Banderole
Première édition critique de L'Astrée d'Honoré d'Urfé
L'Astrée, 1621, Première partie.
Arsenal-magasin, 8°BL - 20631 (1)
doigt_gLivre 11 doigt_dTables

Édition de 1607, 481 recto (sic pour 381 recto).
Édition de Vaganay, p. 455.

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Livre douzième

LE
DOUZIESME LIVRE
DE LA PREMIERE
Partie d'Astree.

  Dés que Ξla pointe du le jour commença de poindre, Leonide, suivant la resolution que le soir Adamas, sa compagne η, et Celadon avoient prise ensemble, vint trouver le Berger dans sa chambre, afin de luy mettre l'habit que son oncle luy avoit apporté. Mais le petit Meril, qui par le commandement de Galathée, demeuroit presque d'ordinaire avec Celadon, pour espier les actions de Leonide, autant que pour servir le Berger, les empescha long temps de le pouvoir faire, en fin quelque bruit qu'ils ouyrent dans la court fit sortir Meril pour leur en rapporter des nouvelles. Tout incontinent Celadon se leva, et la Nymphe (voyez à quoy l'Amour la faisoit abaisser) luy ayda à s'habiller, car il n'eust sçeu sans elle s'approprier Ξces ses habits. ΞVoyla Voila peu apres le petit Meril, qui revint si courant qu'il faillit de les surprendre ; toutefois

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Celadon qui s'y prenoit garde, entra dans une garderobbe Ξen attendant qu'il s'en retournast. Il ne Ξfut plutost fust plustost entré qu'il ne demanda où estoit Celadon. - Il est dans ceste garderobbe, dit la Nymphe, il ressortira incontinent, mais que luy veux-tu ? - Je voulois, respondit le garçon, luy dire que Amasis vient d'arriver ceans. Leonide fut un peu surprise, Ξcraignant de ne pouvoir Ξparachever achever ce qu'elle avoit commencé, toutefois pour s'en conseiller à Celadon, elle dit à Meril : - Petit Meril, je te prie va courant en advertir Madame, car peut estre elle sera surprise. L'enfant s'y en courut, et Celadon sortit riant de ces nouvelles. - Et quoy, dit la Nymphe, vous riez Celadon, de ceste venuë ? Vous pourriez bien estre empesché. - Tant s'en faut, dit-il, continuez seulement de m'habiller, car dans la confusion de tant de Nymphes, je pourray plus aysement me desrober. Mais cependant qu'ils estoient bien attentifs à leur besoigne, Ξvoyla voila Galathée qui entra si à l'improveuë que Celadon ne pût se retirer au cabinet. Si la Nymphe demeura estonnée de cet accident, et Celadon aussi, vous le pouvez juger ; toutefois la finesse de Leonide fut plus grande, et plus prompte qu'il n'est pas croyable, car voyant entrer Galathée, elle retint Celadon qui se vouloit cacher, et se tournant Ξà vers la Nymphe faisant bien l'empeschée : - Madame, luy dit-elle, s'il ne vous plaist de faire en sorte que Madame ne vienne icy nous sommes perduës ; quant à moy je

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feray bien tout ce que je pourray pour desguiser Celadon, mais je crains de n'en pouvoir pas venir à bout. Galathée, qui au commencement ne sçavoit que juger de ceste Metamorphose, loüa l'esprit de Leonide d'avoir inventé ceste Ξruse ruze, et s'approchant d'eux se mit à considerer Celadon, si bien Ξ*dissimulé déguisé sous cet habit, qu'elle ne Ξpût peut η s'empescher de rire, et respondit à la Nymphe : - ΞMa mie M'amie, nous estions perduës sans vous, car il n'y avoit pas moyen de cacher ce Berger à tant de personnes qui viennent avec Amasis, estant vestu de cét habit, non seulement nous sommes Ξassurées asseurees, mais encor je veux le faire voir à toutes vos compagnes, qui le prendront pour fille. ΞEt Puis elle passoit d'un autre costé, et le consideroit comme ravie, car sa beauté par ces agencemens paroissoit beaucoup plus. Ce pendant Leonide, pour mieux joüer son personnage, luy dit qu'elle s'en Ξ*devoit pouvoit aller de peur qu'Amasis ne les surprist. Ξet Ainsi la Nymphe, apres avoir resolu que Celadon se diroit parente d'Adamas, nommee Lucinde, Ξelle sortit pour entretenir sa mere, apres avoir commandé à Leonide de la conduire où elles seroient, aussi tost qu'elle l'auroit vestuë. - Il faut advoüer la verité, dit Celadon apres qu'elle s'en fut allée, de ma vie je ne fus si estonné, que j'ay esté de ces trois accidents : de la venuë d'Amasis, de la surprise de Galathee et de vostre prompte invention. - Berger, ce qui est de moy, dit-elle, procede de la volonté

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que j'ay de vous sortir de peine, et Ξplust pleust à Dieu que tout le reste de vostre contentement en Ξdespendist dependist aussi bien que Ξcelui-cy cecy, vous Ξcognoistriez connoistriez quel est le bien que je vous veux. - Pour remerciement de tant d'obligation, respondit le Berger, je ne puis que vous offrir la vie que vous me conservez. Avec semblables discours, ils s'alloient entretenant, lors que Meril entra dans la chambre, et voyant Celadon presque vestu, il en fut ravy, et dit : - Il n'y a personne qui puisse le Ξrecognoistre reconnoistre, et moy-mesme qui suis tous les jours pres de Ξlui luy, ne croirois point que ce fust luy, si je ne le voyois habiller. Celadon luy respondit : - Et qui t'a dit que je me Ξdesguisois déguisois ainsi ? - C'est, respondit-il, Madame qui m'a commandé de vous nommer Lucinde, et que je disse que vous estiez parente d'Adamas, et mesme m'a envoyé tout incontinent vers le Druide pour l'en advertir, qui ne s'est Ξpeu empescher d'en rire quand il l'a sçeu, et m'a promis de le faire comme Madame l'ordonnoit. - Voila qui Ξest va bien, dit le Berger et garde de t'en oublier. Cependant Amasis estant descenduë du Chariot, Ξrencontra rencontre Galathee au pied de l'Ξeschalier escalier, avec Sylvie et Adamas. - Ma fille, luy dit-elle vous estes trop long temps en vostre solitude, il faut que je vous Ξdesbauche debauche un peu, Ξet veu mesmes que les nouvelles que j'ay euës de Clidaman, et de Lindamor, me resjouïssent de sorte, que je n'ay Ξpeu en jouïr seule plus longuement, c'est pourquoy je viens vous en faire part

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et veux que vous reveniez avec moy à Marcilly, où je Ξfaits fais faire les feux de joye, de si bonnes nouvelles. - Je louë Dieu, respondit Galathée, de tant de Ξbon-heurs bon-heur, et le supplie de Ξles le vous conserver un siecle. Mais à la verité Madame, ce lieu est si agreable, qu'il me fait soucy de le laisser. - Ce ne sera pas repliqua Amasis, pour long temps, mais Ξparce par ce que je ne veux m'en retourner que sur le soir, allons nous promener, et je vous diray tout ce que j'ay appris. Alors Adamas luy baisa la robbe, et luy dit : - Il faut bien, Madame, que vos nouvelles soient bonnes, puis que pour les dire à Madame vostre fille, vous estes partie si matin. - Il y a des-ja, dit-elle, deux ou trois jours η que je les receus, et fis incontinent resolution de venir, car il ne me semble pas que je puisse joüir d'un contentement toute seule, et puis certes la chose merite bien d'estre sceuë. Avec semblables discours elle descendit dans le jardin, où commençant son promenoir, ayant mis Galathée d'un costé, et Adamas de l'autre, elle reprit de ceste sorte.


Histoire de Lydias
et de Melandre

  Considerant les estranges accidents qui arrivent par l'Amour, il me semble que l'on est presque contraint d'Ξavoüer avouër que si la

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Ξ(Guillemets de "fortune" à occasion".) fortune a plusieurs rouës pour hausser et baisser, pour tourner et changer les choses
  " humaines, la roüe d'Amour est celle dont
  " Ξil elle se sert le plus souvent, car il n'y a rien
  " d'où l'on voye sortir tant de changements,
  " Ξqu'à son occasion que de ceste passion. Les exemples en sont
  " tous les jours devant nos yeux si communs,
que Ξles redire seroit superflu ce seroit superfluité de les redire, Ξtoutefois toutesfois il faut que vous advoüyez, quand vous aurez entendu ce que je veux dire, que cet accident est un des plus remarquables que vous en ayez encores ouy raconter. Vous sçavez comme Clidaman par hazard devint serviteur de Sylvie, et comme Guiemants, par la lettre qu'il luy porta de son frere en devint aussi amoureux. Je m'Ξassure asseure que depuis vous n'avez point ignoré le dessein qui les fit partir tous deux si secrettement pour aller trouver Meroüé, ny que pour ne laisser point Clidaman seul en lieu si esloigné, j'envoyay apres luy sous la charge de Lindamor une partie des jeunes Chevaliers de ceste contrée. Mais difficilement pourrez vous avoir entendu ce qui leur est advenu Ξet aux uns et aux autres depuis qu'ils sont partis, et c'est ce que je veux vous raconter à cét heure, car il n'y a rien qui ne merite d'estre Ξsceu sçeu. Soudain que Clidaman fut arrivé en l'armée, ΞGuiemans Guiemants, qui y estoit fort Ξcognu connu, luy fit baiser les mains à Meroüé, et à Childeric, et sans leur dire Ξquel qui il estoit, leur fit seulement entendre que c'estoit un jeune Chevalier de bonne maison qui desiroit de les servir ; ils furent receus Ξles à

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bras ouverts, et principalement pour estre venus en un temps, que leurs ennemis s'estant renforcez reprenoient courage, et les menaçoient d'une bataille. Mais quand Lindamor fut arrivé, et qu'on Ξsceut sçeust qui estoit Clidaman, Ξil ne se peut on ne sçauroit dire l'honneur, ny les caresses qui luy furent Ξfaittes faites, car desja en trois ou quatre rencontres il s'estoit tellement signalé, que les amis, et les ennemis le Ξcognoissoient connoissoient, et l'estimoient. Entre autres prisonniers qu'ils firent, luy et Guiemants, car ils alloient tousjours en toutes leurs entreprises ensemble, il s'y en trouva un jeune de la Ξgrand grande Bretagne, tant beau, mais tant triste qu'il fit pitié à Clidaman, et parce que plus il demeuroit en ceste captivité, et plus il faisoit paroistre d'ennuy, un jour il le fit appeller, et apres l'avoir enquis de son estre, et de sa qualité, il luy demanda l'occasion de sa tristesse, disant que si elle procedoit de la prison, il devoit, comme homme de courage, supporter semblables accidents, et que tant s'en faut il devoit remercier le Ξciel Ciel, qu'il l'eust fait tomber entre leurs mains, puis qu'il estoit en lieu où il ne recevroit que toute courtoisie, et que l'esloignement de sa liberté ne procedoit que du commandement de ΞMeroüé Meroüée, qui avoit deffendu que l'on ne mist point encores de prisonniers à rançon, et que quand il le leur permettroit, Ξqu'alors il verroit Ξquelle qu'elle η estoit leur courtoisie. Ce jeune homme le remercia, mais Ξtoutefois toutesfois ne Ξpût peut η s'empescher de souspirer, dont Clidaman plus esmeu

