Banderole
Première édition critique de L'Astrée d'Honoré d'Urfé
L'Astrée, 1621, Première partie.
Arsenal-magasin, 8°BL - 20631 (1)
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Édition de 1621, 366 recto (sic pour 266 recto).
Édition de Vaganay, p. 323.

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Livre neuvième

LE
NEUFIESME LIVRE
DE LA PREMIERE
Partie d'Astree.

  Leonide cependant arriva en la maison d'Adamas, et luy ayant fait entendre que Galathée avoit infiniment affaire de luy, et pour un sujet fort pressé, que elle luy Ξferoit entendre diroit par les chemins, il resolut pour ne luy Ξpoint desobeïr desobeir de partir aussi tost que la Lune η esclaireroit, qui pouvoit estre une Ξdemie demy heure avant jour. ΞEt ainsi s'estant retiré à bonne heure En ceste resolution, aussi tost que la Ξclairté clarté commença de paroistre, ils se mirent en chemin, et lors qu'ils furent au bas de la colline, n'ayant plus qu'une plaine qui les conduisoit au palais d'Isoure, ΞLa la Nymphe, à la requeste de son oncle, reprit la parole de ceste sorte.

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Histoire de Galathee
et Lindamor.

  Mon pere (car elle l'appelloit ainsi) ne vous estonnez point, je vous supplie, d'oüyr ce que j'ay à vous dire, et lors que vous en aurez occasion, ressouvenez-vous que ce mesme Amour en est cause, qui autrefois vous a poussé à semblables ou plus estranges accidents. Je n'oserois vous en parler, si je n'en avois permission, voire s'il ne m'avoit esté commandé ; mais Galathée à qui Ξcet cét affaire touche, veut bien, puis qu'elle vous a esleu pour medecin de son mal, que vous en sçachiez, et la naissance, et le progrez. Toutefois elle m'a commandé de tirer parole η de vous, que vous n'en direz jamais rien. Le Druide qui sçavoit quel respect il devoit à Ξ*tout ce qui estoit de la volonté de sa Dame (car pour telle la tenoit-il) luy respondit, qu'il avoit assez de prudence pour celer ce qu'il sçauroit importer à Galathée, et qu'en cela la promesse estoit superfluë. - Sur ceste Ξassurance asseurance, continua Leonide, je paracheveray donc de vous dire ce qu'il Ξest necessaire faut que vous sçachiez. Il y a fort long temps que Polemas devint amoureux de Galathée. De dire comme cela advint, il seroit inutile ; tant y a Ξ*ou fust la pratique, ou les perfections de la Nymphe qu'il l'Ξaima ayma de sorte, qu'à bon escient on l'en pouvoit dire

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Ξamoureux Amoureux. Ceste affection passa si Ξoutre avant, que Galathée mesme ne la pouvoit ignorer, tant s'en faut, en particulier elle luy fit plusieurs fois paroistre de n'avoir point son service desagreable, ce qui Ξl'embarqua de telle sorte le lia si bien, que rien depuis ne l'en a jamais peu distraire. Et Ξcertes c'est sans doute que Galathée avoit bien quelque occasion de favoriser Polemas, Ξpuis qu' car il estoit Ξpersonne homme qui meritoit beaucoup. Pour sa race, il Ξestoit est *comme vous sçavez de cet ancien tige de Ξ*Lavieu Surieu, qui en noblesse ne cede pas mesme à Galathée, Ξpour soy-mesme il estoit quant à ce qui est de sa personne il est fort agreable, ayant et le visage et la façon assez capable de donner de l'Amour. Sur tout il Ξavoit du sçavoir beaucoup a beaucoup de sçavoir, faisant honte en cela aux plus sçavants. Mais à qui Ξvas vay-je racontant toutes ces choses, vous Ξles le η sçavez, mon pere, beaucoup mieux que moy, tant y a que ces bonnes conditions le rendoient tellement recommandable, que Galathee le daigna bien favoriser, plus que tout autre qui pour lors fust à la ΞCourt cour d'Amasis. Toutefois ce fut avec tant de discretion, que personne ne s'en prit jamais garde. Or Polemas ayant ainsi le vent Ξà pleine voile favorable, vivoit content de soy-mesme, autant qu'une personne fondée sur l'esperance le peut estre.
  Mais Ξcet cest Ξ(Guillemets de "Amour" à "nourrit".) inconstant Amour, ou Ξplutost plustost ceste inconstante fortune, qui se plaist Ξvoire se nourrit du changemement au changement, voire qui s'en nourrit, voulut que Polemas, aussi bien que le reste du monde, ressentist quelles sont les playes qui procedent de sa

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main. Vous pourrez vous ressouvenir, qu'il y a quelque temps qu'Amasis permit à Clidaman de nous donner à toutes des serviteurs. De ceste occasion comme d'un essaim, sont sortis tant d'Amours, qu'outre que toute nostre Ξcourt Cour en fut peuplee, tout le Ξpaïs pays mesme s'en ressentit. Or entr'autres par hazard Lindamor fut donné à Galathée, il avoit beaucoup de merites, toutefois elle le receut aussi froidement que la ceremonie de ceste feste le luy pouvoit permettre. Mais luy qui Ξ*estoit galand, et qui peut estre des-ja auparavant Ξen avoit eu quelque intention, qu'il n'avoit pas osé faire paroistre outre les bornes de sa discretion, fut bien Ξaise ayse que ce Ξsujet subjet se presentast pour esclorre les beaux desseins qu'Amour Ξavoit conceuz en luy, et luy avoit fait concevoir et de, donner naissance sous le voile de la fiction à de tres-veritables passions. Si Polemas ressentit le commencement de ceste nouvelle amitié, le progrez luy en fut encor plus ennuyeux ; Ξdautant d'autant que le commencement estoit couvert de l'ombre de la courtoisie, et de l'exemple de toutes les autres Nymphes, si bien qu'encor que Galathee le receust avec quelque Ξapparance apparence de douceur, cela par raison ne le pouvoit offenser, Ξestant contrainte puis qu'elle y estoit obligée par la loy qui estoit commune. Mais quand ceste recherche continua, et plus encor quand passant les bornes de la courtoisie, il vid que c'estoit à bon escient, ce fut lors qu'il ressentit les effets que la jalousie Ξ*conçoit produit en une ame qui Ξaime ayme bien.

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Galathée de son costé n'y pensoit point, ou pour le moins ne Ξ(Guillemets de "croyoit" à "trainant".) croyoit pas en venir si avant, mais les occasions, qui comme enfilées Ξs'en se vont trainant l'une l'autre, l'emporterent si avant, que Polemas pouvoit bien estre excusé en quelque sorte, s'il se laissoit blesser à un glaive si trenchant, et si la jalousie pouvoit plus que l'Ξassurance asseurance que ses services luy donnoient. Lindamor estoit gentil, et n'y avoit rien qui se Ξpûst peust desirer en une personne bien née, dont il ne se deust contenter : courtois entre les Dames, brave entre les guerriers, plein de valeur et de courage, autant qu'autre qui ait esté en nostre Ξcourt cour dés plusieurs années. Il avoit esté jusques en l'âge de vingt et cinq ans, sans ressentir les effets qu'Amour a accoustumé de causer dans les cœurs de son âge, non que de son naturel il ne fust serviteur des Dames, ou qu'il eust faute de courage pour en hazarder quelqu'une, mais pour s'estre tousjours occupé à ces exercices, qui esloignent l'oysiveté, il n'avoit donné loisir à ses affections de jetter leurs racines en son ame ; car, dés qu'il Ξpût peut η porter le faix des armes, poussé de Ξcet cét instinct genereux, qui porte les courages nobles aux plus dangereuses entreprises, il ne laissa occasion de guerre où il ne rendist tesmoignage de ce qu'il estoit. Depuis estant revenu voir Clidaman, pour luy rendre le devoir à quoy il luy estoit obligé, en mesme temps il se donna à deux, à Clidaman,

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comme à son Seigneur, et à Galathee, comme à sa Dame, et à l'un et à l'autre sans l'avoir Ξdesseigné designé. Mais la courtoisie du jeune Clidaman, et les merites de Galathee avoient des aymants de vertu trop Ξ*violents puissants, pour ne l'attirer à leur service. Voila donc comme je vous disois, Lindamor amoureux, mais de telle sorte, que son affection ne se pouvoit plus couvrir du voile de la courtoisie. Polemas comme celuy qui y avoit interest le Ξrecognut recogneut Ξfort tost bientost, toutefois encor qu'ils fussent amis, si ne luy en fit-il point de semblant. ΞTant s'en faut Au contraire, se cachant entierement à luy, il ne taschoit que de s'Ξassurer asseurer Ξdavantage d'avantage de ceste Amour, afin de la ruiner par tous les artifices qu'il pourroit, comme il Ξs' l'essaya depuis. Et parce que, dés le retour de Lindamor il avoit, comme je vous disois, fait profession d'amitié avec luy, il luy fut Ξaisé aysé de continuer. En ce temps, Clidaman commença de se plaire Ξau aux tournois et aux joustes, où il reüssissoit fort bien, à ce que l'on disoit, pour son commencement. Mais sur tous Lindamor emportoit tousjours la gloire du plus adroit et du plus Ξ*genereux gentil, dont Polemas portoit une si grande peine, qu'il ne pouvoit dissimuler sa mauvaise volonté, et pensant, s'il faisoit ses parties avec luy, d'en emporter la plus grande gloire, parce qu'il estoit plus Ξâgé aagé et de plus longue main à la ΞCourt cour, il estoit toujours dans tous les desseins de son rival, mais Lindamor qui ne se doutoit point de l'occasion

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qui le luy faisoit faire, y alloit sans contrainte, et cela rendoit ses actions plus agreables ; ce que ne faisoit pas Polemas, qui avoit un dessein caché, où il falloit qu'il usast d'artifice, de sorte qu'il η luy servoit presque de lustre. Et mesmes le dernier η des Baccanales, que le jeune Clidaman fit un tournoy, pour soustenir la beauté de ΞSylvie Silvie, Guiemants et Lindamor firent tout ce que des hommes pouvoient faire, mais entre tous, Lindamor y eut tant de grace, et tant de bonheur, que quand Galathée n'en eust point esté le juge, Amour toutefois eust donné l'arrest contre Polemas. La Nymphe qui commençoit d'avoir des yeux aussi bien pour le reste des hommes, que jusques alors elle n'en avoit eu que pour Polemas, ne Ξpût peut η s'empescher de dire beaucoup de choses à l'advantage de Lindamor. Et voyez comme l'Amour se joüe et se mocque de la prudence des Amants ! Ce que Polemas avec tant de soing, et d'artifice va recherchant pour s'avantager par dessus Lindamor, Ξc'est ce qui luy nuit le plus, et Ξqui presque le rend le rend presque son inferieur ; car chacun faisant comparaison des actions de l'un et de l'autre, y Ξtrouvoit trouvant η tant de difference, qu'il eust mieux Ξvallu valu pour luy, ou de n'y point assister, ou qu'il s'en fust declaré ennemy tout à fait Ξ*plutost qu'amy jaloux et dissimulé . Ce fut ce soir mesme que Lindamor, poussé de son bon demon (je croy quant à moy, qu'il y a des jours heureux et d'autres malheureux) se declara à bon escient serviteur de la belle Galathée, mais l'occasion aussi

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luy fut toute telle qu'il eust sceu desirer ; car dansant ce bal, que les ΞFrançons Francs ont nouvellement apporté de Germanie, auquel l'on va Ξdesrobant dérobant celle que l'on veut, *conduit d'Amour, mais beaucoup plus poussé à ce que je Ξcrois croy du destin, il Ξdesroba deroba Galathée à Polemas, qui plus attentif à son discours qu'au bal, n'y prenoit pas garde, et alloit a l'heure mesme, reprochant à la Nymphe la naissante amitié qu'il prevoyoit de Lindamor. Elle qui n'y avoit point encor pensé à bon escient, s'offensa de ce discours, et receut si mal ses paroles, qu'elles luy rendirent celles de Lindamor d'autant plus agreables, qu'il luy sembloit en cela se venger de ce soupçonneux. Ce qui Ξme fait en m'en fait parler ainsi, c'est que nul ne le peut mieux sçavoir que moy, qui semble avoir esté destinee pour Ξouïr ouyr toutes ces Amours ; car soudain que nous fusmes retirées, et que Galathée fut dans le lit, elle me commanda de demeurer au chevet pour luy tenir la bougie, c'estoit lors qu'elle lisoit les dépesches qui luy venoient, et mesme celles qui estoient d'importance. Ce soir, elle en fit le semblant pour donner occasion aux Nymphes de la laisser seule, et quand elles furent toutes sorties, elle me commanda de fermer la porte, puis me fit asseoir sur le pied du lit, et apres avoir un peu Ξsousrit sousry, elle me dit : - Encor faut-il, Leonide, que vous riez Ξdu gratieux de la gratieuse rencontre qui m'est Ξadvenu advenuë au bal. Vous sçavez qu'il y a des-ja quelque temps que Polemas a pris volonté

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de me servir, car je ne le vous ay point Ξcellé celé, et Ξdautant d'autant qu'il me sembloit qu'il vivoit envers moy avec tant d'honneur, et de respect, il ne faut point en mentir, son service ne m'a point esté desagreable, et je l'ay reçeu avec un peu plus de bonne volonté, que des autres de ceste ΞCourt cour, non Ξtoutesfois toutefois qu'il Ξy ait eu aucun Amour de mon costé. Je ne veux pas dire, Ξ(Guillemets de "que" à "soi") que peut estre, comme l'Amour flatte tousjours ses malades d'esperance, Ξqu' il ne se soit figuré ce qu'il a desiré ; mais la verité est Ξcelle-là , que je n'ay jamais encores jugé qu'il Ξy eust pour moy quelque chose capable de m'en donner. Je ne sçay ce qui pourroit advenir, et Ξde cela je m'en remets à ce qui en sera, mais pour ce qui est jusques icy, il n'y a aucune apparence. Or Polemas qui a veu que j'oyois ce qu'il me vouloit dire, et que je l'escoutois avec patience, rendu d'autant plus hardy, qu'il ne remarquoit point que je vesquisse avec aucun autre de ceste sorte, Ξest a passé si outre, qu'il ne sçait plus ce qu'il fait, tant il est hors de soy. Et de fait, ce soir, il a Ξdansé dancé avec moy quelque temps, au commencement si resveur, que j'ay esté contrainte sans y penser de luy demander ce qu'il avoit : - Ne vous Ξdesplaira il déplaira t'il point, m'a t'il dit, si je le vous Ξdescouvre découvre ? - Nullement, luy ay-je Ξrespondu répondu, car je ne demande jamais chose que je ne Ξveuille vueille sçavoir. Sur ceste Ξassurance asseurance Ξa-il il a Ξadjousté poursuivy : - Je vous diray, Madame, qu'il n'est pas en ma puissance de ne resver à des actions que je voy d'ordinaire devant mes

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yeux, et qui me touchent si vivement, que si j'en avois aussi bien l'Ξassurance asseurance, que je n'en ay que le soupçon, je ne sçay s'il y auroit quelque chose Ξd'assez fort assez forte, pour me retenir en vie. Sans mentir, j'estois encor si peu advisée, que je ne sçavois ce qu'il vouloit dire, toutefois me semblant que son amitié m'obligeoit à quelque sorte de curiosité, je luy ay demandé quelles actions c'estoient qui le touchoient si vivement. Alors s'arrestant un peu, et m'ayant regardée ferme quelque temps, il m'a dit : - Est-il possible, Madame, que sans fiction vous me demandiez Ξce que c'est ? - Et pourquoy, luy ay-je respondu, ne voulez vous pas que je le puisse faire ? - ΞParce Par ce, a t'il adjousté, que c'est à vous Ξet de vous où elles s'addressent et à qui toutes ces choses s'adressent, et que c'est de vous aussi d'où elles procedent. Et lors voyant que je ne disois mot, car Ξ*sans mentir je ne sçavois ce qu'il vouloit dire, il a recommencé a marcher, et m'a dit : - Je ne veux plus que vous puissiez Ξfaindre feindre en Ξcet ceste affaire sans rougir, car resolument je me veux forcer de le vous dire, quoy que le discours m'en deust couster la vie. Vous sçavez, Madame, avec quelle affection, depuis que le Ξciel Ciel me rendit vostre, j'ay tasché de vous rendre preuve que j'estois veritablement serviteur de la belle Galathée. Vous pouvez dire, Ξet si jusques icy vous avez Ξpû recognoistre recogneu quelque action des miennes tendre à autre fin qu'à celle de vostre service ; si tous mes desseins n'ont pris ce point pour leur but, et si tous mes desirs parvenant Ξla, ne se sont

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monstrez satisfaits et Ξcontents contens. Je m'Ξassure asseure que si ma fortune me nie de meriter quelque chose Ξdavantage d'avantage en vous servant, que pour le moins elle ne me refusera pas ceste satisfaction de vous, que vous Ξadvoüez advoüerez que veritablement je suis vostre, et à Ξnul nulle autre qu'à vous. Or si cela est, jugez quel regret doit estre le mien apres tant de temps Ξdespendu dependu, pour ne dire perdu, lors que (s'il y avoit quelque raison en Amour) je Ξdois devrois plus raisonnablement attendre quelque loyer de mon affection, je vois en ma place un autre favorisé, et Ξheriter heritier η pour dire ainsi de Ξma succession mon bien avant ma mort. Excusez moy, si j'en parle de ceste sorte, l'extréme passion arrache ces justes plaintes de mon ame, qui Ξencor encore qu'elle le Ξveuille vueille, ne peut les taire davantage, voyant celuy qui triomphe de moy, en avoir acquis la victoire plus par destin, que par merite. C'est de Lindamor, de qui je vous parle, Lindamor, de qui le service est d'autant plus heureusement receu de vous, qu'il ne η me cede, et en affection, et en fidelité. Mon grief n'est pas pour le voir plus heureux, qu'il n'eust osé souhaitter, mais ouy bien de le voir heureux à mes despens. Excusez moy, Madame, je vous supplie, ou plutost excusez la grandeur de mon affection, si je me plains, puis que ce n'est qu'une plus apparente preuve du pouvoir que vous avez sur vostre tres humble serviteur. Et ce qui me fait parler ainsi, Ξc'est cest η pour remarquer que vous usez envers luy des mesmes paroles, et Ξdes mesmes façons de traitter

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que vous souliez envers moy, à la naissance de vostre bonne volonté, et lors que vous me permistes de vous parler, et de pouvoir dire en Ξmon ame moy-mesme, que vous sçaviez mon affection. Cela me Ξsort met hors de moy mesme, avec tant de violence, qu'à peine puis-je commander à ces furieux mouvements que vous me faites, et que l'offense Ξ*conçoit produit en mon ame, qu'ils n'en fassent naistre des effets au dela de la discretion. Il vouloit parler Ξdavantage d'avantage, mais Ξ*l'action la passion en quoy il estoit, luy a si promptement osté la voix, qu'il ne luy a pas esté possible de continuer plus outre. Si je me suis Ξressentie offensée de ses paroles, vous le pouvez juger, car elles estoient, et temeraires, et Ξpleines plaines d'une vanité qui n'estoit pas supportable. Toutefois Ξafin à fin de ne donner Ξpas cognoissance de ce trouble, à ceux qui n'ont des yeux que pour espier les actions d'autruy, je me suis contrainte de luy faire une response un peu moins aigre que je n'eusse fait, si j'eusse esté ailleurs. Et luy ay dit : - Polemas, ce que vous estes, et ce que je suis, ne me Ξlairra laissera η jamais douter que vous ne soyez mon serviteur, tant que vous demeurerez en la maison de ma mere, et que vous ferez service à mon frere ; mais je ne puis assez m'estonner des folies que vous allez meslant en vostre discours, en parlant d'heritage, et de Ξsuccession vostre bien. En ce qui est de mon amitié, je ne sçay par quel droit vous me pretendriez vostre ? Mon intention, Polemas, a esté de vous aymer, et estimer comme vostre vertu le merite, et ne Ξdevez vous figurer rien vous devez rien figurer outre cela.

