Édition de 1607, 257 recto (sic pour 157 recto).
Édition de Vaganay, p. 195.
[ 157 recto ] 1607 fonctionnelle
Livre sixième
LE
SIXIESME LIVRE
DE LA PREMIERE
Partie d'Astrée.
D'autre costé Leonide n'ayant point trouvé
Adamas à Feurs, reprit le chemin par où elle
estoit venuë, sans y sejourner que le temps qu'il
fallut pour disner. Et Ξparce par ce qu'elle avoit resolu
de demeurer ceste Ξnuit nuict avec les belles Bergeres
qu'elle avoit veuës le jour auparavant, pour le
desir qu'elle avoit de les cognoistre plus
particulierement, elle vint repasser au mesme lieu,
où elle les avoit rencontrees, puis estendant la
veuë de tous les costez, il luy sembla bien d'en
voir quelques unes, mais ne les pouvant Ξrecognoistre reconnoistre pour estre trop loing, avec un grand tour, elle s'en
approcha le plus qu'elle Ξpût peut η, et lors les voyant
au visage elle Ξcognut connut que c'estoient les mesmes
qu'elle cherchoit.
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Elle devoit estimer beaucoup
Ξce ceste rencontre, car de fortune elles estoient
sorties de leur hameau, en deliberation de passer le
reste du jour ensemble, et pour couler plus Ξaysément aisément
le temps, faisoient dessein de n'estre qu'elles
trois, afin de pouvoir plus librement parler de tout
ce qu'elles avoient de plus secret, si bien que Leonide ne pouvoit venir plus à propos, pour
satisfaire à sa curiosité, mesme qu'Ξelles elle η ne faisoient
Ξque d'y qu'y arriver. Estant doncques aux escoutes, elle Ξouït ouyt qu'Astree
prenant Diane par la main, luy dit : - C'est à ce
coup, sage Bergere, que vous nous payerez ce que
vous nous avez promis, puis que sur la parole que
nous avons euë de vous Phillis et moy n'avons
point fait de difficulté de dire tout ce que vous
avez voulu sçavoir de nous.
- Belle Astree, respondit Diane, ma Ξparole parolle m'oblige
sans doute à vous faire le discours de ma vie, mais
beaucoup plus l'amitié qui est entre nous, sçachant
bien que c'est estre coulpable Ξ(Guillemets de "d'une " à "encore".) d'une trop grande
faute, que d'avoir quelque cachette η, en l'ame, pour la
personne que l'on
" Ξayme aime. Que si j'ay tant retardé de satisfaire
à ce
" que vous desirez de moy, croyez, belles
Bergeres,
" que Ξç'a ça esté, que le loisir ne me l'a
encore permis, car encor que je sois tres-Ξassuree asseuree,
que je ne sçaurois vous raconter mes jeunesses sans
rougir, si est ce que ceste honte me sera Ξaysée aisée à
vaincre, quand je penseray que c'est pour vous
complaire. - Pourquoy rougiriez-vous, respondit
Phillis, puis que ce n'est pas faute que d'aimer ?
- Si ce ne l'est pas, repliqua Diane, c'est pour le
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moins un pourtrait de la faute, et si ressemblant que bien souvent ils sont pris l'un pour l'autre. - Ceux, adjousta Phillis, qui s'y deçoivent ainsi, ont bien la veuë mauvaise. - Il est vray, respondit Diane, mais c'est nostre Ξmal-heur mal-eur, qu'il y en a plus de ceste sorte, que non pas des bonnes. - Vous nous Ξoffenseriez offenceriez, interrompit Astrée, si vous aviez ceste opinion de nous. - L'amitié que je vous porte à toutes deux respondit Diane, vous Ξ(Guillemets de "doit" à "aimer".) doit assez Ξassurer asseurer que je n'en sçaurois faire mauvais jugement : car il est impossible η d'aimer ce que l'on n'estime pas. Aussi ce qui me met en peine n'est pas l'opinion que mes amies peuvent avoir de moy, mais ouy bien le reste du monde, Ξdautant d'autant qu'avec mes amies je vivray tousjours, de sorte, que mes actions leur seront Ξcognuës connuës, et par ce moyen l'opinion ne peut avoir force en elles, mais aux autres, il m'est impossible ; si bien qu'envers elles les raports peuvent beaucoup noircir une personne, et c'est pour ce sujet, puis que vous m'ordonnez de vous raconter une partie de ma vie, que je vous conjure par nostre amitié de n'en parler jamais. Et le luy ayant juré toutes deux, elle reprit son discours Ξde cette en ceste sorte.
Histoire,
de Diane.
Ce seroit chose estrange. si le discours que vous desirez sçavoir de moy, ne vous estoit ennuyeux, puis, belles et discrettes Bergeres,
[ 158 verso ] 1607 fonctionnelle
qu'il m'a tant
Ξfait faict endurer de desplaisir, que je ne croy point
y employer à ceste heure plus de Ξparoles parolles à le redire,
qu'il m'a cousté de larmes à le souffrir. Et puis
qu'en fin il vous plaist que je renouvelle ces
fascheux ressouvenirs, permettez moy que j'abrege,
pour n'amoindrir en quelque sorte le Ξbon heur bon-heur où je
suis, par la memoire de mes Ξennuis ennuys passez. Je
m'Ξassure asseure qu'encores que vous n'ayez jamais veu Celion, Ξny n'y η Bellinde, que Ξtoutefois toutesfois vous avez bien
ouy dire qu'ils estoient mes pere et mere, et
peut-estre aurez Ξsceu sçeu une partie des traverses qu'ils
ont euës pour l'amour l'un de l'autre, qui
m'empeschera de les redire, quoy qu'elles ayent esté
presage de celles que je devois recevoir. Et faut
que vous sçachiez qu'apres que les soucis de l'Amour
furent amortis par le mariage, afin qu'ils ne
demeurassent oyseux, les affaires du mesnage
commencerent à Ξnaître naistre, et en telle abondance, que
s'Ξennuiant ennuyans des procez η, ils furent contraints d'en
accorder plusieurs à l'amiable, entre autres, un de
Ξleur voisin leurs voisins nommé Phormion les travailla de
sorte que leurs amis furent en fin d'Ξadvis avis pour
assoupir tous ces soucis, de faire quelques
promesses d'alliance future Ξentre eux entr-eux, et parce que
l'un Ξny n'y η l'autre n'Ξavoient avoyent point encores d'enfans
(n'y ayant pas long temps qu'ils Ξestoient estoyent mariez),
Ξ*ils jurerent sur l'Autel d'Himen jurerent par Theutates sur l'autel de Belenus, que s'ils n'avoient tous deux qu'un fils, et une
fille, ils les Ξmariroient marieroient ensemble, et promirent
ceste alliance η avec tant de serments, que celuy qui
l'eust rompuë,
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eust esté le plus parjure homme du
monde. Quelque temps apres, mon pere eut un fils, qui se
perdit lors que les Gots et Ostrogots ravagerent
ceste Province. Peu apres je Ξnâquis nasquis, mais si
mal-heureusement pour moy, que jamais mon pere ne
me vid, estant nee apres sa mort. Cela fut cause que
Phormion voyant mon pere mort, et mon frere perdu,
(car ces barbares η l'avoient enlevé, et peust estre tué,
ou laissé mourir de necessité) et que mon oncle
Dinamis η s'en estoit allé de Ξdesplaisir déplaisir de Ξma ceste perte,
se resolut, s'il pouvoit avoir un fils, de rechercher
l'Ξeffet effect de leurs promesses. Il advint que quelque
temps apres sa femme accoucha mais ce fut d'une
fille, et Ξparce par ce qu'elle estoit Ξâgée aagée, et qu'il
craignoit η de n'en avoir plus d'elle, il fit courre
le bruit que c'estoit d'un fils, et y usa d'une si
grande finesse, que jamais personne ne s'en Ξprint prit garde : artifice qui luy fut assez Ξaysé aisé, Ξparce par ce que personne
n'eust creu qu'il eust voulu user d'une telle
tromperie, et que jusques à un certain Ξâge aage, il est bien
mal-Ξaysé aisé de pouvoir par le visage y Ξrecognoistre reconnoistre quelque chose. Et pour mieux decevoir les plus fins,
la fit appeller Filidas, et quand elle fut en Ξâge aage,
luy fit apprendre les exercices propres aux jeunes
Bergers, ausquels elle ne s'accommodoit point trop
mal. Le dessein de Phormion estoit Ξvoyant que j'estois sans pere et sans oncle me voyant sans pere et sans oncle, de se rendre maistre de mon
bien, par ce faint mariage, et quand Filidas, et
moy serions plus Ξ*grands grandes η, de me marier avec un de ses
neveux qu'il
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Ξaymoit aimoit bien fort. Et veritablement il ne fut point deceu en son
premier dessein, car Bellinde estoit trop religieuse
envers les Dieux, pour manquer à ce qu'elle sçavoit
que son mary s'estoit obligé. Il est vray que me
voyant ravie d'entre ses mains (car soudain apres
ce mariage dissimulé, je fus remise entre celles de
Phormion), elle en receut tant de Ξdesplaisir deplaisir, que ne
pouvant plus demeurer en ceste contrée, elle s'en
alla sur le Ξ*lac de Leman appellée par la Deesse Diane pour commander aux Nymphes de lac Leman, pour estre maistresse des
Vestalles et Druydes d'Eviens, ainsi que la vieille Cleontine luy fit sçavoir par son Oracle η.
Cependant me voilà entre les mains de Phormion, qui
Ξincontinent incontinant apres retira chez soy ce neveu, auquel
il me vouloit donner, qui se nommoit Amidor. Ce fut
le commencement de mes peines, Ξparce par ce que son oncle
luy fit entendre, qu'à cause de nostre bas Ξâge aage le
mariage de Filidas et de moy n'estoit pas tant
Ξassuré assuré que si nous n'estions agreables l'un à
l'autre, il ne se Ξpust peust η bien rompre, et que Ξs'il si cela
advenoit, il aymeroit mieux qu'il m'espousast que
tout autre, et qu'il fist son profit de cet
advertissement, avec tant de discretion, que personne
ne s'en Ξpût peut η prendre garde, taschant cependant de
m'obliger à son amitié, en sorte que je me donnasse
à luy, si je venois Ξà a estre libre. Ce jeune Berger
se mit si bien ce dessein dans l'Ξoppinion opinion que tant
que ceste Ξfantaisie fantasie luy dura, il ne se peut dire
combien j'avois d'occasion de me loüer de luy. En
mesme temps Daphnis tres-honneste
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et sage Bergere
revint des rives de Furan, où elle avoit demeuré
plusieurs années, et Ξparce par ce que nous Ξestions étions voisines,
la conversation que nous eusmes par hazard ensemble,
nous rendit tant amies, que je commençay de ne
Ξme plus tant ennuyer m'ennuyer plus tant que je soulois. Car il faut que
j'avouë que l'humeur de Filidas m'estoit Ξtant insuportable de sorte insupportable, que je ne pouvois presque la
souffrir, Ξdautant d'autant que la crainte qu'elle avoit que
je Ξne devinsse plus sçavante, la rendoit si jalouse de moy, que je ne pouvois presque parler à personne.
Les choses estant en ces termes, Phormion tout à
coup tomba malade, et le jour mesme fut si
promptement Ξetouffé d'un catherre étoufé d'un catarrhe, qu'il ne Ξpût peut η ny
parler η, ny donner aucun ordre à ses affaires, ny
aux miennes. Filidas au commencement se trouva un
peu estonnée, en fin se voyant maistresse absoluë
de soy-mesme, et de moy, elle resolut de se conserver
ceste authorité, considerant que la liberté que le
nom d'homme Ξapporte r'apporte, est beaucoup plus agreable que
n'est pas la servitude à Ξquoy laquelle nostre sexe est
sousmis.
Outre qu'elle n'ignoroit pas que venant à se
declarer fille, elle ne donneroit peu à parler à
toute la contree. Ces raisons luy firent continuer le nom qu'elle avoit durant la vie de son Ξ*oncle pere. Et
craignant plus que jamais, que quelqu'un ne
Ξme descouvrist découvrist ce qu'elle estoit, elle me tenoit de si
pres, que mal-aisement estois-je jamais sans elle.
Mais, belles Bergeres, puis qu'il vous plaist de
sçavoir mes jeunesses, c'est
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à ce coup qu'il faut
qu'en les oyant vous les Ξecxcusiez excusiez, et qu'ensemble vous ayez ceste creance de moy, que j'ay eu tant,
et de si grands ennuis pour aymer, que je ne suis
plus sensible de ce costé là, Ξpour m'y estre tellement m'y estant de sorte endurcie, que l'Amour n'a plus d'assez fortes armes,
ny de pointe assez aceree pour me percer la peau.
Helas ! C'est du Berger Filandre, dont je veux
parler, Filandre qui le premier a peu me donner
quelque ressentiment d'ΞAmour amour, et qui n'estant plus,
a emporté tout ce qui Ξen moy en pouvoit estre capable en pouvoit estre capable en moy. - Vrayement interrompit Astree, ou l'amitié
de Filandre a esté peu de chose, ou vous y avez usé
d'une grande prudence, puis qu'en verité je n'en
ouy jamais parler ; qui est chose bien rare,
Ξdautant d'autant que la Ξmédisance mesdisance ne Ξ(Guillemets de "pardonne" à "Diane".) pardonne pas mesme à ce
qui n'est pas. - Que l'on n'en Ξayt ait point parlé,
respondit Diane, j'en suis plus obligee à nostre
bonne intention, qu'Ξà a nostre prudence, et pour
l'affection du Berger, vous pourrez juger quelle
elle estoit, par le discours que je vous en feray.
Mais le Ciel qui a Ξrecognu reconneu nos pures et nettes
intentions, Ξà a voulu nous favoriser de ce Ξbon-heur bonheur.
La premiere fois que je le vy, ce fut le jour que
nous chommons à Appollon, et à Diane, qu'il vint
aux jeux en compagnie d'une sœur, qui luy
ressembloit si fort, qu'ils Ξretenoient retenoyent sur eux les
yeux de la plus grande partie de l'assemblee. Et
Ξparce par ce qu'elle estoit parente assez proche de ma
chere Daphnis, aussi tost que je la vy, je
l'embrassay et
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caressay avec un visage si ouvert,
que dés lors elle se jugea obligée à m'aimer. Elle
se nommoit Callirée, et estoit mariée sur les rives
de Furan, à un Berger nommé Gerestan, qu'elle
n'avoit jamais veu que le jour qu'elle l'Ξespousa épousa,
qui estoit cause du peu d'amitié qu'elle luy portoit.
Les caresses que je fis à la sœur, donnerent occasion
au frere de demeurer pres de moy, tant que le
sacrifice dura, et par fortune, je ne sçay si je
dois dire bonne ou mauvaise pour luy, je m'estois
ce jour agencée le mieux que j'avois Ξpû peu, me semblant
qu'à cause de mon nom, Ξceste cette feste me touchoit bien
plus particulierement que les autres. Et luy, qui
venant d'un long voyage, n'avoit autre cognoissance,
ny des Bergers, ny des Bergeres, que celle que sa sœur luy donnoit, ne nous laissa Ξguiere guere de tout le jour ; si bien qu'en quelque sorte me
sentant obligee à l'entretenir, je fis ce que je
Ξpûs peus η pour luy plaire. Et ma peine ne fut point
inutile, car dés lors ce pauvre Berger donna
naissance à une affection, qui ne finit jamais que
par sa mort. Encores suis-je tres-certaine, que
si au cercueil on a quelque souvenir des vivans, il
m'aime et conserve parmy ses cendres, la pure
affection qu'il m'a jurée.
Daphnis, s'en prit garde dés le jour mesme, et de
fait, le soir estant au lict, (parce que Filidas
s'estoit trouvée mal, et n'Ξestoit pû avoit peu venir à ces
jeux) elle me le dit. Mais je rejettay ceste Ξoppinion opinion si loing, qu'elle me dit : - Je voy bien, Diane, que
ce jour me coustera beaucoup de Ξpriere prieres, et à
Filandre beaucoup de
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peine ; mais quoy qu'il
advienne si n'en η serez vous pas du tout exempte.