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encores luy en demanda la cause, à quoy il respondit : - Seigneur Chevalier, ceste tristesse que vous voyez Ξpainte peinte en mon visage, et ces souspirs qui se Ξdesrobent dérobent si souvent de mon Ξestomach estomac, ne procedent pas de ceste prison, dont vous me parlez, mais d'une autre qui me lie Ξbien plus si estroittement ; car Ξde celle-cy, le temps ou la rançon me peuvent desobliger le temps ou la rançon me peuvent desobliger de celle-cy, mais de l'autre, il n'y a rien que la mort qui m'en puisse retirer. Et Ξtoutefois toutesfois Ξdautant d'autant que j'y suis resolu encores la supporterois-je avec patience, si je n'en prevoyois la fin trop prompte, non pas par ma mort seule, mais par la perte de la personne qui me tient pris si estroittement. Clidaman jugea bien à ses paroles que c'estoit Amour qui le travailloit, et par la preuve qu'il en faisoit en luy mesme, considerant le mal de son prisonnier, il en eut tant de pitié, qu'il l'Ξassura asseura de procurer sa liberté le plus promptement qu'il luy seroit possible, sçachant assez par experience quelles sont les passions, et les inquietudes qui accompagnent une personne qui ayme bien. - Puis, luy dit-il, que vous sçavez que c'est qu'ΞAmour amour, et que vostre courtoisie m'oblige à croire, que Ξquelle cognoissance quelque connoissance que vous puissiez avoir de moy, ne vous fera changer ceste bonne volonté, Ξafin à fin que vous jugiez le Ξsubjet sujet que j'ay de me plaindre, voire de me desesperer, voyant le mal si prochain, et le remede tant esloigné, pourveu que vous me promettiez de ne me Ξpoint deceller decouvrir, je vous diray des choses, qui sans doute

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vous feront estonner, et lors le luy ayant promis, il commença de ceste sorte :
  - Seigneur Chevalier, cet accoustrement que vous me voyez n'est pas le mien propre, mais Amour qui Ξa autresfois vestu η des hommes en femmes, se joüe de moy de ceste sorte et m'ayant fait oublier en partie ce que j'estois, m'a revestu d'un habit contraire au mien, car je ne suis pas homme, mais fille d'une des bonnes maisons de Bretaigne, et me nomme Mellandre, venuë entre vos mains par la plus grande fortune qui Ξayt ait jamais esté conduite Ξde par l'Amour. Il y a quelque temps qu'un jeune homme nommé Lydias vint à Londres fuitif de son Ξpaïs pays, à ce que j'ay Ξsceu sçeu depuis, pour avoir tué son ennemy en camp clos. Tous deux estoient de Ξ*ces peuples ceste partie de la Gaule Ξappellée qu'on appelle Neustrie, mais Ξparce par ce que le mort estoit apparenté des plus grands d'entre eux, il fut contraint de sortir du Ξpaïs pays, pour éviter les rigueurs de la justice. Ainsi donc parvenu à Londres comme c'est la coustume de nostre nation, il y trouva tant de Ξcourtoysie courtoisie, qu'il n'y avoit bonne maison, où il ne fust incontinent Ξfamillier familier ; entre autres il vivoit aussi Ξfamilierement privément chez mon pere, que s'il eust esté chez luy. Et parce qu'il faisoit dessein de demeurer là aussi longuement que le retour en sa patrie luy seroit interdit, il delibera de faire semblant d'Ξaimer aymer quelque chose, afin de Ξmieux se conformer se conformer mieux à l'humeur de ceux de la Ξgrand Bretaigne grande Bretaigne qui Ξtous ont ont tous quelque particuliere Dame. En ceste

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resolution il tourna, je ne sçay si je dois dire Ξpour par bonne ou mauvaise fortune, les yeux sur moy, et fust qu'il me trouva ou plus à son gré, ou plus à sa commodité, il commença de se monstrer mon serviteur. Quelles dissimulations, quelles recherches, quels serments furent ceux Ξqu'il usa avec moy dont il usa en mon endroit ! Je ne veux vous ennuyer par un trop long discours ; tant y a qu'apres une assez longue recherche, car il y demeura deux ans, Ξce fut à bon escient de mon costé, dautant je l'aimay sans dissimulation, d'autant que sa beauté, sa courtoisie, sa discretion, et sa valeur estoient de trop grands attraits pour ne vaincre avec une longue Ξ*pratique recherche toute ame pour barbare qu'elle fust. Je ne rougiray donc de l'advouër à une personne qui a esprouvé l'Amour, Ξ*car il est tout certain ny de dire que ce commencement Ξlà fut la fust la fin de mon repos. Or les choses estant en cet estat, et vivant avec tout le contentement que peut une personne qui Ξayme aime et qui est Ξassurée asseurée de la personne aymée, Ξne voila pas que ces Françons il advint que les Francs apres avoir gaigné tant de batailles contre les Empereurs Romains, contre les Gots, et contre les Gaulois, tournerent leurs armes contre les Neustriens, et les Ξreduirent reduisirent à tels termes, qu'a cause qu'ils sont nos anciens alliez, ils furent Ξcontraints contrains d'envoyer à Londres pour demander secours Ξlequel qui suivant l'alliance Ξfaitte faite entre-eux et ceux de la grande Bretagne, leur fut accordé et par le Roy, et par les Estats. Soudain ceste nouvelle fut divulguée par tout le Royaume, et nous qui estions en la principale ville, en fusmes Ξdes premiers advertis ; advertis

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des premiers ; et dés l'heure mesme Lydias commença de penser à son retour, s'Ξassurant asseurant que ceux de sa patrie ayant affaire de ses semblables, l'absoudroient facilement de la mort d'Aronte. Toutefois, Ξparce par ce qu'il m'avoit tousjours promis de ne s'en point aller qu'il ne m'emmenast avec luy, ce que le malicieux avoit fait pour me tromper, et de peur que je misse empeschement Ξà a son départ, il Ξ(Guillemets de "me" à "quelques".) me cacha son dessein, mais comme il n'y a feu η si secrettement couvert, dont il ne sorte quelque fumée, aussi n'y a t'il rien de si secret dont quelque chose ne se Ξdescouvre découvre, et par ainsi quelques uns sans y penser me le dirent. Aussi tost que je le sceus, la premiere fois que je le vis, je le tiray à part : - Et bien luy dis je, Lydias, avez vous resolu que je ne sçache point que vous me laissez ? Croyez vous mon amitié si foible qu'elle ne puisse soustenir les coups de vostre fortune ? Si vos affaires veulent que vous retourniez en vostre patrie, pourquoy ne permet vostre amitié que je m'en aille avec vous ? Demandez moy à mon pere, je m'Ξassure asseure qu'il sera bien aise de nostre alliance, car je sçay qu'il vous aime ; mais de me laisser seule icy, avec vostre foy parjure, non Lydias, croyez moy, ne commettez point une si grande faute, car les Dieux vous en puniront. Il me respondit froidement, qu'il n'avoit point pensé a son retour, et que toutes ses affaires ne luy estoient rien au prix du bien de ma presence, que je l'offensois d'en Ξdoutter douter, mais que ses actions me contraindroient

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de l'advoüer. Et toutefois ce parjure deux jours apres s'en alla avec les premieres Ξtroupes trouppes qui partirent de la Ξgrand Bretaigne grand' Bretagne, et Ξprint prit son temps si a propos, qu'il arriva sur le bord de la mer le mesme jour qu'ils devoient partir, et ainsi s'embarqua avec eux. Nous fusmes incontinent advertis de son départ ; toutefois je m'estois tellement figurée qu'il m'aimoit, que je fus la derniere qui le Ξcreut creust, de sorte qu'il y avoit plus de huit jours qu'il estoit party, que je ne me pouvois persuader qu'un homme si bien nay fust si trompeur, et ingrat. En fin un jour s'escoulant apres l'autre sans que j'en eusse aucune nouvelle, je recognus que j'estois trompée, et que veritablement ΞLydias Lidias estoit party. Si alors mon Ξennui ennuy fut grand, jugez le, Seigneur Chevalier, puis que tombant malade je fus reduitte Ξà a tel terme, que les medecins ne cognoissant mon mal, en desespererent, et m'abandonnant me Ξ(Guillemets de "tenoient" à "resolutions".) tenoient comme morte ; mais Amour qui voulut monstrer sa puissance, et qu'il est mesme meilleur medecin qu'ΞÆsculape Esculape, me guerit par un estrange antidote, et voyez comme il se plaist aux effets qui sont contraires à nos resolutions ; lors que je sceus la fuitte de Lydias, car en verité elle pouvoit se nommer ainsi, je m'en Ξressentis sentis de telle sorte offensée, qu'apres avoir invoqué mille fois le Ξciel Ciel, comme tesmoin de ses perfidies, je juray que je ne l'aimerois jamais autant de fois qu'il m'avoit juré de m'aimer à jamais, et je puis dire que nous fusmes aussi Ξparjure parjures l'un que l'autre, car lors que ma haine

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estoit en sa plus grande Ξ*ferveur fureur, ne voyla pas Ξarriver un batteau un vaisseau qui venoit de Callais, pour Ξrapporter r'apporter que le secours y estoit arrivé heureusement, Ξpar lequel nous sceusmes qui nous dit que Lydias y avoit passé, en intention de faire la guerre avec ceux de la Ξgrand Bretaigne grande Bretaigne, mais qu'aussi tost que le gouverneur du lieu Ξl'avoit veu, parce qu'il s'estoit trouvé parent d'Aronte (qui s'estoit trouvé parent d'Aronte) en avoit esté adverty, il l'avoit fait mettre en prison comme ayant esté desja auparavant Ξcondanné condamné, Ξque l'on qu'on le tenoit pour perdu, Ξd'autant par ce que ce gouverneur Ξ*outre le parentage estoit fort amy d'Aronte, comme celuy à qui il avoit fait dessein de donner tout son bien, que toutefois avoit un tres-grand credit parmi les Neustriens, qu'à la verité il y avoit un moyen de le sauver, mais si difficile qu'il n'y avoit personne qui le voulust hazarder, et qui estoit tel. Aussi tost que Lydias se vit saisi, il η luy demanda comment un Chevalier plein de tant de reputation comme luy, vouloit venger ses querelles par la Ξvoie voye de la justice, et non point par les armes ; car c'est une coustume entre les Gaulois de ne recourre jamais à la justice en ce qui offense l'honneur, mais au combat, et ceux qui font autrement sont tenus pour deshonorez. Lypandas, qui est le nom de ce gouverneur, luy respondit qu'il n'avoit point tué Aronte en homme de bien, et que Ξ*si Lydias n'estoit attaint de la justice, qu'il le luy feroit paroistre, mais pour estre honteux de le battre avec un homme ainsi taxé, que s'il n'estoit condamné par la justice, il le luy maintiendroit avec les armes, mais qu'estant honteux de se battre avec un criminel, s'il y avoit quelqu'un de ses amis qui Ξle voulust faire se presentast pour luy, il s'offroit de le combattre sur ceste querelle ; que s'il y estoit vaincu, il le mettroit en liberté, qu'autrement la justice en seroit Ξfaitte faite, et que pour donner