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Et quand à ce que vous Ξdictes dittes de Lindamor, sortez d'erreur, car si j'en use de mesme avec luy, que j'ay fait avec vous, vous devez croire que j'en feray de mesme avec tous ceux qui par cy Ξapres pres η le meriteront, sans autre dessein plus grand que d'Ξaimer aymer, et d'estimer ce qui le merite, en Ξquel quelque sujet qu'il se trouve. - Et quoy, Madame, luy dis-je lors en l'interrompant, vous semble-t'il que ceste response soit douce ? Je ne sçay pas ce que vous eussiez Ξpeu honnestement luy dire davantage, car à la verité il faut avoüer qu'il est outrecuidé ; mais si ne peut on nier que ceste outrecuidance ne soit née en luy avec quelque Ξapparance apparence de raison. - De raison ? me respondit incontinent la Nymphe, et quelle raison en cela pourroit il alleguer ? - Plusieurs, Madame, luy repliquay-je, mais pour les taire toutes, sinon une, je vous diray, que veritablement vous avez permis qu'il vous ait servie avec plus de particularité que tout autre. - C'est parce, dit Galathée, qu'il me plaisoit davantage, que le reste des serviteurs de mon frere. - Je le vous advoüe, respondis-je, et se voyant plus avant en vos bonnes graces, que pouvoit-il moins esperer que d'estre aymé de vous ? Il a tant ouy raconter Ξd' des exemples Ξdes Amours d'Amour entre des personnes inégales, qu'il ne pouvoit se Ξmoins flatter flatter moins que d'esperer cela mesme pour luy, qu'il oyoit raconter des autres. Et me souvient que sur ce mesme sujet il fit des vers qu'il chanta devant vous, il y a quelque temps, lors que vous luy commandiez de celer son affection. Ils estoient tels.

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Sonnet.

Pourquoy si vous m'Ξaimez aymez, craignez-vous qu'on le sçache ?
Est-il rien de plus beau qu'une honneste amitié ?
Ξ*Ceste saincte vertu par douceur nous attache Les esprits vertueux l'un à l'autre elle attache,
Et loing des cœurs humains bannit l'inimitié.
Si vostre eslection est celle qui vous fasche,
Et que vous me jugiez trop indigne moitié,
ΞJe veux bien qu'à mon dam Orgueilleuse beauté, qu'à chacun on le cache,
Sans que jamais en vous se monstre la pitié.
  Mais toutefois Didon Ξn'eut honte d'un coursaire d'un corsaire n'a honte,
ΞEnone pour Paris de se rendre Bergere *Paris jeune Berger, son Œnone surmonte,
ΞNy Diane d'aimer le jeune Et Diane s'esmeut pour son Endymion.
  Amour n'a point d'Ξesgard egard à la grandeur Ξroyale Royalle,
Au Sceptre le plus grand la houlette il Ξesgale égale,
Et sans plus luy suffit la pure affection.

  Alors Adamas luy demanda : - Et comment, Leonide, il me semble par les paroles de Galathée qu'elle mesprise Polemas, et par ces vers il n'y a personne qui ne jugeast qu'elle l'Ξaime ayme, et qu'il ne puisse seulement patienter qu'elle le dissimule ? - Mon pere, luy repliqua Leonide, il est tout vray qu'elle l'aimoit, et qu'elle luy en avoit tant rendu de preuve, Ξque de le croire qu'en le croyant il n'estoit pas Ξtant si outrecuidé, Ξque de ne le croire pas, on l'eust pû qu'on l'eust peu

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Ξjuger tenir pour Ξpersonne homme de peu d'entendement en ne le croyant pas, et quoy qu'elle voulust faindre avec moy, si est-ce que je sçay bien qu'elle Ξse l'estoit attirée l'avoit attiré par des artifices, et par des esperances de bonne volonté, dont les arres n'estoient pour le commencement si petites, que plusieurs autres n'y eussent esté deceuz. Et je ne sçay, voyant donner de si grandes asseurances, qui eust creu qu'Ξelles elle les eust voulu perdre, et se Ξdesdire dedire du marché. Mais il merite ce chastiment pour la perfidie dont il a usé envers une Nymphe, de qui l'affection deceuë a crié vengeance, de sorte qu'Amour l'a en fin exaucée ; Ξcar sans mentir, c'est le plus trompeur, le plus ingrat, et le plus indigne d'estre Ξaimé aymé, pour Ξce sujet ceste méconnoissance, qui soit sous le Ξciel Ciel, et ne merite pas qu'on le plaigne, s'il ressent la douleur que les autres ont Ξsouffertes soufferte pour luy.
  Adamas la voyant ainsi esmeüe contre Polemas, luy demanda qui estoit la Nymphe qu'il avoit deceüe et luy dit qu'elle devoit estre de ses amies, puis qu'elle en ressentoit l'Ξoffense offence si vivement. Elle Ξrecognut reconeut alors qu'elle avoit trop cedé à sa passion, et que sans y penser elle faisoit cognoistre ce qu'elle avoit tenu secret si long temps, toutefois, comme elle avoit un esprit vif, et qui ne tomboit jamais en deffaut, elle couvrit par ses dissimulations si bien ceste erreur, qu'Adamas pour lors n'y prit pas garde. - Et quoy, ma fille, luy dit Adamas, ne sçavez vous pas que les hommes vivent avec

Signet[ 273 verso ] 1607 fonctionnelle

  " Ξ(Guillemets de "dessein" à "Mais".) dessein de vaincre, et parachever tout ce
  " qu'ils entreprennent, et que l'amitié qu'ils
  " font paroistre à vous autres femmes n'est que
  " pour s'en faciliter le chemin ? Voyez-vous,
  " Leonide, tout Amour est pour le desir de chose qui
  " deffaut, le desir estant assouvy, n'est plus desir,
  " n'y ayant plus de desir, il n'y a plus d'Amour.
  " ΞVoyla Voila pourquoy celles qui Ξveullent veulent estre long temps
  " Ξaimées aymées, sont celles qui donnent moins
  " de satisfaction aux desirs des ΞAmants amants. - Mais adjousta Leonide, Ξcelle-cy celle dont je parle est une de mes Ξamies fort particuliere particulieres amies, et je sçay que jamais elle n'a traitté envers Polemas, qu'avec toute la froideur qui se peut dire. - Cela aussi, repliqua Adamas, fait perdre le desir, car le desir se nourrit
  " de l'esperance, et des Ξ(Guillemets de "faveurs" à "Amours".) faveurs. Or tout ainsi
  " que la Ξmesche méche de la lampe s'esteint quand l'huile deffaut, de mesme le desir meurt, lorsque sa nourriture luy est ostée ; voilà pourquoy nous voyons tant d'Amours qui se changent, les unes Ξde par trop, et les autres Ξde par trop peu de faveurs. Mais retournons à ce que vous disiez à Galathée. Qu'est ce qu'elle vous respondit ? - Si Polemas, respondit Leonide, eust eu, me dit-elle, autant de jugement pour se mesurer, que de temerité pour m'oser Ξaimer aymer, il eust receu ces faveurs de ma courtoisie, et non pas de mon Amour. Mais, continua Galathée, cela n'a rien esté au prix de l'accident qui est arrivé Ξà en mesme temps ; car à peine avois-je respondu à Polemas ce que vous avez ouy, que Lindamor suivant

Signet[ 274 recto ] 1607 fonctionnelle

le cours de la danse, m'est venu desrober, et si dextrement, que Polemas ne l'a sçeu éviter, Ξet ny par mesme moyen me respondre qu'avec les yeux, mais certes il l'a fait avec un visage si Ξrefroigné renfroigné que je ne sçay comme j'ay Ξpeu m'empescher Ξd'en de rire. Quant à Lindamor, ou il ne Ξs'en sen η est pris garde, ou le recognoissant, il ne l'a voulu faire paroistre, tant y a qu'incontinent apres il m'a parlé de sorte, que cela suffisoit bien à faire devenir entierement fol le pauvre Polemas, s'il l'eust ouy. - Madame, m'a-t'il dit, est-il possible que toutes choses aillent tant au rebours, et que la fainte reussisse si Ξvraie vraye, et les presages aussi, que vos yeux me dirent à l' Ξabort abord que je les vis ? - Lindamor luy ay je dit, ce seroit estre puny comme vous meritez, si faignant vous rencontriez la verité. - Ceste punition, m'a-t'il respondu, m'est si agreable, que je me voudrois mal, si je ne l'Ξaimois aymois, et cherissois, comme Ξla chose du monde le plus grand heur qui me puisse arriver Ξla plus heureuse . - Qu'entendez vous par là ? luy ai-je dit, car peut-estre parlons nous de chose bien differente. - J'entends, dit-il, qu'en ce jeu du bal, je vous ay desrobée, et qu'en la verité de l'Amour, vous m'avez desrobé et l'ame et le cœur. Alors Ξrougie rougissant un peu, je luy ay respondu comme en colere : - Et quoy, Lindamor, quels discours sont les vostres ? Vous ressouvenez-vous pas qui je suis, et qui vous estes ? - Si fay, dit-il, Madame, et c'est Ξcela qui me fait ce qui me convie à vous parler de ceste sorte, car n'estes-vous pas Madame, et ne suis-je

Signet[ 274 verso ] 1607 fonctionnelle

pas vostre serviteur ? - Ouy, luy ay-je respondu, mais ce n'est pas en la sorte que vous l'Ξentendez entendés ; car vous me devez servir avec respect et non point avec Amour, ou s'il y a de l'affection, il faut qu'elle naisse de vostre devoir. Il a incontinent repliqué : - Madame, si je ne vous sers avec respect, jamais divinité Ξne l'a esté n'a esté honorée d'un mortel, mais que ce respect soit le pere Ξou l'enfant de mon affection, cela vous importe peu, car je suis resolu, quelle que vous me puissiez estre, de vous servir, de vous Ξaimer aymer, et de vous adorer, et en cela ne croyez point que le devoir, à quoy Clidaman par son jeu nous Ξa à sousmis, en soit la cause, il en peut bien estre la couverture, mais en fin vos merites, vos perfections, ou pour mieux dire, mon destin me donne à vous, et j'y consents, car je Ξrecognois reconnois que tout homme qui vit sans vous Ξaimer aymer ne merite le nom d'homme. Ces paroles ont esté proferées avec une certaine vehemence, Ξque j'ay bien recognu qui m'a bien fait connoistre qu'il disoit veritablement ce qu'il avoit en l'ame. Et voyez je vous supplie Ξle gratieux la plaisante rencontre. Je n'avois jamais pris garde à ceste affection, Ξcar je croyois que ce fust pensant que tout ce qu'il faisoit fut par jeu, et Ξn'y eusse jamais pensé ne m'en fusse jamais apperceuë, sans la jalousie de Polemas, mais depuis j'ay eu tousjours l'œil sur Ξluy Lindamor, et ne faut point que j'en mente, je l'ay trouvé capable de donner aussi bien de l'Amour, que de la jalousie, de sorte qu'il semble que l'autre ait esguisé le fer dont il a voulu trancher le filet

Signet[ 275 recto ] 1607 fonctionnelle

du peu d'amitié que je luy portois, car je ne sçay comment Polemas, depuis ce temps-là, me desplaist si fort en toutes ses actions, qu'Ξà a peine l'ay-je Ξpeu souffrir pres de moy le reste du soir. Au contraire tout ce que Lindamor Ξfait faict me revient de sorte, que je m'estonne de ne l'avoir Ξplutost plustost remarqué. Je ne sçay si Polemas pour estre interdit a changé de façon, ou si la Ξmauvaise mauvayse opinion que j'ay conceuë de luy, m'a changé les yeux pour son regard, tant y a que, ou mes yeux ne voyent plus comme ils souloient, ou Polemas n'est plus celuy qu'il souloit estre. Il ne faut point que j'en mente, quand Galathée me parla de ceste sorte contre luy je n'en fus pas Ξmarrie marrye, à cause de son ingratitude, au contraire, pour luy nuire encor Ξdavantage d'avantage, je luy dis : - Je ne m'estonne pas, Madame, que Lindamor vous revienne plus que Polemas, car les qualitez et les perfections de l'un et de l'autre ne sont pas égales, chacun qui Ξles le η verra fera bien le mesme jugement que vous. Il est vray qu'en cecy je prevoy une grande broüillerie, premierement entre eux, et puis entre vous, et Polemas. - Et pourquoy ? me dit Galathée. Avez-vous opinion qu'il ait quelque puissance sur mes actions ou sur celles de Lindamor ? - Ce n'est pas cela, luy dis-je, Madame, mais je cognoy assez l'humeur de Polemas, il ne Ξlairra laissera rien d'intenté, et remuera le Ξciel Ciel et la terre, pour revenir au bon heur qu'il croira d'avoir perdu, et comme cela, il

Signet[ 275 verso ] 1607 fonctionnelle

fera de ces folies qui ne se peuvent cacher qu'à ceux qui ne les veulent point voir, et vous en aurez du desplaisir, et Lindamor s'en offensera. Et Dieu Ξveuille vueille qu'il n'en advienne encor pis. - Rien, rien, Leonide, me respondit-elle. Si Lindamor m'Ξaime ayme, il fera ce que je luy commanderay, s'il ne m'Ξaime ayme pas, il ne se souciera guiere de ce que Polemas fera. Et pour luy, s'il sort des limites de raison, je sçay fort bien comme il l'y faudra remettre et m'en laissez la peine, car j'y pourvoiray bien. A ce mot elle me commanda de tirer le rideau, et la laisser reposer, pour le moins si ses nouveaux desseins le luy permettoient. Mais au sortir du bal, Lindamor qui avoit pris garde à la mine que Polemas avoit faitte, quand il luy avoit osté Galathée, eut quelque opinion qu'il l'Ξaimast aymast, Ξtoutefois toutesfois n'en ayant jamais rien Ξcognu cogneu par ses actions passées, il voulut le luy demander, resolu Ξqu'il estoit s'il Ξestoit l'en trouvoit ΞAmoureux amoureux, de tascher de s'en divertir, Ξparce par ce qu'il se sentoit en quelque sorte obligé à cela, pour l'amitié qu'il luy avoit fait paroistre, qu'il pensoit estre veritable, et ainsi l'abordant, le pria de luy pouvoir dire un mot en particulier. Polemas qui usoit de toute la finesse dont un homme de Ξcourt cour peut estre capable, peignit son visage d'une fainte bien-Ξveuilance vueillance, et respondit : - Qu'est-ce qu'il plaist à Lindamor de me commander ? - Je n'useray jamais, dit Lindamor, de commandement, où ma priere seule doit

Signet[ 276 recto ] 1607 fonctionnelle

avoir quelque lieu ; et pour ceste heure je ne me veux servir de l'un ny de l'autre, mais seulement en amy, que je vous suis, vous demander une chose que nostre amitié vous oblige de me dire. - Quoy que ce puisse estre, repliqua Polemas, puis que nostre amitié m'y oblige, vous devez croire que je vous respondray avec la mesme franchise que vous scauriez desirer. - C'est, adjousta Lindamor, qu'apres avoir Ξservi servy quelque temps Galathée selon que j'y estois obligé par l'ordonnance de Clidaman, en fin j'ay esté Ξcontraint contrainct de le faire par celle de l'Amour, car il est tout vray Ξquapres qu'apres l'avoir long temps servie par la disposition de la fortune, qui me donna à elle, ses merites m'ont depuis tellement acquis, que ma volonté a ratifié ce don, avec tant d'affection, que de m'en retirer ce seroit autant Ξdeffaut defaut de courage, que Ξd' c'est maintenant outrecuidance Ξà de dire que Ξje l'ose aimer j'ose l'aymer. Toutefois Ξnostre amitié qui est l'amitié qui est entre vous et moy estant contractée de plus longue main que Ξceste cest Amour, me donne assez de resolution pour vous dire, que si vous l'Ξaimez aymez, et avez quelque pretention en elle j'espere encor avoir tant de puissance sur moy, que je m'en retireray, et Ξdonray donneray cognoissance que l'Amour en moy, est moins que l'amitié, ou pour le moins que les folies de l'un cedent aux sagesses de l'autre. Dittes moy donc franchement ce que vous avez en l'ame, Ξafin à fin que vostre amitié, ny la mienne, ne se puissent plaindre de nos actions. Ce