Elle avoit accoustumé de me faire souvent la guerre
de semblables recherches, Ξparce par ce qu'elle voyoit que
je les craignois, cela fut cause que je ne
m'arrestay pas à luy respondre. Si est-ce que cet
advertissement fut cause, que le lendemain il me
sembla de recognoistre quelque Ξapparance apparence de ce
qu'elle m'avoit dit. L'apres Ξdisnée dinée, nous avions
accoustumé de nous Ξrallier ensemble assembler sous quelques arbres,
et là danser aux chansons, ou bien nous Ξassoir asseoir en
rond, et nous entretenir des discours que nous
jugions plus agreables, afin de ne nous ennuyer en
ceste assemblée, que le moins qu'il nous seroit
possible. Il advint que Filandre n'ayant
cognoissance que de Daphnis, et de moy, se vint
Ξassoir asseoir entre-elle et moy, et attendant de sçavoir
à quoy toute la trouppe se resoudroit, pour n'estre
Ξpas muette, je l'enquerois de ce que je pensois qu'il
me pouvoit respondre, à quoy Amidor prenant garde,
entra en si grande jalousie, que laissant la
compagnie sans en dire le sujet, il s'en alla
chantant ceste vilanelle, ayant auparavant tourné
l'œil Ξà sur moy, pour faire cognoistre que c'estoit
de moy dont il Ξparlait entendoit parler.
[ 162 recto ] 1607 fonctionnelle
Vilanelle d'Amidor
reprochant
une legereté.
A la fin celuy l'aura,
Qui dernier la servira,
De ce cœur cent fois volage,
Plus que le vent animé,
Qui peut croire d'estre aimé,
Ne doit pas estre creu sage :
Car en fin celuy l'aura,
Qui dernier la servira.
A tous vents la giroüette,
Sur le feste d'une tour,
Elle aussi vers toute Amour,
ΞVa tousjours tournant Tourne le cœur et la teste :
ΞEt en A la fin, etc.
Le chasseur η jamais ne prise,
Ce qu'à la fin il a pris,
L'inconstante fait bien pis,
ΞMesprisant Méprisant qui la tient prise :
Mais en fin, etc.
Ainsi qu'un clou l'autre chasse
Dedans son cœur le dernier,
[ 162 verso ] 1607 fonctionnelle
De celuy qui fut premier,
Soudain usurpe la place :
C'est pourquoy celuy l'aura,
Qui dernier la servira.
J'eusse bien eu assez d'authorité sur moy Ξmesme , pour m'empescher de donner cognoissance du Ξdesplaisir déplaisir que ceste chanson me Ξr'aportoit r'apportoit, n'eust esté que chacun Ξjetta l'œil sur moy me regarda, et sans Daphnis je ne sçay Ξquelle qu'elle η je fusse devenue ; mais elle pleine de discretion, sans attendre la fin de ceste Vilanelle, l'interrompit de ceste sorte, s'adressant à moy.
Madrigal de Daphnis, sur l'amitié
qu'elle portoit a Diane.
Puis qu'en naissant, belle
Diane,
Amour des cœurs vous fit l'ΞAimant aymant η
Pourquoy dit-on que je profane,
Tant de beautez en vous Ξaymant aimant,
ΞCar c'est par destin qu'on les ayme Si par destin je vous adore ?
ΞQue si de sympathie naist
Amour, le nostre est bien extresme,
Puisque de vous et moy ce n'est
Qu'un sexe mesme. Que si l'amour le plus parfait,
Comme on dit, de semblance naist,
Le nostre sera bien extreme,
Puis que de vous et moy ce n'est
Qu'un sexe mesme.
[ 163 recto ] 1607 fonctionnelle
Et afin de mieux couvrir la rougeur de mon visage, et faire croire que je n'avois point pris garde aux paroles d'Amidor, aussi tost que Daphnis eut Ξfini finy, je luy respondis ainsi.
Madrigal, sur le mesme sujet.
Pourquoy Ξsemblet'il semble-t'il tant estrange,
Que fille comme vous estant,
Toutefois je vous Ξayme aime tant ?
Si l'Amant en l'aimé se change η,
Ne puis-je pas mieux me changer,
Estant Bergere en vous Bergere,
Qu'estant Bergere en un Berger ?
Apres nous, chacun selon son rang, chanta quelques vers, et mesme Filandre qui avoit la voix tres-bonne, quand ce vint à son tour, dit Ξavec une façon fort bonne ceux-cy cestuy-cy d'une fort bonne grace.
Stances,
de Filandre,
sur la naissance de
son affection.
Que ses desirs soient grands, et ses attentes vaines,
Ses Amours pleins de feux, et plus encor de peines,
Qu'il Ξayme aime, et que jamais il ne puisse estre aimé,
[ 163 verso ] 1607 fonctionnelle
Ou bien s'il est aimé qu'on ne puisse luy plaire,
ΞEt que d'un faux espoir, toutefois il espere, Sans devoir esperer, toutefois qu'il espere,
Mais seulement Ξafin à fin qu'il soit plus enflamé.
Ainsi sur mon berceau de la Parque ordonnée,
Neuf η fois se prononça la dure destinée η,
Qui devoit Ξinfaillible infallible accompagner mes jours.
A main Ξdroite droitte le Ciel tonna plein de nuages,
ΞEt depuis j'ay tousjours recognu ces presages,
En mes plus grands desirs et plus vives amours. Et depuis j'ay cogneu que ces tristes presages
Regardent mes desseins, et les suivent tousjours.
Ne vous étonnez donc, suivant ceste ordonnance,
Si voyant vos beautez mon amitié Ξcommance commence ;
Que si je suis puny du dessein proposé,
ΞLe grand alegement Ce m'est allegement, qu'on en juge coulpable
ΞLes Loix La loy de mon destin, et ma faute louable,
En disant qu'un cœur bas ne l'eust Ξoncques jamais osé η.
Ξ*Ainsi quand le Soulcy durant la canicule,
Se plaisant au Soleil à ses rayons se brusle
Il dit tournant vers luy, brusle, ô mon beau Soleil,
Brusle, aussi bien faut-il que toute chose meure ;
Il est vray qu'a ma mort Ainsi quand le soucy d'une Amour infeconde
Se conforme aux rayons du grand Astre du monde,
Il semble en le suivant qu'il die : O, mon Soleil,
Brusle moy de tes raiz, fay que par toy je meure,
Pour le moins en mourant ce plaisir me demeure,
Qu'autre feu ne pouvoit me brusler que ton œil.
Quand l'unique Phœnix d'un artifice rare,
Instruit par la nature, ensemble se prepare,
Ξ*Au naistre et au mourir la tombe et le berceau,
Amoureux de ce feu qu'à son dam il allume,
Glorieux de sa mort, il dit quand il consume,
D'un tel feu consumer, est-il rien de plus beau ? Du reste de sa tombe à faire son berceau,
Il dit à ce beau feu, gardien de son ame,
Je renaiz en la gloire en mourant en ta flâme,
Et je reprends la vie aux cendres du tombeau.
Il en dit bien encores quelques autres, mais je les ay oubliez, tant y a Ξ*que fust ce que m'en avoit dit Daphnis, ou que veritablement ses yeux me parlassent plus clairement que sa bouche, il me sembla que c'estoit à moy à qui ces paroles s'adressoient. qu'il me sembla que
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c'estoit à moy à qui ces paroles s'adressoient. Et je ne sçay
si ce que Daphnis m'en avoit dit me le faisoit
paroistre ainsi, ou ses yeux qui parloient encor
plus clairement que sa bouche. Mais si ces vers m'en
donnerent cognoissance, sa discretion me le
Ξ(Guillemets de "tesmoigna" à "Filidas".) tesmoigna bien mieux peu apres ; car c'est un des
effets de la vraye affection que de servir
discrettement et de ne donner cognoissance de son
mal, que par Ξ*sa mort, ou pour le moins par des effets les effects, sur lesquels on n'a point
de puissance. Ce jeune Berger recognut l'humeur d'Amidor, et
Ξdautant d'autant que l'Amour rend tousjours curieux,
s'estant enquis que c'estoit que de Filidas, il
jugea, que le meilleur artifice pour leur Ξclore clorre les
yeux à tous deux, estoit de faire amitié bien Ξestroite estroitte avec eux, sans donner aucune cognoissance
de celle qu'il me portoit Ξ*et eut tant de pouvoir sur soy-mesme, que suivant L'Amour le
rendit bien si fin et prudent, que continuant son dessein, il ne deceut pas seulement Amidor, mais
presque mes yeux aussi, Ξparce par ce que d'ordinaire il
nous laissoit pour aller vers luy, et ne venoit
jamais où nous estions, que luy tenant compagnie.
ΞMais la malicieuse de Daphnis le jugea presque d'abort, parce *Il est vray que la malicieuse Daphnis le recogneut
incontinent : par ce, disoit-elle, qu'Amidor n'estoit
pas tant aymable, qu'il Ξpûst peust η convier un si honneste Berger que Filandre, à user de si soigneuse
recherche, de sorte qu'il falloit que ce fust
pour quelque plus digne sujet. Elle fut cause que
je commençay de m'en prendre garde, et faut que
j'advouë, qu'alors sa discretion me Ξplut pleut, et que
si j'eusse Ξpû peu souffrir d'estre Ξaymée aimée, c'eust esté
[ 164 verso ] 1607 fonctionnelle
de luy ; mais l'heure n'estoit pas encor venuë que
je pouvois estre blessee de ce costé la. Toutefois
je ne laissois de me plaire à ses actions, et
d'approuver son dessein en quelque sorte.
Pour prendre congé de nous, il nous vint accompagner
fort loing ; et au partir je n'Ξoüis ouys jamais tant
d'Ξassurance asseurance d'amitié qu'il en dit à Amidor, ny
tant d'offres de services pour Filidas ; et ceste Ξfole folle de Daphnis me disoit à l'Ξaureille oreille :
- Figurez vous que c'est à vous qu'il parle, et si
vous ne luy respondez vous luy Ξfaittes faites trop de tort.
Et lors que Amidor usoit de remerciement, elle me
disoit : - Ô qu'il est sot de croire que ces offrandes
s'addressent à son autel ! Mais il η Ξsceut sçeut si bien dissimuler, qu'il s'acquit du
tout Amidor, et gaigna tant sur Ξsa la bonne volonté,
qu'estant η de retour, et redisant ce que Filandre
l'avoit prié de dire de sa part à Filidas, Ξil y adjousta tant d'avantageuses loüanges, que ceste
fille prit envie de le voir. Et quelques jours apres
sans m'en rien dire, (Ξparce par ce que quand je parlois de
luy, c'estoit avec une certaine nonchalance, qu'il
sembloit que ce fust par mespris) ils Ξl' η envoyerent
prier de les venir voir. Dieu sçait s'il s'en fit
solliciter plus d'une fois, car c'estoit tout ce
qu'il desiroit le plus, luy semblant qu'il estoit
impossible que son dessein Ξeust eut meilleur commencement.
Et de fortune, le jour qu'il devoit arriver,
Daphnis et moy, nous promenions sous quelques
arbres, qui sont de l'autre costé de ce pré, le plus
pres d'icy, et ne sçachant presque à quoy nous
entretenir,
[ 165 recto ] 1607 fonctionnelle
cependant que nos trouppeaux Ξpaissoient passoient η, nous allions incertaines où nos pas sans élection nous guidoient, lors que nous entr' Ξouysmes oüismes une voix d'assez loing, et qui d'abord nous sembla estrangere. Le desir de la cognoistre nous fit tourner droit Ξau vers le lieu où la voix nous conduisoit, et Ξpar ce parce que Daphnis alloit la premiere, elle Ξrecognut recogneut Filandre avant que moy, et me fit signe d'aller doucement. Et quand je fus pres d'elle s'approchant de mon aureille, elle me nomma Filandre, qui du dos appuyé contre un arbre, entretenoit ses pensées, lassé (comme il y avoit Ξapparance apparence) de la longueur du chemin, et par hazard quand nous y arrivasmes, il recommença de cette sorte.
D'un cœur outrecuidé,
Je mesprisois Amour, ses ruzes et ses charmes,
Lors que changeant ses armes,
Des vostres contre moy, le trompeur s'est aidé,
Et toutefois avant que de m'en faire outrage,
Il me tint ce langage :
Un Dieu η contre mes loix arrogant devenu,
Pour avoir obtenu
D'un Serpent la victoire,
Voulut nier ma gloire :
Mais quoy ? D'une Daphné, Ξne le rendis-je je le rendis Amant,
[ 165 verso ] 1607 fonctionnelle
Pour luy monstrer ma force Ξ ? ;
Que si j'ay Ξ*ses desirs mis mis ses feux sous Ξsa ceste froide escorce,
Juge quel chastiment
Sera le tien Filandre :
Car le feu qui brusla ce Dieu si glorieux,
Ne vint que des beaux yeux,
D'une Nymphe qu'encor η toute insensible il Ξaime ayme :
Mais je veux que le tien
Ξ*Bien plus grand Plus ardant que le sien,
Vienne non d'une Nymphe, ains de Diane mesme.
Quand je m'ouys nommer, belles Bergeres, je
tressaillis, comme si sans y penser j'eusse mis le
pied sur un serpent, et sans vouloir attendre
davantage, je m'en allay le plus doucement que je
Ξpûs peus η pour n'estre pas veuë, quoy que Daphnis, pour
m'y faire retourner, me laissast aller assez loing
toute seule. En fin voyant que je continuois mon
chemin, elle s'esloigna peu à peu de luy pour n'estre
point ouye, et puis vint à toute course me
Ξratteindre r'atteindre, et avant presque qu'elle eust repris
haleine, elle m'alloit criant mille reproches interrompus. Et quand elle Ξpût peut η parler : - Sans mentir, me dit-elle, si le Ciel ne
vous punit, je croiray qu'il est aussi injuste que
vous. Et Ξquelle qu'elle η cruauté est la vostre, de ne vouloir
seulement escouter celuy qui se plaint ? - Et a quoy
me pouvoit servir, luy dis je, de demeurer Ξlà la plus
longuement ? - Pour ouyr, me dit-elle, le mal que
vous luy faites. - Moy, respondis-je,
[ 166 recto ] 1607 fonctionnelle
vous estes une
mocqueuse de dire que je fasse du mal à une personne en qui mesme je ne pense pas. - C'est en quoy, me
repliqua-t'elle, vous le travaillez le plus, car si
vous pensiez souvent en luy, il seroit impossible
que vous n'en eussiez pitié.
Je rougis à ce mot, et le changement de couleur fit
bien cognoistre à Daphnis, que ces paroles
m'offensoient. Cela fut cause Ξque se qu'en sousriant, elle
me dit : - Je me mocque Diane, c'est pour
Ξpassetemps passe-temps ce que j'en dis, et ne croy pas qu'il
y pense. Et quant à ce qu'il chantoit où il a
nommé vostre nom, c'est pour certain pour
quelqu'autre qui a un mesme nom, ou que pour se
desennuyer, il va chantant ces vers, qu'il a appris
de quelqu'autre. Nous allasmes discourant de ceste
sorte, et si longuement, qu'ennuyées du promenoir nous revinsmes par un autre chemin, au mesme lieu
où estoit Filandre. Quant à moy ce fut par
mesgarde, il peut bien estre que Daphnis le fit à
dessein, et nous trouvant si pres de luy, je fus
contrainte de le considerer, auparavant il estoit
assis, et appuyé contre un arbre ; mais à ce coup nous le trouvasmes couché de son long en terre, un
bras sous la teste, et sembloit qu'il veillast, car
il avoit devant luy une lettre, toute moüillée des
pleurs qui luy couloient le long du visage. Mais en
effet il dormoit, y ayant Ξapparance apparence que lisant ce
papier le travail du chemin avec ses profonds pensers
l'eust peu à peu assoupy η ; Ξet nous en fusmes encores
plus certaines, quand Daphnis, plus Ξassurée asseurée que
moy,
[ 166 verso ] 1607 fonctionnelle
se baissant lentement, m'apporta la lettre toute moüillée Ξdes de larmes qui trouvoient passage sous sa paupiere mal close. Ξcette Ceste veuë me toucha de pitié, mais beaucoup plus sa lettre, qui estoit telle :
Ceux qui ont l'honneur de vous voir courent une
dangereuse fortune. S'ils vous Ξaiment ayment, ils sont
outrecuidez, et s'ils ne vous Ξaiment ayment point, ils sont
sans jugement, vos perfections estans telles, qu'avec raison elles ne peuvent, ny estre aimees, ny n'estre
point aimees. Et moy, estant contraint de tomber en
l'une de ces deux erreurs, j'ay choisi celle qui a
plus esté selon mon humeur, et dont aussi bien il
m'estoit impossible de me retirer. Ne trouvez donc
mauvais, belle Ξ*Bergere Diane, puis qu'on ne vous peut voir
sans vous aimer, que vous Ξayant aiant veuë je vous aime.