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loisir Ξaux à ses parents et amis Ξde Lydias , il le garderoit un mois en sa puissance ; que si personne ne se presentoit dans ce temps, il le remettroit entre les rigoureuses mains des anciens de Rothomague, pour estre traitté selon ses merites ; et Ξqua'fin qu'afin qu'il n'y Ξeust eut point d'avantage pour personne, il vouloit que ce combat se fist avec l'espée et le poignard, et en chemise. Mais que Lypandas estant estimé l'un des plus vaillans hommes de toute la Neustrie, il n'y avoit personne qui eust la hardiesse d'entreprendre ce combat, outre que les amis de Lydias n'en Ξestant estans pas advertis, Ξils ne pouvoient luy rendre ce bon office. O Seigneur Chevalier, quand je me ressouviens des contrarietez qui me Ξcombattirent combatirent oyant ces nouvelles, il faut que j'advouë que je ne fus de ma vie si confuse, non pas mesme quand ce perfide me Ξ(Guillemets de "laissa" à "paye".) laissa. Alors Amour voulut que je Ξrecognusse recogneusse les propositions Ξfaittes faites contre luy estre plus impuissantes quand il vouloit, que les flots n'aboyent en vain contre un rocher pour l'Ξesbranler ébranler η, car il fallut pour payer le tribut d'Amour, recoure à l'ordinaire monnoye dont l'on paye ses imposts, qui sont les larmes. Mais apres avoir longuement, et vainement pleuré l'Ξinfidele infidelle Lydias, il fallut en fin que je me resolusse à sa conservation, quoy qu'elle me deust couster et le repos et l'honneur. Et transportée de ceste nouvelle fureur, ou Ξplutost plustost de ce renouvellement d'Amour, je resolus d'aller à Calais en intention de trouver là les moyens d'advertir

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les parents, et les amis de Lydias ; et Ξainsi donnant ordre le plus secrettement qu'il me fut possible à mon voyage, une Ξnuit nuict je me Ξdesrobay dérobay en l'habit que vous me voyez. Mais la fortune fut si mauvaise pour moy, que je demeuray plus de quinze jours sans trouver vaisseau qui allast de ce costé là. Je ne sçay que devindrent mes parents me trouvant partie, car je n'en ay point eu de nouvelle depuis ; bien m'Ξassuray asseure η-je que la vieillesse de mon pauvre pere n'aura Ξpeu resister à ce Ξdesplaisir déplaisir, car il m'aimoit plus tendrement que luy-mesme, et m'avoit tousjours nourrie si soigneusement, que je me suis plusieurs fois estonnée comme j'Ξaye pû ay peu souffrir les incommoditez que depuis mon Ξdépart d'épart j'ay supportées en ce voyage, et faut dire que c'est Amour, et non pas moy. Mais pour reprendre nostre discours, apres avoir attendu quinze ou seize jours sur le bord de la mer, en fin il se presenta un vaisseau avec lequel j'arrivay à Calais, lors qu'il n'y avoit plus que cinq ou six jours du terme que Lypandas luy avoit donné. ΞMais Le branle du vaisseau m'avoit de sorte estourdie que je fus contrainte de Ξ*tenir garder le lict deux jours, si bien qu'il n'y avoit plus de temps de pouvoir advertir les Ξparents parens de Lydias, ne sçachant mesme Ξquels qu' ηils estoient, ny où ils se tenoient. Si cela me troubla, vous le pouvez juger, parce mesme qu'il sembloit que je fusse venuë tout à propos pour Ξvoir mourir Lydias le voir mourir, et pour assister à ses funerailles. Dieux, comment vous disposez de nous ! J'estois tellement outrée de ce desastre

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que jour et Ξnuit nuict les larmes estoient en mes yeux. En fin le jour avant le terme, transportée du desir de mourir avant que Lydias, je me resolus d'entrer Ξen au combat contre Lypandas. Quelle resolution, ou plutost quel desespoir ! car je n'avois de ma vie tenu espée Ξà en la main, et ne sçavois bonnement de laquelle il falloit prendre le poignard ou l'espée, et toutefois me Ξvoyla voila resoluë d'entrer Ξen au combat contre un Chevalier qui toute sa vie avoit fait ce mestier, et qui Ξy avoit tousjours acquis le tiltre de brave, et vaillant. Mais toutes ces considerations estoient nulles envers moy, qui avois esleu de mourir avant que Ξ*Lydias celuy que j'aimois perdist la vie. Et quoy que je sceusse bien que je ne le pourrois pas sauver, toutefois ce ne m'estoit peu de satisfaction qu'il deust avoir ceste preuve de mon Ξ*affection amitié.
  Une chose me tourmentoit infiniment, à quoy je voulus tascher de donner remede, qui Ξ*fut estoit la crainte d'estre cognuë de Lydias, et que cela ne m'Ξempeschast empeschat Ξde parachever d'achever mon dessein, Ξparce par ce que nous devions combatre desarmez. Pour à quoy remedier, j'envoyay un cartel à Lypandas, par lequel apres l'avoir deffié, je le priois qu'estant tous deux Chevaliers, nous Ξusissions nous servissions des armes que les Chevaliers ont accoustumé, et non point de celles des desesperez. Il respondit que le lendemain il se trouveroit sur le camp, et que j'y vinsse armé, qu'il en feroit de mesme, toutefois qu'il vouloit que ce fust à son choix ; apres avoir commencé

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le combat de ceste sorte, pour ma satisfaction, de Ξle parachever l'achever pour la sienne comme il l'avoit proposé au commencement. Moy qui ne doutois point qu'en toute sorte je n'y deusse mourir, l'acceptay comme il le voulut. Et en ce dessein le lendemain armée de toute piece je me presentay sur le camp, mais il faut advoüer le vray, j'estois si empeschée en mes armes, que je ne sçavois comme me remuer. Ceux qui me voyoient aller chancelant, pensoient que ce fust Ξla de peur du combat, et c'estoit de foiblesse. Bien tost apres voila venir Lypandas armé et monté à l'advantage, qui a son Ξabort abord effroyoit ceux mesmes à qui le danger ne touchoit point, et croyriez vous que je ne Ξle fus point fus point estonnée, que quand le pauvre Lydias fut conduit sur un eschafaut pour assister au combat, car la pitié que j'Ξeux eus de le voir en tel estat, me toucha de sorte, que je Ξdemeurai demeuray fort long temps sans me pouvoir remuer. En fin les juges me menerent vers luy, pour sçavoir s'il m'acceptoit pour son champion. Il me demanda qui j'estois, lors contrefaisant ma parole : - Contentez-vous Lydias, luy dis-je, que je suis le seul qui veut entreprendre ce combat pour vous. - Puis que cela est, repliqua-t'il, vous devez estre personne de valeur, et c'est pourquoy, dit-il, se tournant Ξaux vers les juges, je l'accepte. Et ainsi que je m'en allois, il me dit : - Chevalier vaillant, n'ayez peur que vostre querelle ne soit juste. - Lydias, luy respondis je, fusse-je aussi Ξassuré asseuré que tu n'Ξeusses eusse point d'autre

Signet[ 388 verso ] 1607 fonctionnelle

injustice ! Et apres je me retiray si resoluë Ξa à la mort, que des-ja il me tardoit que les trompettes Ξne donnassent le signal du combat. De fait au premier son je partis, mais le cheval m'esbranla de sorte, qu'au lieu de porter ma lance comme il falloit, je la laissay aller comme la fortune voulut. Ξde sorte Si bien qu'au lieu de Ξle la η frapper, je donnay dans le col du cheval, luy laissant la lance dans le corps, dont le cheval courut au commencement par le camp en despit de son maistre, et en fin tomba mort. Lypandas estoit venu contre moy avec tant de desir de bien faire, que la trop grande volonté luy fit faillir son coup. ΞQuant Quand à moy, mon cheval alla jusques où il voulut, car ce que je Ξpus peus faire fut de me tenir sans tomber, et s'estant arresté de soy-mesme, et oyant Lypandas qui me Ξcrioyt crioit de tourner à luy, avec outrages de ce que je luy avois tué son cheval, je revins apres avoir mis la main à l'espée au mieux qu'il me fut possible, et non pas sans peine, mais mon cheval que j'avois peut-estre piqué plus que son courage ne vouloit, aussi tost que je l'Ξeu eus tourné, prit de luy mesme sa course, et si à propos qu'il vint Ξhurter heurter Lypandas de telle furie, qu'il le porta les pieds contremont ; mais en passant il luy donna de l'espée dans le corps si avant que peu apres je le sentis faillir dessous moy, et ce ne fut peu que je me ressouvinsse Ξde sortir d'oster les pieds des estrieux ; car presque Ξincontinant incontinent il tomba mort, Ξmais par ma bonne fortune, si loing de Lypandas, que j'Ξeux eus loisir de sortir

Signet[ 389 recto ] 1607 fonctionnelle

de la selle, et me Ξdespestrer dépestrer de mon cheval. Alors je m'en vins à luy qui des-ja s'approchoit l'espée haute pour me frapper, et faut que je die que si Amour n'eust soustenu le faix des armes, je n'avois point de force qui le Ξpûst peust faire. En fin voicy Lypandas qui de toute sa force me Ξdescharge déchargea un coup sur la teste, la nature m'apprit à mettre le bras gauche devant, car autrement je ne me ressouvenois pas de l'escu que j'avois Ξà en ce bras là. Le coup donna dessus si à plein, que n'ayant la force de le soustenir, mon escu me redonna un si grand coup contre la sallade, que les estincelles m'en vindrent aux yeux. Luy qui voyoit que je chancellois, me voulut recharger d'un autre encor plus pesant, mais ma fortune fut telle que, haussant l'espée, je rencontray la sienne si à propos du Ξtrenchant tranchant, qu'elle se mit en deux pieces, et la mienne à Ξmoytié moitié rompuë fit comme la sienne au premier coup que je luy voulus donner, car il esquiva et moy n'ayant la force de la retenir, je la laissay tomber jusques en terre, où de la pointe je rencontray une pierre qui la rompit. Lypandas alors voyant que nous estions tous deux avec mesme avantage me dit : - Chevalier, ces armes nous ont esté également favorables, je veux essayer si les autres en feront de mesme, et pour ce desarmez-vous, car c'est ainsi que je veux finir ce combat. - Chevalier, luy respondis-je, à ce qui Ξc' s'est passé vous pouvez bien cognoistre que vous avez le tort et delivrant ΞLydias Lidias vous devriez laisser

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ce combat. - Non, non, dit Lypandas en colere, ΞLydias Lidias et vous mourrez. - J'Ξessaïeray essayray, repliquay-je, de tourner ceste sentence sur vostre teste. Et lors m'esloignant dans le camp le plus que je Ξpûs peus de Lydias, de peur d'estre Ξreconnuë recognuë, avec l'aide de ceux qui le gardoient, je me desarmay, et Ξdautant d'autant que nous avions fait provision tous deux d'une espée et d'un poignard, apres avoir laissé le pourpoint, nous venons l'un contre l'autre. Il faut que je vous die que ce ne fut point sans peine que je cachois le sein, Ξparce par ce que la chemise en Ξdespit dépit que j'en eusse monstroit l'Ξenflure enfleure des tetins, mais chacun eust pensé toute autre chose plutost que celle-là, et quant à Lydias il ne me Ξpût peut η recognoistre, tant pour me voir en cét habit Ξdesguisé déguisé, que Ξpour estre pour ce que j'estois enflammée de la chaleur des armes, et ceste couleur haute me changeoit beaucoup le visage. En fin nous voila Lypandas et moy à dix ou douze pas l'un de l'autre, l'on nous avoit Ξmesparty miparty le Soleil, et les juges s'estoient retirez. Ce fut lors que veritablement je croyois Ξde mourir, m'Ξassurant asseurant qu'au premier coup il me mettroit l'espée dans le corps. Mais la fortune fut si bonne pour Lydias, car ce n'estoit que de sa vie que je craignois, que cét arrogant Lypandas venant de toute furie à moy, broncha si à propos qu'il vint donner de la teste presque à mes pieds, si lourdement que de luy-mesme il se fit deux Ξblessures blesseures l'une du poignard, dont il se persa l'espaule Ξdroitte droite, et l'autre de l'espee donnant du front sur le

