaines, et celles des Particuliers bien cachees, et qu'en toutes la verité est odieuse η. Que la Philosophie est espineuse ; la Theologie chatoüilleuse, et les sciences traittees par tant de doctes personnages, que ceux qui en nostre siecle en veulent escrire courent une grande fortune, ou de desplaire, ou de travailler inutilement, et peut-estre de se perdre eux-mesmes, aussi bien que le temps et le soin qu'ingratement ils y employent. Mais qu'outre cela, il faut qu'elle sçache η, que les nœuds dont je fus lié dés le commencement sont Gordiens, et que la mort seule en peut estre l'Alexandre ; Que le feu qui me brusla est semblable à celuy qui ne se pouvoit estaindre que par la terre, et que celle de
mon tombeau seule en peut estouffer la flame : de sorte que l'on ne doit trouver estrange si la cause ne cessant point, l'effet ne continuë encore : que ny les Hivers passez, ny tous ceux qu'il plaira à mon destin de redoubler à l'avenir sur mes annees, n'auront jamais assez de glaçons, ny de froideurs pour geler en mon ame les ardentes pensees d'une vie si heureuse : Ny je ne croiray point pouvoir jamais trouver une plus forte nourriture que celle que je recois de son agreable ressouvenir, puis que toutes les autres qui depuis m'ont esté diverses fois presentees, m'ont toujours laissé avec un si grand desgoustement, et avec un estomach si mal disposé, que je tiens pour une maxime tres-certaine, LA PEINE, L'INQUIETUDE, ET LA PERTE DU TEMPS DES ACCIDENS INSPERABLES DE L'AMBITION η. Et au contraire, AYMER, que nos vieux et tres-sages Peres disoient AMER, qu'est-ce autre chose qu'abreger le
mot d'ANIMER, c'est à dire, faire la propre action de l'Ame. Aussi les plus sçavans η ont dict il y a long temps, qu'elle vit plustost dans le corps qu'elle ayme, que dans celuy qu'elle anime. Si Aymer est donc la vraye et naturelle action de nostre ame, qui est le severe Censeur qui me pourra reprendre de repasser par la memoire les cheres et douces pensees des plus agreables actions que jamais ceste Ame ayt produites en moy ? Que personne ne trouve donc mauvais si je m'en ressouviens aussi long temps que je vivray ; et de peur que mesme par ma mort elles ne cessent de vivre, je te les remets, ô mon cher et bien aymé LIGNON, afin que les conservant et les publiant, tu leur donnes une seconde vie, qui puisse continuer autant que la source eternelle te produit, et que par ainsi elles demeurent à la posterité aussi longuement que dans la France l'on parlera François η.
Le Privilege du Roy est inseré à la fin du Livre.
Astrée, III, 1620,
BMVR Alcazar. Cote 80173 (réserve).
Dans l'édition de 1619 la gravure est identique. On y lit aussi « Ludovic Bobrun delin. » et « I. Briot fecit ». Voir Illustrations.