Signet[ 276 verso ] 1607 fonctionnelle

que je vous en dy n'est pas pour Ξdescouvrir decouvrir ce qui est de vos secrettes intentions, Ξcar puis que vous ouvrant les miennes, vous ne devez craindre que je sçache les vostres, Ξet puis outre que les loix de l'amitié vous commandent de ne me les Ξpoint celler, puis que celer pas, veu que non point la curiosité, mais le desir de la conservation de nostre bien-Ξveuillance vueillance, me fait le vous demander. Lindamor parloit à Polemas avec la mesme franchise que doit un amy ; pauvre et ignorant Amant qui croyoit qu'en Amour il s'en Ξpuisse peust η trouver. Au contraire le dissimulé Polemas luy respondit : - Lindamor, ceste belle Nymphe de qui vous parlez est digne d'estre servie de tout l'ΞUnivers Univers, mais quant à moy je n'y ay aucune pretention. Bien, vous diray-je, qu'en ce qui est de l'Amour, je suis d'Ξadvis avis que chacun y fasse de son costé ce qu'il pourra. Lindamor se repentit lors, de luy avoir tenu un langage si plein de courtoisie, et de respect, puis qu'il en usoit si mal, et se resolut de faire tout ce qui seroit en luy, pour s'advancer aux bonnes graces de la Nymphe ; et toutefois il luy respondit : - Puis que vous n'y avez point de dessein, je m'en resjouïs, comme de la chose qui me pouvoit arriver la plus Ξagreable aggreable, Ξdautant d'autant que de m'en retirer, ce m'eust esté une peine, qui n'eust esté Ξguiere guere moindre que la mort.
  - Tant s'en faut, adjousta Polemas, que j'y aye quelque pretention d'Amour, que je ne l'ay jamais regardée que d'un œil de respect, tel que nous sommes tous obligez de

Signet[ 277 recto ] 1607 fonctionnelle

luy rendre. - Quant à moy, repliqua Lindamor, j'Ξhonore honnore bien Galathee comme Dame, mais aussi je l'Ξaime ayme comme belle Dame, et me semble que ma fortune peut pretendre aussi haut qu'il Ξest eust η permis à mes yeux de regarder, et que nul n'offense une divinité en l'Ξaimant aymant. Avec semblables discours ils se separerent tous deux assez mal satisfaits l'un de l'autre, toutefois bien differemment, car Polemas l'estoit Ξpour de jalousie, et Lindamor, pour recognoistre la perfidie de son amy.
  ΞDés Dez ce jour ils vesquirent d'une plaisante sorte, car ils estoient ordinairement ensemble, et toutefois ils se cachoient leurs desseins, non pas Lindamor en Ξapparance apparence, mais en effet il se cachoit en tout ce qu'il proposoit, et qu'Ξ(Guillemets de "de" à "laissoit".) il desseignoit de faire, sçachant bien que les occasions
  passées ne se peuvent Ξrappeller r'appeller, il ne laissoit "
  perdre un seul moment de loisir, qu'il n'employast "
à faire paroistre son affection à la Nymphe, en quoy certes il ne perdit ny son temps ny sa peine, car elle eut tellement agreable la bonne volonté qu'il luy faisoit paroistre que si elle n'avoit pas tant d'Amour que luy dedans les yeux, elle en avoit bien autant pour le moins dans le cœur, et Ξparce par ce qu'il Ξ(Guillemets de "malaisé" à "affections".) est Ξbien malaisé fort mal-aysé de cacher si bien un grand feu, que quelque chose ne s'en descouvre, leurs affections,
  qui commençoient à brusler à bon escient, "
  se pouvoient difficilement couvrir, de "
Ξquelle quelque prudence qu'ils y usassent. Cela fut cause que Galathee se resolut de parler le moins

Signet[ 277 verso ] 1607 fonctionnelle

souvent qu'il luy seroit possible à Lindamor, et de trouver quelque invention pour luy envoyer de ses lettres, et en recevoir secrettement. Et pour cet effet, elle fit dessein sur Fleurial nepveu de Ξ*sa nourrice la nourrice d'Amasis, et frere de la sienne, duquel elle avoit souvent Ξrecognu reconneu la bonne volonté, parce qu'estant Jardinier Ξde en ses beaux jardins de ΞMontbrison Mont-Brison, ainsi que son pere toute sa vie l'avoit esté, lors Ξque l'on l'y menoit promener qu'on y menoit promener Galathee, il la prenoit bien souvent entre ses bras, et luy alloit amassant les fleurs qu'elle vouloit, et Ξ(Guillemets de "vous" à "bien que".) vous sçavez que ces amitiez d'enfance, estant comme succées
  " avec le lait, se tournent presque en nature,
  " outre qu'elle sçavoit bien que tous vieillards
  " estants avares, faisant du bien à cestuy-cy, elle se l'acquerroit entierement. Et il advint comme elle l'avoit desseigné, car un jour se trouvant un peu esloignée de nous, elle l'appella Ξfaignant feignant de luy demander le nom de quelques fleurs qu'elle tenoit Ξà en la main, et apres les luy avoir demandées assez haut, baissant un peu la voix, elle luy dit : - ΞViença Vien-çà, Fleurial m'Ξaime ayme-tu bien ? - Madame, luy respondit-il, je serois le plus meschant homme qui vive si je ne vous Ξaimois aymois plus que tout ce qui est au monde. - Me puis-je Ξassurer asseurer, dit la Nymphe, Ξen de ce que tu dis ? - Que jamais, repliqua-t'il, ne puisse je vivre un moment, si je n'eslisois Ξplutost plustost de faillir contre le Ciel, que contre vous. - Quoy ? adjousta Galathée, sans nulle sorte d'exception, fust-ce en chose qui offençast Amasis ou Clidaman ? - Je

Signet[ 278 recto ] 1607 fonctionnelle

ne m'enquiers point, dit alors Fleurial, qui j'offenserois en vous servant, car c'est à vous seule à qui je suis, et quoy que Madame me paye, c'est toutefois de vous de qui ce bien-Ξfait faict me vient, et puis quand cela ne seroit point, je vous ay tousjours eu tant Ξde paticuliere d' affection, que dés vostre enfance, je me donnay du tout à vous. Mais, Madame, à quoy servent ces paroles ? Je ne seray jamais si heureux, que d'en pouvoir rendre preuve. Alors Galathée luy dit : - Escoute Fleurial, si tu vis en ceste resolution, et que tu sois secret, tu seras le plus heureux homme de ta condition, et ce que j'ay fait pour toy par le passé, n'est rien au Ξprix pris η de ce que je feray. Mais voy-tu, sois secret, et te ressouviens que si tu ne l'és outre que d'amie que je te suis je te seray mortelle Ξennemie ennemye, encor te dois-tu Ξassurer asseurer qu'il n'y va rien moins que de ta vie. Va trouver Lindamor, et fais tout ce qu'il te dira, et croy que je recognoistray mieux que tu ne sçaurois esperer, les services que tu me feras en cela, et prends garde à n'avoir point de langue. A ce mot Galathée nous vint retrouver, et riant disoit que Fleurial et elle avoient long temps parlé d'Amour. - Mais disoit-elle, c'est d'Amour de jardin, car ce sont des Amours des simples. De son costé, Fleurial, apres avoir quelque temps tourné par le jardin, Ξfaignant feignant de faire quelque chose, sortit dehors, bien en peine de Ξcet cét affaire, car il n'estoit pas tant ignorant qu'il ne Ξcognust cogneut bien le danger où il se mettoit, Ξfust fut envers Amasis s'il estoit descouvert,

Signet[ 278 verso ] 1607 fonctionnelle

fust envers Galathée, s'il ne faisoit ce qu'elle luy avoit commandé, jugeant bien que c'estoit Amour, et il avoit oüy dire que toutes les offenses d'Amour touchent au cœur. En fin l'amitié qu'il portoit Ξà a Galathee, et le desir du gain le fit η resoudre, puis qu'il l'avoit promis d'observer sa parole et de ce pas s'en va trouver Lindamor qui l'attendoit, car la Nymphe Ξluy assura l'asseura qu'elle le luy envoyeroit, et que seulement il luy fist bien entendre ce qu'il auroit à faire. Soudain que Lindamor le vid, il Ξfaignit feignit devant chacun de ne le Ξcognoistre connoistre pas beaucoup, et luy Ξ*dit : - Fleurial, puis-je faire quelque chose pour toy demanda s'il avoit quelque affaire à luy. A quoy il luy respondit tout haut, qu'il le venoit supplier de representer à Amasis ses long services, et le peu de moyen qu'il avoit d'estre payé de ce qui luy estoit deu, et en fin luy parlant plus bas, luy dit l'occasion de sa venuë, et s'offrit à luy rendre tout le service qu'il luy Ξplairroit plairoit. Lindamor le remercia et luy ayant briefvement fait entendre ce qu'il avoit Ξà faire affaire η, il jugea la chose si Ξaisée aysee qu'il n'en fit point de difficulté. Dés lors, comme je vous ay dit, quand Lindamor vouloit escrire, Fleurial faisoit semblant de presenter une requeste à la Nymphe, et quand elle faisoit response, elle la luy rendoit avec le decret tel qu'elle l'avoit Ξpeu η obtenir d'Amasis. Et Ξparce par ce que d'ordinaire ces vieux serviteurs ont tousjours quelque chose à demander, cestuy-cy n'avoit pas faute de sujet, pour Ξà toute heure luy presenter luy presenter a toute heure de nouvelles requestes, qui Ξestoient le plus souvent responduës à son advantage et obtenoient

Signet[ 279 recto ] 1607 fonctionnelle

le plus souvent des responses advantageuses
outre son esperance mesme. Or durant ce temps, l'amitié que la Nymphe avoit portée à Polemas diminua de telle sorte, qu'à peine Ξluy pouvoit-elle parler pouvoit elle parler à luy sans mespris, ce que ne pouvant supporter, et Ξcognoissant connoissant bien que toute ceste froideur procedoit de l'amitié naissante de Lindamor, il se laissa tellement transporter, que n'osant parler contre Galathée, il ne Ξpût peut η s'empescher de dire plusieurs choses au desadvantage de Lindamor, et entre Ξautre autres que quoy qu'il fust bien honneste homme, et accomply de beaucoup de parties remarquables, Ξque toutefois toutesfois la bonne opinion qu'il avoit de soy mesme n'estoit pas de celles qui se sçavent mesurer, et que pour preuve de cela, il avoit esté si outrecuidé, que de hausser les yeux à l'Amour de Galathée, et non seulement de Ξle la concevoir en son ame, mais encore de s'en estre vanté Ξavec en parlant à luy. Discours qui parvint en fin jusques aux oreilles de Galathée, voire passa si avant, que presque toute la Ξcourt cour en fut advertie. La Nymphe Ξs'en ressentit en fut tellement offensée, qu'elle resolut de traitter de sorte Lindamor, qu'il n'auroit point à l'advenir occasion de publier ses vanitez, et cela fut cause que tost apres ce bruit Ξmourut, parce fut esteint, par ce qu'elle, qui estoit en colere ne Ξluy parloit plus parloit plus à luy, et que ceux qui remarquoient ses actions, n'y Ξrecognoissant reconnoissant aucune Ξapparance apparence d'Amour, furent contraints de croire le contraire, Ξmais plus encore le prompt esloignement, et la longue absence du Chevalier et en mesme temps l'esloignement du Chevalier,

Signet[ 279 verso ] 1607 fonctionnelle

qui survint si promptement, y ayda beaucoup,
parce Ξque presque à mesme temps qu'Amasis l'envoya pour un affaire d'importance Ξqui luy survint sur les rives du Rhin. Mais Ξce ne pût estre toutefois si promptement son despart ne peut η estre si precipité, qu'il ne trouvast Ξl' occasion de parler à Galathée pour sçavoir la cause de son changement, et apres l'avoir Ξespié espiée quelque temps, Ξ*un jour le matin qu'elle alloit au Temple avec sa mere, il se trouva si pres d'elle, et tellement au milieu de nous, que mal-aisement pouvoit-il estre apperceu d'Amasis. Aussi tost qu'elle le vid, elle voulut changer de place, mais la retenant par la robbe, il luy dit : - Quelle offense est la mienne, ou quel changement est le vostre ? Elle respondit en s'en allant : - Ny offense, ny changement, car je suis tousjours Galathée, et vous estes tousjours Lindamor, qui estes trop bas sujet pour me pouvoir offenser. Si ces paroles Ξluy toucherent en l'ame le toucherent, ses actions en rendirent tesmoignage ; car, quoy qu'il fust pres de son depart, si ne Ξpût peut η-il donner ordre à autre affaire qu'à rechercher en soy mesme en quoy il avoit Ξpeu faillir. En fin ne se pouvant trouver coulpable, il luy escrivit une telle lettre.

Signet[ 280 recto ] 1607 fonctionnelle


Lettre de Lindamor
à Galathee.

  Ce n'est pas pour me plaindre de Madame, que j'ose prendre la plume, mais pour Ξdesplorer deplorer ce mal-heur seulement qui me rend si mesprisé de celle qui autrefois ne me souloit pas traitter de ceste sorte. Si suis-je bien ce mesme serviteur, qui vous a tousjours servie avec toute sorte de respect et de sousmission, et vous estes ceste mesme Dame, qui la premiere Ξa avez esté la mienne. Depuis que vous me receustes pour vostre, je ne suis point devenu moindre, ny vous plus grande, si cela est, pourquoy ne me jugez vous digne du mesme traittement ? J'ay demandé conte à mon ame de ses actions, quand il vous plaira je les vous Ξdesplieray déplieray toutes devant les yeux. Quant à moy, je n'en ay Ξ peu accuser une seule, si vous le jugez autrement, m'ayant ouy, ce ne sera peu de consolation à ce pauvre Ξcondanné condamné, de sçavoir pour le moins le sujet de son supplice.

  Ceste lettre luy fut portée, comme de coustume, par Fleurial, et si à propos qu'encore qu'elle eust voulu, elle n'eust osé la refuser, à cause que nous estions toutes à l'entour. Et

Signet[ 280 verso ] 1607 fonctionnelle

sans mentir, il Ξn'est pas possible est impossible que quelqu'autre Ξpuisse peust η mieux joüer son personnage que luy, car sa requeste estoit accompagnée de certaines paroles de pitié et de reverence, tellement accommodées à ce qu'il Ξfaignoit feignoit de demander qu'il n'y eust eu celuy qui n'y eust esté trompé, et quant à moy, si Galathee ne me l'eust dit, jamais je n'y eusse pris garde, mais Ξdautant d'autant qu'il estoit Ξnecessaire mal-aysé, ou Ξplustot plustost impossible, que le jeune cœur de la Nymphe, pour se Ξdescharger decharger n'eust quelque confidente, à qui librement elle fist entendre ce qui la pressoit si fort, entre toutes elle m'esleut, et comme plus Ξassurée asseurée, ce luy sembloit, et comme plus affectionnée. Or soudain qu'elle eut receu ce papier, Ξfaignant feignant d'avoir oublié quelque chose en son cabinet, elle m'appella, et dit aux autres Nymphes, qu'elle Ξrevenoit incontinant reviendroit incontinent, et qu'elles l'attendissent là. Elle monta en sa chambre, et de là en son cabinet, sans me Ξparler rien dire. Je jugeois bien qu'elle avoit quelque chose qui l'ennuyoit, mais je n'osois Ξpour ne l'importuner le luy demander le luy demander de crainte de l'importuner. Elle s'assit, et jettant la requeste de Fleurial sur la table, elle me dit : - Ceste beste de Fleurial me va tousjours importunant des lettres de Lindamor. Je vous prie Leonide, dittes luy qu'il ne m'en donne plus. Je fus un peu estonnée Ξ(Guillemets de "de" à "son".) de ce changement ; toutefois je sçavois bien
  " que l'Amour ne peut demeurer longuement
  " sans querelle, et que ces petites Ξdisputes dispute sont
  " des souffles qui vont davantage allumant son brasier, Ξtoutefois neantmoins je ne laissay de luy dire : - Et

Signet[ 281 recto ] 1607 fonctionnelle

Ξ*qu'est-ce à dire cecy Madame ? J'ay veu autrefois que vous estiez si aise d'en recevoir. Alors en fronçant un peu le sourcy, elle me dit : - Il est vray qu'autrefois cela a esté depuis quand, Madame, vous en donne-t'il ? - Il y a longtemps, repliqua-t'elle. Et n'en sçavez-vous rien ? - Non certes luy dis-je Madame. Elle alors en fronçant un peu le sourcil : - Il est vray me dit-elle, qu'autrefois je l'ay eu agreable, mais à ceste heure il a abusé de ceste faveur et Ξm'a ma η offensée par sa temerité. - Et quelle est sa faute ? repliquay-je. - La faute, adjousta la Nymphe, est un peu grossiere, mais toutefois elle me desplaist plus qu'elle n'est d'importance. Je vous laisse à penser quelle vanité est la sienne de faire entendre qu'il est amoureux de moy, et qu'il Ξle m'a me l'a dit. - O Madame, luy dis-je, cela n'est peut-estre pas vray, ses Ξenvieux envyeux l'ont inventé pour le Ξruiner ruyner, et pres de vous, et pres d'Amasis. - Cela est bon, repliqua-t'elle, mais cependant Polemas le dit par tout, et seroit-il possible que chacun le Ξsceust sçeut, et que luy seul fust sourd à ce bruit ? Que s'il Ξl' oyt que n'y remedie-t'il ? - Et quel remede, respondis-je, voulez-vous qu'il y Ξrapporte apporte ? - Quel ? dit la Nymphe, le fer et le sang. - Peut-estre le fait-il avec Ξ(Guillemets de "beaucoup" à "toujours".) beaucoup de raison, luy dis-je, car je me ressouviens d'avoir ouy dire, que ce qui nous touche en l'Amour, est si sujet à la Ξmesdisance médisance, que le moins que l'on l'esclaircit est Ξtoujours tousjours le meilleur. - Voila, me dit-elle, de bonnes excuses ; pour le moins me devroit-il demander ce que je veux qu'il en fasse, en cela il feroit ce qu'il doit, et moy je serois satisfaite. - Avez-vous veu, luy respondis-je, la lettre qu'il vous escrit ? - Non, me dit-elle, et si vous diray de plus que je n'en η verray jamais, s'il m'est possible, et fuiray Ξtout ce tant que je pourray