Signet[ 390 recto ] 1607 fonctionnelle

trenchant. Quant à moy, je fus si effroyée de sa cheute, que je croyois des-ja Ξd' estre morte, et sans luy faire autre mal, je me reculay deux ou trois pas, il est vray que m'imaginant de le pouvoir vaincre plus par ma courtoisie que par ma valeur, je luy dis : - Levez-vous ΞLipandas Lypandas, ce n'est point en terre que je vous veux offenser. Luy qui Ξy estoit demeuré quelque temps estourdy du coup, tout en furie se releva pour se jetter sur moy, mais des deux blessures qu'il s'estoit faites, l'une l'aveugloit, et l'autre luy ostoit la force du bras, Ξ*avec tant d'incommodité de sorte qu'il Ξn'y ne voyoit rien, et si ne pouvoit presque soustenir l'espée, dequoy m'appercevant je pris courage, et m'en vins à luy, l'espée haute, luy disant : - Rends toy ΞLipandas Lipandas autrement tu es mort. - Pourquoy, me dit-il, me rendray-je, puis que les conditions de nostre combat ne sont pas telles ? Contente toy que je mettray Lydias en liberté. Alors les juges estant venus, et Lypandas ayant ratifié sa promesse, Ξ*je fus sorty ils m'accompagnerent hors du camp comme victorieux. Mais craignant que l'on ne me fist quelque outrage en ce lieu-là pour y avoir ΞLipandas Lipandas toute puissance, apres m'estre armée je m'approchay la visiere baissée de Lydias, et luy dis : - Seigneur ΞLydias Lidias, remerciez Dieu de ma victoire, et si vous desirez que nous puissions plus longuement Ξconferer coferer η ensemble, je m'en Ξvois vay en la ville de ΞRigiaque Regiaque, où j'attendray de vos nouvelles quinze jours, car apres ce terme je suis contraint de parachever quelque affaire, qui

Signet[ 390 verso ] 1607 fonctionnelle

m'emmenera loing d'icy, et pourrez demander le Chevalier Triste, Ξparce par ce que c'est le nom que je porte, pour les occasions que vous sçaurez de moy. - Ne cognoistray-je point, dit-il, autrement celuy à qui je suis tant obligé ? - Ny pour vostre bien luy dis-je, ny pour le mien il ne se peut. Et a ce mot je le laissay, et apres m'estre pourveuë d'un autre cheval, je vins à RigiaqueΞj'ay demeuré je demeuray depuis. Or ce traistre de Lypandas, aussi tost que je Ξfus fusse partie, fit remettre Lidias en prison plus estroitte qu'auparavant, et quand Ξil ils η s'en plaignoit et qu'il luy reprochoit Ξ*sa foy parjurée la promesse qu'il m'avoit faite, il respondoit qu'il avoit promis de le mettre en liberté, mais qu'il n'avoit pas dit quand, et que ce seroit dans vingt ans, sinon avec une condition qu'il luy proposa, qui estoit de faire en sorte que je me remisse Ξprisonniere prisonnier en sa place, et qu'ainsi je payasse la rançon de sa liberté, par la perte de la mienne. ΞLydias Lidias luy respondit qu'il seroit aussi ingrat envers moy que ΞLipandas Lipandas perfide envers luy. Dequoy il Ξse ressentit tant offensé s'offença de sorte qu'il jura que si dans quinze jours je n'estois entre ses mains, il le remettroit entre celles de la justice. Et lors que Lydias luy remettoit devant les yeux sa foy parjurée : - J'en ay fait, disoit-il, la penitence par les Ξblessures blesseures que j'ay Ξrapportées apportées du combat, mais ayant dés long temps promis aux Seigneurs Neustriens de maintenir la justice, ne suis-je pas plus obligé à la premiere qu'à la derniere promesse ? Les premiers jours s'escoulerent sans que j'y prisse

Signet[ 391 recto ] 1607 fonctionnelle

garde, mais voyant que je n'en avois point de nouvelle, j'y Ξenvoyay envoiay un homme pour s'en enquerir. Par luy je sceus la malice de ΞLipandas Lipandas, et mesme le terme qu'il avoit donné, et quoy que je prévisse toutes les cruautez, et toutes les indignitez qui se peuvent recevoir, si est ce que je resolus de Ξsortir Lydias mettre Lidias hors de telles mains, n'ayant rien de si cher que sa conservation, et par fortune le jour que vous me pristes je m'y en allois, et à ceste heure la tristesse que vous voyez en moy, et les souspirs qui ne me donnent point de cesse, procedent, non de la prison où je suis (car celle-cy est bien douce au prix de celle que je m'estois Ξproposée proposé), mais de sçavoir que ce perfide et cruel ΞLipandas Lipandas mettra sans doute ΞLydias Lidias entre les mains de ses ennemis, qui n'attendent autre chose pour en voir une Ξdesplorable déplorable et honteuse fin ; car des quinze jours qu'il avoit donnez, les dix sont des-ja passez, si bien que je ne puis Ξplus presque presque plus esperer de pouvoir rendre ce dernier office à Lydias. A ce mot les larmes luy empeschant la voix, elle fut contrainte de se taire, mais avec tant de demonstration de Ξdesplaisir déplaisir, que ΞClidaman Clidian η en fut esmeu et pour la consoler luy dit : - Vous ne devez point, courageuse ΞMellandre Melandre, vous perdre tellement de courage, que vous ne mainteniez la generosité en cét accident, que vous avez fait paroistre en tous les autres. Le Dieu qui vous a conservée en de si grands perils, ne veut pas vous abandonner en ceux cy

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qui sont moindres. Vous devez croire que tout ce qui Ξdespendra dépendra de moy sera tousjours disposé à vostre contentement. Mais Ξparce par ce que je suis sous un Prince, Ξ*auquel je ne veux point desplaire à qui je ne peux point déplaire, il faut que vostre liberté vienne de luy ; bien vous promets-je d'y rapporter de mon costé, tout ce que vous pourriez esperer d'un bon amy. Et la laissant avec ces bonnes paroles, il alla trouver Childeric, et le supplia d'obtenir du Roy Meroüé la liberté de ce jeune prisonnier. Le jeune Prince qui Ξaimoit aymoit mon fils, et qui sçavoit bien que le Roy son pere seroit bien aise d'obliger Clidaman, sans retarder davantage, l'alla demander à Meroüé, qui accorda tout ce que mon fils demandoit. Et parce que le temps estoit si court que la moindre partie qu'il en eust perduë eust fait faute à Mellandre, il l'alla trouver en son logis, où l'ayant tirée à part : - Chevalier triste, luy dit-il, il faut que vous changiez de nom, car si vos infortunes vous ont cy devant donné sujet de le porter, il semble que vous le perdrez bien tost. Le Ciel commence de vous regarder d'un œil plus doux que de coustume. Et tout ainsi qu'un mal-heur ne vient jamais seul, de mesme le bon-heur marche Ξtoujours tousjours accompagné ; et pour tesmoignage de ce que je dis, sçachez, Chevalier, (car tel vous veux-je nommer, puis que vostre generosité à bon droit vous en acquiert l'Ξhonorable titre honnorable tiltre) que desormais vous estes en liberté, et pouvez disposer de vos actions, tout ainsi

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qu'il vous plaira. Le Prince des Francs m'a permis de disposer de vous, et le devoir de Chevalier m'oblige non seulement à vous mettre en liberté, mais a vous offrir encore toute l'assistance que vous jugerez que je vous puisse rendre. Mellandre oyant une parole tant inesperée, tressaillit toute de joye, et se jettant à ses pieds comme transportée, luy baisa la main pour remerciement d'une grace si grande, car le bien qu'elle s'estoit figurée de recevoir de luy, estoit d'estre mise à rançon, et l'incommodité du payement la desesperoit de le pouvoir faire si tost que le terme des quinze jours ne Ξfust fut escoulé. Mais quand elle oüyt une si grande courtoisie : - Vrayement, luy dit-elle, Seigneur Chevalier, vous faites paroistre que vous sçavez que c'est que d'aimer, puis que vous avez pitié de ceux qui en sont attaints. Je prie Dieu, attendant que je puisse m'en revencher, qu'il vous rende aussi heureux qu'il vous a fait courtois, et digne de toute bonne fortune, et à l'heure mesme elle s'en voulut aller, ce que Clidaman ne voulut permettre, Ξparce par ce que c'estoit de nuit. Le lendemain donc à bonne heure elle se mit en chemin, et ne tarda qu'elle ne vint à Calais, où de fortune elle arriva le jour avant le terme. Dés le soir elle eust fait sçavoir sa venuë à Lypandas, n'eust esté qu'elle fut d'advis, veu la perfidie de celuy avec qui elle avoit affaire, d'attendre le jour, afin que plus de personnes vissent le tort qu'il luy feroit, si de fortune

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il manquoit encores une fois de parole. Le jour donc estant venu, et l'heure du midy estant sonnée, que les principaux du lieu pour honorer le gouverneur estoient pour lors en sa maison, voila le Chevalier Triste qui se presente à luy ; à l' Ξabort abord il ne fut point Ξrecognu recogneu, car on ne l'avoit veu qu'au combat, où la peur luy avoit peut estre changé le visage, Ξet lors chacun s'aprocha pour ouyr ce qu'il diroit. - Lypandas, luy dit-il, je viens icy de la part des parents, et des amis de ΞLydias Lidias, afin de sçavoir de ses nouvelles, et pour te sommer de ta parole, ou bien de le mettre à quelque nouvelle condition, autrement ils te mandent par moy, qu'ils te Ξpublieront publiront pour homme de peu de foy. - Estranger, respondit Lypandas, tu leur diras que ΞLydias Lidias se porte mieux qu'il ne fera dans peu de jours, Ξparce par ce qu'aujourd'huy passé je le remettray entre les mains de ceux qui m'en vengeront, que pour ma parole je croy en estre quitte, en le remettant entre les mains de la justice, car la justice η qu'est-ce autre chose, qu'une vraye liberté ? Que pour de nouvelles conditions, je n'en veux point d'autre que celle que j'ay des-ja proposée, qui est que l'on me remette entre les mains de η celuy qui combatit contre moy, afin que j'en puisse faire à ma volonté, et je delivreray ΞLydias Lidias. - Et qu'est-ce, luy dit-il, que tu en veux faire ? - Quand j'auray, respondit-il, à te rendre conte de mes desseins, tu le pourras sçavoir. - Et quoy, dit-il, es-tu encores en ceste mesme opinion ? - Tout de

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mesme, repliqua Lypandas. - Si cela est, adjousta le Chevalier Triste, envoye querir ΞLidias Lydias, et je te remettray celuy que tu demandes. Lypandas qui sur tout desiroit se venger de son ennemy, car il avoit tourné toute sa mauvaise volonté sur Mellandre, l'envoya Ξincontinant incontinent querir. Lydias, qui sçavoit bien ce jour estre le dernier du terme qu'on Ξlui luy avoit donné, croyoit que ce fust pour le conduire aux Seigneurs de la justice ; toutefois encor qu'il en previst sa mort Ξassurée asseurée, si esleut-il Ξplutost plustost cela, que de voir celuy qui avoit combatu pour luy en ce danger à son occasion. Quand il η fut devant Lypandas, il η luy dit : - Lydias, voicy le dernier jour que je t'ay donné pour representer ton champion entre mes mains, ce jeune Chevalier est venu icy pour cet effet, s'il le fait, tu es en liberté. Mellandre durant ce peu de mots avoit Ξtoujours tousjours trouvé le moyen de tenir le visage de costé pour n'estre Ξrecognuë reconnuë, et quand elle voulut respondre, elle se tourna tout à fait contre Lypandas, et luy dit : - Ouy Lypandas, je l'ay promis, et je le Ξfays fais, toy, observe aussi bien ta parole, car je suis celuy que tu demandes, me voicy, qui ne redoute ny rigueur, ny cruauté quelconque, pourveu que mon amy sorte de peine. Alors chacun mit les yeux sur elle, et repassant par la memoire les façons de celuy qui avoit combatu, on Ξcognut connu η qu'elle disoit vray. Sa beauté, sa jeunesse et son affection esmeurent tous ceux qui estoient Ξpresents presens, sinon Lypandas, qui se croyant infiniment offensé