Que si cette temerité merite Ξchastiement chastiment, ressouvenez
vous que j'aime mieux vous aimer en mourant que
vivre sans vous aimer. Mais, que dis-je, j'aime
mieux ? Il n'est plus en mon choix : car il faut
[ 167 recto ] 1607 fonctionnelle
que par necessité je sois tant que je vivray, aussi
veritablement vostre serviteur, que vous ne sçauriez
estre telle que vous estes sans estre la plus belle
Bergere qui vive.
A peine Ξpûs peus-je Ξachever acchever cette lettre que je m'en
retournay toute tremblante, et Daphnis la remit si
doucement où elle l'avoit prise, qu'il ne s'en
esveilla point, et s'en revenant à moy qui
l'attendois assez pres de là : - Me permettez vous de
parler ? me dit-elle - Nostre amitié, luy
respondis-je, vous en donne toute puissance. - En
verité, continua-t'elle, je plains Filandre, car
il est tout vray qu'il vous Ξaime ayme, et m'Ξassure asseuree, qu'en
vostre ame vous n'en doutez nullement. - Daphnis,
luy dis-je, qui aura failly en fera la penitence η.
- Si cela estoit, me repliqua-t'elle, Filandre n'en
feroit point, car je n'advoüeray jamais que ce soit
faute de vous Ξaimer aymer, et croirois que ce seroit
Ξplutost plustost Ξoffenser que offense, de ne le faire pas, puis que les
choses belles n'ont esté Ξfaites faictes que pour estre
aimees et cheries. - Je me remets à vostre jugement,
luy dis-je, si mon visage doit estre mis entre les
choses qui sont nommees belles. Mais je vous conjure
seulement par Ξnostre vostre amitié de ne luy Ξjamais faire faire jamais
sçavoir que j'aye quelque cognoissance de son
intention, et si vous l'Ξaimez aymez, conseillez luy de ne
m'en point parler, car vous estimant, et ΞCallirée Callirre,
comme je faits, je serois marrie qu'il me Ξfallust le le falust bannir de nostre compagnie η,
[ 167 verso ] 1607 fonctionnelle
et vous sçavez bien que
j'y serois contrainte, s'il prenoit la hardiesse de
m'en parler. - Et comment voulez vous donc qu'il
vive ? me dit elle. - Comme il vivoit, luy dis-je
avant qu'il m'eust veuë. - Mais, me repliqua-t'elle,
cela ne se peut plus, puis qu'alors il n'avoit point
encor esté attaint de ce feu qui le brusle. - Qu'il
en cherche, luy dis-je, luy-mesme les moyens, Ξ(Guillemets de "sans" à "avoir la".) sans m'offenser, qu'il
" esteigne ce feu. - Le feu, dit-elle,
qui se peut
" esteindre, n'est pas grand, et le vostre η est extréme.
" - Le feu, adjoustay-je, pour grand qu'il
" soit ne brusle si on ne s'en approche. - Encor,
" me dit-elle, que
celuy qui s'est bruslé
fuye ce feu, il ne laisse d'avoir la bruslure, et en fuyant d'en emporter la
Ξcuiseur douleur. - Pour conclusion, luy dis-je, si cela
est, j'Ξaime ayme mieux estre le feu Ξque le bruslé qui le brusle.
Avec semblables discours nous revinsmes vers nos
Ξtrouppeaux troupeaux, et sur le soir les ramenasmes en nos
hameaux, où nous trouvasmes Filandre, Ξauquel à qui Filidas faisoit tant de bonne chere, et Amidor aussi, que Daphnis croyoit qu'il les eust ensorcellez,
n'estant pas leur humeur de traitter ainsi avec les
autres. Il demeura quelques jours avec nous, durant
lesquels il ne fit jamais semblant de moy, vivant
avec une si grande discretion, Ξque qui η n'eust esté ce
que Daphnis et moy en avions veu, nous n'eussions
jamais soupçonné son intention.
En fin il fut contraint de partir, et ne sçachant à
quoy se resoudre, s'en alla chez sa sœur, Ξparce par ce
qu'il l'aimoit, et se fioit en elle comme en
soy mesme.
[ 168 recto ] 1607 fonctionnelle
Cette Bergere, comme je vous ay dit, avoit
esté mariée par authorité, et n'avoit autre
contentement que celuy que l'amitié qu'elle portoit
à ce frere, luy pouvoit donner. Soudain qu'elle le
vid, elle fut curieuse, apres les premieres
salutations, de sçavoir quel avoit esté son voyage,
et luy ayant respondu, qu'il venoit de chez Filidas,
elle luy demanda des nouvelles de Daphnis et de
moy ; à quoy ayant η satisfait, et l'oyant parler avec
tant de loüange de moy, elle luy dit à l' Ξaureille oreille :
- J'ay peur, mon frere, que vous l'aimiez plus que
moy. - Je l'Ξaime ayme, respondit-il, comme son merite m'y
oblige. - Si cela est, repliqua-t'elle, j'ay bien
deviné ; car il n'y a Bergere au monde qui ait plus
de merite, et il faut que j'advoüe que si j'estois
homme, voulust elle ou Ξnom non, je serois son serviteur.
- Je croy, ma sœur, luy respondit-il, que vous le dittes Ξà bon esciant à bon escient ? - Je vous jure, dit-elle, sur ce
que j'ay de plus cher. - Je pense, repliqua-t'il,
que si cela estoit, vous ne seriez pas sans affaire ;
car à ce que j'ay Ξpû peu juger, elle est d'une humeur
qui ne seroit pas aisée à fleschir, outre que
Filidas en meurt de jalousie, et Amidor la veille
de sorte, que jamais elle n'est sans l'un des deux.
- O mon frere, s'escria-t'elle, tu es pris ! puis que
tu as remarqué ces particularitez, ne me le Ξceles cele plus et sans mentir si c'est faute que d'aimer
celle Ξlà la est fort pardonnable. Et sans le laisser
le pressa de sorte, qu'apres mille protestations et
autant de supplications, de n'en faire
[ 168 verso ] 1607 fonctionnelle
jamais semblant,
il le luy advoüa, et avec des paroles si affectionnées,
qu'elle eust bien esté incredule, si elle en eust
douté. Et lors qu'elle luy demanda comment j'avois
receu ceste declaration : - O Dieux ! luy dit-il, si vous sçaviez quelle est son humeur,
vous diriez que jamais personne n'entreprit un
dessein plus difficile. Tout ce que j'ay Ξpû peu η faire
jusques icy, a esté de tromper Filidas et Amidor,
leur faisant croire qu'il n'y a rien au monde qui
soit plus à eux que moy, et j'y suis si bien parvenu,
qu'ils m'envoyerent prier de les voir.
Et lors il luy fit tout le discours de ce qui
s'estoit passé Ξentre eux entr-eux. - Mais, dit-il, continuant
son Ξ*discours propos, quoy que j'y fusse allé en dessein de
Ξdescouvrir découvrir à Diane combien je suis à elle, si n'ay-je jamais osé, tant Ξson le respect a eu de force
sur moy, qui me Ξfait faict desesperer de le pouvoir jamais,
si ce n'est qu'une longue pratique m'en donne la
hardiesse, mais cela ne peut estre, sans que Filidas et Amidor Ξne s'en prennent garde, si bien, ma sœur,
que pour vous dire l'estat où je suis, c'est presque
en un desespoir.
Callirée qui Ξaimoit aymoit ce frere plus que Ξtout toute autre
chose, ressentit sa peine si vivement, qu'apres
Ξy avoir quelque temps pensé, elle luy dit :
- Voulez-vous, mon frere, qu'en ceste occasion je vous
rende une preuve de ma bonne volonté ? - Ma sœur,
luy respondit-il, quoy que je n'en sois point en
doute, si est-ce que ny en Ξcet cét accident, ny en tout
autre, je n'en refuseray jamais de vous ;
[ 169 recto ] 1607 fonctionnelle
Ξ(Guillemets de "car" à "bien".) car les
tesmoignages de ce que nous desirons ne laissent de
nous estre agreables, Ξencor encore que d'ailleurs nous en
soyons Ξassurez asseurez. - Or bien, mon frere, luy dit elle,
puis que vous le voulez je vous rendray donc
cestuy-cy, qui ne sera pas de η petit, pour le hazard en
quoy je me mettray.
Et puis elle continua : - Vous sçavez la ressemblance
de nos visages, de nostre hauteur, et de nostre
parole, et que si ce n'estoit l'habit, ceux mesmes
qui sont d'ordinaire avec nous, nous prendroient
l'un pour l'autre. Puis que vous croyez que le seul
moyen de parvenir à vostre dessein, est de pouvoir
demeurer sans soupçon aupres de Diane, en
pouvons nous trouver un plus Ξaisé aysé ny plus secret,
que Ξ*de changer d'habits vous et moy ? Car, vous
estant pris pour fille, η Filidas n'entrera jamais en
mauvaise opinion, Ξquel quelque sejour que vous fassiez
pres de Diane, et moy, revenant vers Gerestan avec vos habits, je luy feray entendre que Daphnis,
et Diane vous auront Ξretenuë retenu par force. Et ne faut
qu'inventer quelque bonne excuse pour avoir congé de
mon mary pour les aller voir, mais je ne sçay Ξquelle qu'elle η
elle sera, puis que, comme vous sçavez, il Ξen est assez
difficile.
- Vrayement ma sœur, respondit
Filandre, je n'ay jamais Ξdouté doubté de vostre bon
naturel, mais à ceste heure il faut que j'advouë, qu'il n'y
Ξeut eust jamais une meilleure sœur, et puis qu'il vous
plaist de prendre ceste peine, je vous supplie si
je la reçois d'accuser mon Amour qui m'y force, et
[ 169 verso ] 1607 fonctionnelle
de croire que c'est le seul moyen de conserver la
vie à ce frere que vous Ξaimez aymez.
Et lors il l'embrassa avec tant de Ξrecognoissance reconnoissance de
l'obligation qu'il luy avoit, qu'elle devint plus
desireuse de l'y servir, qu'elle n'estoit Ξpas auparavant.
En fin elle luy dit : - Mon frere, laissons toutes ces
paroles pour d'autres qui s'Ξaiment ayment moins, et voyons
seulement de mettre la main à l'œuvre. - Pour le
congé, dit-il, nous l'obtiendrons Ξaisément aysément, faignant
que toute la bonne chere qui m'a esté Ξfaite faicte chez
Filidas, n'a esté que pour l'intention qu'Amidor
a de rechercher la niepce η de vostre mary, et Ξparce par ce que ceste charge luy ennuye, je m'Ξassure asseure qu'il sera
bien Ξaisé aise que vous y alliez, luy faisant entendre
que vous et Daphnis ensemble pourriez aisément
traitter η ce mariage. Mais quel ordre mettrons-nous
en nos cheveux, car les vostres trop longs, et les
miens trop courts, nous Ξrapporteront r'apporteront bien de
l'incommodité ? - Ne vous souciez de cela, luy
dit elle, pour peu que vous laissiez croistre les
vostres ils seront assez grands pour vous coiffer
comme moy, et quant aux miens, je les Ξcoupperay couperay comme
les vostres. - Mais, luy dit-il, ma sœur, ne
plaindrez vous point vostre Ξpoil poile ? - Mon frere, luy
repliqua t'elle, ne croyez point que j'aye rien de
plus cher que vostre contentement, outre que
j'eviteray tant d'importunitez, cependant que vous
porterez mes habits, ne couchant point aupres de
Gerestan, que s'il falloit avoir mon Ξpoil poile ma
peau encores, je ne
[ 170 recto ] 1607 fonctionnelle
ferois point de difficulté de
la coupper.
A ce mot il l'embrassa, luy disant que Dieu
Ξquelquefois quelquesfois la delivreroit de ce tourment. Ξet des lors se resolurent d'effectuer leur dessein * Et
Filandre pour ne perdre le temps, à la premiere
occasion qui luy sembla à propos, en parla à
Gerestan, luy representant ceste alliance si
faisable et si Ξavantageuse advantageuse, Ξ*que Gerestan qu'il s'y laissa porter
fort aisement. Et parce que Filandre vouloit donner
loisir à ses cheveux de croistre, il faignit d'aller
donner quelque ordre à ses affaires, et qu'il seroit
bien tost de retour. Mais Filidas ne Ξsceut plutost sçeut plustost
Filandre de retour Ξque elle qu'elle ne l'allast visiter,
accompagnée seulement d'Amidor, et n'en voulut
partir sans le Ξramener r'amener vers nous, où il demeura sept
ou Ξhuit huict jours sans avoir plus de hardiesse de se
declarer à moy que la premiere fois.
Durant ce temps, pour monstrer combien il est
mal aisé de forcer longuement le naturel, quoy que
Filidas Ξcontrefist contre fist l'homme tant que elle pouvoit, si fut-elle contrainte de
ressentir les passions de femme, car les recherches
et les merites de Filandre firent l'Ξeffait effect en elle,
Ξ(Guillemets de "qu'il " à "des".) qu'il desiroit qu'elles Ξfissent firent η en moy. Mais Amour qui se plaist à rendre les actions des plus advisez
toutes contraires à leurs desseins luy fit faire
coup sur ce qu'il visoit le moins.
Ainsi voilà la pauvre Filidas tant hors d'elle-mesme,
qu'elle ne pouvoit vivre sans Filandre, et luy
faisoit des recherches si Ξapparantes apparentes, qu'il en
demeuroit tout estonné, et n'eust esté le
[ 170 verso ] 1607 fonctionnelle
desir qu'il
avoit de pouvoir demeurer pres de moy, il n'eust
jamais souffert ceste façon de vivre. En fin quand
il jugea que ses cheveux estoient assez longs pour
se coiffer, il retourna chez Ξque Gerestan Garestan, et luy
raconta qu'il avoit donné un bon commencement à leur
affaire, mais que Daphnis avoit jugé Ξà a propos avant
qu'elle en parlast, qu'Amidor vist sa niepce en
quelque lieu afin de sçavoir, si elle luy seroit
agreable, et que le meilleur moyen estoit que
Callirée l'y Ξconduist conduisist, qu'aussi bien ce seroit un
commencement d'amitié qui ne pouvoit que leur
profiter.
Gerestan qui ne desiroit rien avec tant de passion
que d'estre deschargé de ceste niepce, trouva ceste
proposition fort bonne, et le commanda fort
absolument Ξà sa femme, qui pour luy en donner plus
de volonté fit semblant de ne Ξle pas l'approuver beaucoup,
pour le commencement mettant quelque difficulté à
son voyage, et monstrant de partir d'aupres de luy
à regret, disant qu'elle sçavoit bien que telles
affaires ne se manient pas comme l'on veut, ny si
promptement que l'on se Ξle les propose, et que cependant
leurs affaires domestiques n'en iroient pas mieux.
Mais Gerestan, qui ne vouloit qu'elle eust autre
volonté que la sienne, s'y affectionna de sorte,
que trois jours apres il la fit partir d'elle η avec son
frere et sa niepce.