Signet[ 281 verso ] 1607 fonctionnelle

de Ξne luy point parler parler à luy. Alors je pris le papier de Fleurial, et Ξprenant la lettre je l'ouvris ouvrant la lettre, je leus tout haut ce que je vous ay des-ja dit, et adjoustay à la fin : - Et bien Madame, ne devez-vous pas Ξaimer aymer une chose qui est Ξtant toute à vous et ne vous offenser à l'advenir si aisément contre Ξce celuy qui n'a point offensé ? - Il est bon là, me dit-elle, il y a bien Ξapparance apparence qu'il soit le seul qui n'Ξait ayt ouy ces bruits. Mais qu'il Ξfaigne feigne tant qu'il voudra, au moins je me console Ξen une chose , que s'il m'Ξaime ayme, il payera bien l'interest du plaisir qu'il a eu à se Ξventer vanter de nostre Amour, et s'il ne m'Ξaime ayme point, qu'il s'Ξassure asseure que si je luy ay donné quelque sujet par le passé de concevoir une telle opinion, je la luy osteray bien à l'advenir, et luy Ξdonray donneray occasion de l'estouffer pour grande qu'elle Ξsoit ait esté. Et pour commencer, je vous prie, commandez à Fleurial, qu'il ne soit plus si hardy de m'apporter chose quelconque de Ξcet cét outrecuidé. - Madame, luy dis-je, je feray tousjours tout ce qu'il vous plaira me commander, mais encor seroit-il Ξbien necessaire de considerer meurement Ξcet cét affaire, car vous pourriez vous Ξblesser beaucoup faire beaucoup de tort en pensant offenser autruy. Vous sçavez bien quel homme est Fleurial : il n'a Ξguiere guere plus d'esprit que ce qu'en peut tenir son jardin ; si vous luy Ξfaites cognoistre faictes connoistre ce mauvais mesnage, entre Lindamor et vous, Ξ*je crains que ce fou, ou j'ay peur que de crainte il ne descouvre Ξcet cét affaire à Amasis, ou Ξbien ne s'enfuye, et ce qui le luy feroit descouvrir, seroit pour s'en η excuser de bonne heure. Pour Dieu,

Signet[ 282 recto ] 1607 fonctionnelle

Madame, considerez quel desplaisir ce vous seroit ; ne vaut-il pas mieux, sans rien rompre, que vous trouviez commodité de vous plaindre à Lindamor ? Et si vous ne le voulez faire, je le feray bien, et m'Ξassure asseure qu'il vous satisfera, ou bien si cela n'est, vous aurez au partir de Ξla occasion de rompre du tout ceste amitié, le luy disant à luy-mesme, sans en donner cognoissance à Fleurial. - De Ξluy parler parler à luy, me dit-elle, je ne sçaurois ; de luy en faire parler, mon courage ne le peut souffrir, car je luy veux trop de mal. Voyant qu'elle avoit le cœur si enflé de ceste offense : - Pour le moins, luy dis-je, vous devez luy escrire. - Ne parlons point de cela me dit-elle, c'est un outrecuidé, il n'a que trop de mes lettres. En fin ne pouvant obtenir autre chose d'elle, elle me permit de plier un papier en façon de lettre, et le remettre dans la requeste de Fleurial, et la luy porter. Et cela afin qu'il ne s'apperçeust de ceste dissention. Quel fut l'estonnement du pauvre Lindamor, quand il reçeut ce papier ! Il est Ξmalaisé mal aisé de le pouvoir dire à qui ne l'auroit esprouvé. Et ce qui l'affligea Ξdavantage d'avantage fut qu'il devoit Ξde toute par necessité partir le matin pour aller en ce voyage, où les affaires d'Amasis et de Clidaman l'obligeoient de demeurer assez long temps. De Ξreculer le retarder son despart, il ne Ξse le pouvoit, de s'en aller ainsi, c'estoit mourir. En fin il resolut à l'heure mesme de luy rescrire encores un coup, plus pour hazarder, que pour esperer

Signet[ 282 verso ] 1607 fonctionnelle

quelque bonne fortune Ξet donne la lettre à Fleurial qui fit ce qu'il pût pour la presenter à Galathée promptement . Fleurial fit bien ce qu'il peut η pour la representer promptement à Galathée, mais il ne le sceut faire Ξparce qu'elle qui ressentoit par ce qu'elle ressentant vivement ce desplaisir, ne pouvoit supporter Ξ*la rompure de ceste amitié ceste desunion qu'avec tant d'ennuy, qu'elle Ξfut contrainte d'en prendre le fust contrainte de se mettre au lict, d'où elle ne Ξpartit sortit de plusieurs jours. Fleurial en fin voyant Lindamor party, print la hardiesse de la venir trouver en sa chambre, et faut que j'advoüe la verité : Ξparce par ce que je voulois mal à Polemas, je fis ce que je Ξpûs peus η pour rapiecer ceste affection de Lindamor, et pour Ξcela ce sujet je donnay commodité Ξà Fleurial d'entrer d'entrer à Fleurial. Si Galathée fut surprise jugez-le, car elle attendoit toute autre chose Ξplutost plustost que celle la, toutefois elle fut contrainte de Ξfaindre feindre et prendre ce qu'il luy presenta, qui n'estoit que des fleurs en Ξapparance apparence. Je voulus me trouver dans la chambre, afin d'estre du conseil, et pouvoir rapporter quelque chose pour le contentement du pauvre Lindamor. Et certes Ξque je ne luy fus point du tout inutile, car apres que Fleurial fut party, et que Galathée se vid seule, elle m'appella, et me dit qu'elle pensoit estre exempte de l'importunité des lettres de Lindamor, quand il seroy party, mais à ce qu'elle voyoit il n'y avoit rien qui l'en Ξpûst peust η garantir. Moy qui voulois servir Lindamor, quoy qu'il n'en Ξsceust sçeust rien, voyant la Nymphe en humeur de me parler de luy, j'en voulus faire la froide, sçachant Ξbien que de la contrarier d'abord c'estoit la perdre

Signet[ 283 recto ] 1607 fonctionnelle

du tout, et que de luy advoüer ce qu'elle me diroit seroit la mieux punir. Car encore qu'elle fust mal satisfaite de luy, si est ce qu'encor l'Amour estoit le plus fort, et qu'en elle mesme elle eust voulu que j'eusse tenu le party de Lindamor, non pas pour me ceder, mais pour avoir plus d'occasion de parler de luy, et mettre hors de son ame sa colere. Ξsi Bien qu'ayant toutes ces considerations devant les yeux, je me teus lors qu'elle m'en parla la premiere fois, elle qui ne vouloit pas Ξ*cela, repliqua ce silence, adjousta : - Mais que vous semble, Leonide de l'outrecuidance de cet homme ? - Madame, luy dis-je, je ne sçay que vous en dire, sinon que s'il a failly, il en fera bien la penitence. - Mais, dit-elle, que puis-je Ξmaits mais de sa temerité ? Pourquoy m'est-il allé broüillant en ses contes ? N'avoit-il point d'autres meilleurs discours que de moy ? Et puis (apres avoir regardé quelque temps le dessus de la lettre qu'il luy Ξescrivoit escrivit) - J'ay bien affaire qu'il continuë de m'escrire. A cela je ne respondis rien. Elle apres s'estre Ξtuë teuë quelque temps me dit : - Et quoy, Leonide, vous ne me Ξparlez respondez point ? N'ay-je pas raison en ce que je me plains ? - Madame, luy dis-je, vous plaist-il que je vous Ξen parle librement ? - Vous me ferez plaisir, me dit-elle. - Je vous diray donc, continuay-je, que vous avez raison en tout, Ξ(Guillemets de "sinon" à "coulpable".) sinon en ce que vous cherchez raison en Amour, car il faut que vous sçachiez que qui le veut remettre aux lois de la justice, c'est luy oster sa principale authorité, qui est de

Signet[ 283 verso ] 1607 fonctionnelle

n'estre sujet qu'à soy-mesme. De sorte que je concluds, que si Lindamor a failly en ce qui est de vous Ξaimer aymer, Ξqu'il il est coulpable, mais si c'est aux loix de la raison, ou de Ξla  η prudence, Ξque c'est vous qui meritez chastiment, voulant mettre Amour qui est libre, et qui commande à tout autre, sous la servitude d'un superieur. - Et quoy me dit-elle, n'ay-je Ξ(Guillemets de "pas" à "donne".) pas ouy dire que l'Amour pour estre loüable, est vertueux ? Si cela est, il doit estre obligé aux lois de la vertu.
  - Amour, respondis-je, est quelque chose de plus grand que ceste vertu dont vous parlez, et par ainsi il se donne à soy-mesme ses loix, sans les Ξaller mandiant mandier de personne. Mais puis que vous me commandez de parler librement, Ξdittes dites-moy, Madame, n'estes-vous pas plus coulpable que luy, et en ce que vous l'accusez, et en ce qui est de l'Amour ? Car s'il a eu la hardiesse de dire qu'il vous Ξaimoit aymoit, vous en estes cause puis que vous le luy avez permis. - ΞQuant Quand cela seroit, respondit elle, encor par Ξla discretion, il estoit obligé de le Ξceller celer. - Plaignez vous donc, luy dis-je, de sa discretion, et non pas de son Amour ; mais luy avec beaucoup d'occasion, se plaindra de vostre Amour, puis qu'au premier rapport, à la premiere opinion que l'on vous a donnée, vous avez chassé de vous l'amitié que vous luy portiez, sans que vous le puissiez taxer d'avoir manqué à son affection. Excusez-moy, Madame, si je vous parle ainsi franchement vous avez tout le tort du monde de le traitter de ceste façon, pour le moins, si vous le

Signet[ 284 recto ] 1607 fonctionnelle

vouliez Ξcondanner condamner à tant de suplice, ce ne devoit estre sans le convaincre η, ou Ξau pour le moins le faire rougir de son erreur. Elle demeura quelque temps a me respondre. En fin elle me dit : - Et bien Ξbien , Leonide, le remede sera encor assez à temps quand il reviendra, non pas que je sois resoluë de l'Ξaimer aymer, ny luy permettre de m'Ξaimer aymer, mais ouy bien de luy dire en quoy il a failly, et en cela je vous contenteray, et je l'obligeray de ne me plus importuner, s'il n'est autant effronté que Ξtémeraire temeraire. - Peut-estre, Madame, luy dis-je, vous trompez vous bien de croire qu'à son retour il sera assez Ξà temps. Si vous sçaviez Ξ(Guillemets de "quelles" à "moins".) quelles sont les violences d'Amour, vous ne croiriez pas que les Ξdilayements delais fussent semblables Ξaux à ceux des autres affaires. Pour le moins, voyez ceste lettre. - Cela, me repliqua-t'elle, ne servira de rien, car aussi bien doit-il estre party, et à ce mot elle me la prit, et Ξleut vit qu'elle estoit telle.

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Lettre de Lindamor
à Galathee.

  Autrefois l'Amour, à ceste heure le desespoir de l'Amour, me met ceste plume en la main, avec dessein, si elle ne me Ξrapporte r'apporte point de soulagement de la changer en fer, qui me promet une entiere, quoy que cruelle guerison. Ce papier blanc, que pour response vous m'avez envoyé, est bien un tesmoignage de mon innocence, puis que c'est à dire que vous n'avez rien trouvé pour m'accuser, mais ce m'est bien aussi une Ξassurance asseurance de vostre mespris, car d'où pourroit proceder ce silence, si ce n'estoit de là ? L'un me contente en moy-mesme, l'autre me desespere en vous. S'il vous reste quelque souvenir de mon fidelle service, par pitié je vous demande ou la vie ou la mort. Je Ξparts pars le plus desesperé, qui jamais ait eu quelque sujet d'esperer η.

  Ce fut un effet d'Amour, que le changement du courage de Galathee, car je la vis toute attendrir η, mais ce ne fut pas aussi petite preuve de son humeur altiere, puis que pour ne m'en donner Ξcognoissance connoissance, et ne pouvant commander Ξà a son visage qui estoit devenu pasle, elle se lia de sorte la langue, qu'elle ne Ξdist dit jamais parole qui la pûst accuser d'Ξestre fleschie avoir flechy, et partit de sa chambre pour aller au jardin sans dire un seul mot sur ceste lettre, car le Ξsoleil Soleil commençoit à se baisser, et son mal qui n'estoit qu'un travail

Signet[ 285 recto ] 1607 fonctionnelle

d'esprit, se pouvoit mieux soulager hors Ξla sa maison que dans le lit. Ainsi donc apres s'estre vestuë un peu legerement, elle descendit dans le jardin, et ne voulut que moy avec elle. Par les chemins je luy demanday s'il ne luy plaisoit pas de faire response, et m'ayant dit que non, - Vous permettrez bien, luy dis-je, pour le moins Madame, que je la fasse ? - Voy ? me dit-elle, et que voudriez vous escrire ? - Ce que vous me commanderez, luy dis-je. - Mais ce que vous voudrez, me dit-elle, pourveu que vous ne parliez point de moy. - Vous verrez, luy respondis-je, ce que j'escriray. - Je n'en ay que faire, me dit-elle, je m'en rapporte bien à vous. Avec ce congé, cependant qu'elle se promenoit, j'escrivis dans l'allée mesme, sur des tablettes une Ξresponse telle qu'il responce telle qui η me sembloit plus à propos. Mais elle, qui ne la vouloit voir, ne peut avoir assez de patience de me la laisser finir, Ξqu'elle la venoit lisant cependant sans la lire, pendant que je l'escrivois.


Responce,
de Leonide à Lindamor
pour Galathée.

  ΞDe vostre mal tirez en la cognoissance Tirez de vostre mal la connoissance de vostre bien : si vous n'eussiez point esté aymé, on n'eust pas Ξressenti ressenty peu de chose. Vous ne pouvez Ξsçavoir scavoir quelle est vostre offense que vous ne soyez present, mais esperez en vostre affection, et en vostre retour.

Signet[ 285 verso ] 1607 fonctionnelle

  Elle ne vouloit pas que ceste lettre fust telle mais enfin je l'emportay sur son courage, et Ξainsi je donnay à Fleurial mes tablettes, avec la clef, luy commandant de les remettre entre les mains de Lindamor seulement. Ξ*Il me respondit que mal-aisément le pourroit-il faire, parce qu'il estoit party. Je luy dis qu'en toute sorte il l'allast, trouver, et voyant que l'absence seroit longue, Et le tirant à part, je r'ouvris mes tablettes, et y adjoustay ces paroles sans que Galathée le Ξsceut sceust.


Billet
de Leonide à Lindamor

  Je viens de sçavoir que vous estes party. La pitié de vostre mal me contraint de vous dire l'occasion de vostre desastre. Polemas a publié que vous Ξaymiez aimez Galathée, et vous en alliez Ξventant vantant. Un grand courage comme le sien n'a peu souffrir une si grande offense sans ressentiment ; que vostre prudence vous conduise en cet affaire avec la discretion qui vous Ξa à tousjours accompagné, Ξafin à fin que pour vous aymer, et avoir pitié de vostre mal, je n'aye en eschange de quoy me douloir de vous, à qui je promets toute ayde et faveur.

  J'Ξenvoiay envoyay ce billet comme je vous ay dit, au Ξdesceu deceu de Galathee, et certes je m'en repentis bien peu apres comme je vous diray. Il y avoit plus d'un mois que Fleurial estoit party, quand voicy venir un Ξchevalier Chevalier armé de Ξtoute piece toutes pieces, et un Herault d'armes Ξincognu inconnu avec luy, et pour Ξencore oster davantage oster mieux encor à chacun la Ξcognoissance connoissance de soy, il venoit la visiere baissée. A son port chacun le jugeoit ce qu'il estoit en effet.