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de luy, commanda Ξincontinant incontinent qu'elle fust mise en prison, et permit que ΞLidias Lydias s'en allast. Luy qui desiroit Ξplutost plustost se perdre que de se voir obliger η en tant de sortes, faisoit quelque difficulté. Mais Mellandre s'approcha de luy, et luy dit à l'aureille : - ΞLidias Lydias allez vous-en, car de moy n'en soyez en peine, j'ay un moyen de sortir de ces prisons si facile, que ce sera quand je voudray, que si vous desirez de faire quelque chose à ma consideration, je vous supplie d'aller servir Meroüé, et particulierement Clidaman qui est cause que vous estes en liberté, et luy Ξdittes dites que c'est de ma part que vous y allez. - Et sera-t'il possible, dit ΞLidias Lydias, que je m'en aille sans sçavoir qui vous estes ? - Je suis, respondit-elle, le Chevalier Triste, et cela vous suffize, jusqu'à ce que vous ayez plus de commodité d'en sçavoir davantage. Ainsi s'en alla ΞLidias Lydias en resolution de servir le Roy des Francs puis que celuy à qui il devoit deux fois la vie le vouloit ainsi. Mais cependant ΞLipandas Lypandas commanda tres expressement que Mellandre fust bien gardée, et la fit mettre en un Ξcrotton croton avec les fers aux pieds, et aux mains, resolu qu'il estoit de la laisser mourir de misere leans. Jugez en quel estat ceste jeune fille se trouva, et quels regrets elle devoit faire contre Amour. Ses vivres estoient mauvais, et sa demeure effroyable, et toutes les autres incommoditez tres grandes ; que si son affection n'eust supporté ces choses, il est impossible qu'elle Ξn'y ny η fust morte. Mais cependant la voix s'espandit

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par toute la Neustrie, que ΞLidias Lydias par le moyen d'un sien amy avoit esté sauvé des prisons de Calais, et qu'il estoit allé servir le Roy Meroüé, cela fut cause qu'en mesme temps son bannissement fut renouvellé et declaré traistre à sa patrie ; luy toutefois ne faillit point de venir au camp des Francs, où cherchant la tente de Clidaman, elle luy Ξfut fust monstrée. Aussi tost qu'il l'apperceut, et que Lindamor et Guyemantz le virent, ils coururent l'embrasser, mais avec tant d'affection et de courtoisie qu'il en demeura estonné, car ils Ξle prenoient les η prenoyent tous pour Ligdamon, qui peu de jours auparavant s'estoit perdu en Ξla bataille η qu'ils avoient euë contre les Neustriens, auquel il ressembloit de sorte, que tous ceux qui cognoissoient Ligdamon y furent deceuz. En fin ayant esté Ξrecogneu reconneu pour estre ΞLidias Lydias l'amy de Mellandre, il Ξle fut conduit à Meroüé, où en presence de tous, ΞLidias Lydias raconta au Roy le discours de sa prison tel que vous avez ouy, et la courtoisie que par deux fois il avoit receuë de ce Chevalier Ξincognu inconneu, et pour la fin le commandement qu'il luy avoit fait de le venir servir, et particulierement Clidaman. Alors Clidaman, apres que le Roy l'Ξeut eust receu et remercié de son amitié, luy dit : - Est-il possible ΞLidias Lydias, que vous n'ayez point Ξcognu conneu celuy qui a combattu, et qui est en prison pour vous ? - Non, certes, dit-il. - O vrayement, adjousta-t'il, Ξvoila voyla la plus grande Ξmescognoissance mesconnoissance dont j'aye jamais ouy parler, avez vous jamais veu

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personne qui luy ressemblast ? - Je n'en ay point de memoire, dit ΞLidias Lydias tout estonné. - Or je veux donc dire au Roy une histoire la plus digne de compassion qu'autre que l'Amour ait jamais causée. Et sur cela il reprit la fin du discours où ΞLidias Lydias avoit raconté qu'il estoit allé en la Ξgrand'Bretagne grande Bretagne, de la courtoisie qu'il trouva, auquel il adjousta discrettement l'Amour de Melandre, les promesses qu'il luy avoit Ξfaites faittes de la conduire en Neustrie avec luy s'il estoit contraint de partir, de sa fuitte et en fin de sa prison à Calais. Le pauvre ΞLidias Lydias estoit si estonné d'ouyr tant de particularitez de sa vie, qu'il ne sçavoit que penser. Mais quand Clidaman raconta la resolution de Mellandre à se mettre en voyage, et s'habiller en homme pour advertir ses Ξparents parens, et puis de s'armer et entrer Ξen au camp clos contre ΞLipandas Lypandas et les fortunes de Ξses ces deux combats, il n'y avoit celuy des escoutans qui ne demeurast ravy, et plus encores quand il paracheva tout ce que je vous ay raconté. - O Dieux ! s'escria ΞLidias Lydias, est-il possible que mes yeux ayent esté si aveuglez ? Que me reste-il pour sortir de ceste obligation ? - Il ne vous reste plus, luy dit Clidaman, que de mettre pour elle ce qu'elle vous a conservé. - Cela, adjousta ΞLidias Lydias avec un grand souspir, est, ce me semble, peu de chose si l'entiere affection qu'elle me porte n'est accompagnée de la mienne. Cependant qu'ils se Ξtenoient tenoyent tels discours, tous ceux qui ouyrent Clidaman, Ξdisoient disoyent que ceste seule fille meritoit

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que ceste grande armée allast attaquer Calais. - En verité, dit Meroüé, je lairray plutost toutes choses en arriere que je ne fasse rendre la liberté à une Dame si vertueuse, aussi bien nos armes ne sçauroient estre mieux employées qu'au service de ses semblables.
  Le soir estant venu ΞLidias Lydias s'adressa a Clidaman, et luy descouvrit qu'il avoit une entreprise infaillible sur Calais, qu'il avoit faite durant le temps qu'il y estoit prisonnier, que si on luy vouloit donner des gens, sans doute il les mettroit dedans. Cét advis ayant esté rapporté à Meroüé, fut trouvé si bon, qu'il resolut d'y envoyer. Ainsi Ξfut il fut donné cinq cens Archers, conduits par deux cens hommes d'armes, pour executer ceste entreprise. La conclusion fut (car je η ne sçaurois raconter au long cét affaire) que Calais fut pris, ΞLipandas Lypandas prisonnier et Mellandre mise hors de sa captivité. Mais je ne sçay comment ny pourquoy, à peine estoit le tumulte de la prise de la ville cessé, que l'on prit garde que ΞLidias Lydias, et Mellandre s'en estoient allez, si bien que depuis on n'a sçeu qu'ils estoient devenus. Or durant toutes ces choses, le pauvre Ligdamon a esté le plus tourmenté pour ΞLidias Lydias qu'il se puisse dire, car estant prisonnier entre les mains des Neustriens, il fut pris pour ΞLidias Lydias, et aussi tost Ξcondanné condamné à la mort. Clidaman fit que Meroüé leur envoya deux Heraux d'armes pour leur faire entendre qu'ils se trompoient, mais l'Ξassurance asseurance que ΞLipandas Lypandas Ξfraîchement fraischement leur en

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avoit donnee η, les fit passer outre sans donner croyance à Meroüé. Ainsi voila Ligdamon mis dans la cage des Lions, où l'on dit qu'il fit plus qu'un homme ne peut faire, mais sans doute il y fust mort, n'eust esté qu'une tres-belle Dame le demanda pour mary. Leur coustume qui le permet ainsi le sauva pour lors, mais tost apres il mourut, car Ξaimant Silvie aymant Sylvie avec tant d'affection qu'elle ne luy pouvoit permettre d'Ξespouser épouser autre qu'elle, il esleut plutost le tombeau que ceste belle Dame. Ainsi quand on les voulut espouser il s'empoisonna, et elle qui croyoit que veritablement Ξs' c'estoit ΞLidias Lydias qui autrefois l'avoit tant Ξaimée aymée, s'empoisonna aussi du mesme breuvage. Ainsi est mort le pauvre ΞLidias Lygdamon Ξavec tant de regret tant regretté de chacun, qu'il n'y a personne mesme entre les ennemis qui ne le plaigne η. Mais ç'a esté une gratieuse vengeance que celle dont Amour Ξà puni a puny le cruel ΞLipandas Lypandas, car repassant par le ressouvenir, la vertu, la beauté et l'affection de Mellandre, il en est devenu si amoureux, que le pauvre qu'il est n'a autre consolation que de parler d'elle : mon fils me mande qu'il fait ce qu'il peut pour le sortir de prison, et qu'il espere de l'obtenir.
  ΞVoila Voyla, continua Amasis, comme ils vivent si pleins d'honneurs et de loüanges que chacun les estime plus Ξqu'autres qua'utres qui Ξsoient soyent en l'armée. - Je prie Dieu, adjousta Adamas, qu'il les continuë en ceste bonne fortune. Et cependant qu'ils discouroient ainsi, ils virent venir de loing Leonide et Lucinde, avec le petit Meril. Je dis Lucinde,

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parce que Celadon, comme je vous ay dit, portoit ce nom, suivant la resolution que Galathée avoit Ξfaitte faite. Amasis qui ne la Ξcognoissoit connoissoit point, demanda qui elle estoit. - C'est, respondit Galathée, une parente d'Adamas, si belle, et si remplie de vertu, que je l'ay prié de me la laisser pour quelque temps, elle se nomme Lucinde. - Il semble, dit Amasis, qu'elle soit bien autant advisee comme belle. - Je m'Ξassure asseure, adjousta Galathée, que son humeur vous plaira, et si vous le trouvez bon, elle viendra, Madame, avec nous à Marcilly. A ce mot Leonide arriva si pres, que Lucinde pour baiser les mains à Amasis, s'advança, et mettant un genoüil en terre luy baisa la main avec des façons si bien Ξcontrefaittes contrefaites, qu'il n'y avoit celuy qui ne la Ξprist prit pour fille. Amasis la releva, et apres l'avoir embrassée la baisa en luy disant qu'elle aymoit tant Adamas, que tout ce qui luy touchoit luy estoit aussi cher, que ses plus chers Ξenfans enfants. Alors Adamas prit la Ξparolle parole de peur que si la fainte Lucinde respondoit, on ne Ξrecognust reconnust quelque chose à sa voix, mais il ne falloit pas qu'il en eust peur, car elle sçavoit si bien faindre, que la voix, comme le reste, eust aydé a parachever encor mieux la tromperie. Toutefois pour ce coup elle se contenta d'avoüer la Ξresponse reponse d'Adamas seulement avec une reverence basse, et puis se retira entre les autres Nymphes, n'attendant que la commodité de se pouvoir Ξdesrober dérober. En fin l'heure estant venuë du disner, Amasis s'en retourna au logis, où