La premiere journée elle alla coucher chez Filandre,
où le matin ils changerent d'habits, qui estoient si
bien faits l'un pour l'autre, que ceux Ξmesme mesmes qui
les accompagnoient n'y Ξrecognurent reconnurent
[ 171 recto ] 1607 fonctionnelle
rien, et faut,
que j'advoüe, que j'y fus deceuë comme les autres,
n'y ayant Ξentr'eux entre eux difference quelconque que jeΞpusse peusse remarquer. Mais j'y pouvois estre bien
Ξaisément aysement trompée, puis que Filidas le fut, quoy
qu'il ne Ξvist veist que par les yeux de l'Amour, qu'on
dit Ξavoir plus penetrants qu'un linx estre plus penetrans que ceux d'un lynx ; car
soudain qu'ils furent arrivez, elle nous laissa la
fainte Callirée, je veux dire Filandre, et emmena
la vraye dans une autre chambre pour se reposer.
Le long du chemin son frere l'avoit instruite de
tout ce qu'elle avoit à luy respondre, et mesme l'avoit
advertie des recherches qu'elle luy faisoit, qui
ressembloient, disoit-il, à celles que les personnes
qui Ξaiment ayment ont accoustumé. Dequoy et l'un et l'autre
estoit fort scandalizé, et quoy que Callirée fust
fort resoluë de supporter toutes ses importunitez
pour le contentement de son frere, si est ce qu'elle
qui croyoit Filidas estre homme, en avoit tant
d'horreur que ce n'estoit pas une foible contrainte
que celle qu'elle se faisoit de Ξluy parler parler à elle.
ΞQuant Quand à nous lors que nous fusmes retirées seules,
Daphnis et moy, fismes à Filandre Ξtoutes les
caresses, qu'entre femmes on a de coustume, je veux
dire entre celles, où il y a de l'amitié et de la
privauté, que ce Berger recevoit et rendoit avec
tant de transport, qu'il m'a depuis juré, qu'il
estoit hors de soy mesme. Si je n'eusse esté bien
enfant peut-estre que ses actions me l'eussent fait Ξrecognoistre reconnoistre, et Ξtoutefois toutesfois Daphnis
[ 171 verso ] 1607 fonctionnelle
ne s'en douta
point, tant il se sçavoit bien contrefaire. Et parce
qu'il estoit des-ja tard apres le soupper, nous
nous retirasmes à part Ξce pendant cependant que Callirée et Filidas se promenoient le long de la chambre. Je ne
sçay quant à moy quels furent leurs discours ; mais
les nostres Ξc'estoient tant d'assurances n'estoient que des asseurances d'amitié,
que Filandre me faisoit d'une si entiere affection,
qu'il estoit Ξaisé à aysé a juger que si Ξplutost plustost et en
autre habit il ne m'en avoit rien dit, il ne le
Ξfalloit failloit point blasmer de deffaut de volonté, mais de
hardiesse seulement.
Pour moy j'essayois de luy en
faire paroistre de mesme car le croyant fille, je
pensois y estre obligée par sa bonne volonté, par
son merite, et par la proximité d'elle et de Daphnis.
Dés lors Amidor, qui auparavant m'avoit voulu du
bien commença à changer ceste amitié, et à Ξaimer aymer la fainte Callirée, parce que Filandre qui
craignoit que sa demeure ne Ξdespleust dépleust à ce jeune
homme, faisoit tout ce qu'il pouvoit pour luy
complaire. ΞLa Le volage humeur d'Amidor, ne luy Ξpût peut η permettre de recevoir ces faveurs sans devenir
amoureux. ΞEt cela je ne le trouvay Ce que je ne treuvay pas estrange, Ξdautant d'autant
que la beauté, le jugement, et la Ξ*courtoisie curiosité η du
Berger, qui ne Ξdémantoit dementoient en rien les perfections
d'une fille, ne luy en donnoient que trop de sujet.
Voyez combien Amour est folastre, et à quoy il passe
son temps ! Ξà a Filidas qui est fille, il Ξfait aimer faict aymer une fille, et Ξà Amidor un homme, et avec tant de
passion, qu'estant en particulier,
[ 172 recto ] 1607 fonctionnelle
ce seul sujet
estoit assez suffisant de nous entretenir. Dieu sçait
si Filandre sçavoit faire la fille, et si Callirée contrefaisoit bien son frere, et s'ils avoient faute de prudence à conduire bien
chacun son nouvel Amant !
La froideur dont Calliree usoit envers moy estoit
cause que Filidas n'en avoit point de soupçon, outre
que son Amour l'en empeschoit assez ; et faut que
je confesse que la voyant si fort se retirer à
Filidas, Daphnis et moy eusmes opinion que
Filandre eust changé de volonté dont je Ξrecevois reevrois η
un contentement extréme, pour l'amitié que je
portois à sa sœur.
Ξsept ou huit 7 ou huict jours s'Ξescoulerent écoulerent de ceste sorte,
sans que personne en trouvast le temps trop long,
Ξparce par ce que chacun avoit un dessein particulier. Mais
Callirée qui Ξ*eut avoit peur que son mary ne s'ennuyast de ce sejour, sollicitoit son frere de me faire
sçavoir son dessein, disant qu'il n'y avoit pas
Ξapparance apparence que la familiarité qui estoit des-ja entre
luy et moy, me Ξpûst peust permettre de refuser son
service ; mais luy qui m'alloit tastant de tous
costez, n'eut jamais la hardiesse de se declarer.
Et pour abuser Gerestan, il la pria d'aller vers
son mary en l'habit où elle estoit, Ξet que sans doute il n'y recognoistroit rien, et qu'elle luy fist l'assureurant qu'il n'y cognoistroit rien, et de luy faire entendre
que par l'advis de Daphnis, elle avoit laissé
Callirée chez Ξmoy Filidas, afin de traitter avec plus de
loisir le mariage d'Amidor et de sa niepce.
Au commencement sa sœur s'estonna, car son mary
estoit assez fascheux. En fin voulant
[ 172 verso ] 1607 fonctionnelle
en tout
contenter son frere, elle s'y resolut, et pour
rendre Ξceste cette excuse plus vray-semblable, ils
parlerent à Daphnis du mariage d'Amidor, qu'elle
rejetta assez loing pour plusieurs considerations
qu'elle leur mit en avant mais sçachant qu'ils
avoient pris ce sujet pour avoir congé de Gerestan,
Ξqu'autrement que autrement ils n'eussent Ξpû peu avoir, elle Ξqui qu'il η se
plaisoit en leur compagnie me le communiqua, et
fusmes d'advis qu'il estoit à propos de faire
semblant que ceste alliance fust faisable, et sur
ceste resolution elle en escrivit à Gerestan, luy
conseillant de laisser Ξsa la η femme pour quelque temps
avec nous, afin que nostre amitié fust cause que
l'alliance s'en fist avec moins de difficulté, et
qu'elle croyoit que Ξtoutes toute choses y fussent bien
disposees.
Avec ceste resolution Callirée ainsi
revestuë alla trouver son mary qui deceu de l'habit
la prit pour son frere, et receut les excuses du
sejour de sa femme estant bien aise qu'elle y fust
demeuree pour ce sujet. Jugez, belles Bergeres, si je
n'y pouvois pas bien estre trompee, puis que son
mary ne la pût Ξrecognoistre reconnoistre.
Ce fut en ce temps que la bonne volonté qu'il me
portoit augmenta de sorte qu'il n'y eut plus de
moyen de la celer, Ξquelle quelque force qu'il Ξfist à soy-mesme se pût faire, la Ξ*pratique conversation ayant
cela de propre
" Ξ(Guillemets de "qu'elle" à "recognoissant".) qu'elle rend ce qui est Ξaimé plus aimé aymé plus aymé, et plus hay
" ce que l'on trouve mauvais. Et
Ξrecognoissant reconnoissant
" son impuissance, il s'advisa de me
persuader, qu'encor qu'il fust fille, il ne laissoit d'estre
[ 173 recto ] 1607 fonctionnelle
amoureux de moy, avec autant de passion et
plus encores que s'il eust esté homme, et le disoit
si Ξnaïvement naifvement, que Daphnis qui m'aimoit bien fort,
disoit que jusques à ceste heure elle ne l'avoit
jamais Ξrecognu reconneu, mais qu'il estoit vray qu'elle
Ξaussi en estoit amoureuse, et ne le estoit aussi amoureuse ; ce qu'il ne falloit pas
trouver estrange, puis que Filidas, qui estoit
homme, Ξaimoit aymoit de sorte Filandre, que ce n'estoit
rien moins qu'Amour. Et la dissimulée Callirée juroit qu'une des plus fortes occasions qui avoient
contraint son frere à s'en aller, estoit la recherche
Ξqu'il luy qui η faisoit ; Ξet dequoy ils me sçeurent dire tant
de raisons, que je me laissay aysement persuader que
cela estoit, me semblant mesme qu'il n'y avoit rien
qui me Ξpûst peust importer. Ayant donc receu η ceste fainte,
elle ne faisoit plus de difficulté de me parler
librement de sa passion, mais toutefois comme
femme ( ηet Ξparce par ce qu'elle me juroit que les mesmes Ξressentiments ressentimens et les mesmes passions que les hommes
ont pour l'Ξamour Amour, estoient en elle, et que Ξde les dire, luy estoit soulagement ce luy estoit un grand soulagement de les dire, bien
souvent estant Ξseules seule η, et n'ayant point Ξcet cest entretien
desagreable, elle se mettoit à genoux devant moy,
et me representoit ses veritables affections, et
Daphnis mesme qui s'y plaisoit, quelquefois l'y
convioit.
Douze ou quinze jours s'escoulerent ainsi, avec tant
de plaisir pour Filandre, qu'il m'a depuis juré
n'avoir jamais passé des jours plus heureux, quoy
que ses desirs luy donnassent Ξ*de continuels mouvements d'extremes impatiences,
et cela fut cause que
[ 173 verso ] 1607 fonctionnelle
augmentant de jour à autre Ξen son
affection, et se plaisant en ses pensers bien
souvent il se retiroit seul pour les entretenir Ξen son à-part , et
parce que le jour il ne vouloit nous esloigner,
quelquefois la Ξnuit nuict, quand il pensoit que chacun
dormoit, il sortoit de sa chambre, et s'en alloit
dans un jardin, où sous quelques arbres il passoit
une partie du temps en ses considerations. Et
Ξparce que d'autant que plusieurs fois il Ξsortit sortoit de ceste
sorte,
" Daphnis s'en prit garde,
qui couchoit en
" mesme chambre, et comme ordinairement on soupçonne
Ξplutost plustost le mal que le bien, elle eut opinion de luy,
et d'Amidor, pour la recherche que ce jeune Berger
luy faisoit. Et pour s'en asseurer, elle veilla de
Ξsorte faignant façon η, feignant de dormir, que voyant sortir la fainte
Callirée du lict elle le suivit de si pres qu'elle
fut presque aussi tost que ce jeune Berger, dans
la Ξbasse court bassecour, n'ayant mis sur elle qu'une Ξrobe robbe à
la haste, et le suivant pas à pas à la lueur de la
Lune, elle le vid sortir de la maison, par une
porte mal fermée, et entrer dans un jardin, qui
estoit sous les fenestres de ma chambre, et passant
jusques au milieu, le vid asseoir sous quelques
arbres, et Ξ*ayant tendant les yeux contre le Ciel, Ξouït ouyt ce qu'il disoit fort haut.
Ainsi ma Diane surpasse
En beauté les autres beautez,
Comme de Ξnuit nuict la Lune η efface
De clarté les autres clartez.
Quoy que Filandre eust dit ces paroles assez
[ 174 recto ] 1607 fonctionnelle
haut,
si est-ce que Daphnis n'en entre- Ξouït oüyt que quelques
mots, pour estre trop esloignee ; mais prenant le
tour un peu plus long, elle s'approcha de luy sans
estre veuë, le plus doucement qu'elle Ξpût peut η, quoy
qu'il fust si attentif à son imagination, que quand
elle eust esté devant luy, il ne l'eust pas
apperceuë, à ce que depuis il m'a juré. A peine
s'estoit elle mise en terre pres de luy, qu'elle
l'Ξouït oüyt souspirer fort haut, et puis apres d'une voix
Ξassez abattuë si abbatuë dire : - Et pourquoy ne veut ma fortune que je sois aussi capable de la servir, qu'elle est
digne d'estre servie, et qu'elle ne reçoive aussi
bien les affections de ceux qui l'Ξaiment ayment, qu'elle
leur donne d'Ξextresmes extremes passions ? Ah, ΞCallirée Cillirée η ! que
vostre ruse à esté pernicieuse pour mon repos, et que
ma hardiesse est punie d'un tres-juste supplice !
Daphnis escoutoit fort attentivement Filandre, et
quoy qu'il parlast assez clairement, si ne
pouvoit-elle comprendre ce qu'il vouloit dire,
abusee de l'Ξoppinion qu'il fust opinion qu'il fut Callirée. Cela Ξfut fust
cause que luy prestant l'Ξaureille oreille, encores plus
curieuse, elle Ξouit ouyt que peu apres rehaussant la
voix, il dit : - Mais, outrecuidé Filandre, qui
pourra jamais excuser ta faute, ou quel assez grand
chastiment esgalera ton erreur ? Tu aymes ceste
Bergere, et ne voy tu pas qu'autant que sa beauté
Ξte le luy η commande, autant te le deffend son honnesteté ?
Combien de fois t'en ay-je adverty ? Et si tu ne
m'as voulu croire, n'accuse de ton mal que ton
imprudence. A ce mot sa langue se teut
[ 174 verso ] 1607 fonctionnelle
mais ses yeux, et ses
souspirs en Ξleur son lieu commencerent à rendre
tesmoignage Ξquelle qu'elle η estoit la passion, dont il
n'avoit Ξpû peu η descouvrir que si peu, et pour se
divertir de ses pensers, Ξou plus tost où plustost pour les
continuer plus doucement, il se leva Ξde ce lieu , pour se promener comme de coustume, et si
promptement, Ξ*qu'íl qu'elle η apperçeut Daphnis, quoy que pour
se cacher elle se mist à la fuitte ; mais luy qui
l'avoit veuë, pour la Ξrecognoistre reconnoistre, la poursuivit
jusques a l'entree d'un bois de coudriers, où il
l'atteignit. Et pensant qu'elle eust Ξdescouvert decouvert tout
ce qu'il avoit tenu si caché, demy en colere, il
luy dit : - Et quelle curiosité Daphnis, est
celle cy, de me venir espier de Ξnuit nuict en ce lieu ?
- C'est, respondit Daphnis en sousriant, pour
apprendre de vous par finesse, ce que je n'eusse Ξsceu sçeu autrement. et en cela elle pensoit parler à
Callirée, n'ayant pas encor Ξdescouvert découvert qu'il fust Filandre.) η - Et bien (reprit Filandre pensant
estre Ξdescouvert découvert) quelle si grande nouveauté
Ξy avez vous apprise ? - Toute celle, dit Daphnis, que
j'en voulois sçavoir.
- Vous Ξvoyla voilà donc, dit
Filandre, bien satisfaite de vostre curiosité ?
- Aussi bien, respondit-elle, que vous l'estes, et
le serez mal de vostre ruse, car tout ce sejour pres
de Diane, et toute ceste grande affection que vous
luy Ξfaictes faites paroistre, ne vous Ξraporteront rapporteront en fin
que de l'ennuy, et du Ξdesplaisir deplaisir. - O Dieux, Ξ*dit s'ecria Filandre, est-il Ξpossible impossible η que je sois descouvert ?