Signet[ 286 recto ] 1607 fonctionnelle

Et parce qu'à la porte de la ville, le Herault avoit demandé d'estre conduit devant Amasis, chacun comme curieux d'Ξouïr oüyr chose nouvelle les alloit accompagnant. Ξainsi Ξestant Estans montez au Chasteau, la garde de la ville les remit à celle de la porte, ΞIls furent accompagnez et apres luy en avoir donné advis Ξvers à Amasis, ils furent conduits vers elle, qui Ξavoit avec elle desja avoit fait venir Clidaman pour donner Ξaudiance audience à ces estrangers. Le Herault apres que le Chevalier eut Ξbaisé baysé la robbe à Amasis, et les mains à son fils, dit ainsi *, avec des paroles à moitié estrangeres : - Madame, ce Ξchevalier Chevalier que voicy, Ξnay des plus grands de sa contrée, ayant sceu qu'en vostre Ξcourt librement toute personne d'honneur peut cour tout homme d'honneur peut librement demander raison Ξcontre de ceux qui l'ont Ξoffensée offensé, vient sous ceste Ξassurance asseurance, se jetter à vos pieds, et vous supplier que la justice, Ξqui jamais ne fut par vous déniée que jamais vous ne desniastes à personne, luy permette Ξen vostre court, en vostre presence, et de toutes ces belles Nymphes, de tirer raison de celuy qui luy a fait injure, avec les moyens accoustumez aux personnes nées comme luy. Amasis, apres avoir quelque temps pensé en elle mesme, en fin respondit qu'il estoit bien vray que ceste sorte de deffendre son honneur, de tout temps Ξavoit avoir esté accoustumee en sa Ξcourt cour, mais qu'elle estant femme ne permettroit jamais qu'on en vint aux armes. Que toutefois son fils estoit en âge de manier de plus Ξgrands grandes affaires que Ξceux-là celles-la, et qu'elle s'en Ξremettroit remettoit à ce qu'il en feroit. Clidaman sans attendre que le Herault repliquast, s'Ξadressant addressant à Amasis, luy dit : - Madame,

Signet[ 286 verso ] 1607 fonctionnelle

ce n'est pas seulement pour estre servie et honorée de tous ceux qui habitent ceste Province, que Ξ*la Deesse Diane vous en a fait maistresse, et vos devancieres les Dieux vous en ont establie Dame, et vos devanciers aussi, mais beaucoup plus pour faire punir ceux qui ont failly, et pour honorer ceux qui le meritent. Le meilleur moyen de tous est celuy des armes, pour le moins en ces choses, qui ne peuvent estre autrement averées, de sorte que si vous ostiez de vos Estats ceste juste façon η d'Ξaverer esclaircir les actions secrettes des meschans, vous Ξdorriez donneriez cours à une licencieuse meschanceté, qui ne se soucieroit de mal-faire, pourveu que ce fust secrettement. Outre que ces estrangers estans les premiers, qui de vostre temps η ont recouru à vous, auroient quelque raison de se douloir d'estre les premiers refusez. Par ainsi, puis que vous les avez remis à moy, je vous diray, dit-il, se tournant Ξà l' vers le Herault, que ce Chevalier peut librement accuser, et deffier celuy qu'il voudra, car je luy promets de luy Ξassurer asseurer le camp. Le Ξchevalier Chevalier alors mit le genoüil en terre, luy baisa la main pour remerciement, et fit signe Ξà l' au Herault de continuer. - Seigneur dit-il, puis que vous luy Ξfaittes faites ceste grace, je vous diray qu'il est icy en queste d'un Ξchevalier Chevalier nommé Polemas, Ξlequel que je supplie m'estre montré, Ξafin à fin que je paracheve ce que j'ay entrepris. Polemas qui s'ouït nommer, se met en avant, luy disant d'une façon Ξ*assez altiere, qu'il estoit celuy qu'il cherchoit. Alors le Ξchevalier incognu Chevalier inconnu s'avança, et luy presenta

Signet[ 287 recto ] 1607 fonctionnelle

le Ξpend η de son hoqueton, et l' pand η de son hocqueton, et le Herault luy dit : - Ce Chevalier veut dire qu'il vous presente ce gage, vous promettant qu'il sera demain dés le lever du Soleil, au lieu Ξqui qu'il η sera advisé pour se battre avec vous à toute outrance, et vous prouver que vous avez Ξmeschantement meschamment inventé ce que vous avez dit contre luy. - Herault, je reçois, dit-il ce gage, car Ξencor encore que je ne Ξcognoisse connoisse point ton Chevalier, toutefois je ne laisse d'estre tres-Ξassuré asseuré d'avoir la justice de mon costé, comme sçachant bien n'avoir jamais rien dit contre la verité, et à demain soit le jour que la preuve s'en fera. A ce mot le Chevalier apres avoir salüé Amasis, et toutes les Dames, s'en retourna dans une tente qu'il avoit fait tendre aupres de la porte de la ville. Vous pouvez croire que cecy mit toute la Ξcourt cour en divers discours, et Ξmesme mesmes qu'Amasis et Clidaman, qui Ξaymoient aymoit η fort Polemas, avoient beaucoup de regret de le voir en ce danger, Ξtoutefois toutesfois la promesse les Ξlioyt lyoit à donner le camp. ΞQuant Quand à Polemas il se preparoit comme plein de courage au combat, sans avoir Ξcognoissance connoissance de son ennemy. Pour Galathée, qui avoit desja presque oublié l'Ξoffense offence que Lindamor avoit receuë de Ξluy Polemas, outre qu'elle ne croyoit pas qu'il sçeust que son mal vint de là, elle ne pensa jamais à Lindamor, ny moy aussi qui le Ξtenions tenois à plus de cent Ξlieux lieuës de nous. Et toutefois c'estoit luy, qui ayant receu ma lettre, se resolut de s'en venger de Ξceste c'este sorte, et ainsi Ξincognu inconnu se vint presenter comme

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je vous ay dit. Mais pour abreger, car je ne suis pas trop bonne guerriere, et je pourrois bien, si je voulois particulariser ce combat, dire quelque chose de travers, apres un long combat, où l'un et l'autre estoit Ξégalement esgalement advantagé, et que tous deux estoient si chargez de playes que le plus sain devoit estre autant Ξassuré asseuré de la mort que de la vie, les chevaux vindrent à leur manquer dessous, et eux au contraire aussi gaillards que s'ils n'eussent combatu de tout le jour, recommencerent à Ξreverser verser leur sang, et Ξà r'ouvrir leurs Ξblessures blesseures, avec tant de cruauté, que chacun avoit pitié de voir perdre deux personnes de telle valeur. Amasis, entre Ξautre autres, dit à Clidaman, qu'il seroit à propos de les separer, et Ξentre eux ils trouverent qu'il n'y avoit personne qui le Ξpûst peut η mieux que Galathee. Elle qui de son costé estoit des-ja bien fort touchée de pitié, et n'attendoit que ce commandement, pour l'effectuer de bon cœur, avec trois ou quatre de nous vint au camp. Lors qu'elle y entra, la Ξ*fortune victoire panchoit du costé de Lindamor, et Polemas estoit reduit à mauvais terme, quoy que l'autre ne fust guiere mieux, auquel par hazard elle s'Ξaddressa adressa, et le prenant par l'escharpe qui Ξlioyt lioit son heaume, et qui pendoit assez bas par derriere, elle le Ξtira tirast un peu fort. Luy qui se sentit toucher, tourna brusquement de son costé, croyant d'estre trahy, et cela avec tant de furie, que la Nymphe, se voulant reculer pour n'estre Ξhurtée heurtée, s'empestra dans sa robbe, et tomba au milieu du camp. Lindamor

Signet[ 288 recto ] 1607 fonctionnelle

qui la Ξrecognut reconnut, courut incontinent la relever, mais Polemas sans avoir esgard à la Nymphe, voyant Ξcet cest advantage, lors qu'il estoit plus desesperé du combat, prit Ξl'espée lespée à deux mains, et luy en donna par derriere sur la teste deux ou trois coups de telle force, qu'il le contraignit avec une grande Ξblessure blesseure, de mettre un genoüil à terre, d'où il se releva tant animé, contre la discourtoisie de son ennemy, que depuis, quoy que Galathée le priast, il ne le Ξvoulut voulust laisser qu'il ne l'eust mis à ses pieds, où luy sautant dessus, il le desarma de la teste, et estant prest à luy donner le dernier coup, il Ξouït ouyt la Ξ*douce voix de sa Dame qui luy dit : - Chevalier, je vous adjure par celle que vous Ξaimez aymez le plus, de me donner ce Ξchevalier Chevalier. - Je le veux, luy dit Lindamor, s'il vous advouë d'avoir faussement parlé de moy, et de celle par qui vous m'adjurez. Polemas estant, à ce qu'il pensoit, au dernier point de sa vie, d'une voix basse, advoüa ce que l'on voulut.
  Ainsi s'en alla Lindamor, apres avoir baisé les mains à sa Maistresse, qui ne le Ξrecognut reconnut jamais, quoy qu'il Ξluy parlast parlast à elle, car le heaume, et la frayeur en quoy elle estoit, luy empescherent de prendre garde à Ξsa la η parole. Il est vray que passant pres de moy il me dit fort bas : - Belle Leonide, je vous ay trop d'obligation, pour me celer à vous, tant y a que voicy l'effet de vostre lettre. Et sans s'arrester davantage monta à cheval, et quoy qu'il fust fort blessé, s'en alla au galop jusques à perte de veuë, ne voulant

Signet[ 288 verso ] 1607 fonctionnelle

estre Ξrecognu reconnu. Cet effort luy fit beaucoup de mal, et le Ξreduit reduisit à telle extremité, qu'estant arrivé en la maison d'une des tantes de Fleurial, où il avoit auparavant resolu de se retirer en cas qu'il Ξfust fut blessé, il se trouva si foible qu'il demeura plus de trois Ξsemaines sepmaines avant que de se Ξravoir r'avoir. Cependant voilà Galathée de retour, fort en colere contre le Chevalier Ξincognu inconnu, de ce qu'il n'avoit pas voulu la seconde fois laisser le combat, luy semblant d'estre plus offensée en ce refus qu'obligée en ce qu'il le luy avoit donné, et Ξparce par ce que Polemas tenoit un des premiers rangs, comme vous sçavez, Amasis et Clidaman avec beaucoup de Ξdesplaisir déplaisir le firent emporter du camp, et Ξpenser panser avec tant de Ξsoing soin qu'en fin on commença de luy esperer vie.
  Chacun estoit fort desireux de sçavoir qui estoit le Chevalier Ξincognu inconnu, le courage, et la valeur duquel s'estoit η acquis la faveur de plusieurs. Galathée seule estoit celle qui en avoit conçeu mauvaise opinion, car ceste orgueilleuse beauté se ressouvenoit de l'offense, et oublioit la courtoisie. Et Ξparce par ce que c'estoit Ξen moy qu' à moy à qui elle remettoit ses plus secrettes pensées, aussi tost qu'elle me vid en particulier : - ΞCognoissez Connoissez vous point, me dit-elle, ce discourtois Ξchevalier Chevalier, à qui la fortune, et non la valeur a donné l'advantage en ce combat ? - Je Ξcognois conois certes, luy dis-je, Madame, ce vaillant Ξchevalier Chevalier qui a vaincu, et le Ξcognois connois pour aussi courtois que vaillant. - Il ne l'a pas monstré,

Signet[ 289 recto ] 1607 fonctionnelle

me dit-elle, en ceste action, autrement il n'eust pas refusé de laisser le combat quand je l'en ay requis. - Madame, respondis-je, Ξde ce que vous le devriez estimer, vous le blasmez vous le blasmez de ce que vous le devriez estimer, puis que pour vous rendre l'honneur, que chacun vous doit, il a esté en danger de sa vie, et en ay veu Ξson sang couler couler son sang jusques en terre. - En cela, si Polemas a eu tort, dit-elle, il en a bien eu davantage par apres, puis que Ξquelle quelque priere que je luy aye Ξfaitte pû faire, il n'a voulu se retirer. - Et n'avoit il pas raison, luy dis-je, de vouloir chastier cet outrecuidé du peu de respect qu'il vous avoit porté ? Et Ξquant quand à moy, je trouve qu'en cela Lindamor a bien fait. - Comment, m'interrompit-elle, est-ce Lindamor qui a combatu ? Je fus à la vérité Ξsurprise surprinse, car je l'avois nommé sans y penser, mais voyant que cela estoit fait, je me resolus de luy dire : - Ouy, Madame, c'est Lindamor, qui s'est senty offensé de ce que Polemas avoit dit de luy, et en a voulu Ξpar les armes esclaircir la verité esclaircir la verité par les armes. Elle demeura toute hors de soy, et apres avoir pour un temps consideré cet accident, elle dit : - ΞDonques Doncques, c'est Lindamor qui m'a procuré ce Ξdesplaisir déplaisir ! ΞDonques Doncques c'est luy qui m'a porté si peu de respect ! ΞDonques Doncques il a eu si peu de consideration, qu'il Ξa à bien osé mettre mon honneur au hazard de la fortune, et des armes ! A ce mot, elle se teut d'extreme colere, et moy qui en toute façon voulois qu'elle Ξrecognust reconneust qu'il n'avoit point de tort, luy respondis : - Est-il possible, Madame, que vous puissiez vous plaindre de Lindamor,

Signet[ 289 verso ] 1607 fonctionnelle

sans Ξrecognoistre reconnoistre le tort que vous Ξfaittes faites à vous mesme ? Quel Ξdesplaisir déplaisir vous a t'il procuré, puis que s'il a vaincu Polemas il a vaincu vostre ennemy ? - Comment, mon ennemy ? dit-elle. Ah ! Que Lindamor me l'est bien davantage, puis que si Polemas a parlé, Lindamor luy en a donné le Ξsujet subjet. - O Ξ*Dieux Dieu, dis-je alors, et qu'est-ce que j'Ξentends entens ? Vostre ennemy Lindamor, qui n'a point d'ame que pour vous adorer, et qui n'a une goutte de sang qu'il ne respande pour vostre service, et vostre amy, celuy qui par ses discours controuvez, a tasché finement d'offenser vostre honneur ! - Mais qui sçait, adjousta-t'elle, s'il n'est point vray que Lindamor poussé de son outrecuidance accoustumée n'ait tenu Ξces langages ce langage. - Et bien, Ξluy repliquay-je, combien estes vous obligee à Lindamor, qui a fait advoüer à vostre ennemy qu'il Ξles avoit inventez l'avoit inventé. O Madame, vous me Ξpardorrez pardonnerez s'il vous plaist, mais je ne puis Ξqu'en cecy en cecy que vous accuser d'une tres-grande Ξmescognoissance meconnoissance, pour ne dire ingratitude. S'il met sa vie pour esclaircir que Polemas ment, vous l'accusez d'Ξinconsideré inconsideration, et s'il veut faire advoüer au menteur sa mesme menterie, vous le taxez de Ξdiscourtois discourtoisie. Et s'il n'eust fié Ξà ses armes son bon droit son bon droit à ses armes, comment eust-il tiré la verité de Ξcet cest affaire ? Et si, lors que vous luy commandastes la seconde fois il eust laissé le combat, Polemas n'eust jamais advoué ce que vous, et chacun avez Ξpeu oüyr. O pauvre Lindamor ! Que je plains ta fortune,

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et qu'est ce que tu Ξdoits dois faire, puis que tes plus signalez services sont des offenses, et des injures ? Et bien, bien, Madame, vous n'aurez pas peut-estre beaucoup de temps à luy η user de ces cruautez, car la mort plus pitoyable mettra fin a vos Ξmescognoissances mesconnoissances, et à ses supplices. Et peut-estre qu'à l'heure que je parle, il n'est des-ja plus, et si cela est, la Nymphe Galathée en est la seule cause. - Et pourquoy m'en accusez-vous ? dit-elle. - ΞParce Par ce, luy repliquay-je, que quand vous les voulustes separer, et qu'en reculant vous mistes le genoüil en terre, il voulut vous relever ; cependant ce courtois Polemas, que vous loüez si fort, le blessa en deux ou trois endroits à son advantage, d'où je Ξvis veis le sang rougir la terre. Mais s'il a la mort pour ce sujet, c'est le moindre mal qu'il Ξait ayt receu de vous, car se voir Ξmespriser mépriser, ayant bien fait son devoir, est, ce me semble, un Ξdesplaisir déplaisir, auquel nul autre n'est égal. Mais, Madame, vous plaist-il pas de vous ressouvenir qu'autrefois vous m'avez dit, en vous plaignant de luy, que pour esteindre ces discours de Polemas, s'il n'y sçavoit point d'autre remede, il se devoit servir du fer et du sang ? Et bien, il a fait ce que vous avez jugé, qu'il devoit faire, et encor vous trouvez qu'il n'a pas bien fait. Si Sylvie et quelques autres Nymphes ne nous eussent alors interrompuës, j'eusse, avant que laisser ce discours, Ξ*donné un grand effort à adoucy beaucoup l'animosité de la Nymphe, mais voyant tant des personnes, nous changeasmes de propos.

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Et Ξtoutefois toutesfois mes Ξparolles paroles ne furent sans Ξeffet effect, quoy qu'elle ne voulust me le faire paroistre, mais par mille rencontres j'en Ξrecognus reconnus la verité. Car depuis ce jour, je me resolus de ne luy en parler jamais, qu'elle ne m'en demandast des nouvelles. Elle, d'autre costé, attendoit que je luy en disse la premiere, et ainsi plus de huict jours s'escoulerent sans Ξque nous parlissions de luy en parler. Mais cependant Ξil Lindamor ne demeura pas sans soucy de sçavoir, et ce qui se disoit de luy à la Ξcourt cour, et ce qu'en pensoit Galathée. Il m'envoya Fleurial pour ce Ξsubjet sujet, et pour me donner un mot de lettre Ξet me dire de ses nouvelles . Il fit son message si à propos, que Galathée ne s'en prit garde. Son billet estoit tel.


Billet
de Lindamor a Leonide.

  Madame, qui pourra Ξdoutter douter de mon innocence ne sera peu coulpable envers la verité ; toutefois si les yeux serrez ne voyent point la lumiere, encor que sans ombre elle leur esclaire, il m'est permis de Ξdoutter douter que Madame, pour mon Ξmal-heur malheur, n'ait les yeux fermez à la Ξclairté clarté de ma justice. Obligez moy de l'Ξassurer asseurer, que si le sang de mon ennemy ne peut laver la noirceur dont il a tasché de me salir, Ξque j'y adjousteray plus librement le mien, que je ne conserveray ma vie, qui est sienne, quelle que sa rigueur me la puisse rendre.