Signet[ 396 verso ] 1607 fonctionnelle

trouvant les tables prestes, chacun plein de contentement des bonnes nouvelles receuës disna joyeusement, sinon la belle Sylvie, qui avoit tousjours devant les yeux l'Idole de son cher Ligdamon, et en l'ame le ressouvenir qu'il estoit mort pour elle ; ce fut ce sujet qui les entretint une partie du disner, car la Nymphe vouloit bien que l'on sçeust qu'elle aymoit la memoire d'une personne Ξet si vertueuse, et si dediee à elle, mais cela Ξdautant d'autant qu'estant morte elle ne pouvoit plus l'importuner, ny se prevaloir de ceste bonne volonté. Apres le repas, que toutes ces Nymphes estoient attentives les unes à joüer, les autres à visiter la maison, les unes au jardin, et les autres à s'entretenir de divers discours dans la chambre d'Amasis, Leonide, sans que l'on s'en apperceust, faignant de se vouloir preparer pour partir, sortit hors de la chambre, et peu apres Lucinde, et s'Ξestant estans trouvées au rendez-vous qu'elles s'estoient Ξdonnées donné, faignant d'aller se promener, sortirent Ξhors du Ξchasteau Chasteau, ayant caché soubs leurs Ξmanthes mantes chacune une partie des habits du Berger, et quand ils furent au fond du bois, le Berger se deshabilla, et prenant l'habit Ξaccoustumé accoutumé, remercia la Nymphe du bon secours qu'elle luy avoit donné, et luy offrit en eschange sa vie, et tout ce qui en despendoit. Alors la Nymphe avec un grand souspir : - Et bien, dit-elle, Celadon ne vous ay-je pas bien tenu la promesse que je vous ay Ξfaitte faite ? Ne croyez vous pas estre obligé d'observer

Signet[ 397 recto ] 1607 fonctionnelle

de mesme ce que vous m'avez promis ? - Je m'estimerois, respondit le Berger, le plus indigne qui ait jamais vescu si j'y faillois. - Or Celadon, dit-elle alors, ressouvenez vous donc de ce que vous m'avez juré, car je suis resoluë à Ξcet cette heure d'en tirer preuve. - Belle Nymphe, respondit Celadon, disposez de tout ce que je puis comme de ce que vous pouvez, car vous ne serez point mieux obeye de vous mesme que de moy. - Ne m'avez vous pas promis, repliqua la Nymphe, que je recherchasse vostre vie passée, et que ce que je trouverois que vous pourriez faire pour moy, vous le feriez ? Et luy ayant respondu qu'il estoit vray. - Or bien Celadon continua t'elle, j'ay fait ce que vous Ξ(Guillemets de "dit" à "cognoistre".) m'avez dit, et quoy que l'on peigne Amour aveugle, si m'a t'il laissé assez de lumiere pour Ξcognoistre connoistre que veritablement vous devez continuer l'Amour que vous avez si souvent promise Ξ(Guillemets de "eternelle" à "belle".) eternelle à vostre Astrée ; car les degoustemens d'Amour ne permettent que l'on soit ny parjure ny Ξinfidele infidelle, et ainsi quoy que l'on vous ait mal Ξtraitté traité, vous ne devez pas faillir à ce que vous devez, car jamais l'erreur d'autruy ne lave nostre faute. Aymez donc la belle et heureuse Astrée, avec autant d'affection et de sincerité que vous l'aimastes jamais, Ξ(Guillemets de "servez" à "mais".) servez la, adorez-la, et plus encor s'il se peut, car Amour veut l'extremité en son sacrifice. Mais aussi j'ay bien Ξcognu cogneu que les bons offices que Ξ(Guillemets de "je" à "vous seriez".) je vous ay Ξrendus rendu η meritent quelque Ξrecognoissance reconnoissance de vous, et sans doute, Ξparce par ce qu'Amour

Signet[ 397 verso ] 1607 fonctionnelle

ne se peut payer que par Amour, vous seriez obligé de me satisfaire en mesme monnoye, si l'impossibilité n'y contredisoit, mais Ξ(Guillemets de "puis qu'il" à "paye".) puis qu'il est vray qu'un cœur n'est capable que d'un vray Amour, il faut que je me paye de ce qui vous reste ; doncques n'ayant plus d'Amour à me donner comme à Ξmaistresse Maistresse, je vous demande vostre amitié, comme vostre sœur, et que Ξd'or'en d'ors en là vous m'aimiez, me cherissiez, et me traittiez comme telle. On ne sçauroit representer le contentement de Celadon oyant ces paroles, car il advoüa η que celle-cy estoit une Ξde ces des choses qu'en sa misere il Ξrecognoissoit reconnoissoit particulierement pour quelque espece de contentement ; c'est pourquoy apres avoir remercié la Nymphe de l'amitié qu'elle luy portoit, il luy jura de la tenir pour sa sœur, et n'user jamais en son endroit que comme ce nom luy commandoit. Là dessus pour n'estre pas retrouvez, ils se separerent tres-contens, et satisfaits l'un de l'autre. Leonide retourna au ΞPallais Palais, et le Berger continua son voyage, fuyant les lieux où il croyoit pouvoir rencontrer des Bergers de sa Ξcognoissance connoissance ; et laissant Mont-verdun à main gauche, il passa au milieu d'une Ξgrand' grande plaine, qui en fin le conduit jusques sur une coste un peu relevée, et de laquelle il pouvoit Ξrecognoistre reconnoistre et remarquer de l'œil la plus part des lieux où il avoit accoustumé de mener paistre ses Ξtroupeaux trouppeaux de l'autre costé de Lignon, où Astrée le venoit Ξtrouver treuver, et où ils passoient

Signet[ 398 recto ] 1607 fonctionnelle

quelquefois la chaleur trop aspre du Soleil. Bref ceste veuë luy remit devant les yeux la plus part des Ξcontentements contentemens qu'il payoit à Ξcet ceste heure si cherement, et en ceste consideration s'estant assis au pied d'un arbre, il souspira tels vers.


ΞRESSOUVENIRS RESSOUVENIR.

Icy mon beau Soleil repose,
Quand l'autre paresseux s'endort ;
Et puis le matin quand il sort,
Couronné d'oeillet et de rose,
Pour chasser l'effroy de la nuit,
Deçà premierement reluit
Le Soleil que mon ame adore,
Apportant avec luy le jour,
A ces campagnes qu'il honore,
Et qu'il va remplissant d'Amour.

Sur les bords de ceste riviere,
Il se fait voir diversement,
Quelquefois tout d'embrasement,
D'autrefois couvrant sa lumiere.
Il semble devenu jalous,
Qu'il se Ξveuille vueille ravir de nous,
Ainsi que sous la nuë sombre,
Le Soleil cache sa beauté,
Sans que toutefois si peu d'ombre,
Puisse en bien couvrir la Ξclairté clarté.

Mais que veut dire qu'il ne Ξbrûle brusle,
Comme on voit que l'autre Soleil,

Signet[ 398 verso ] 1607 fonctionnelle

Seiche les herbes de son œil,
Durant l'ardente canicule.
Pourquoy, dis-je, ne seiche aussi
Mon Soleil les herbes d'icy ?
J'entens, Amour, c'est que ma Dame,
N'eslance ses rayons vaincueurs,
Dessus ces corps qui n'ont point d'ame,
Et ne veut brusler que des Ξcueurs cœurs.

Fonteine, qui des Sicomores,
Le beau nom t'en vas empruntant,
Tu m'as veu jadis si contant,
Et pourquoy ne le suis-je encores ?
Quel erreur puis-je avoir commis
Qui rend les Dieux Ξmes des ennemis ?
Sont-ils Ξsubjets sujets comme nous sommes
D'estre quelquefois envieux ?
Ou le change propre des hommes
Peut-il Ξattaindre atteindre jusqu'aux Dieux ?

Jadis sur tes bords, ma Bergere
Disoit, sa main dedans ma main :
- Dispose le sort inhumain
De nostre vie passagere,
Jamais Celadon en Ξeffait effet
Le serment ne sera deffait,
Que dans ceste main je te jure.
Et vif et mort je t'Ξaimeray aymeray,
Ou mourant dans ma sepulture
Nostre amitié j'enfermeray.

ΞFeuillage Fueillage espais de ce bel arbre,
Qui couvres d'ombre tout l'entour,

Signet[ 399 recto ] 1607 fonctionnelle

ΞNe te souviens Te ressouviens-tu point du jour
Qu'à ses lis meslant le Cinabre,
De honte η elle alloit rougissant,
Qu'un Berger pres d'elle passant,
Parlant à moy l'appella belle,
Et l'heur, et l'honneur de ces lieux ?
Car je ne veux, me disoit-elle,
Ressembler belle qu'à tes yeux.

Rocher où souvent à cachette,
Nous nous sommes entretenus,
Que peuvent estre devenus
Tous ces ΞAmours amours que je regrette ?
Les Dieux tant de fois invoquez
Souffriront-ils d'estre moquez,
Et d'avoir la priere ardante
D'elle et de moy receuë en vain,
Puis qu'ores son ame changeante
Paye ces Ξamours Amours d'un desdain ?

ΞVeuille Vueille le Ciel, disoit Astrée,
Que je meure avant que de voir
Que mon pere Ξayt ait plus de pouvoir,
D'une Ξhaine hayne opiniastrée,
En sa trop longue inimitié,
A nous separer d'amitié,
Que nostre amitié ferme et Ξsainte saincte
A nous rejoindre, et nous unir,
Aussi bien de regret Ξattainte atteinte
Je mourrois la voyant finir.

Et toy, vieux saule, dont l'escorce
Sans plus se deffend des saisons,

Signet[ 399 verso ] 1607 fonctionnelle

Dy moy, n'ay-je point de raisons
De me plaindre de ce divorce,
Et de t'en Ξadresser addresser mes cris ?
Combien avons nous nos escris
Fiez dessous ta seure η garde,
Dans le creux du tronc my-mangé ?
Mais ores que je te regarde,
Combien, saule, tout est changé !

  Ces pensers eussent plus longuement retenu Celadon en ce lieu, n'eust esté la survenuë du Berger η desolé, qui plaignant continuellement sa perte, s'en venoit souspirant ces vers.


Sur une trop
prompte mort.

Vous qui voyez mes tristes pleurs,
Si vous sçaviez de quels malheurs
J'ay l'ame Ξattainte atteinte,
Au lieu de condamner mon œil,
Vous adjousteriez vostre Ξdeuil dueil
Avec ma plainte.
Dessous l'horreur d'un noir tombeau,
Ce que la terre eut de plus beau
Est mis en cendre.
O Ξdestins trop pleins destin trop plein de rigueur,
Pourquoy mon corps, comme mon cœur,
N'y peut descendre ?
Elle ne fut Ξplutost plustost ça bas
Que les Dieux par un prompt trespas,
Me l'ont ravie ;

Signet[ 400 recto ] 1607 fonctionnelle

Si bien qu'il sembloit seulement
Que pour entrer au monument
Elle eust eu vie.
Pourquoy falloit-il tant d'Amour,
Si ressemblant η la fleur d'un jour,
A peine née,
Le Ciel la monstroit pour l'oster,
Et pour nous faire regretter
Sa destinée ?
Comme à son arbre estant serré
Du tronc mort n'est point separé
L'heureux Ξlyerre lierre,
Pour le moins me Ξfust fut-il permis,
Vif aupres d'elle d'estre mis η,
Dessous sa pierre.
Content pres d'elle je vivrois,
Et si là dedans de la voix
J'avois l'usage,
Je benirois d'un tel sejour
La mort qui m'auroit de l'Amour
Laissé tel gage.