Ah ! discrette Daphnis, puis que vous sçavez ainsi
le Ξsujet subject de mon sejour,
[ 175 recto ] 1607 fonctionnelle
vous avez bien entre vos mains et ma vie, et ma mort ; mais si vous vous ressouvenez de ce que je vous suis, et quels offices d'amitié vous avez receu de moy, quand l'occasion s'en est présentée, je veux croire que vous aymerez mieux mon bien et mon contentement, que non pas mon desespoir, ny ma ruine. Daphnis pensoit encores parler à Callirée, et avoit opinion que toute ceste crainte fust à cause de Gerestan, qui eust trouvé mauvais, s'il en eust esté adverty, Ξqu'elle fist cet quelle η fit ceste office à son frere, et pour l'en Ξassurer asseurer, luy dit : - Tant s'en faut que vous ayez à redouter ce que je sçay de vos affaires, que si vous m'en eussiez advertie, j'y eusse contribué et tout le conseil, et toute l'assistance que vous eussiez Ξpû peu desirer de moy. Mais Ξracontes racontez moy d'un bout à l'autre tout ce dessein, afin que vostre franchise m'oblige plus à vous y servir, que la meffiance que vous avez euë de moy ne me peut avoir Ξoffensée offencée. - Je le veux dit-il, ô Daphnis, pourveu que vous me promettiez de n'en dire rien à Diane, que je n'y consente. - C'est un discours, respondit la Bergere, qu'il ne luy faut pas faire mal à propos, son humeur estant peut estre plus estrange que vous ne croiriez pas en cela. - C'est Ξlà la mon grief, dit Filandre ayant dés le commencement assez Ξrecognu reconnu que j'entreprenois un dessein presque impossible. Car d'Ξabort abord que ma sœur et moy resolusmes de changer d'habit, elle prenant le mien, et moy le sien, je prevy bien que tout ce qui m'en reüssiroit de plus advantageux, seroit
[ 175 verso ] 1607 fonctionnelle
de pouvoir
vivre plus librement quelques jours aupres d'elle,
ainsi Ξ*dissimulé desguisé, que si elle me recognoissoit pour
Filandre. - Comment interrompit Daphnis, toute
surprise, comment pour Filandre ? Et n'estes-vous
pas Callirée ?
Le Berger qui pensoit qu'elle l'eust auparavant
Ξrecognu reconnu, fut bien marry de s'estre Ξdescouvert découvert, si
legerement ; Ξtoutefois toutesfois voyant que la faute estoit
Ξfaitte faite, et qu'il ne pouvoit plus retirer la Ξparole parolle qu'il avoit proferee, pensa estre a propos de s'en
prevaloir, et luy dit : - Voyez, Daphnis, si vous
avez occasion de vous douloir de moy, et de dire que
je ne me fie pas en vous, puis que si librement je
vous Ξdescouvre découvre le secret de ma vie ; car ce que je
viens de vous dire, m'est de telle importance
qu'aussi tost qu'autre que vous le sçaura, il n'y a
plus d'esperance de salut en moy. Mais je veux bien
m'y fier, et me remettre tellement en vos mains que
je ne puisse vivre que par vous. Sçachez donc,
Bergere, que vous voyez devant vous Filandre sous
les habits de sa sœur, et qu'Amour en moy, et la
compassion en elle, Ξnous a ont été cause que nous nous
soyons ainsi desguisez,
et apres luy alla racontant son Ξextresme extreme affection,
la recherche qu'il avoit Ξfaitte faite d'Amidor, et de
Filidas, l'invention de Callirée à changer
d'habits, la resolution d'aller trouver son mary
vestuë en homme, bref tout ce qui s'estoit passé en
cet affaire, avec tant de demonstration d'Amour,
qu'encores qu'au commencement Daphnis se fust
estonnée de la hardiesse de luy et de sa sœur,
[ 176 recto ] 1607 fonctionnelle
si est-ce qu'elle Ξen perdist l'estonnement, quand elle Ξrecognut reconneut la grandeur de son affection, jugeant bien
qu'elle les pouvoit porter à de plus grandes folies.
Et Ξencor encore que si elle eust esté appellée à leur
conseil, lors qu'ils firent ceste entreprise, elle
n'en eust jamais esté d'Ξavis advis, toutefois voyant
comme l'Ξeffet effect en avoit bien reüssi, elle resolut de
luy Ξayder aider en tout ce qui luy seroit possible, et n'y
espargner ny peine, ny soing, ny artifice qu'elle
jugeast despendre d'elle, et le luy ayant promis, avec plusieurs
asseurances
d'amitié, elle luy donna le meilleur "
advis qu'elle
pût, qui estoit de m'engager Ξ(Guillemets de "peu" à "caché".) peu à "
peu en son
amitié : - Car, disoit-elle, l'Amour "
envers les femmes
est un de ces Ξ*ouvrage outrages, dont "
la parole offense plus
que le coup ; c'est "
un outrage que nul n'a honte de
faire, pourveu que le nom luy en soit caché.
De sorte
que j'estime ceux-là bien advisez,
qui se font aymer à leurs Bergeres, avant que de
leur Ξ(Guillemets de "parler" à "estant".) parler d'Amour ; Ξdautant d'autant qu'Amour est un
animal qui n'a rien de rude que le nom, estant
d'ailleurs tant agreable, qu'il n'y a personne Ξqui s'en desplaise à "
qui il deplaise. Et par ainsi, pour estre receu "
de
Diane, il faut que ce soit sans le luy nommer, ny
mesme sans qu'elle le voye, et user d'une telle
prudence qu'elle vous ayme, aussi tost qu'elle
pourra sçavoir que vous l'Ξaimez aymez d'Amour ; car y
estant embarquee, elle ne pourra par apres se retirer
au port, Ξencore encor qu'elle voye quelque apparence de
tourmente autour d'elle. Il me semble que jusques
[ 176 verso ] 1607 fonctionnelle
icy vous
vous y estes conduit avec une assez grande prudence,
mais il faut continuer. Ξ(Guillemets de "La" à "propos".) La fainte que vous avez
Ξfaitte faicte d'estre amoureuse d'elle, encores que fille,
est tres-a-propos, estant tres-certain que toute
Amour qui est Ξ(Guillemets de "soufferte" à "treuvent au".) soufferte, en fin en Ξconçoit produit une
reciproque.
" Mais il faut passer plus outre.
" Nous faisons aisement plusieurs choses qui
" nous
sembleroient fort difficiles si la coustume
" ne nous
les rendoit Ξaysées aisées. C'est pourquoy
" ceux qui n'ont
pas accoustumé une viande, la treuvent au commencement
d'un goust fascheux, qui peu à peu se rend Ξagreable aggreable par l'usage. Il faut que Ξde là de-ja vous appreniez à
rendre à Diane les discours amoureux plus aisez, et
que par la coustume, ce Ξce qui luy est si inaccoustumé qu'elle a si peu accoustumé,
luy soit ordinaire et pour Ξy mieux parvenir, il
faut trouver quelque invention pour luy rendre
agreable vostre recherche, et que Ξ(Guillemets de "vous" à "insensiblement".) vous luy puissiez
parler, encores que fille, aux mesmes termes que
les Bergers.
Car tout ainsi que l'Ξaureille oreille qui a accoustumé
" d'Ξouïr ouyr la Musique η est capable d'y plier mesme
" la voix et
la Ξhosser hausser, et baisser aux tons qui sont
" Ξ*concordans harmonieux,
encor que d'ailleurs on ne sçache
" rien en Ξcet cest art ;
de mesme, la Bergere qui oyt
" souvent les discours
d'un Amant, y plie les
" puissances de son ame, et
Ξencor encore qu'elle ne
" sçache point aymer, ne laisse à se
porter insensiblement
" aux ressentimens de l'ΞAmour amour.
Je
" veux dire qu'elle ayme la compagnie de ceste
personne, en ressent l'esloignement, Ξa à pitié
[ 177 recto ] 1607 fonctionnelle
de son
mal, et bref Ξaime ayme en effet sans y penser. Voyez vous, Filandre, ne Ξfaictes faites pas vostre profit de ces
instructions ailleurs, et ne croyez pas que si je ne
vous aymois, et n'avois pitié de vous, Ξque je vous
Ξdescouvrisse découvrisse ces secrets de l'Ξescole escolle ; mais recevez
ce que je vous dis pour Ξarrhes arres de ce que je desire
faire pour vous.
Avec semblables paroles, Ξvoiant voyant que le jour
approchoit, ils se retirerent dans le logis, non
pas sans se mocquer de l'Amour d'Amidor qui le
prenoit pour fille, et de Ξraporter r'apporter une partie de
ses discours pour en rire. Et s'Ξestant estans sur le matin
endormis en ceste resolution, ils demeurerent bien
tard au lict, pour se recompenser de la perte de la
Ξnuit nuict ; ce qui donna commodité au jeune Amidor de
les y surprendre, et n'eust esté que presque en
mesme temps j'entray dans leur chambre, je croy
qu'il eust peut-estre Ξrecognu recogneu la tromperie, car
s'estant adressé au Ξlit lict de la fainte Callirée,
quoy qu'elle joüast bien son personnage, luy parlant
avec toute la modestie Ξqu'il qui luy estoit possible, et
luy monstrant un visage severe pour luy oster la
hardiesse de ne se point hazarder, si est-ce que son
affection l'eust peut estre Ξlicentié licencié, et que ses
mains Ξindiscretes indiscrettes eussent descouvert son sein. Mais
Ξà mon abort a son abord Daphnis me pria de l'en empescher, et
de les separer, ce que je fis avec beaucoup de
contentement de Filandre, qui faignant de m'en
remercier, me baisa la main avec tant d'affection,
que si je l'eusse tant soit
[ 177 verso ] 1607 fonctionnelle
peu soupçonné, j'eusse
bien Ξrecognu reconneu, que veritablement il y avoit de l'Amour.
Apres leur ayant donné le bon jour, je Ξramenay r'amenay
Amidor avec moy, Ξafin à fin qu'ils eussent le loisir de
s'Ξabiller habiller.
Et Ξparce par ce qu'ils avoient dessein de parachever ce
qu'ils avoient proposé, incontinent apres disner que
nous Ξestions fusmes retirez comme de coustume Ξsoubs sous quelques
arbres, pour Ξjouïr du fraiz j'oüyr η du frais, encore qu'Amidor y fust,
Daphnis jugea que l'occasion estoit bonne, estant
bien aise que ce fust mesme en sa presence, pour Ξm'en luy en oster tout soupçon, et que si à l'advenir il
l'oyoit par mesgarde parler quelquefois en homme, il
ne le trouvast point estrange, faisant donc signe à
Filandre, afin qu'il aydast à son dessein, elle
luy dit : - Et qu'est-ce, Callirée, qui vous peut
rendre muette en la presence de Diane ? - C'est,
respondit-il, que j'allois en moy-mesme faisant
plusieurs souhaits, pour la volonté que j'ay de
faire service à ma Ξmaistresse Maistresse, et entre Ξautre autres un,
que je n'eusse jamais pensé devoir desirer. - Et
quel est-il ? interrompit Amidor. - C'est continua
Filandre, que je voudrois estre homme pour rendre
plus de service à Diane. - Et comment, adjousta
Daphnis, estes-vous amoureuse d'elle ? - Plus
respondit Filandre, que ne le sçauroit estre tout
le reste de l'univers. - J'Ξaime ayme donc mieux, dit
Amidor, que vous soyez fille, tant pour mon
advantage, que pour celuy de Filidas. - La
consideration de l'un Ξny et de l'autre, repliqua
Filandre, ne me fera pas changer de desir. - Et
quoy,
[ 178 recto ] 1607 fonctionnelle
adjousta Daphnis, auriez vous opinion que Diane vous aymast davantage ? - Je le devrois ainsi
esperer, dit Filandre, par les loix de ΞNature nature, si
ce n'est, que comme en sa beauté, elle en outrepasse les forces, qu'en son humeur, elle en desdaigne les ordonnances. - Vous
me Ξcroirez croyez telle qu'il vous plaira (luy dis-je) si vous fais-je serment veritable, qu'il n'y a homme au
monde que j'ayme plus que vous. - Aussi (me
repliqua-t'il) n'y a-t'il personne qui vous ayt tant
voüé de service ; mais ce bon-heur ne me durera que
jusques à ce que vous aurez Ξrecognu reconnu mon peu de merite, ou que quelque meilleur Ξsujet subject se presente. - ΞMe Mais η croyez-vous (luy repliquay je) si volage que vous me
faictes ? - Ce n'est pas (me respondit-il) que je
croye en vous les imperfections de l'inconstance ;
mais je sçay bien que j'en ay les causes pour les
deffauts qui sont en moy. - Le deffaut, luy dis-je,
est plustost de mon costé.
Et à ce mot je l'embrassay, et le baisay d'une aussi
sincere affection que s'il eust esté ma sœur.
Dequoy Daphnis sousrioit en soy-mesme, me voyant si
bien abusée. Ξ*surquoy Mais Amidor nous interrompant, jaloux
(comme je croy) de tous deux : - Je pense, dit-il, que
c'est à bon escient, et que Callirée ne se mocque
point. - Comment, dit-il, me moquer ? Que le Ξciel Ciel me punisse plus rigoureusement qu'il ne chastia
jamais parjure, s'il y Ξeut oncques eust jamais Amour plus
violente, ny plus passionnée que celle que je porte
à Diane. - Et si vous estiez homme, adjousta
Daphnis, sçauriez-
[ 178 verso ] 1607 fonctionnelle
vous bien user des Ξparoles parolles
d'homme, pour declarer vostre passion ? - ΞEncores Encore,
respondit-il que j'aye peu d'esprit, si est-ce que
mon extreme affection ne me Ξlairroit laisseroit jamais muette
en semblable occasion. - Et voyons * la Belle, dit
Amidor, si ce ne vous est peine, comme Ξbelle Bergere vous vous
demesleriez d'une telle entreprise. - Si ma
maistresse, dit Filandre, me le permet, je le
feray, avec promesse Ξtoutefois toutesfois qu'elle m'accordera
trois supplications que je luy feray. La premiere
qu'elle me respondra à ce que je luy diray ; l'autre,
qu'elle ne croira point estre une fainte, ce que Ξsoubs sous autre personne que de Callirée je luy representeray,
mais les recevra comme tres-veritables, encores
qu'impuissantes passions ; et pour la fin qu'elle
ne permettra que jamais autre que Ξmoi moy la serve en
ceste qualité.
Moy qui voyois que chacun y prenoit plaisir, et
aussi que veritablement j'aymois Filandre sous les
habits de sa sœur, luy Ξrespondis respondit, que pour Ξsa la seconde et derniere demande Ξelles qu'elles luy estoient
accordées, tout ainsi qu'elle les Ξsçauroit sçavoir η desirer,
que pour la premiere, j'estois si peu Ξaccoustumée accoustumé à faire telles responses, que je m'Ξassurois asseurois qu'elle
y auroit peu de plaisir. ΞToutefois Toutesfois que pour ne la
desdire en rien, j'essayerois de m'en acquiter le
mieux qu'il me seroit possible. A ce mot, se relevant sur un genoux, Ξpar ce parce que
nous estions assis en rond, Ξet me prenant une main, il commença de
ceste sorte.
- Je n'eusse jamais creu, belle
Maistresse, considerant
[ 179 recto ] 1607 fonctionnelle
en vous tant de perfections,
qu'il Ξpûst peust η estre permis à un mortel de vous aymer,
si je n'eusse esprouvé en moy-mesme, qu'il est
impossible de vous voir et ne vous aymer point.