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  Je m'enquis particulierement de Fleurial, comment il se portoit, et s'il n'y avoit personne qui l'eust Ξrecognu reconneu, et sceus qu'il avoit beaucoup perdu de sang, et que cela luy retarderoit un peu davantage sa guerison, mais qu'il n'y avoit rien de dangereux ; que pour estre Ξrecognu reconnu, cela ne pouvoit estre, parce que le Herault estoit un ΞFrançon Franc de l'armée de Meroüée, qui estoit sur les bords du Rhin, en ce temps-là, et que Ξpour tous η ceux qui le servoient ils n'avoient pas mesme permission de sortir hors de la maison, et que Ξ*la tante mesme de Fleurial sa tante et sa sœur ne le Ξcognoissoit connoissoient que pour le Chevalier qui avoit combattu contre Polemas, la valeur, et la libéralité duquel Ξla les Ξconvioit convyoit η à le servir avec tant de Ξsoing soin, qu'il ne falloit Ξdoutter douter qu'il le η Ξpûst peust η estre mieux. Qu'il luy avoit commandé de venir sçavoir de moy quel estoit le bruit de la Ξcourt cour, et ce qu'il avoit Ξà faire affaire η. Je luy respondis qu'il Ξrapportast r'apportast à Lindamor, que toute la Ξcourt cour estoit pleine de sa valeur, encor qu'il y fust Ξincognu inconnu, que du reste il attendist seulement à guerir, et que je Ξrapporterois r'apporterois de mon costé tout ce que je pourrois à son contentement. Sur cela je luy donnay ma response et luy dis : - Demain avant que partir, quand Galathée viendra au jardin, invente quelque occasion d'aller voir ta tante, et prens congé d'elle, car il est necessaire pour des occasions que je te diray une autre fois. Il n'y faillit point, Ξcar et de fortune le lendemain la Nymphe estant sur le soir Ξentrée entree dans le jardin, Fleurial

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s'en vint luy faire la reverence, et voulut Ξluy parler parler a elle. Mais Galathée qui croyoit que ce fust pour luy donner des lettres de Lindamor, demeura tellement confuse, que je Ξluy la vis changer de couleur, et devenir pasle comme la mort. Et Ξparce par ce que je craignois que Fleurial Ξne s'en prist garde, je m'advançay, et luy dis : - C'est Fleurial, Madame, qui s'en va voir sa tante, Ξparce par ce qu'elle est malade, et voudroit vous supplier de luy donner congé pour quelques jours. Galathée tournant les yeux, et la parole vers moy, me demanda quel estoit son mal. - Je croy, luy respondis-je, que c'est celuy des annees passees, qui luy oste fort tout espoir de guerison. Alors elle s'addressa à Fleurial et luy dit : - Va, et revien tost, mais non Ξtoutefois toutesfois qu'elle ne soit guerie, s'il est possible, car je l'Ξaime ayme bien fort, pour la particuliere bonne volonté, qu'elle m'a tousjours portée. A ce mot, elle continua son promenoir, et je me mis à parler à luy, et monstrois plus par mes gestes, qu'en effet, du desplaisir, et de l'admiration, Ξet cela afin que la Nymphe y Ξprist prit garde. En fin je luy dis : - ΞVoy Vois-tu, ΞFleurial Florial, sois secret et prudent ; de cecy Ξdespend depend tout ton bien, ou tout ton mal, et sur tout, fay tout ce que te commandera Lindamor. Apres Ξle m'avoir promis me l'avoir promis, il s'en alla, et moy je disposay le mieux qu'il me fut possible Ξle mon visage à la douleur, et Ξau desplaisir déplaisir. Et quelquefois quand j'estois en lieu où la Nymphe seule me pouvoit Ξouïr ouyr, je faignois

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de souspirer, levois les yeux au Ξciel Ciel, frappois des mains ensemble, et bref je faisois tout ce que je pouvois imaginer, qui luy Ξdorroit donneroit quelque soupçon de ce que je voulois. Elle, comme je vous ay dit, qui attendoit tousjours que je luy parlasse de Lindamor, voyant que je n'en disois rien, qu'au contraire j'en fuyois toutes les occasions, et qu'au lieu de ceste joyeuse humeur, dont j'estois estimée entre toutes mes compagnes, je n'avois plus qu'une fascheuse melancolie, Ξpeu à peu conceut conçeut peu à peu l'opinion que je luy voulois donner, non toutefois entierement. Car mon dessein estoit de luy faire croire que Lindamor au sortir du combat s'estoit trouvé tellement blessé, qu'il en estoit mort, afin que la pitié obtint sur ceste ame glorieuse, ce que ny l'affection ny les services n'Ξavoient pû avoyent peu. Or comme je vous dy, mon dessein fut si bien Ξconduit conduict qu'il reussit presque tel que je l'avois proposé, car quoy qu'elle voulust faindre, si ne laissoit elle d'estre aussi vivement touchée de Lindamor, qu'une autre eust Ξpeu estre. Et ainsi me voyant triste, et muette, elle se figura, ou qu'il Ξfust estoit en tres mauvais estat, ou quelque chose de pire, et se sentit tellement presser de ceste inquietude, qu'il ne luy fut pas possible de tenir plus longuement sa resolution.
  Deux jours apres que Fleurial fut party, elle me fit venir en son cabinet, et là, faignant de parler d'autre chose, me dit : - Sçavez vous point

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comme se porte la tante de Fleurial ? Je luy respondis, que depuis qu'il estoit party, je n'en avois rien sçeu. - ΞVraiement Vrayement, me dit-elle, je regretterois bien fort ceste bonne vieille, s'il en Ξmesadvenoit mesavenoit. - Vous auriez raison, luy dis-je, Madame, car elle vous Ξaime ayme, et avez receu beaucoup de services d'elle qui n'ont point esté encor assez Ξrecognus reconneus. - Si elle vit, dit-elle, je le feray, et apres elle les Ξrecognoistray à reconnoistray envers Fleurial à sa consideration. Alors je respondis : - Et les services de la tante, et ceux du Ξnepveu Nepveu meritent bien chacun d'eux mesme recompense, et principalement de Fleurial, car sa fidelité, et son affection ne se peuvent achepter. - Il est vray, me dit-elle. Mais à propos de Fleurial qu'aviez vous tant à luy dire, ou luy à vous, quand il partit ? Je respondis froidement : - Je me recommandois à sa tante. - Des recommandations, me dit-elle, ne sont pas si longues. Alors elle s'approcha de moy, et me mit une main sur l'espaule. Dittes la verité, continua-t'elle, vous parliez d'autre chose. - Et que pourroit-ce estre, luy repliquay-je, si ce n'estoit cela ? Je n'ay point d'autres affaires avec luy. - Or je Ξcognoy connoy, me dit elle, à ceste heure que vous faigniez. Pourquoy dittes vous que vous n'avez point d'autres affaires avec luy, et combien en avez-vous eu pour Lindamor ? - O ! Madame, luy dis-je, je ne croyois pas que vous eussiez à ceste heure memoire d'une personne qui a esté tant Ξimfortunée infortunee. Et en me taisant je fis un grand souspir. - ΞQui Qu'y a-t'il, me dit-elle, que vous souspirez ? ΞDittes Dites moy la

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verité, où est Lindamor ? - Lindamor luy respondis-je, n'est plus que terre. - Comment, s'escria-t'elle, Lindamor n'est plus ? - Non certes, luy respondis-je, et la cruauté dont vous avez usé envers luy, l'a plus tué que les coups de son ennemy ; car sortant du combat, et sçachant par le rapport de plusieurs, la mauvaise satisfaction que vous aviez de luy, il n'a jamais voulu se laisser penser, et puis que vous l'avez voulu sçavoir, c'est ce que Fleurial me disoit, à qui j'ay commandé d'essayer s'il pourroit discrettement retirer les lettres que nous luy avons Ξescrites, afin escrittes, à fin qu'ainsi que vous aviez perdu le souvenir de ses services par vostre cruauté, Ξpar le feu aussi je fisse devorer je fisse aussi devorer au feu les memoires qui en peuvent demeurer. - O mon Dieu ! dit-elle alors, qu'est-ce que vous me dittes ? Est-il possible qu'il se soit ainsi perdu ? - C'est vous, luy dis-je, qui Ξ*l'avez devez dire de l'avoir perdu Ξet non pas luy  ; car quant à luy, Ξpar la mort il a trouvé le repos, que par la vie vostre cruauté ne luy eust jamais permis il a gaigné en mourant, puisque par la mort il a trouvé le repos, que vostre cruauté ne luy eust jamais permis tant qu'il eust vescu. - Ah ! Leonide, me dit-elle, vous me dittes ces choses pour me mettre en peine. Advoüez le vray il n'est point mort. - Dieu le voulust, luy respondis-je. Mais à quelle occasion le vous dirois je ? Je m'Ξassure asseure que sa mort ou sa vie vous sont indifferentes, Ξtant s'en faut et mesme, puis que vous l'Ξaimiez aymiez si peu, vous devez estre bien Ξaise ayse d'estre exempte de l'importunité qu'il vous eust donnée ; car vous devez croire, que s'il eust vescu il n'eust jamais cessé de vous donner de semblables

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preuves de son affection que celle de Polemas. - En verité, dit alors la Nymphe, je plains le pauvre Lindamor, et vous jure que sa mort me touche plus vivement que je n'eusse pas creu. Mais dittes moy, n'a t'il jamais eu souvenance de nous en sa fin, et n'a t'il point monstré d'avoir du regret de nous laisser ? - Voila, luy dis-je, Madame, une demande qui n'est pas commune. Il meurt à vostre occasion et vous demandez s'il Ξà a eu memoire de vous. Ah ! que sa memoire et son regret n'ont esté que trop grands pour son salut. Mais je vous supplie ne parlons plus de luy ; je m'Ξassure asseure qu'il est en lieu où il reçoit le salaire de sa fidelité, et d'où peut estre il se verra venger à vos Ξdespends despens. - Vous estes en colere, me dit-elle. - Vous me Ξpardorrez pardonnerez, luy dis-je Madame, mais c'est la raison qui Ξm'arrrache ces justes plaintes de l'estomac me contraint de parler ainsi, car il n'y a personne qui puisse rendre plus de tesmoignage de son affection et de sa fidelité que moy, et du tort que vous avez de rendre Ξà tant de services une si indigne récompense une si indigne recompense à tant de services. - Mais, adjousta la Nymphe, laissons cela à part, car je cognoy bien qu'en quelque chose vous avez raison, mais aussi n'ay-je pas tant de tort que vous m'en donnez. Et me dittes je vous prie, par toute l'amitié que vous me portez, si en ses dernieres paroles il s'est point ressouvenu de moy, et quelles Ξelles ont esté. - Faut-il encor, luy dis-je, que vous triomphiez en vostre ame de la fin de sa vie, comme vous avez fait de toutes ses actions, Ξ*tant qu'il a vescu depuis qu'il a commencé de vous aymer ?

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S'il ne faut que cela à vostre contentement, je Ξle vous satisferay. Aussi tost qu'il sçeut que par vos paroles vous taschiez de noircir l'honneur de sa victoire, et qu'au lieu de vous plaire, il avoit par ce combat acquis vostre Ξhaine hayne : - Il ne sera pas vray, dit-il, ô Ξinjuste injustice, qu'à mon occasion tu loges plus longuement en une si belle ame, il faut que par ma mort, je lave ton offense. Dés lors, il osta Ξtous les appareils qu'il avoit sur ses playes, et depuis n'a voulu souffrir la main du Chirurgien. Ses Ξblessures blesseures n'estoient pas mortelles mais la pourriture l'ayant reduit à tels termes qu'il ne se sentoit plus de force pour vivre, il appella Fleurial, et se voyant seul avec luy, il Ξluy dit : - Fleurial, mon amy, tu perds aujourd'huy celuy qui avoit plus d'envie de te faire du bien, mais il faut que tu t'armes de patience, puis que telle est la volonté du Ciel. Si veux je Ξtoutefois toutesfois recevoir encores de toy un service, qui me sera le plus agreable que tu me fis jamais. Et ayant tiré promesse qu'il le feroit, il continua : - Ne Ξfaux faus donc point à ce que je te vay dire. Aussi tost que je seray mort, fends moy l'estomac et en arrache le cœur, et le porte à la belle Galathee et luy dis que je Ξle luy envoye, Ξafin à fin qu'à ma mort je ne retienne rien d'autruy. A ces derniers mots, il perdit la parole et la vie. Or ce fol de Fleurial, pour ne manquer à ce qui luy avoit esté commandé Ξd' par une personne qu'il avoit si chere, avoit apporté icy ce cœur η, et sans moy vouloit le vous presenter. - Ah ! Leonide me dit-elle, il est

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doncques bien certain qu'il est mort ? Mon Dieu ! Que n'ay-je sçeu sa maladie, et que ne m'en avez-vous advertie ? J'y eusse remedié. Ô quelle perte ay-je faite ! Et quelle faute est la vostre ? - Madame, luy respondis-je, je n'en ay rien sçeu, car Fleurial estoit demeuré pres de luy pour le servir, à cause qu'il n'a Ξamené mené personne des siens, mais encor que je l'eusse sçeu, je croy que je ne vous en eusse point parlé, tant j'ay Ξrecognu reconneu vostre volonté Ξsans sujet esloignée de luy esloignée de luy sans sujet. A ce mot s'appuyant la teste sur Ξma la main, elle me commanda de la laisser seule Ξet cela afin comme je croy, Ξafin que je ne visse les larmes qui desja empouloient ses paupieres. Mais à peine estois-je sortie qu'elle me Ξrappella r'appella, et sans lever la teste, me dit que je commandasse à Fleurial de luy faire porter ce que Lindamor luy envoyoit, qu'en toute façon elle le vouloit. Et Ξincontinant incontinent je ressortis avec un espoir Ξassuré asseuré que les affaires du Chevalier pour qui je plaidois, reüssiroient comme je Ξl'avois proposé les avois proposées. Cependant, quand Fleurial retourna vers Lindamor, il le trouva assez en peine pour le retardement qu'il avoit Ξfait faict à Montbrison, mais ma lettre le resjouyt de sorte, que depuis à veuë d'œil on le voyoit Ξamander amender. Elle fut telle.

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Response de Leonide
a Lindamor.

  Vostre Justice esclaire Ξ*avec tant de Soleils de sorte, que mesme les yeux les plus Ξserrez fermez ne peuvent en nier la clarté. Contentez vous que ceux que vous desirez qui la voyent par moy, ayant sçeu vostre resolution, l'ont Ξrecognuë recogneuë Ξ(Guillemets de "pour" à "mesme".) pour tres juste. Il est vray que tout ainsi que les Ξblessures blesseures du corps ne sont pas Ξconsolidées du tout gueries encor que le danger en soit osté, et qu'il faut en cela Ξle du temps, celles de l'ame en sont de mesme. Mais en ayant osté le danger par vostre valeur et prudence, vous devez laisser au temps de faire ses actions ordinaires, vous Ξ(Guillemets de "ressouvenant" à "blessure".) ressouvenant que les playes qui se Ξserrent ferment trop promptement sont sujettes à faire sac, qui par apres est plus dangereux que n'estoit la Ξblessure blesseure. Esperez tout ce que vous desirez, car vous le pouvez faire avec raison.

  Je luy escrivis de ceste sorte Ξafin à fin que la tristesse ne nuisist pas à ses Ξblessures blesseures, et qu'il guerist Ξplutost plustost. Il me rescrivit ainsi.

Replique de Lindamor
a Leonide.

  Ainsi, belle Nymphe, puissiez-vous avoir toute sorte de contentement, comme tout le mien vient et despend de vous seule, j'espere puis que vous me le commandez, toutefois Amour qui

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n'est jamais sans estre accompagné Ξdu de doute, me commande que je tremble ; mais fasse de moy le Ciel ce qu'il luy plaira, je sçay qu'il ne peut me refuser le tombeau.

  Or ce que je luy respondis, Ξafin à fin de ne vous Ξpoint ennuyer par tant de lettres, fut en somme qu'aussi tost qu'il pourroit souffrir le travail, Ξqu' il trouvast moyen de Ξme parler parler à moy, et qu'il cognoistroit combien j'estois veritable. Et le plus briefvement qu'il me fut possible luy fis entendre tous les discours que Galathee et moy avions eu, et le desplaisir qu'elle avoit ressenty de sa mort, et la volonté d'avoir son cœur. Voyez quelle est la force d'une extreme affection. Lindamor avoit esté fort blessé en plusieurs lieux, et avoit tant perdu de sang qu'il Ξen fut presque en danger de Ξla sa vie. Toutefois outre toute l'esperance des Chirurgiens, aussi tost qu'il receut ceste derniere lettre, le Ξvoila voyla debout, le Ξvoila voyla qui s'habille, et dans deux ou trois jours apres il essaye de monter à cheval et en fin se hazarde de me venir trouver. Et parce qu'il n'osoit venir de jour pour n'estre veu, il s'habilla en jardinier, Ξet se disant cousin de Fleurial, se resolut de venir dans le jardin, et Ξde me parler se conduire, selon que l'occasion s'offriroit. S'il le proposa, il le mit en effet, et ayant fait faire secrettement des habits, fit entendre à la tante de Fleurial, qu'avant son combat il avoit fait un vœu, et qu'il vouloit l'aller rendre avant que de partir du Ξpaïs pays, mais que craignant les amis de Polemas, il y vouloit

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aller en cét équipage, et qu'il la prioit de n'en rien dire. La bonne vieille l'en voulut dissuader pour le danger qu'il y avoit, le conseillant de remettre ce voyage à une autrefois, mais luy qui estoit porté d'une trop ardente devotion pour l'interrompre, luy dit, que s'il ne le faisoit avant que de s'en aller hors du Ξpaïs pays, il croiroit qu'il luy deust advenir tous les Ξmalheurs mal-heurs du monde. Ainsi donc sur le soir il part, afin de ne rencontrer personne, et vient si heureusement, que sans estre veu il entra dans le jardin, et fut conduit par Fleurial en la maison, où pour lors il n'y avoit qu'un valet qui Ξl' luy aidoit à travailler, auquel il fit accroire, que Lindamor estoit son cousin, à qui il vouloit apprendre le mestier de jardinier. Si le Chevalier attendoit le matin avec beaucoup de desir, et si la nuit ne luy sembla estre plus longue que de coustume, celuy qui aura Ξeu esté en quelque attente de ce qu'il desire en pourra juger. Tant y a que le matin ne fut Ξpoint plutost venu, que Lindamor avec une besche Ξà en la main se met au jardin. Je voudrois que vous l'eussiez veu avec cet outil : vous eussiez bien Ξcognu conneu qu'il n'y estoit Ξguiere gueres accoustumé, et qu'il Ξsçavoit se mieux se sçavoit mieux aider d'une lance. Depuis il m'a juré cent fois, que de sa vie il n'eut tant de honte, que de se presenter vestu de ceste sorte devant les yeux de sa Ξmaistresse Maistresse, et qu'il fut deux ou trois fois en resolution de s'en retourner, mais en fin l'Amour surmonta la honte et Ξainsi il se resolut le fit resoudre d'attendre que nous vinssions.