  Celadon qui ne vouloit point estre veu de personne qui le pûst Ξcognoistre connoistre, d'aussi loing qu'il vid ce Berger, commença peu à peu de se retirer dans l'espaisseur de quelques arbres. Mais voyant que sans s'arrester à luy, il passoit outre, pour s'Ξassoir asseoir au mesme lieu d'où il venoit de partir, il le suivit pas à pas, et si à propos qu'il pût ouir une partie de ses plaintes. L'humeur de ce Berger Ξincognu inconnu Ξsimpathisant simpatisant avec la sienne, le rendit curieux de sçavoir par luy des

Signet[ 400 verso ] 1607 fonctionnelle

nouvelles de sa Ξmaistresse Maistresse, et mesme croyant ne pouvoir en sçavoir plus aisément par autre sans estre Ξrecognu reconnu. Doncques, s'approchant de luy : - Ainsi, luy dit-il, triste Berger, Dieu te donne le contentement que tu regrettes, comme de bon cœur je l'en prie, et ne pouvant davantage, tu dois recevoir ceste priere de bonne part, que si elle t'oblige à quelque ressentiment de courtoisie, Ξdy d'y η moy, je te supplie, si tu Ξcognois connois Astrée, Phillis, et Lycidas, et si cela est, dy m'en ce que tu en sçais. - Gentil Berger, respondit-il, tes paroles courtoises m'obligent à prier le Ciel, en eschange de ce que tu me souhaittes qu'il ne te donne jamais occasion de regretter ce que je pleure, et de plus de te dire tout ce que je sçay des personnes dont tu me parles, quoy que la tristesse avec laquelle je vy, me Ξdeffende deffend η de me mesler d'autres affaires que des miennes. Il peut y avoir un mois et demy η que je vins en ce Ξpays païs de Forests, non point comme plusieurs η pour essayer la Ξfonteine fontaine de la verité d'Amour ; car je ne suis que trop Ξassuré asseuré de mon mal, sans en avoir de nouvelles certitudes, mais suivant le commandement d'un Dieu, qui des rives herbeuses de la glorieuse Seine, m'a envoyé icy avec Ξassurance asseurance que j'y trouverois remede à mon Ξdesplaisir deplaisir. Et depuis la demeure de ces villages m'a semblé si agreable et selon mon humeur, que j'ay resolu d'y demeurer aussi longuement que le Ξciel Ciel me le voudra permettre. Ce dessein a esté cause que j'ay voulu sçavoir l'estre et la qualité

Signet[ 401 recto ] 1607 fonctionnelle

de la pluspart des Bergers, et Bergeres de la contree ; et Ξparce par ce que ceux dont vous me demandez des nouvelles sont les principaux de cet hameau, qui est de là l'eau vis à vis d'icy, où j'ay choisi ma demeure, je vous en sçauray dire presque autant que vous en pourriez desirer. - Je ne veux adjousta Celadon en sçavoir autre chose sinon comme ils se portent. - Tous Ξ(Guillemets de "dit-il" à "plus".) dit-il, sont en bonne santé. Il est vray que comme la vertu est tousjours celle qui est la plus agitée, ils ont eu un coup de l'aveugle et muable fortune, qu'ils ressentent jusques en l'ame, qui est la perte de Celadon, un Berger que je ne Ξcognoy connoy point, et qui estoit frere de Lycidas, tant aymé, et estimé de tous ceux Ξde ce du rivage, que sa perte a esté ressentie generalement de tous, mais beaucoup plus de ces trois personnes que vous avez nommees ; car on tient, c'est à dire ceux qui sçavent un peu des secrets de ce monde, que ce Berger estoit serviteur d'Astree, et que ce qui les a empeschez de se marier, a esté l'inimitié de leurs parents. - Et comment dit-on, repliqua Celadon, que ce Berger se perdit ? - On le raconte, dit il, de plusieurs sortes, les uns en parlent selon leur opinion, les autres selon les apparences, et d'autres selon le rapport de quelques uns, et ainsi la chose est contée fort diversement. Quant à moy, j'arrivay sur ces rives le mesme η jour qu'il se perdit, et me souviens que je vis chacun si Ξespouvanté espouventé de cét accident, qu'il n'y avoit personne qui sçeust m'en donner bon conte. En

Signet[ 401 verso ] 1607 fonctionnelle

fin, et c'est l'opinion plus commune, Ξparce par ce que Phillis, et Astree, et Lycidas mesme le racontent ainsi, s'estant endormy sur le bord de la riviere en songeant, il faut qu'il soit tombé dedans, et de fait la belle Astree en fit de mesme, mais ses robbes la sauverent. Celadon alors jugea, que Ξprudemment prudemmant ils avoient tous trois trouvé ceste invention, pour ne donner occasion à plusieurs de parler mal à propos sur ce sujet, et en fut tres-aise, car il avoit tousjours beaucoup craint que l'on soupçonnast quelque chose au Ξdesadvantage desavantage d'Astree, et Ξpource pour ce continuant ses demandes : - Mais, dit-il, que pensent-ils qu'il soit devenu ? - Qu'il soit mort, respondit le Berger desolé, et vous Ξassure asseure bien qu'Astree en a porté, quoi qu'elle faigne, un si grand desplaisir, qu'il n'est pas croyable combien chacun dit qu'elle est changée. Si est-ce que si Diane ne l'en empesche, elle est la plus belle de toutes celles que je vis jamais horsmis ma chere Cleon, mais ces trois là peuvent aller du pair. - Quelqu'autre, adjousta Celadon, en dira de mesme de sa Ξmaistresse Maistresse, car Ξ(Guillemets de "Amour" à "Amant".) l'Amour a cela de propre, non Ξpas de boucher les yeux comme quelques uns croyent, mais de changer les yeux de ceux qui ayment en l'Amour mesme, et Ξdautant d'autant qu'il n'y eut jamais laydes Amours, jamais un Amant ne Ξtrouva treuva sa Ξmaistresse Maistresse layde. - Cela respondit le Berger, seroit bon si j'Ξaimois aymois Astrée et Diane, mais n'en estant plus capable, j'en

Signet[ 402 recto ] 1607 fonctionnelle

suis juge sans reproche. Et vous qui Ξdouttez doutez de la beauté de ces deux Bergeres, estes vous estranger, ou bien si la haine vous fait commettre l'erreur contraire à celuy que vous dittes proceder de l'Amour ? - Je ne suis nul des deux, dit Celadon, mais ouy bien le plus miserable et plus affligé Berger de l'ΞUnivers univers. - Cela, dit ΞTyrcis Tircis, ne vous advoüeray-je jamais, si vous ne m'ostez de ce nombre. Car si vostre mal procede d'autre chose que d'Amour, vos playes ne sont pas si douloureuses que les miennes, Ξdautant d'autant que le cœur Ξ(Guillemets de "estant" à "sans espoir".) estant la partie la plus sensible que nous ayons, nous en ressentons aussi plus vivement les offenses. Que si vostre mal procede d'Amour, encor faut-il qu'il cede au mien, puis que de tous les maux d'Amour il n'en y a point de tel que celuy qui nie l'esperance, ayant ouy dire de long-temps que la où l'espoir peut seulement laicher nostre playe, elle n'est aussi tost plus endoluë. Or Ξcet cest espoir peut se mesler en tous les accidents d'Amour, soit desdain, soit courroux, soit haine, soit jalousie, soit absence, sinon où la mort a pris place ; car ceste pasle Deesse η avec sa fatale main, coupe d'un mesme trenchant l'espoir, dont le filet de la vie est coupé. Or moy plus miserable que Ξtous les plus miserables, je vay plaignant un mal sans remede, et sans espoir. Celadon alors luy respondit avec un grand souspir : - O Berger, combien estes vous abusé Ξ(Guillemets de "en vostre" à "l'on ne".) en vostre opinion ! Je vous advoüe bien que

Signet[ 402 verso ] 1607 fonctionnelle

les plus grands maux sont ceux d'Amour, de cela j'en suis trop Ξfidele fidelle tesmoin ; mais de dire
  " que ceux qui sont sans espoir Ξsoient soyent les
  " plus douloureux, tant s'en faut que mesme
  " ne meritent ils point d'estre ressentis, car
  " c'est acte de folie η de pleurer une chose à
  " quoy l'on ne peut remedier. - Et Amour, qu'est-ce, respondit-il, sinon une pure folie ? - Je ne veux pas repliqua Celadon, entrer maintenant en ce discours, Ξdautant d'autant que je veux parachever le premier, et Ξcestui-cy cestuy-cy seul meriteroit trop de temps. Mais dittes moy, plaignez-vous Ξceste morte cette mort pour Amour
  " ou non ? - C'est respondit-il, pour Amour.
  " - Or, qu'est-ce qu'Amour, dit Celadon, sinon,
  " comme j'ay ouy Ξ(Guillemets de "dire" à "mesme cercueil".) dire à ΞSylvandre Silvandre, et
  " aux plus Ξsçavants sçavans de nos Bergers, qu'un desir
  " de la beauté que nous trouvons telle ? - Il
  " est vray, dit l'estranger. - Mais repliqua Celadon,
  " est ce chose d'homme raisonnable
  " de desirer une chose qui ne se peut avoir ?
  " - Non certes, dit-il. - Or voyez donc, dit Celadon,
  " comme la mort de Cleon doit estre
  " le remede de vos maux, car puis que vous m'advoüez que le desir ne doit estre où l'esperance ne peut Ξattaindre atteindre, et que l'Amour n'est autre chose que desir, la mort, qui à ce que vous dittes, vous oste toute esperance, vous doit par consequent oster η tout le desir, et le desir mourant, il Ξtraîne traisne l'Amour dans un même cercueil, et n'ayant plus d'Amour, puis que le mal que vous Ξplaignez playgnez en vient, je ne sçay comment vous le puissiez ressentir. Le

Signet[ 403 recto ] 1607 fonctionnelle

Berger desolé luy respondit : - Soit Amour, ou Ξhaine hayne, tant y a qu'il est plus veritable que je ne le sçaurois dire, que mon mal est sur tous extreme. Et Ξparce par ce que Celadon luy vouloit repliquer, luy qui ne pouvoit souffrir d'estre contredit en ceste opinion, luy semblant que d'endurer les raisons contraires c'estoit Ξoffenser offencer les cendres de Cleon, luy dit : - Berger, ce qui est sous Ξ(Guillemets de "les sens" à "en ressens ".) les sens est plus certain que ce qui est en l'Ξopininion opinion, c'est pourquoy toutes ces raisons que vous alleguez doivent ceder à ce que j'en ressens. Et sur cela il le Ξrecommanda commanda η à Pan, et prit un autre chemin, Ξet Celadon de mesme contremont la riviere ; et Ξdautant d'autant que Ξ(Guillemets de "la" à "de sorte".) la Ξsollitude solitude a cela de propre de representer plus vivement la joye ou la tristesse, se trouvant seul, il commença à estre traitté de sorte par le temps, sa fortune, et l'Amour η, qu'il n'y avoit cause de tourment en luy, qui ne luy fust mise devant les yeux. Il estoit exempt de la seule jalousie ; aussi avec tant d'Ξennuis ennuys, si ce monstre le fust venu attaquer, je ne sçay quelles armes eussent esté assez bonnes pour le sauver. En ces tristes pensers, continuant ses pas il trouva le pont de la Bouteresse, sur lequel estant passé il rebroussa contre bas la riviere, ne sçachant à quel dessein il prenoit par là son chemin, car en toute sorte il vouloit obeir au commandement d'Astrée qui luy avoit deffendu de ne se faire voir à elle qu'elle ne Ξle luy commandast. En fin estant parvenu assez pres de Bon-Lieu, demeure des chastes Vestalles, il fut