Mais sçachant bien que le Ciel est trop juste pour
Ξnous vous commander une chose impossible, j'ay tenu pour
certain qu'il vouloit que vous fussiez aymée, puis
qu'il permettoit que vous fussiez veuë, et sur
ceste creance j'ay fortifié de raisons la hardiesse
que j'avois euë de vous voir, et beny en mon cœur
l'impuissance, qui m'a aussi tost Ξsousmis soumis à vous que
mes yeux se sont tournez vers vous. Que si les loix
ordonnent, que l'on Ξrende donne à chacun ce qui est sien,
ne trouvez mauvais, belle Bergere, que je vous Ξrende donne mon cœur, puis qu'il vous est tellement acquis,
que si vous le Ξrefusez refusés η, je le desadvoüe pour estre
mien. A ce mot il se teut, pour ouyr ce que je luy
respondrois, mais avec une façon, que s'il n'eust
point eu l'habit qu'il portoit, mal-Ξaisément aysement eust on
Ξpû peu douter qu'il ne le dist à bon escient,
et pour ne contrevenir à ce que je luy avois promis,
je luy fis telle response : - Ξ*Berger Bergere η, si les
loüanges que vous me donnez estoient veritables, je
Ξcroirois croyrois peut estre ce que vous me dittes de vostre
affection ; mais sçachant bien que ce sont
flatteries, je ne puis croire que le reste ne soit
dissimulation. - C'est trop blesser vostre jugement,
me dit-il, que de douter de la grandeur de vostre
merite, mais c'est avec semblables excuses que vous
avez Ξaccoustumé accoustumée de refuser les choses que vous ne
voulez pas ; si puis-je
[ 179 verso ] 1607 fonctionnelle
avec verité jurer par Ξ*nostre Dieu Pan Teutates, et vous sçavez bien que je ne me parjure
pas, que vous ne refuserez jamais rien qui vous
soit donné de Ξmeilleure meilleur ny plus entiere volonté.
- Je sçay bien, luy respondis-je, que les Bergers
de ceste contrée ont accoustumé d'user de plus de
paroles, Ξoù ou il y a moins de verité η, et qu'ils
tiennent entre-eux pour chose tres averée, que les
Dieux n'escoutent, ny ne punissent jamais les faux
serments des ΞAmoureux amoureux. - Si c'est un vice particulier
de vos Bergers, dit-il, je m'en remets à vostre Ξcognoissance connoissance ; mais moy qui suis estranger η, je ne
dois participer à leur honte, Ξpuisque je ne le fais pas non plus que je ne faits à leur faute, et Ξtoutefois toutesfois par vos Ξparoles parolles mesmes
plus cruelles, il faut que je retire quelque
satisfaction pour moy. Car encor que les Dieux ne
punissent Ξles serments le serment des Amoureux, si je ne le suis
pas, comme il semble que vous Ξdoutiez en douttez, les Dieux
ne Ξlairront laisseront de m'envoyer le chastiment de parjure,
et s'ils ne le font, vous serez contrainte d'advoüer, que n'estant point chastié, je ne suis donc point
menteur, et Ξque si je suis menteur et ne suis Ξpoint bien chastié, il faut que vous confessiez que je suis
Amant η. Et par ainsi, de Ξquel quelque costé que vostre bel
esprit se Ξveuille veille η tourner, il ne sçauroit Ξdes-avoüer desadvoüer,
qu'il n'y a point de beauté en la terre, ou Diane est belle, et que jamais beauté n'a esté aymée ou
la vostre l'est de ce Berger, qui est à vos genoux
et qui en Ξcet cest estat implore le secours de toutes
les graces pour en retirer une de vous, qu'il croit
meriter,
[ 180 recto ] 1607 fonctionnelle
si une Ξparfaitte parfaicte Amour Ξa à jamais eu du
merite. - Si je suis belle, repliquay-je, je m'en
remets aux yeux qui me voyent sainement ; mais vous
ne sçauriez nier que vous ne soyez parjure et
dissimulée, et il faut, Callirée, que je die que
l'Ξassurance asseurance dont vous me parlez en homme, me fait
resoudre à ne croire jamais aux paroles, puis
qu'estant fille, vous Ξles le η sçavez si bien Ξdesguiser déguiser.
- Et pourquoy, Diane, dit-il, lors en sousriant,
interrompez-vous si tost les discours de vostre
serviteur ? Vous estonnez-vous qu'estant Callirée,
je vous parle avec tant d'affection ?
Ressouvenez vous qu'il n'y a impuissance de condition
qui m'en fasse jamais diminuer, tant s'en faut, ce
sera Ξplutost plustost ceste occasion qui la conservera, et
plus violente, et eternelle, puis qu'il n'y a rien qui
diminuë tant l'ardeur du desir η, que la jouissance de
ce qu'on desire, et cela ne pouvant estre entre nous,
vous serez jusques à mon cercueil tousjours aymée, et
moy tousjours Amante. Et toutefois si Tiresias,
apres avoir esté fille, devint homme Ξaussi , pourquoy ne
puis-je esperer que les Dieux me pourroient bien
autant favoriser si vous l'aviez agreable ? Croyez moy,
belle Diane puis que les Dieux ne font jamais
rien en vain, qu'il n'y a pas Ξapparance d'apparence qu'ils ayent
Ξconceu mis en moy une si parfaitte affection, pour m'en
laisser vainement travailler, et que si la nature
m'a fait Ξnaître naistre fille, Ξque mon amour extresme me peut bien
rendre telle, que ce ne soit point inutilement.
[ 180 verso ] 1607 fonctionnelle
Daphnis qui voyoit que ce discours s'alloit fort
Ξesgarant égarant, et qu'il estoit dangereux, que Ξcet Amant cest amant se laissast transporter Ξà a dire chose qui le Ξfist descouvrir fit découvrir par Amidor, l'interrompit, en luy disant :
- C'est sans doute, Callirée que vostre Amour ne
sera point Ξesprise éprise inutilement tant que vous servirez
ceste belle Bergere, non plus que le flambeau ne
se consume pas en vain, qui esclaire Ξà a ceux qui sont
dans la maison ; car tout le reste du monde n'estant
que pour servir Ξà ceste Ξbelle Belle, vous aurez fort bien
employé vos jours, quand vous les aurez passez en
son service. - Mais changeons de discours, dit
Amidor, car voicy venir Filidas, qui ne prendroit nullement plaisir à les Ξouïr, encor ouyr, encore que
vous soyez Ξfilles fille,
et presque Ξà en mesme temps Filidas arriva, qui nous
fit toutes lever pour le saluer. Mais Amidor qui
Ξaimoit aymoit passionnément la fainte Callirée, lors que
sa cousine arriva, prit le temps si à propos, que
s'esloignant avec Filandre un peu de la trouppe,
et la prenant sous Ξles le bras, et voyant que personne
ne les pouvoit ouyr, commença de luy parler ainsi :
- Est-il possible, belle Bergere, que les paroles que
vous venez de tenir à Diane, soient veritables, ou
bien si vous les avez dittes seulement pour monstrer
la beauté de vostre esprit ? - Croyez Amidor, luy
respondit-il, que je ne suis point mensongere, et
que jamais je ne dis rien plus veritablement, que
l'Ξassurance asseurance que je luy ay faite de mon affection,
que si en quelque chose j'ay manqué à la verité Ξç'a ça η esté pour en avoir dit moins que Ξje n'en j'en
[ 181 recto ] 1607 fonctionnelle
ressens. Mais
en cela je dois estre Ξ*excusée excusé, puis qu'il n'y a point
d'assez bonnes paroles pour le pouvoir dire comme
je le conçois.
A quoy il respondit avec un grand souspir : - Puis que
cela est, belle Callirée, Ξmalaisément mal aisément puis-je
croire que vous ne Ξrecognoissiez reconnoissiez beaucoup mieux
l'affection que Ξl'on lon η vous porte, puis que vous
ressentez les mesmes coups dont vous blessez, que
non point celles qui en sont du tout ignorantes, et
cela sera cause que je n'iray point recherchant
d'autres paroles pour vous declarer ce que je souffre pour vous, ny d'autres raisons pour excuser ma
hardiesse, que celles dont vous avez usé parlant à
Diane. Et seulement j'Ξadjouteray adjousteray ceste
consideration, afin que vous Ξcognoissiez connoissiez la grandeur
de mon affection : Que si le coup qui ne se void,
se doit juger selon la force du bras qui le donne,
la beauté de Diane, dont vous ressentez la
blessure, estant beaucoup moindre que la vostre,
doit bien avoir fait moindre effort en vous que la
vostre en moy. Et toutefois si vous l'Ξaimez aymez avec
tant de violence, considerez comment Amidor doit
estre traitté de Callirée, et Ξquelle doit qu'elle η peut estre
son affection, car il ne sçauroit la vous declarer
que par la comparaison de la vostre. - Berger, luy
respondit-il, si la Ξcognoissance connoissance que vous avez euë
de l'amitié que je porte à Diane, vous a donné la
hardiesse de me parler de ceste sorte, il faut que
je supporte le supplice que mon inconsideration
merite, ayant parlé si ouvertement devant vous. Mais
[ 181 verso ] 1607 fonctionnelle
aussi deviez-vous Ξavoir evoir η esgard, qu'estant fille je
ne pouvois Ξluy tenant ces discours offenser par ces discours offencer son honnesteté,
et si faites bien vous la mienne en me parlant
ainsi, qui ay un mary qui ne supporteroit pas avec
patience Ξcet outrage de vous cét outrage s'il en estoit adverty. Mais
outre cela, puis que vous parlez de Diane, à qui veritablement je me suis entierement donnée, car encor faut-il que je vous die, que si vous voulez
que je mesure vostre affection à la mienne, selon les
causes que nous avons d'Ξaimer aymer, je ne croiray pas que
vous en ayez beaucoup, puis que ce que vous nommez
beauté en moy Ξ*n'est de nulle qualité sensible ne peut en sorte que ce soit, retenir ce nom aupres de la sienne. - Belle Bergere, luy dit
Amidor, je n'ay jamais creu que l'on vous pûst
offenser en vous Ξaimant aymant, mais puis que cela est,
j'advoüe que je merite chastiment, et que je suis
prest à le recevoir tout tel que vous me
l'ordonnerez. Il est vray que vous devez ensemble vous resoudre à joindre au mesme supplice, tout celuy
que je pourray meriter, en vous Ξaimant aymant le reste de
ma vie, car il est impossible que je vive sans vous
Ξaimer aymer. Et ne croyez point que le mescontentement de
Gerestan m'en puisse jamais divertir ; celuy qui ne
craint, ny les hazards ny la mort mesme, ne redoutera
jamais un homme. Mais Ξquant quand à ce qui vous touche,
j'advouë que j'ay failly en faisant quelque
comparaison de vous à Diane, estant, sans doute,
mal proportionnée de son costé. Il est vray que ce
n'a pas esté comme de chose esgale,
[ 182 recto ] 1607 fonctionnelle
mais comme du
moindre au plus grand, et ayant eu opinion que ce
que vous ressentiez vous donneroit plus de
Ξcognoissance connoissance de ma peine, j'ay commis ceste erreur,
en laquelle si vous me pardonnez, je proteste de ne
retomber jamais. Filandre qui m'Ξaimoit aymoit à bon escient, et qui avoit eu
opinion qu'Amidor en fist de mesme eust
Ξmalaisément mal-aysement supporté d'Ξouyr oüyr parler de moy avec tant
de mespris, s'il n'eust eu dessein de descouvrir ce
qui en estoit ; mais desirant de s'en esclaircir, et
luy semblant d'en avoir rencontré une fort bonne
occasion, il eut tant de puissance sur soy-mesme,
que sans luy en faire semblant, il luy dit :
- Comment est-il Ξpossible impossible η, Amidor, que vostre bouche
profere des paroles que vostre cœur desment si
fort ? Pensez-vous que je ne sçache pas bien que vous
dissimulez ? Et Ξque dés long temps vostre affection
est toute pour Diane ?
- Mon affection !
repliqua-t'il comme surpris, que jamais personne ne
me puisse Ξaimer aymer, si j'ayme autre Bergere que vous.
Je ne dis pas qu'autrefois je n'aye esté de ses
Ξamis amys, mais son humeur inégale tantost toute de
feu, tantost toute de glace m'en a tellement retiré,
qu'à ceste heure elle m'est indifferente. - Et
comment, dit Filandre, m'osez-vous parler ainsi,
puis que je sçay qu'en verité elle vous a aimé et
vous Ξaime encores ayme encore ? - Je ne veux pas nier, dit
Amidor qu'elle ne m'ait Ξaimé aymé. Et, continua-t'il
en sousriant, je ne jurerois pas qu'elle ne m'Ξaime ayme encores ; mais
si ferois η bien qu'elle n'est η point aimée de moy, et que je luy en laisse
[ 182 verso ] 1607 fonctionnelle
tout le soucy.
Ce qu'Amidor disoit en cela estoit bien selon son
humeur ; car c'estoit sa vanité ordinaire, de
vouloir qu'on Ξcreust creut qu'il eust plusieurs Ξbelles bonnes fortunes, et à ceste occasion il avoit accoustumé
de se rendre à dessein si familier de celles qu'il
Ξconversoit hantoit, que quand il s'en retiroit, il pouvoit
presque par ses sousris, et niant froidement, faire
Ξcroire croyre tout ce qu'il vouloit d'elles. A ce coup Filandre Ξrecognut reconnut bien son artifice, et n'eust
esté qu'il craignoit de se Ξdescouvrir découvrir, il se sentit
tellement touché de mon Ξoffense offence, que je crois qu'il
l'eust repris de mensonge ; si ne Ξpût peut η-il
s'empescher de luy respondre assez aigrement :
- Vrayement Amidor, vous estes le plus indigne
Berger, qui Ξ*pratique vive parmy les bonnes compagnies. Vous
avez le courage de parler de ceste sorte de Diane, à qui vous Ξmontrez monstrez tant d'amitié, et à qui vous
avez tant d'obligation ? Et que pouvons-nous
esperer, nous, qui n'approchons en rien Ξà ses
merites, puis que Ξny n'y η ses perfections, Ξny n'y η son
amitié, ny vostre alliance ne vous peuvent attacher
la langue ? Quant à moy j'advouë que vous estes la
plus dangereuse personne qui vive, et qui voudra
avoir du repos, doit tascher de vous esloigner comme
une maladie tres-contagieuse. A ce mot il le quitta, et nous vint retrouver, le
visage tant enflammé de colere, que Daphnis Ξcognut connut
bien qu'il estoit Ξoffensé offencé d'Amidor, qui estoit
demeuré si estonné de ceste separation, qu'il
[ 183 recto ] 1607 fonctionnelle
ne
sçavoit ce qu'il avoit à faire. Depuis le soir Daphnis s'enquit de Filandre de leur discours, et
Ξparce par ce qu'elle m'Ξaimait aymoit, et jugeoit que cela ne
pouvoit que beaucoup accroistre l'amitié que je
portois à la fainte Callirée, dés le matin elle me
le raconta avec tant d'aspreté contre Amidor, et si
avantageusement pour Filandre, qu'il faut advouër
que depuis je ne me Ξpûs peus η si aisement deffendre de
l'aimer, lors que je le Ξrecognus reconnus, me semblant que
sa bonne volonté m'y obligeoit. Mais Daphnis qui
sçavoit bien que si je l'Ξaimois aymois alors c'estoit pour
le croire Callirée, Ξle luy conseilloit ordinairement
de se Ξdescouvrir decouvrir à moy, disant qu'elle croyoit bien
qu'au commencement je le rejetterois, et m'en
Ξfacherois fascherois, mais qu'en fin toutes choses se
Ξremettroient remettroyent et que de son costé elle y travailleroit
de sorte, qu'elle esperoit en venir à bout. Mais elle
ne Ξpût peut η avoir d'assez fortes persuasions pour luy
en donner le courage, qui fit resoudre Daphnis de
le faire elle mesme sans qu'il le sçeust, prevoyant bien que Gerestan voudroit Ξravoir r'avoir sa
femme, et que ceste finesse auroit esté inutile.
En ceste resolution un jour qu'elle me trouva seule,
apres quelques discours assez ordinaires : - Mais que
sera-ce en fin, dit-elle, de ceste folle de Callirée ?