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  De fortune, ce jour la Nymphe pour se desennuyer, estoit descenduë au jardin avec plusieurs de mes compagnes. Aussi tost qu'elle apperceut Fleurial, elle tressaillit toute, et Ξincontinent incontinent me fit signe de l'œil. Mais quoy que j'essayasse de Ξluy parler parler à luy, je ne le Ξpûs puis η faire, parce que le nouveau jardinier estoit Ξaupres de luy tousjours aupres qui estoit si changé en cet habit, que nulle de nous ne le Ξpût recognoistre peut η reconnoistre. Ξ*Il est vray qu'il se cachoit le plus qu'il pouvoit le visage, outre que personne ne pensoit en luy, et quoy que je luy eusse escrit, je m'assurois qu'il m'advertiroit avant que de venir, mesme que je ne luy eusse jamais permis de hazarder ceste témerité ; mais Amour qui a les yeux bandez luy empescha aussi de voir plus clair que luy, et Quant à moy, je m'excuse si je ne le connus pas, car je n'eusse jamais pensé qu'il eust fait ce dessein sans m'en advertir, mais il me dit depuis qu'il me l'avoit celé, sçachant bien que je ne luy eusse jamais permis de venir en ce lieu de ceste sorte. Pensant donc à tout autre qu'à luy je fus bien assez curieuse pour Ξluy demander quel il estoit ; et Fleurial demander à Fleurial qui estoit cet estranger ; il me respondit froidement que c'estoit le fils de sa tante, auquel il vouloit apprendre ce qu'il sçavoit du jardinage. A ce mot Galathée aussi curieuse, mais moins courageuse que moy, me voyant en discours avec luy, s'en approcha, et oyant que cestuy-cy estoit Ξson cousin cousin de Fleurial, luy demanda comme sa mere se portoit. Ce fut Ξlors alors que Lindamor fut empesché, car il craignoit que ce qui avoit esté couvert par les habits ne Ξfust fut descouvert par la parole. Toutefois la contrefaisant au mieux qu'il pût, il respondit d'un langage villageois, qu'elle estoit hors de danger, et apres suivit une reverence de mesme au langage, avec une telle grace que toutes les ΞNimphes Nymphes s'en mirent à rire, mais luy sans en faire

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semblant, remet son chappeau avec les deux mains sur la teste, et reprend son ouvrage. Galathee en sousriant dit à Fleurial : - Si vostre cousin est aussi bon jardinier que bon harangueur, vous avez trouvé une bonne Ξaide ayde. - Madame, luy dit Fleurial, il ne peut mieux parler que ceux qui l'ont appris, en son village ils parlent tous ainsi. - Ouy, dit la Nymphe, et peut estre encor est il tenu pour un grand personnage entr'eux. Et à ce mot elle reprit son promenoir. Cela me donna un peu Ξdavantage plus de commodité de parler à Fleurial, car mes compagnes pour passer leur temps se mirent toutes à l'entour de Lindamor, et chacune pour le faire parler luy disoit un mot, et à toutes il respondoit, mais des choses tant hors de propos qu'il falloit rire par force, Ξet luy car il les disoit d'une sorte qu'il sembloit Ξqu'il les dist que ce fust à bon escient, et quoy qu'il leur respondist, il ne levoit jamais la teste, Ξfaignant feignant d'être attentif à son labeur. Cependant m'approchant de Fleurial, je luy demanday comme se portoit Lindamor. Il me respondit qu'il estoit encor assez mal ; Ξet cela il le faisoit parce que Lindamor l'avoit instruit de me parler de ceste sorte Lindamor luy avoit commandé de me le dire ainsi. - Et d'où vient son mal luy dis-je, puis que tu me dis que ses Ξblessures blesseures estoient des-ja Ξpresques presque gueries ? - Vous le sçaurez, me respondit-il, par la lettre qu'il escrit à Madame. - Ξ*alors je luy dis qu'il la me donnast, mais il ne voulut jamais : parce, disoit-il, que Lindamor luy avoit expressément commandé de ne la remettre entre autres mains que de Galathée, et qu'il en avoit fait serment, et qu'outre cela il avoit quelqu'autre chose à luy dire de bouche. - Et beste, luy dis-je, dy le moy, et je t'en feray avoir prompte response. - Le vous dire ? me dit-il, je ne le ferois pour mourir, car il le m'a trop expressément deffendu. Je me mis un peu en colere contre luy, Madame, luy dis-je, a opinion qu'il soit mort. Mais donne la moy et je la luy feray voir, feignant qu'il y a long temps qu'il l'a escrite. - Je n'oserais, me respondit-il, par ce qu'il me l'a expressément

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deffendu, et qu'il m'y a astraint par serment. - Comment, luy dis-je, Lindamor entre t'il en meffiance de moy ? - Nullement, me dit-il, au contraire, il vous prie de faire tousjours croire à la Nymphe qu'il est mort ; mais pour son bien et pour mon advantage, il faut que la Nymphe reçoive ceste lettre de mes mains. Je me mis certes en colere, et luy en eusse bien dit davantage η, Ξn'eust esté que j'eus si je n'eusse eu peur que l'on s'en Ξapperceust, et fut apperçeu ; mais il fit si bien ce qui luy avoit esté commandé, que je n'en Ξpûs peus tirer autre chose, sinon pour conclusion, que si la Nymphe vouloit ce qu'il avoit à luy donner de Lindamor, Ξqu' il falloit qu'elle le prist de sa main. Et quand je luy disois qu'il demeureroit long temps à luy pouvoir parler, et que cela la pourroit offenser, il ne me respondoit Ξautre chose sinon d'un branslement de teste, par lequel il me faisoit entendre qu'il n'en feroit rien. Galathee, qui s'estoit apperceuë de nostre discours, desireuse d'en sçavoir le sujet, se retira du promenoir plutost que de coustume, et m'ayant appellee en particulier voulut entendre ce que c'estoit. Je le luy dis franchement, je veux dire pour ce qui estoit de la resolution de Fleurial ; mais au lieu de la lettre, je luy dis que c'estoit le cœur de Lindamor, et qu'en toute sorte luy ayant esté commandé par luy à sa mort, il croiroit user de trahison s'il n'observoit sa promesse. Alors Galathee me respondit comment il entendoit de luy pouvoir parler en particulier, qu'il luy sembloit n'y avoir point d'autre moyen que

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de faindre de luy apporter des Ξfruits fruicts dans un panier et qu'au fonds il Ξy mist luy mit le cœur. Je luy respondis alors, que cela se pourroit bien faire ainsi, mais que je le cognoissois pour si brutal qu'il n'en feroit rien, Ξparce par ce que l'avarice luy faisoit esperer d'avoir beaucoup d'elle, s'il luy representoit luy mesme (en luy remettant ce cœur entre les mains) les services qu'en ces occasions il luy avoit rendus. - O ! me dit-elle, s'il ne tient qu'Ξà a cela, qu'il vous die seulement ce qu'il veut, car je le luy donneray. - Ce sera, luy dis-je, une espece de rançon que vous payerez pour ce cœur. - Ce n'est pas, me respondit-elle, de ceste monnoye que je la dois payer, c'est de mes larmes, et celles là Ξestant estans taries, de mon sang. Peut estre fut-elle marrie de m'en avoir tant dit. Tant y a qu'elle me commanda le matin de parler à Fleurial, ce que je fis, et luy representay tout ce que je creus qui le pouvoit esmouvoir à me donner ceste lettre, jusques à le menacer, mais tout fut en vain, car Ξde pour resolution, il me dit : - Voyez-vous, * Leonide, quand le Ciel et la terre s'en mesleroient, je n'en feray autre chose. Si Madame veut sçavoir ce que j'ay à luy dire, il fait si beau le soir, qu'elle vienne avec vous jusques au bas de l'escalier qui descend de sa chambre, la Lune est claire, je l'ay veuë bien souvent y venir, le chemin n'est pas long, personne n'en peut rien sçavoir. Je m'Ξassure asseure que m'ayant ouy, elle ne plaindra point la peine qu'elle aura prise. Quand il me dit cela, je me mis en extréme

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colere contre luy, luy representant qu'il devoit obeïr à Galathee, et non point Ξà a Lindamor, qu'elle estoit sa Ξmaistresse Maistresse, qu'elle luy pouvoit faire du bien et du mal, bref qu'il n'y avoit point d'Ξapparance apparence qu'elle deust prendre ceste peine. Mais luy, sans s'esmouvoir, me dit : - Nymphe, ce n'est pas à Lindamor que j'obeïs, mais au serment que j'en ay fait aux Dieux. S'il ne se peut de ceste sorte, je m'en retourneray Ξplutost plustost d'où je viens. Je le laissay avec son opiniastreté, tant ennuyee que j'estois à Ξmoytié moitié hors de moy, car si j'eusse sçeu le dessein de Ξ*Fleurial Lindamor, * puis que la chose estoit tant avancée, sans doute je luy eusse aydé ; mais ne le sçachant pas, je trouvois Ξsa demande tant hors du devoir Fleurial avec si peu de raison, que je ne sçavois que dire. En fin je m'en retournay faire sa response à Galathee, qui fut tant en colere qu'elle l'eust fait battre, et chasser du service de sa mere, si je ne luy eusse representé le danger où elle se mettoit, Ξ*que ce coquin qu'il ne descouvrist ce qui s'estoit passé. Trois ou quatre jours s'escoulerent que la ΞNimphe Nymphe demeuroit obstinée à ne Ξ(Guillemets de "parler" à "matin".) Ξpoint parler à Fleurial vouloir faire ce que Fleurial demandoit. En fin Amour trop fort pour ne vaincre toute chose, la força Ξet ainsi de sorte que le matin elle me dit, que Ξde toute la nuit elle n'avoit Ξdormy esté en repos, que les Manes η de Lindamor luy estoient toute nuit autour, qu'il luy sembloit que c'estoit la moindre chose qu'elle Ξpouvoit pour sortir son cœur d'entre les mains estrangeres, de descendre cet escalier, et qu'elle avoit volonté d'y aller ce soir, que j'en advertisse devoit à sa memoire que de descendre cest escalier pour tirer son cœur des mains d'autruy, et que j'avertisse Fleurial, Ξafin qu'il ne faillist de s'y trouver. O Dieux,

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quel fut le contentement du nouveau jardinier ! Il m'a dit depuis qu'en sa vie il n'avoit eu plus grand sursaut de joye, Ξparce par ce qu'il commençoit à desesperer que son artifice Ξreüssist reüssit, et voyant la Nymphe ne venir plus au jardin, il Ξ*eut opinion craignoit qu'elle l'eust Ξrecognu recogneu. Mais quand Ξil fut adverty de Fleurial, que je luy avois commandé de se trouver au pied de l'escalier Fleurial l'avertit de la resolution qu'elle avoit prise, ce fut un ressuscité d'Amour η, pour le moins si l'on meurt par le Ξdeüil dueil, et si l'on revit par le contentement. Il se prepara à l' Ξabort abord à ce qu'il avoit à faire, avec plus de curiosité qu'il n'avoit jamais fait contre Polemas. La nuit estant venuë, et chacun retiré, la Nymphe ne faillit à se r'habiller, mais seulement avec une robbe de nuit, et me faisant ouvrir la premiere porte, elle me fit passer devant, et vous jure qu'elle trembloit de sorte, qu'à peine pouvoit-elle marcher. Elle disoit qu'elle ressentoit un certain Ξeslencement eslancement en l'estomac, qu'elle n'avoit point accoustumé, qui luy ostoit toute force, qu'elle ne sçavoit si c'estoit pour se voir ainsi de nuit sans lumiere, ou pour sortir à heure induë, ou pour apprehender le present de Lindamor, mais Ξque quoy que ce Ξfust fut, elle n'estoit pas bien à elle. En fin s'estant un peu Ξrassurée r'asseuree nous descendismes du tout en bas, où nous n'eusmes pas si tost ouvert la porte, que nous trouvasmes Fleurial, qui nous Ξy attendoit il y avoit long-temps. La Nymphe passa alors devant, et allant sous une tonne de Ξjosmins jasmins, qui par son espaisseur la pouvoit garantir, et des rais de la Lune, et d'estre veüe des fenestres du corps de logis qui

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respondoit sur le jardin. Elle commença toute en colere à Ξparler dire à Fleurial : - Et bien Fleurial, depuis quand estes vous devenu si ferme en vos opinions que quoy que je vous commande, vous n'en Ξveuilliez vueilliez rien faire ? - Madame, respondit-il sans s'estonner, ç'a esté pour vous obeïr, que j'ay failly en cecy, s'il y a de la faute : car ne m'avez vous pas commandé tres-expressement que je fisse tout ce que Lindamor m'ordonneroit ? Or, Madame, c'est luy que me l'a ainsi commandé, et qui me remettant η son cœur, me fit outre son commandement encor obliger par serment, que je ne le remettrois entre autres mains Ξque les qu'aux vostres. - Et bien, bien, interrompit-elle en souspirant, où est ce cœur ? - Le voicy, Madame, dit-il, reculant trois ou quatre pas vers un petit cabinet, s'il vous plaist d'y venir, vous le verrez mieux que la où vous estes. Elle se leva et s'y en vint, mais Ξcomme à mesme temps qu'elle voulut entrer dedans, voila un homme qui se jette à ses pieds et sans luy dire autre chose, luy Ξbaise bayse la robbe. - O Dieux ! dit la Nymphe, qu'est-Ξcecy ce cy ? Fleurial, voicy un homme ! - Madame, dit Fleurial en sousriant, c'est un cœur qui est à vous. - Comment ? dit-elle, un cœur ? Et lors de peur elle voulut fuir, mais celuy qui luy baisoit la robbe la retint. Oyant Ξce rencontre ces paroles je m'approchay, et Ξcognus incontinant conneus incontinent que c'estoit Ξcelui celuy que Fleurial disoit estre son cousin. Je ne sceus soudainement que penser ; je voyois Galathée et moy entre les mains de ces deux hommes, l'un desquels nous estoit Ξincognu incogneu. *A quoy nous pouvions

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nous resoudre ? De crier, nous n'osions, de fuir, Galathée ne pouvoit ; d'esperer en nos forces il n'y avoit point d'Ξapparance apparence, en fin Ξ*ma resolution tout ce que je peus ce fut de me jetter aux mains de celuy qui tenoit la robbe de la Nymphe, et ne pouvant mieux, je me mis à l'esgratigner et a le mordre, Ξet cela je le ce que je fis avec tant de promptitude que Ξluy qui n'y prenoit garde la premiere chose qu'il en apperceut fut la morsure. - Ah ! courtoise Leonide, me dit-il lors, comment traitterez-vous vos Ξennemis ennemys, puis que vous rudoyez de ceste sorte vos serviteurs ? Encores que je fusse bien hors de moy, si est-ce que je Ξrecognus recogneus presque ceste voix, et luy Ξdemandis demandant η qui il estoit. - Je suis, dit-il celuy qui viens porter le cœur de Lindamor à ceste belle Nymphe, et lors sans se lever de terre, s'Ξadressant addressant à elle, il continua : - J'advoue, Madame, que ceste temerité est grande, si n'est-elle pas toutefois Ξégale esgale à l'affection qui l'a produitte. Voicy le cœur de Lindamor, que je vous apporte ; j'ay esperé que ce present seroit aussi bien reçeu de la main du donneur, que d'une estrangere, si toutefois mon desastre Ξm'empesche me nie ce que l'Amour m'a promis, ayant offensé la divinité que seule je veux adorer, Ξcondannez condamnez ce cœur que je vous apporte à tous les plus cruels supplices qu'il vous plaira ; car pourveu que sa peine vous satisface, il la patientera avec autant de contentement que vous la luy ordonnerez. Je Ξcognus aysement cogneus aisément alors Lindamor, et Galathée aussi, mais non sans estonnement toutes deux, elle, voyant à ses pieds celuy qu'elle avoit pleuré mort, et moy, au lieu

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d'un jardinier, Ξvoir ce Ξchevalier Chevalier qui ne cede à nul autre de ceste contrée. Et Ξvoyant cognoissant que Galathée estoit si surprise qu'elle ne pouvoit parler, je luy dis : - Est-ce ainsi, ô Lindamor, que vous surprenez les Dames ? Ce n'est pas acte d'un Ξchevalier Chevalier tel que vous estes. - Je vous advoüe, me dit-il, gratieuse Nymphe, que ce n'est pas acte d'un Ξchevalier Chevalier, mais aussi ne me nierez vous pas que ce ne soit celuy d'un Amant, et que suis-je plus qu'Amant ? Amour qui apprit à filer η aux autres, m'apprend a estre jardinier. Est-il possible, Madame, dit-il s'Ξaddressant adressant à la Nymphe que ceste Ξextresme extréme affection que vous Ξfaittes faites naistre, vous soit si desagreable que vous la Ξveuilliez vueilliez faire finir par ma mort ? J'ay pris la hardiesse de vous apporter ce que vous vouliez de moy, ce cœur ne vous doit-il pas estre plus agreable en vie que mort ? Que s'il vous plaist qu'il meure, voila un poignard η qui abregera ce que vostre rigueur fera avec le temps. La Nymphe à toutes ces paroles ne respondit autre chose, sinon : - Ah ! Leonide, vous m'avez trahie ! Et à ce mot elle se retira dans l'allee, où elle trouva un siege fort à propos, car elle estoit tant hors de soy qu'elle ne sçavoit où elle estoit. Là le Chevalier se rejette à genoux, et moy je m'en vins à l'autre costé, et luy dis : - Comment, Madame, vous Ξdictes dites que je vous ay trahye ? Pour quoy m'accusez-vous de cecy ? Je vous jure par le service que je vous ay voüé, n'avoir rien sçeu de cét affaire, et que Fleurial m'a deceuë aussi bien que vous. Mais je louë