Signet[ 403 verso ] 1607 fonctionnelle

comme surpris de honte d'avoir tant approché sans y penser, celle que sa resolution luy commandoit Ξdesloigner d'esloigner, et voulant s'en retourner, il s'enfonça dans un bois si espais et marescageux en quelques endroits, qu'à peine en Ξpût peut η-il sortir ; cela le Ξcontraint contraignit de s'approcher Ξdavantage d'avantage de la riviere, car le gravier menu luy estoit moins ennuyeux que la bouë. De fortune estant desja assez las du long chemin, il alloit cherchant un lieu où il se Ξpûst peust η reposer, attendant que la Ξnuit nuict luy permist de se retirer sans estre rencontré de personne, faisant dessein d'aller si loing que jamais on n'entendist de ses nouvelles, il jetta l'œil sur une caverne, qui du costé de l'entree estoit lavée de la riviere, et de l'autre estoit à demy couverte Ξd'une quantité d'arbres et de Ξbuissons buyssons, qui par leur espaisseur en Ξostoient ostoyent la veuë à ceux qui passoient le long du chemin, et luy-mesme n'y eust pris garde, n'eust esté qu'estant contraint de passer le long de la rive, il se trouva tout contre l'entree, où de fortune s'estant advancé, et luy semblant qu'il seroit bien caché jusques à la nuit, le lieu luy pleut de sorte qu'il resolut d'y passer le reste de ses jours tristes et desastrez, faisant dessein de ne point sortir de tout le jour du fond de ceste grotte. En ceste deliberation il commença de l'ageancer Ξau aux mieux qu'il luy fut possible, ostant quelques cailloux, que la riviere estant grande y avoit Ξportez porté. Aussi n'est-ce autre chose qu'un rocher, que l'eau estant grosse avoit cavé peu

Signet[ 404 recto ] 1607 fonctionnelle

[ Édition de 1624, 384 verso ] η

à peu et assez facilement, Ξparce par ce que l'ayant au commencement trouvé graveleux et tendre, il fut aisément miné, en sorte que les divers tours que l'onde contrainte avoit faits, l'Ξavoit avoient arrondy comme s'il eust esté fait expres ; depuis venant à se baisser, elle η estoit Ξrentrée r'entrée en son lict, qui n'estoit qu'à trois ou quatre pas de là. Le lieu pouvoit avoir six ou sept pas de longueur, et Ξparce par ce qu'elle η estoit ronde, elle en avoit autant de largeur, elle estoit un peu plus haute qu'un homme, toutefois en quelques lieux il y avoit des pointes du rocher, que le Berger à coups de cailloux peu à peu alla rompant, et Ξparce par ce que de fortune au plus profond il s'estoit trouvé plus dur, l'eau ne

[ Édition de 1624, 385 recto ] η

ne l'avoit cavé qu'en quelques endroits, qui donna moyen à Celadon avec Ξpeu plus de peine rompant quelques coings plus Ξavancez advancez de se faire la place d'un lict enfoncé dans le plus dur du rocher, que puis il couvrit de mousse, qui luy fut une grande commodité, Ξparce par ce que soudain qu'il pleuvoit à bon escient, le dessus de sa caverne, qui estoit d'un rocher fort tendre, estoit Ξincontinant persé incontinent percé de l'eau, si bien qu'il n'y avoit point d'autre lieu sec que ce lict delicieux η.
  Estant en peu d'heure accommodé de Ξceste cette sorte, il laissa sa juppe et sa panetiere, et les autres habits qui l'empeschoient le plus, et les liant ensemble, les mit sur le Ξlit lict avec sa cornemuse, que tousjours il portoit en façon d'escharpe. Mais par hazard en se despoüillant il tomba un papier en terre qu'il Ξrecognut reconneut bien tost pour estre de la belle Astree. Ce ressouvenir n'estant empesché de rien qui le pûst distraire ailleurs (car rien ne se presentoit à ses yeux que le cours de la riviere) eut tant de pouvoir sur luy, qu'il n'y eut ennuy souffert depuis son bannissement, qui ne luy revint en la memoire. En fin se resveillant de ce penser, comme d'un profond sommeil, il vient à la porte de la caverne, où despliant le cher papier qu'il tenoit en ses mains, apres cent Ξardants ardans et amoureux baisers, il dit : - Ah ! cher papier autrefois cause de mon contentement, et maintenant occasion de rengreger mes douleurs, comme est-il possible que vous conserviez en vous les propos de celle qui vous a escrit, sans les avoir changez, puis que la volonté où elle estoit alors est tellement changee qu'elle ny moy ne sommes

[ Édition de 1624, 385 verso ] η

plus ceux que nous soulions estre ? O quelle faute ! une chose sans esprit est constante, et le plus beau des esprits ne l'est pas. A ce mot, l'ayant ouverte, la premiere chose qui se presenta fut le chiffre d'Astree joint avec le sien. Cela luy remit la memoire de ses bon-heurs passez, si vive en l'esprit, que le regret de s'en voir descheu, le reduit presque au terme du desespoir. - Ah ! chiffres, dit-il, Ξtesmoings tesmoins trop certains du malheur, où pour avoir esté trop heureux je me retrouve maintenant, comment ne vous estes-vous separez pour suivre la volonté de ma belle Bergere ? Car si Ξautrefois autresfois elle vous a unis, ç'a esté en une saison, où nos esprits l'estoient encor davantage.

Signet[ 405 recto ] 1607 fonctionnelle

Mais à ceste heure que le desastre nous a si cruellement separez, comment, ô chiffres bienheureux, demeurez-vous encor ensemble ? C'est, comme je croy, pour faire paroistre que le Ciel peut pleuvoir sur moy toutes ses plus desastreuses influences, mais non pas faire jamais que ma volonté soit differente de celle d'Astrée. Maintenez donc, ô fidelles chiffres, ce symbole de mes intentions, afin qu'apres ma derniere heure que je Ξsouhaite souhaitte aussi prompte que le premier moment que je respireray, vous fassiez paroistre à tous ceux qui vous verront de quelle qualité estoit l'amitié du plus infortuné Berger qui ait jamais Ξaimé aymé. Et peut estre adviendra il, si pour le moins les Dieux n'ont perdu tout souvenir de moy, qu'apres ma mort pour ma satisfaction, ceste belle vous pourroit retrouver, et que vous considerant, elle Ξcognoistra connoistra qu'elle eut autant de tort de m'esloigner d'elle, qu'elle avoit eu de raison de vous lier ensemble. A ce mot il s'assit sur une grosse pierre, qu'il avoit Ξtraisnée trainée de la riviere à l'entrée de sa grotte, et là apres avoir essuyé ses larmes, il leut la lettre, qui estoit telle.


Lettre d'Astree à Celadon.

  Dieu permette Celadon, que l'Ξassurance asseurance que vous me Ξfaites faittes de vostre amitié me puisse estre aussi longuement continuée, comme d'affection

Signet[ 405 verso ] 1607 fonctionnelle

je vous en supplie, et de croire que je vous tiens plus cher que si vous m'estiez frere, et qu'au tombeau mesme je seray vostre.

  Ce peu de η mots d'Astree furent cause de beaucoup de maux à Celadon, car apres les avoir maintefois releus, tant s'en faut qu'il y retrouvast quelque allegement, qu'au contraire ce n'estoit que davantage envenimer sa playe, Ξdautant d'autant qu'ils luy remettoient en memoire une à une, toutes les faveurs que ceste Bergere luy avoit faites qui se faisoient regretter avec tant de desplaisir, que sans la nuit qui survint, à peine eust il donné tréve à ses yeux qui pleuroient ce que la langue plaignoit, et le cœur souffroit. Mais l'obscurité le faisant Ξrentrer r'entrer dans sa caverne, interrompit pour quelque temps ses tristes pensers, et permit à ce corps travaillé de ses ennuis, et de la longueur du chemin, de prendre par le dormir pour le moins quelque repos. Des-ja par deux fois le jour avoit fait place à la nuit avant que ce Berger se ressouvint de manger, car ses tristes pensers l'occupoient de sorte, et la melancolie luy remplissoit si bien l'estomac qu'il n'avoit point d'appetit d'autre viande, que de celle que le ressouvenir de ses ennuis luy pouvoit preparer, destrampée avec tant de larmes que ses yeux sembloient deux sources de Ξfonteine fontaine, et n'eust esté la crainte d'offenser les Dieux en se laissant mourir, et plus encores celle de perdre

Signet[ 406 recto ] 1607 fonctionnelle

par sa mort la belle Ξidée Idée qu'il avoit d'Astree en son cœur, sans doute il eust esté tres-aise de finir ainsi le triste cours de sa vie. Mais s'y voyant contraint, il visita sa panetiere que Leonide luy avoit fort bien garnie, la provision de laquelle luy dura plusieurs jours, car il mangeoit le moins qu'il pouvoit. En fin il fut contraint de recourre aux herbes et aux racines plus tendres, et par Ξbon bonne rencontre il se trouva qu'assez pres de là il y avoit une Ξfonteine fontaine fort abondante en cresson, qui fut son vivre plus Ξassuré asseuré et plus delicieux, car sçachant où trouver Ξassurément asseurément dequoy vivre, il n'employoit le temps qu'à ses tristes pensers, aussi luy faisoient ils si Ξfidele fidelle compagnie, que comme ils ne pouvoient estre sans luy, aussi n'estoit-il jamais sans eux. Tant que duroit le jour, s'il ne voyoit personne autour de sa petite demeure, il se promenoit le long du gravier, et là bien souvent sur les tendres escorces des jeunes arbres, il gravoit le triste sujet de ses ennuis, quelquefois son chiffre et celuy d'Astree ; que s'il luy advenoit de les entrelasser ensemble, soudain il les effaçoit, et disoit : - Tu te trompes Celadon, ce n'est plus la saison où ces chiffres te furent permis. Autant que tu és constant, autant à ton desavantage toute chose est changee. Efface, efface, miserable, ce trop heureux tesmoing de ton bon heur passé, et si tu veux mettre avec ton chiffre ce qui luy est plus convenable, mets y des larmes, des peines, et des morts. Avec semblables propos Celadon se reprenoit, si quelquefois

Signet[ 406 verso ] 1607 fonctionnelle

il s'Ξoublioyt oublioit en ces pensers, mais quand la nuit venoit, c'Ξestoit est lors que tous ses desplaisirs plus vivement luy touchoient en la memoire, car Ξ(Guillemets de "obscurité " à "jamais".) l'obscurité a cela de propre qu'elle rend l'imagination plus forte, aussi ne se retiroit-il jamais qu'il ne fust bien nuit ; que si la Lune esclairoit il passoit les nuits sous quelques arbres, où bien souvent Ξassouppy assoupy du sommeil, sans y penser il s'y Ξretrouvoit trouvoit le matin. Ainsi alloit Ξtraînant trainant sa vie ce triste Berger, qui en peu de temps se Ξrendit rendoit si pasle, et deffait, qu'à peine l'eust-on Ξpeu recognoistre, et luy mesme quelquefois allant boire à la proche Ξfonteine fontaine, s'estonnoit quand il voyoit sa figure dans l'eau, comme estant reduit en tel estat il pouvoit vivre. La barbe ne le rendoit point affreux, car il n'en avoit point encores, mais les cheveux qui luy estoient fort Ξcreuz creus, la maigreur qui luy avoit changé le tour du visage, et allongy le nez, et la tristesse qui avoit chassé de ses yeux ces vifs esclairs, qui autrefois les rendoient si Ξgratieux gracieux, l'avoient fait devenir tout autre qu'il ne souloit estre. Ah ! si Astrée l'eust veu en tel estat, que de joye et de contentement luy eust donné la peine de son fidelle Berger Ξcognoissant connoissant par un si Ξassuré asseuré tesmoignage, combien elle estoit vrayement Ξaimée aymée du plus Ξfidele fidelle, et du plus parfait Berger de Lignon.

Fin de la premiere partie d'Astree.

 Ξ

A PARIS, De l'Imprimerie de Charles
Chappellain, ruë des
Amandiers, à l'Image
nostre Dame.