Je croy en verité que vous luy ferez perdre
l'entendement, car elle vous Ξaime ayme si passionnement,
que je ne croy pas qu'elle puisse vivre. Si
Filidas va un jour coucher hors de ceans, et que
vous puissiez
[ 183 verso ] 1607 fonctionnelle
sortir une Ξnuit nuict de vostre chambre, il
faut que vous la voyez en l'estat où je l'ay trouvée
plusieurs fois ; car presque toutes les Ξnuits nuicts qui
sont un peu claires, elle les passe dans le jardin,
et se plaist de sorte en ses imaginations, que je ne
la puis retirer qu'a force de ses resveries. - Je
voudroy bien, luy respondis-je, luy pouvoir Ξrapporter r'apporter du soulagement, mais que veut-elle de
moy ? Ne luy rends-je pas amitié pour amitié ? Ne
luy Ξfay-je pas en fais-je assez paroistre par toutes mes
actions ? Manque-je à quelque sorte de courtoisie,
ou de devoir envers elle ? - Cela est vray. Mais,
me repliqua t'elle, si vous aviez ouy ses discours,
je ne croy pas qu'elle ne vous fist compassion, et
vous supplie que sans qu'elle le sçache, vous la
veniez escouter une Ξnuit nuict. Je le luy promis fort
librement, et luy dis que ce seroit Ξbien tost bientost ; car
Filidas m'avoit dit le soir auparavant, qu'elle
vouloit visiter Gerestan, et faire amitié avec luy.
Quelques jours apres, Filidas selon son dessein,
emmenant Amidor avec luy, partit pour aller voir Gerestan, ayant resolu de ne revenir de sept ou
Ξhuit huict jours, afin de luy faire paroistre plus
d'amitié, et ce sejour nous vint fort à propos, car
s'il eust esté en la maison, Ξmalaisément mal-aisément luy
eussions nous Ξpû peu η cacher le trouble en quoy nous
fusmes. Or le mesme jour du départ, Filandre,
suivant sa coustume, ne manqua pas de descendre au
jardin Ξà moytié desabillée a moitié déshabillé, lors qu'Ξ*elle il creut que
chacun estoit endormy. Au contraire, Daphnis qui
s'estoit couchée la
[ 184 recto ] 1607 fonctionnelle
premiere, aussi tost qu'elle le
vid sortir, se depescha de me le venir dire, et me
mettant hastivement une robe dessus, je la suivis
assez viste, jusques à ce que nous fusmes dans le
jardin. Mais lors qu'elle eut remarqué où il estoit,
elle me fit signe d'aller au petit pas apres elle.
Et quand nous nous Ξen fusmes approchées, de sorte
que nous le pouvions Ξouyr oüyr, nous nous assismes en
terre, et Ξincontinant incontinent apres, j'Ξouys oüys qu'il disoit :
- Mais à quoy toute ceste patience ? A quoy tous ces
Ξdilayemens dilayements ? Ne faut-il pas que tu meures sans
secours, ou que tu Ξdescouvres découvres ta Ξblessure blesseure au
Ξchirurgien Chirurgien qui la peut guerir ? Et là s'arrestant pour quelque temps, il reprenoit
ainsi avec un grand souspir : - Ne dis-tu pas, ô Ξfacheuse fascheuse crainte, qu'elle nous bannira de sa
presence ? Et qu'elle nous ordonnera une mort
desesperée ? Et bien, si nous mourons, ne nous
sera-ce pas beaucoup de soulagement d'abreger une
si miserable vie que la nostre, et mourant
satisfaire à l'offense que nous aurons faite ? Et
Ξquant quand au bannissement, s'il ne nous vient d'elle,
le pouvons nous eviter de Gerestan, de qui
l'impatience ne nous Ξlairra guiere laissera guere davantage icy ?
Que si Ξtoutefois toutesfois nous obtenons un plus long sejour
de cét importun, et que la mort ne nous vienne du
courroux de la belle Diane, helas ! Ξla pourrons nous éviter de pourrons nous éviter la violence de nostre affection ? Que faut-il
donc que je fasse ? Que je le luy die ? Ah ! je ne
l'offenseray jamais, s'il m'est possible. Le luy
tairay-je ? Et pourquoy le taire puis qu'aussi
[ 184 verso ] 1607 fonctionnelle
bien ma mort luy en Ξdonra donnera une bien prompte
Ξcognoissance connoissance. Quoy donc je l'offenseray ? Ah !
l'outrage et l'amitié ne vont jamais ensemble.
Mourons donc Ξplutost plustost. Mais si je consens à ma mort,
ne luy fais-je pas perdre le plus Ξfidele fidelle serviteur
qu'elle ait jamais Ξeu ? Et puis Ξest-il possible il est impossible qu'en
adorant on puisse offenser ? Je le luy diray donc,
et en mesme temps luy Ξdescouvriray l'estomac découvriray l'estomach, afin
que le fer η plus aisément punisse mon erreur, si
elle le veut. ΞVoila Voyla, luy diray-je, où demeure le
cœur de cét infortuné Filandre, qui sous les
habits de Calliree, au lieu d'acquerir vos bonnes
graces, Ξa à rencontré vostre courroux ; vengez-vous
et le punissez, et soyez certaine que si la
vengeance vous Ξsatisfait satisfaict, le supplice luy en sera
tres-agreable.
Belles Bergeres, quand j'oüys parler Filandre de
ceste sorte, je ne sçay ce que je devins, tant je
fus surprise d'estonnement. Je sçay bien que je m'en
voulus aller, afin de ne voir plus ce trompeur,
tant pleine de despit que j'en tremblois toute. Mais
Daphnis pour Ξparachever achever entierement sa trahison, me
retint par force, et Ξparce par ce, comme je vous ay dit,
que nous estions fort pres du Berger au premier
bruit que nous fismes il tourna la teste, et
croyant que ce ne fust que Daphnis, Ξil s'y en vint ;
mais quand il m'apperceut, et qu'il creut que je
l'avois oüy : - O Dieux ! dit-il, quel supplice
effacera ma faute ? Ah ! Daphnis, je n'eusse jamais
attendu cette trahison de vous. Et à ce mot il s'en
alla courant par le jardin comme une personne
[ 185 recto ] 1607 fonctionnelle
insensée, quoy qu'elle l'appellast deux ou trois
fois par Ξ*son nom le nom de Calliree. Mais craignant d'estre
ouye de quelqu'autre, et plus encore que le
desespoir ne fist faire à Filandre quelque chose de
mal à propos en sa personne, elle me laissa seule et se mit à le suivre, me disant toute
en colere en partant : - Vous verrez, Diane, que si
vous traittez mal Filandre, peut-estre vous
ruinerez-vous de sorte, que vous en ressentirez le
plus grand desplaisir. Si je fus Ξestonnée estonné de cét
accident, jugez le, belles Bergeres, puisque je ne
sçavois pas mesme m'en retourner. En fin apres avoir
repris un peu mes esprits, je cherchay de tant de
costez, que je revins en ma chambre, ou m'estant
remise au Ξlit lict toute tremblante, je ne pûs clorre
l'œil de toute la Ξnuit nuict.
Quant à Daphnis elle chercha tant Filandre, qu'en
fin elle le rencontra plus mort que vif, et apres
l'avoir tancé de n'avoir sçeu se prevaloir d'une si
favorable occasion, et toutefois l'avoir Ξassuré asseuré que je n'estois point si estonnée de cét accident
que luy, elle le remit un peu, et le Ξrassura r'asseura en
quelque sorte, non point toutefois tellement que le
lendemain il eust la hardiesse de sortir de sa
chambre. Moy d'autre costé, infiniment offensee
contre tous deux, je fus contrainte de tenir le Ξlit lict,
pour ne donner Ξcognoissance connoissance de mon Ξdesplaisir déplaisir à ceux
qui estoient Ξautour au tour de nous, et particulierement à
la niepce η de Gerestan. Mais de bonne fortune elle
n'estoit pas plus spirituelle que de raison,
[ 185 verso ] 1607 fonctionnelle
de
sorte que nous luy cachasmes Ξaisément aysément ce mauvais
mesnage, ce qui nous eust esté presque impossible,
et mesme à Filandre, autour duquel elle demeuroit
ordinairement. Daphnis ne se trouva pas peu empeschée en ceste
occasion, car au commencement je ne pouvois la
recevoir en ses excuses. En fin elle me tourna de
tant de costez, et me sçeut tellement déguiser ceste
Ξ*action affection, que je luy promis d'oublier le Ξdesplaisir déplaisir qu'elle m'avoit fait, Ξmais que pour Filandre, jurant toutefois quand à Filandre, que je ne le verrois jamais. Et je croy
qu'il s'en fust allé sans me voir, ne me pouvant
supporter courroucee, n'eust esté le danger où il
craignoit que Calliree tombast, car elle avoit à
faire à un mary, qui estoit assez Ξfacheux fascheux. Ce fut
ceste consideration qui le retint, mais Ξtoutefois sans bouger
du Ξlit, faignant lict, feignant d'estre malade. ΞEt cependant Cinq ou six jours
se passerent sans que je le voulusse voir, Ξquelle quelque raison que Daphnis me Ξpûst peust alleguer pour luy, et
n'eust esté que je fus advertie que Filidas
revenoit et Callirée aussi, je ne l'eusse veu de
long temps.
Mais la crainte que j'eus que Filidas ne s'en prist
garde, et que ce qui estoit si secret ne fust
divulgué par toute la contree, me fit resoudre à le
voir, Ξmais avec condition qu'il ne me feroit point de
semblant de ce qui Ξc' s'estoit passé n'ayant pas assez
de force sur moy, pour m'empescher de ne donner
quelque cognoissance de mon Ξdesplaisir déplaisir. Il le promit, et Ξle la η tint ; car à
peine osoit-il tourner les yeux Ξà vers moy, et quand
il le faisoit, c'estoit avec une certaine
soubmission, qui ne m'Ξassuroit asseuroit
[ 186 recto ] 1607 fonctionnelle
pas peu de son
extreme Amour. Et de fortune, Ξincontinant incontinent apres que
j'y fus entrée, Filidas, Amidor, et le dissimulé
Filandre arriverent dans la chambre, de qui les
fenestres fermées Ξnous donnerent assez bonne commodité
de cacher η nos visages.
Filandre avoit adverty sa
sœur de tout ce que luy estoit advenu, et cela
avoit esté cause que le sejour de Filidas n'avoit
pas esté si long, qu'il en avoit fait dessein ; car
elle Ξ*faignant que son frere disant que sa sœur estoit malade, les
Ξcontraint de contraignit de s'en retourner.
Mais ce discours Ξpar sa longueur seroit trop ennuyeux, si je
n'abregeois toutes nos petites querelles. Tant y a
que Calliree ayant sçeu comme toutes choses estoient
passées, Ξquelquefois quelquesfois les tournant en Ξgausseries gausserie,
d'Ξautrefois autres fois cherchant des Ξapparances apparences de raison,
sceut de sorte se servir de son bien dire, estant
mesme aidée de Daphnis, qu'Ξenfin en fin je consentis au
sejour de Filandre, jusqu'a ce que les cheveux
fussent revenus à sa sœur, Ξcognoissant connoissant bien que ce
seroit la ruiner et moy aussi, si je precipitois
davantage son retour. Et il advint (comme elle
avoit fort bien preveu) que durant le temps que ce
poil demeura à croistre, l'ordinaire conversation
du Berger, qui en fin ne m'estoit point desagreable,
et la Ξcognoissance connoissance de la grandeur de son affection,
commencerent à me flatter de sorte, que de moy-mesme
j'excusois sa tromperie, considerant de plus le
respect et la prudence dont il s'y estoit conduit.
Si bien qu'avant qu'il Ξpûst peust η partir, il obtint
[ 186 verso ] 1607 fonctionnelle
ceste
declaration qu'il avoit tant desirée, à sçavoir que
j'Ξoubliois oublioys sa tromperie, et que ne sortant point des
termes de son devoir, j'Ξaimerois aymerois sa bonne volonté
et Ξla Ξcherirois cherriois pour son merite, ainsi que je
devrois. La Ξcognoissance connoissance qu'il me donna de son
contentement, ayant ceste Ξassurance asseurance de moy me
rendit bien aussi Ξassurée asseurée de son affection, que peu
auparavant son desplaisir m'en avoit fait certaine η,
car il fut tel qu'à peine le pouvoit-il dissimuler.
Cependant que nous estions en ces termes, Filidas
de qui l'ΞAmour amour s'alloit tousjours augmentant, ne
Ξpût peut η en couvrir davantage la grandeur, de sorte
qu'Ξelle il η resolut de tenter tout à fait le dissimulé
Filandre. Avec ce dessein la trouvant à propos un
jour qu'elles se promenoient ensemble dans une
touffe d'arbres, qui fait l'un des quarrez du
jardin, elle luy parla de ceste sorte apres avoir
esté longuement interditte : - Et bien Filandre
sera-t'il vray que Ξquelle quelque amitié que je vous puisse
faire paroistre, je ne sois point assez heureux pour estre Ξaimé aymé de vous ? Callirée luy respondit : - Je ne sçay Filidas Ξquelle qu'elle η plus grande amitié vous me demandez, ny
comment je vous en puis rendre davantage, si vous
mesme ne m'en donnez les moyens. - Ah ! dit-elle,
si vostre volonté estoit telle que la mienne la
desire, je le pourrois bien faire. - Jusqu'à ce
que vous m'ayez esprouvée, dit Callirée,
" pourquoy
voulez-vous douter de moy ?
" - Ne sçavez-vous pas,
dit Filidas, que l'extreme desir est tousjours
suivy Ξdu de doute ? Jurez-moy
[ 187 recto ] 1607 fonctionnelle
que vous ne me manquerez
point d'amitié, et je vous declareray peut-estre
chose dont vous serez bien estonné.
Callirée fut un peu surprise ne sçachant ce
qu'elle vouloit dire ; Ξtoutefois toutesfois, pour en sçavoir
la conclusion elle luy respondit : - Je vous jure,
Filidas, tout ainsi que vous me le demandez, et de
plus que je ne pourray jamais vous rendre tesmoignage
de bonne volonté que je ne le fasse. A ce mot pour
remerciement et presque par transport, Filidas la
prenant par la teste, la baisa avec tant de
vehemence que Callirée en rougit, et Ξ*le repoussant tout la η repoussant toute en colere, luy demanda Ξquelle qu'elle η façon estoit
celle-là. - Je sçay, respondit alors Filidas, que
ce Ξ*baiser berger η vous estonne, et que mes actions jusques
icy vous auront peut-estre Ξfait faict soupçonner quelque
chose d'estrange de moy, mais si vous voulez avoir
la patience de m'escouter, je m'Ξassure asseure que vous en
aurez Ξplutost plustost pitié que mauvaise opinion.
Et lors reprenant du commencement jusques au bout,
elle luy fit entendre le Ξprocés procez qui avoit esté entre
Phormion et Celion nos peres, l'accord qui fut
fait pour l'assoupir, et en fin l'artifice de son
pere Ξ*à le a la η faire eslever comme un homme, encor qu'Ξ*il fust elle η fut fille. Bref nostre mariage, et tout ce que je
viens de vous raconter, et puis continua de ceste
sorte : - Or ce que je veux de vous pour
satisfaction de vostre promesse, c'est que
recognoissant l'extreme affection que je vous porte,
vous me receviez pour vostre femme, et je feray
espouser Diane à mon cousin Amidor, que mon pere
avoit
[ 187 verso ] 1607 fonctionnelle
expressement eslevé dans sa maison pour ce
Ξsujet suject. Et là dessus elle adjousta tant de Ξparoles parolles
pour la persuader, que Callirée estonnée plus que
je ne vous sçaurois dire, eut le loisir de revenir
à soy, et luy respondre, que sans mentir Ξ*il elle η luy
avoit raconté de grandes choses, et telles que
malaisément les pourroit elle croire, si elle ne
les Ξassuroit asseuroit d'autre façon que par paroles. ΞElle Et alors se desboutonnant se Ξdescouvrit decouvrit le sein :
- L'honnesteté, luy dit-elle, me deffend de vous en
Ξmontrer monstrer davantage, mais cela, ce me semble, vous
doit suffire.