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Dieu que la tromperie soit si advantageuse pour chacun. Dieu mercy, voicy le cœur de Lindamor, que Fleurial vous avoit promis, mais le voicy en estat de vous faire service, ne devez vous pas estre bien Ξaise ayse de ceste Ξ*tromperie trahison ?
  Il seroit trop long à raconter tous les discours que nous eusmes, tant y a qu'en fin nous fismes la paix, et de telle sorte, que ceste Amour fut plus Ξestroittement estroictement liee qu'elle n'avoit jamais esté ; Ξtoutefois toutesfois avec condition qu'à l'heure mesme, il partiroit pour aller où Amasis et Clidaman l'avoient envoyé. Ce départ fut mal-Ξaisé aysé, toutefois il Ξfallut obeïr falut obeyr, et ainsi, après Ξluy avoir Ξbaisé baysé la main à Galathée, sans nulle faveur plus grande, il partit. Bien s'en alla t'il avec Ξassurance asseurance qu'à son retour il pourroit la voir quelquefois à ceste mesme heure et en ce mesme lieu. Mais que sert-il de particulariser toute chose ? Lindamor retourna où ceux qui estoient à luy l'attendoient, et de là en diligence Ξva allaClidaman pensoit qu'il fust, et par les chemins bastit mille prudentes excuses de son sejour, tantost accusant les incommoditez des montagnes, et tantost d'une maladie qui encor paroissoit à son visage, à cause de ses Ξblessures blesseures ; et luy semblant que tout ce qui l'esloignoit de sa Dame, n'estoit pas affaire qui meritast plus long sejour, il revint, avec permission d'Amasis et de Clidaman, en Forests, où estant arrivé, et ayant rendu bon conte de sa charge il fut honoré, et caressé comme sa vertu le meritoit. Mais tout cela ne luy touchoit point au cœur, au prix Ξdu d'un bon accueil qu'il

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recevoit de la Nymphe, qui depuis son dernier départ avoit accreu de sorte sa bonne volonté, que je ne sçay si Lindamor avoit occasion de se dire plus Amant qu'aimé. Ceste recherche passa si outre, qu'un soir estant dans le jardin, il la pressa plusieurs fois de luy permettre qu'il la demandast à Amasis, qu'il s'Ξassuroit asseuroit avoir rendu tant de bons services, et à elle, et à son fils, qu'ils ne luy refuseroient point ceste grace. Elle luy respondit : - Vous devez Ξdoutter douter de leur volonté plus que de vos merites, et devez estre moins Ξassuré asseuré de vos merites, que de ma bonne volonté, Ξtoutefois toutesfois je ne veux point que vous leur en parliez que Clidaman ne se marie ; je suis plus jeune que luy, je puis bien attendre autant. - Ouy bien vous, respondit-il incontinent, mais non pas la violence de ma passion. Pour le moins, si vous ne me voulez Ξpermettre accorder ce remede, donnez m'en un qui ne peut Ξpoint vous nuire, si vostre volonté est telle que vous Ξla me Ξdittes dites. - Si je Ξ*la le puis, dit-elle, sans m'offenser, je Ξla le vous promets. Apres luy avoir Ξbaisé baysé la main : - Madame, luy dit-il, vous m'avez promis de jurer devant Leonide, et devant les Dieux, qui oyent nos discours, que vous serez ma femme, comme je Ξfaits fais serment devant eux mesmes, de n'en avoir jamais d'autre. Galathée Ξ*presque surprise, à la fin, à ma persuasion. mais plus encor à celle que son affection luy faisoit le fut surprise, toutefois, feignant que ce fust partie pour le serment qu'elle en avoit fait, et en partie en ma persuasion, quoy que veritablement ce fust à celle de son affection, elle le contenta, et le luy jura entre mes mains, à condition que jamais Lindamor ne

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reviendroit en ce jardin, que le mariage ne fust declaré ; et cela pour empescher que l'occasion ne les fist passer plus outre. Voila Lindamor le plus content qui Ξfust fut jamais, plein de toute sorte d'esperance, pour le moins de toutes celles qu'un Amant peut avoir estant Ξaymé aimé, et n'attendant que la conclusion promise de ses desirs, quand Amour, ou Ξplutost plustost la fortune, voulut se Ξmoquer mocquer de luy, et luy donner le plus cruel ennuy qu'autre peut avoir. O Lindamor, Ξqu'elles quelles vaines propositions sont les vostres ? En ce temps Clidaman estoit party pour aller chercher avec Guiemants, les hazards des armes, et pour lors il se trouvoit en l'armee de Meroüée. Et encor qu'il y fust allé secrettement, si est-ce que ses actions le Ξdescouvrirent découvrirent assez, et parce qu'Amasis ne vouloit pas qu'il y demeurast de ceste sorte, elle fit levee de toutes les forces qu'elle Ξpût peut η pour luy envoyer, et comme vous sçavez, en donna la charge à Lindamor, et retint Polemas pour gouverner sous elle à toutes ses Ξprovinces Provinces jusques à la venuë de son fils. Ξet cela elle le Ce qu'elle fit, tant pour satisfaire à ces deux grands personnages, que pour les separer un peu ; car depuis le retour de Lindamor, ils avoient tousjours Ξ(Guillemets de "eu" à "s'esvante".) eu quelque pique ensemble, fust que rien n'est de si secret, qui en quelque sorte ne se Ξs'esvante découvre, et qu'à ceste occasion Polemas eust quelque vent que ce fust luy contre qui il avoit combattu, ou bien que l'Amour seul en fust la cause. Tant y a que chacun cognoissoit bien le peu de bonne volonté

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qu'ils se portoient. Or Polemas demeuroit fort content, et Lindamor ne s'en alloit pas mal volontiers, l'un pour demeurer pres de sa Ξmaistresse Maistresse, et l'autre pour avoir occasion, faisant service à Amasis de se l'obliger, esperant par ceste voye de se faciliter le chemin Ξ*à ce qu' au bien auquel il aspiroit. Mais Polemas qui cognoissoit à l'œil combien il estoit Ξdeffavorisé défavorisé, et combien au rebours son rival recevoit de faveurs, n'ayant guiere d'esperance ny Ξà en ses services, ny Ξà en ses merites, recourut aux artifices. ΞAinsi donc Et voicy comment : il apposte un homme η, mais un homme le plus fin et le plus Ξruzé rusé qui fust jamais en son mestier, Ξauquel sans le faire voir avec luy, et à qui sans le faire recognoistre à personne de la Ξcourt cour, il fit secrettement voir Amasis, Galathee, Silvie, * Silere, moy, et toutes ces autres Nymphes, et non seulement Ξleur luy monstra le visage, mais luy raconta tout ce qu'il sçavoit de toutes, voire des choses plus secrettes Ξdesquelles dont comme *vieil Ξcourtisan Courtisan, il estoit bien informé, et puis le pria de se faindre Druide, et grand devin. Ξ*Cet homme s'appelloit Climanthe, incognu en ces païs, à ce que je crois. Il vint dans ce grand bois de ΞSavignieu Savigneu, pres des beaux jardins de Mont-Brison, où sur la petite riviere qui y passe presque au travers, il fit une logette, et Ξlà demeura demeura là quelques jours, faisant le grand devineur, si bien que le bruit en vint jusques à nous, et mesmes Galathee le Ξsceut, qui sçachant, l'alla trouver pour Ξsçavoir apprendre Ξqu'elle quelle seroit sa fortune. Ce rusé sceut si bien contrefaire son personnage, avec tant de circonstances, et de Ξcerimonies ceremonies, qu'il faut que j'advoüe le vray, j'y fus déceuë aussi bien que les autres. Tant y a que la conclusion de sa finesse fut de luy dire que

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le Ξciel Ciel luy avoit donné par influence le choix d'un grand bien ou d'un grand mal, et que c'estoit Ξà a sa prudence de les eslire. Que l'Ξune un et l'autre procedoient de ce qu'elle devoit Ξaimer aymer, et que si elle Ξle mesprisoit méprisoit son advis, elle seroit la plus mal-heureuse personne du monde, et au contraire tres-heureuse, si elle faisoit bonne deliberation ; que si elle le vouloit croire, il luy donneroit des cognoissances si certaines de l'Ξune un et de l'autre, qu'il ne tiendroit qu'Ξà a elle de les discerner. Et luy regardant la main, puis le visage, il luy dit : - Un tel jour estant dans Marcilly, vous verrez Ξvenir un homme vestu d'une telle couleur, si vous l'Ξespousez espousés, vous estes la plus miserable du monde. Puis il luy fit voir dans un miroir, un lieu qui est le long de la riviere de Lignon, et luy dit : - Voyez vous ce lieu, allez y à telle heure, vous y trouverez un homme qui vous rendra heureuse, si vous l'espousez. Or ΞClimanthe Climante (tel est le nom de ce trompeur) avoit finement sçeu et le jour que Lindamor devoit partir, et la couleur dont il seroit vestu ; et son dessein estoit que Polemas Ξfaignant feignant d'aller à la chasse, se trouveroit au lieu qu'il avoit fait voir dans le miroir. Or oyez je vous supplie, comme le tout est reüssi. Lindamor ne faillit point de venir vestu comme Ξl' avoit dit Climanthe, et au mesme jour Galathée, qui avoit bonne memoire de η ce que luy avoit dit ce trompeur, à l'Ξabort abord de Lindamor demeura si estonnee, qu'elle ne sceut respondre à ce qu'il luy disoit. Le pauvre Chevalier creut que c'estoit le Ξdesplaisir déplaisir de son Ξesloignement éloignement, de sorte qu'apres

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luy avoir baisé la main, il partit, et s'en alla à l'armée, plus content que ne vouloit sa fortune. Si j'eusse sceu qu'elle se fust mise en ceste opinion, j'eusse tasché de l'en divertir, mais elle Ξle me me le tint si secret que pour lors je n'en eus aucune cognoissance. Depuis s'approchant le jour que Climante luy avoit dit qu'elle trouveroit sur les rives de Lignon celuy qui la rendroit heureuse, elle ne me voulut pas dire entierement son dessein, mais seulement me fit entendre qu'elle vouloit sçavoir si le Druide estoit veritable, en ce qu'il luy avoit dit, qu'aussi bien la Ξcourt cour estoit si seule qu'il n'y avoit plus de plaisir, et que la solitude seroit pour un temps plus agreable ; qu'elle estoit resoluë d'aller en son palais d'Isoure, la plus seule Ξqu'il qui η luy seroit possible, et que des Nymphes elle ne vouloit avoir que Sylvie et moy, sa nourrice, et le petit Meril. Quant à moy qui estois ennuyee de la Ξcourt cour, je luy dis qu'il seroit bien à propos de s'y aller un peu divertir. Et ainsi faisant entendre à Amasis qu'elle s'y vouloit purger, elle s'y en alla le lendemain. Mais ç'avoit esté sa nourrice qui l'avoit fortifiée en ceste opinion, car ceste bonne vieille, qui Ξaimoit aymoit tendrement sa nourriture, estant de facile creance en Ξces ses η predictions, comme sont la pluspart de celles de son âge, Ξla luy conseilla de le faire, et l'en pressa de sorte, que la trouvant des-ja toute disposée, il luy fut aisé de la mettre en ce Ξlabyrinthe Labyrinthe. Ainsi donc nous voilà toutes trois seules en ce Palais. Pour moy je ne fus de ma vie plus Ξestonnée étonnée,

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car figurez-vous trois personnes dans ce Ξ*cahos de grand bastiment. Mais la Nymphe, qui avoit bien Ξconté remarqué le jour que ΞClimanthe Climante luy avoit dit se prepara le soir auparavant pour y aller, et Ξs'habiller le matin s'habilla le plus à son advantage Ξqu'elle pût quelle η peut η, et nous commanda d'en faire de mesme. De ceste sorte nous allons dans un chariot jusques au lieu assigné, où estant arrivées, par hazard η à l'heure mesme qu'avoit dit Climanthe, nous trouvasmes un Berger presque noyé, et encores à moitié couvert de bouë et de gravier, que la fureur de l'eau avoit jetté contre nostre bord. Ce Berger Ξc' estoit Celadon, *je ne sçay si vous le cognoissez, qui par hazard estant tombé dans Lignon, avoit failly de se noyer, mais nous Ξy arrivasmes si à propos, que nous le sauvasmes, car Galathee croyant que ce fust Ξcestui-cy cestuy-cy qui la devoit rendre heureuse, dés lors commença de l'Ξaimer aymer de telle sorte, Ξ*que nous le portasmes qu'elle ne pleignoit point sa peine à nous aider à le porter dans le chariot, et de là jusques au Palais sans qu'il revint Ξà soy . Pour lors le sable, l'effroy de la mort, les taches qu'il avoit au visage gardoient que sa beauté ne se pouvoit remarquer. Et quant à moy je maudissois l'enchanteur, et le devin qui estoit η cause que nous avions Ξtant de ceste peine, car je vous jure que je n'en eus de ma vie tant. Mais depuis qu'il fut revenu Ξà soy , et que son visage ne fut plus soüillé, il Ξapparut parut le plus bel homme qui se puisse dire, outre qu'il a l'esprit ressentant Ξtout toute autre chose Ξplutost plustost que le Berger : je n'ay rien veu en nostre Ξcourt cour

Signet[ 304 verso ] 1607 fonctionnelle

de plus civilizé, ny de plus Ξcapable à se faire aimer digne d'estre aymé, si bien que je ne m'estonne pas si Galathée en est tant esperdument amoureuse, qu'à peine le peut-elle abandonner la nuit. Mais certes elle se trompe bien, Ξcar d'autant que ce Berger est perdu d'Amour, pour une Bergere nommée Astrée. Si est-ce que toutes ces choses n'ont pas fait un petit coup contre Lindamor, Ξcar par ce que la Nymphe ayant trouvé vray ce Ξ*menteur en ces deux commencements que ce menteur luy a dit, est resoluë de mourir Ξplutost plustost que d'espouser Lindamor, et s'estudie par toute sorte d'artifice de Ξs'attirer se faire aimer à ce Berger, qui ne fait mesme en sa presence que souspirer l'esloignement d'Astrée Ξ*et son courroux . Je ne sçay si la contrainte Ξen quoy il se trouve (car elle ne le veut point laisser sortir du Palais Ξ*si bien qu'il est en une honneste prison ) ou si l'eau qu'il Ξbut beut quand il Ξ*se precipita tomba dans la riviere, en est la cause, tant y a que depuis il est allé Ξtraînant trainant, tantost dans le lict, tantost dehors, mais en fin il a pris une fievre si ardente, que ne sçachant plus de remede à sa santé, la Nymphe me commanda de venir en diligence vous querir Ξafin à fin que Ξvous vissiez ce qui seroit necessaire pour le sauver.
  Le Druide estoit demeuré fort attentif durant ce discours, et fit divers Ξjugemens jugements selon les sujets des paroles de sa niece, et peut-estre assez approchant du vray, car il Ξcognut cogneut bien qu'elle n'estoit pas du tout exempte ny d'Amour, ny de Ξcoulpe faute. Toutefois, comme fort advisé qu'il estoit, il le dissimula avec beaucoup de discretion, et dit à sa niece qu'il estoit tres aise de pouvoir servir Ξà Galathee, et mesme en la personne de Celadon, de qui il avoit

Signet[ 305 recto ] 1607 fonctionnelle

tousjours aymé les parents, et qu'encor qu'il fust Berger, Ξqu' il ne laissoit d'estre de l'ancien tige Ξ*de Pan des Chevaliers η, et que ses ancestres avoient esleu ceste sorte de vie pour plus reposée, et plus heureuse que celle des Cours, qu'à ceste occasion il le falloit honorer, et faire bien servir, mais que ceste façon de vivre, dont usoit Galathée, n'estoit ny belle pour la Nymphe, ny honorable pour elle ; qu'estant arrivé au Palais et ayant veu ses Ξdesportements déportements, il luy diroit comme il vouloit qu'elle se gouvernast. La Nymphe un peu Ξ*rougie de honte honteuse luy respondit, qu'il y avoit long-temps qu'elle avoit Ξfait dessein de le luy dire, mais qu'elle n'avoit eu ny la hardiesse, ni la commodité ; qu'à la verité Climanthe estoit cause de tout le mal. - O, respondit Adamas, s'il y avoit moyen de l'Ξattraper attrapper, je luy ferois bien payer avec usure le faux tiltre qu'il s'est usurpé de Druide. - Cela sera fort aisé, dit la Nymphe, par le moyen que je vous diray. Il dit à Galathée qu'elle retournast deux ou trois fois au lieu où elle devoit trouver Ξcet cest homme, en cas qu'elle ne l'y rencontrast Ξpas la premiere fois. Je sçay que Polemas et luy ayant esté trop tardifs le premier jour, ne Ξmanqueront manquerent η d'y venir les autres suivants ; qui voudra surprendre ce trompeur, il ne faut que se cacher Ξen ce au lieu * que je vous monstreray, Ξcar sans Ξdoutte doute il Ξy viendra ; et quant au jour vous le pourrez sçavoir de Galathée, car Ξpour quant à moy je l'ay oublié.