Callirée alors pour avoir le loisir de se conseiller
avec nous, fit semblant d'en estre fort Ξaise ayse, mais
qu'elle avoit des Ξparens desquels parents dont elle esperoit tout
son avancement, et sans l'advis desquels, elle ne
feroit jamais une resolution de telle importance, et
sur tout qu'elle la supplioit de tenir ceste
affaire secrette ; car, la divulgant ce ne seroit
que donner sujet à plusieurs de parler, et qu'elle
l'Ξassuroit asseuroit dés lors, que quand il n'y resteroit
que Ξ*sa volonté son consentement elle luy Ξdonroit donneroit Ξcognoissance connoissance de sa bonne volonté. Avec semblables propos elles
finirent leur promenoir, et revindrent au logis, Ξoù ou de tout le jour Callirée n'osa nous accoster de
peur que Filidas n'eust opinion qu'elle nous en
parlast ; mais le soir elle raconta à son frere
tous ces discours, et puis tous deux allerent trouver
Daphnis, à laquelle ils Ξles le η firent entendre. Jugez
si l'estonnement fut grand ; mais quel qu'il Ξpûst peut η estre, le contentement de Filandre le surpassoit
de beaucoup,
[ 188 recto ] 1607 fonctionnelle
luy semblant que le Ciel luy Ξoffroit osteroi η
un tres-grand acheminement à la conclusion de ses
desirs.
Le matin Daphnis me pria d'aller voir la fainte
Callirée, et la vraye demeura aupres de Filidas,
afin qu'elle ne s'en doutast. Dieu sçait quelle je
devins quand je sceu tout ce discours. Je vous jure
que j'estois si estonnée, que je ne sçavois si ce
n'estoit point un songe. Mais ce fut le bon que
Daphnis se plaignoit Ξinfiniment infiniement de moy, que je le
luy eusse si longuement celé, et Ξquel quelque serment
que je luy fisse, que je n'en avois rien sçeu
jusques à l'heure, elle ne me vouloit point croire
si enfant, Ξ*car j'avois des-ja quinze ou seize ans et lors que je luy disois que je pensois
que tous les hommes fussent comme Filidas elle se
tuoit de rire de mon ignorance. En fin nous
resolusmes, de peur que Bellinde ne voulust
disposer de moy à sa volonté, ou que Filidas ne me
fist quelque surprise pour Amidor, qu'il ne falloit
rien faire à la volée et sans y bien penser ; car
dés lors par la Ξsollicitation solicitation de Daphnis et de
Callirée, je promis à Filandre de l'espouser. Et
cela fut cause que reprenant ses habits, apres avoir
Ξassuré asseuré Filidas, qu'il alloit pour en parler à ses
parens, il se retira avec sa sœur vers Gerestan,
qui ne prit jamais garde à ceste ruze. Depuis ce
temps il fut permis à Filandre de m'Ξécrire escrire ; car,
envoyant d'ordinaire de ses nouvelles à Filidas,
j'avois tousjours de ses lettres, et si finement,
que ny elle, ny Amidor ne s'en apperceurent jamais.
[ 188 verso ] 1607 fonctionnelle
Or, belles Bergeres, jusques icy ceste recherche ne
m'avoit Ξguiere rapporte guere r'apporté d'amertume, mais, helas !
c'est ce qui s'Ξen ensuivit qui m'a tant fait avaler
d'absinthe, que Ξjusqu' jusques au cercueil il ne faut pas
que j'espere de gouster quelque douceur. Il Ξavint advint pour mon Ξmalheur mal-heur, qu'un estranger passant
par ceste contree me vid endormie à la Ξfonteine fontaine des
Sicomores, où la Ξfraicheur fraischeur de l'ombrage et le doux Ξgazouillis gazoüillement de l'onde m'avoient sur le haut du
jour assoupie. Luy, que la beauté du lieu avoit
attiré pour passer l'ardeur du midy, n'eut Ξplutost plustost
jetté l'œil sur moy, qu'il y remarqua quelque chose
qui luy Ξplust pleut η. Dieux ! quel homme, ou Ξplutost plustost quel
monstre estoit ce ! Il avoit le visage reluisant de
noirceur, les cheveux Ξracourcis raccourcis et meslez comme la
laine de nos moutons, quand il n'y a qu'un mois ou
deux qu'on les a tondus, la barbe à petits bouquets
clairement espanchée autour du menton, le nez aplaty
entre les yeux et rehaussé et large par le bout, la
bouche grosse, les levres renversées, et presque
fendues sous le nez. Mais rien n'estoit si estrange
que ses yeux, car en tout le visage il n'y
paroissoit rien de blanc, que ce qu'il en Ξdescouvroit découvroit
quand il les roüoit Ξfelons dans la teste. Ce bel Amant me
fut destiné par le Ciel, pour m'oster à jamais toute
volonté d'aimer ; car estant ravy à me considerer, il
ne pût s'empescher (transporté comme je croy de ce
nouveau desir) de s'approcher de moy pour me baiser.
Mais parce qu'il estoit armé, et à cheval,
[ 189 recto ] 1607 fonctionnelle
le bruit
qu'il fit m'Ξesveilla éveilla, et si à propos qu'ainsi qu'il
estoit prest de se baisser pour satisfaire à sa
volonté, j'ouvris les yeux et voyant ce monstre si
pres de moy premierement je fis un grand cry, puis
luy portant les mains au visage, Ξle je η heurtay de toute
ma force, luy qui estoit à moitié panché, n'attendant
pas ceste Ξdeffence deffense, fut si surpris, que le coup le
fit balancer, et de peur qu'il eut, comme je pense,
de choir sur moy il ayma mieux tomber de l'autre
costé, si bien que j'eus loisir de me lever. Je ne
croy pas que s'il m'eust touchee, je ne fusse morte
de frayeur, car figurez vous, que tout ce qui est de
plus horrible, ne sçauroit en rien approcher Ξà l'horreur
de son visage Ξespouventable épouvantable.
J'estois des-ja bien esloignee, quand il se releva, et
voyant qu'il ne me sçauroit attaindre, parce qu'il
estoit armé assez pesamment, et que la peur
m'attachoit des ayles aux pieds, il sauta
promptement sur son cheval, et Ξà a toute course me
suivoit, lors qu'estant presque hors d'haleine, la
pauvre Filidas, qui assez pres de la entretenoit
Filandre, qui nous estoit venu voir, et qui s'estoit
endormy en luy parlant, ayant ouy ma voix, courut à
moy, Ξet voyant que ce cruel me poursuivoit avec l'espee
nüe Ξà en la main, car la colere de sa Ξcheutte cheute luy avoit
effacé toute Amour, elle s'opposa genereusement à sa
furie, me faisant paroistre par ce dernier acte, qu'elle m'avoit autant aymée que son sexe le
luy permettoit, et d'Ξabort abord luy prit la bride du
cheval, dont ce barbare offensé, sans nul Ξesgard égal η de
l'humanité,
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luy donna de l'espée sur le bras, de
telle force qu'il le Ξluy détacha destacha du corps, et elle
Ξà presque en mesme temps de douleur mourut, et tomba
entre les pieds de son cheval, qui broncha si
lourdement que son maistre eut assez d'affaire à
s'en despestrer. Et Ξparce par ce que Filidas en mourant
fit un grand cry, nommant fort haut Filandre, luy
qui estoit aupres l'Ξoüit oüyt, et la voyant en si piteux
estat, en eut un Ξextresme desplaisir si extréme déplaisir, mais plus
encores quand il vid ce barbare, s'estant Ξdesmeslé démeslé de son cheval, me courre apres l'espee Ξà en la main,
et moy, comme je vous disois, et de peur, et de la
course que j'avois Ξfaite faitte, tant hors d'haleine que
je ne pouvois presque mettre un pied devant l'autre.
Que devint ce pauvre Berger ? Je ne croy pas que
jamais Ξ*tigre Lyonne à qui les petits ont esté Ξdesrobez dérobez,
lors qu'elle Ξvoit void ceux qui les emportent, s'eslançast
plus legerement apres eux, que le courageux Filandre apres ce cruel. Et par ce qu'il η estoit chargé d'armes
qui l'empeschoient de courre, il l'Ξattaignit atteignit assez
tost, et d'Ξabort abord luy cria : - Cessez Ξchevalier Chevalier,
cessez d'outrager davantage celle qui merite mieux
d'estre adorée. Et parce qu'il ne s'arrestoit point,
ou fust que pour estre en furie il n'oyoit point sa
voix, ou que pour estre estranger, il n'entendoit
point son langage, Filandre mettant une pierre dans
sa fronde, la luy jetta d'une si grande impetuosité,
que le frappant à la teste, sans les armes qu'il y
portoit, il n'y a point de doute qu'il l'eust tué
de ce coup, qui fut tel, que l'estranger
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s'en aboucha,
mais se relevant incontinent, et oubliant la colere
qu'il avoit contre moy, s'adressa tout en furie Ξcontre à Filandre, qui se trouva si pres qu'il ne Ξpût peut eviter le coup mal-heureux qu'il luy donna dans le
corps, n'ayant Ξà en la main que sa houlette pour toute
deffense. ΞToutefois Toutesfois se voyant le glaive de son
ennemy si avant, sa naturelle generosité luy donna
tant de force, et de courage, qu'au lieu de reculer,
il s'avanca, et s'enfonçant le fer dans l'estomach jusques aux gardes, il luy planta le bout ferré de
sa houlette entre les deux yeux, si avant, qu'il ne
l'en Ξpûst peust η plus retirer, qui fut cause que la luy
laissant ainsi attachée, il le saisit à la gorge,
et de mains et de dents, paracheva de le tuer. Mais,
helas ! ce fut bien une victoire cherement acheptée ;
car ainsi que ce barbare tomba mort d'un costé,
Filandre n'ayant plus de force, se laissa choir de
l'autre, Ξtoutefois toutesfois si à propos, que tombant à la renverse, l'espée qu'il avoit au travers du
corps, heurta de la pointe contre une pierre, et la
pesanteur du corps la fit ressortir de la playe.
Moy qui de temps en temps tournois la teste pour
voir si ce cruel ne m'atteignoit point encores, je vis
bien au commencement que Filandre le couroit, et
dés lors une Ξextresme extréme frayeur me saisit. Mais helas !
quand je le Ξvis veis blessé si dangereusement, oubliant
toute sorte de crainte, je m'arrestay ; mais quand
il tomba la frayeur de la mort ne me Ξpût peut empescher
de courre vers luy, et aussi morte presque que luy, je me jettay en terre, l'appellant
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toute esplorée par
son nom. Il avoit des-ja perdu beaucoup de sang, et
en perdoit à toute heure Ξdavantage d'avantage par les deux
costez de sa playe.
Et voyez Ξquelle qu'elle η force a une amitié ! Moy qui ne
sçaurois voir du sang sans Ξesvanoüir m'esvanoüyr, j'eus bien
alors le courage de luy mettre mon mouchoir Ξà sa playe contre sa blesseure pour empescher le cours du sang, et
rompant mon voyle, luy en mettre autant de l'autre
costé. Ce petit soulagement luy servit de quelque
chose, car luy ayant mis la teste en mon giron, il
ouvrit les yeux, et reprit la parole. Et me voyant
toute couverte de larmes il s'efforça de me dire :
- Si jamais j'ay esperé une fin plus favorable que
celle-cy, je prie le Ciel, belle Bergere, qu'il n'ait
point de pitié de moy. Je voyois bien que mon peu
de merite, ne me pourroit jamais faire Ξattaindre atteindre Ξau bon heur ce
bon-heur desiré, et je craignois Ξqu'en que en fin le
desespoir ne me Ξcontraint contraignit à quelque furieuse
resolution contre moy-mesme. Les Dieux qui sçavent
mieux ce Ξqui qu'il nous faut que nous ne le sçavons
desirer, ont bien Ξcognu conneu que n'ayant vescu depuis
si long temps que pour vous, Ξqu'il falloit il failloit η aussi que je
mourusse pour vous. Et jugez quel est mon
contentement, puis que je meurs non seulement pour
vous, mais encores pour vous conserver la chose du
monde que vous avez la plus chere, qui est vostre
pudicité. Or ma maistresse, puis qu'il ne me reste
plus rien pour mon contentement, qu'un seul point,
par l'affection que vous avez Ξrecognuë reconnüe en Filandre,
je vous supplie de me le
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vouloir accorder, afin que
ceste ame heureuse entierement, puisse vous aller
attendre aux champs Elisiens, avec ceste satisfaction
de vous. Il me dit ces paroles à mots interrompus, et avec
beaucoup de peine ; et moy qui le Ξvoiois voyois en cet
estat, pour luy donner tout le contentement qu'il
pouvoit desirer, luy respondis : - Amy, les Dieux
n'ont point fait naistre en nous une si belle et
honneste affection, pour l'esteindre si promptement,
et pour ne nous en laisser que le regret. J'espere qu'Ξil ils vous donneront encores tant
de vie, que je pourray vous faire Ξcognoistre connoistre que je
ne vous cede point en amitié, non plus que vous ne
le Ξfaictes faites à personne en Ξmerites merite. Et pour preuve de
ce que je vous dy, demandez seulement tout ce
que vous voudrez de moy, car il n'y a rien que je
vous puisse ny veuille refuser. A ces derniers mots,
il me prit la main, et se l'approchant de la bouche :
- Je baise, dit-il, ceste main, pour remerciement de
la grace que vous me Ξfaittes faites. Et lors Ξ*tournant dressant les
yeux au Ciel : ô Dieux, dit-il, je ne vous requiers qu'autant de vie qu'il m'en faut pour l'accomplissement
de la promesse que Diane me vient de faire. Et puis
Ξadressant addressant sa parole à moy, avec tant de peine, qu'à
peine pouvoit-il proferer les mots, il me dit ainsi :
- Or ma belle Ξmaistresse Maistresse, escoutez donc ce que je veux
de vous, puis que je ne ressens l'aigreur de la
mort, que pour vous. Je vous conjure par mon
affection, et par vostre promesse, que j'emporte ce
contentement hors de ce monde, que je puisse dire
que
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je suis vostre mary, et croyez si je le reçois que mon ame ira tres-contente en Ξquel quelque lieu qu'il luy Ξfalle faille aller, ayant un si grand tesmoignage de vostre bonne volonté. Je vous jure, belles Bergeres, que ces Ξparoles parolles me toucherent si vivement, que je ne sçay comme j'Ξeuz eus assez de force à me soustenir, et croy, quant à moy que ce fut la seule volonté que j'avois de luy complaire, qui m'en donna le courage. Cela fut cause qu'il n'Ξeut pas plutost eust pas plustost finy sa demande, que luy retendant la main, je luy Ξdits dis : - Filandre, je vous accorde ce que vous me requerez, et vous jure devant tous les Dieux, et particulierement devant les divinitez qui sont en ces lieux, que Diane se donne à vous, et qu'elle vous reçoit, et de cœur et d'ame pour son mary ; et en disant ces mots, je le baisay. - Et moy, Ξme dit-il, Ξ*je vous reçoy, ma belle maistresse, et je me donne à vous, pour jamais tres-heureux et content, d'emporter ce glorieux nom de mary de Diane. Helas ! ce mot de Diane fut le dernier qu'il profera ; car, m'ayant les bras au col et me tirant à luy pour me baiser, il expira, laissant ainsi son esprit sur mes levres. Quelle je devins, le voyant mort, jugez-le belles Bergeres, puis que veritablement je l'Ξaymois aimois. Je Ξtombe tombay abouchée sur luy, sans poulx, et sans sentiment et de telle sorte esvanoüie, que je fus emportée chez moy, sans que je revinsse. O Dieux ! que j'ay ressenty vivement ceste perte, et Ξrecognu estre reconneu plus que veritable ce que tant de fois il m'avoit predit, que je l'Ξaimerois aymerois davantage apres sa mort que durant sa vie. Car j'ay despuis conservé
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si vive sa memoire en mon ame, qu'il me semble qu'à toute heure je l'ay devant mes yeux, et que sans cesse il me dit, que pour n'estre Ξingratte ingrate il faut que je l'ayme. Aussi fais-je, ô belle ame, et avec la plus entiere affection qu'il se peut, et si où tu es, on a quelque Ξcognoissance connoissance de ce qui se fait çà bas, reçoy, ô cher amy, Ξceste cette volonté, et ces larmes que je t'Ξoffres offre pour tesmoignage, que Diane aymera Ξjusque jusques au cercueil son cher Filandre.