Édition de 1607, 452 recto (sic pour 352 recto).
Édition de Vaganay, p. 421.
[ 361 recto sic 351 recto ] 1607 fonctionnelle
Livre onzième
LE
UNZIESME LIVRE
DE LA PREMIERE
Partie d'Astree.
Celadon alloit de ceste sorte racontant à la
Nymphe l'histoire de Celion et de Bellinde,
Ξce pendant cependant que Leonide et Galathée parloient
des nouvelles que Fleurial leur avoit rapportees ; car aussi tost que la Nymphe apperçeut Leonide,
elle la tira à part, et luy dit qu'elle empeschast
que Fleurial ne Ξvist vid Celadon : - Car, disoit-elle,
il est tant acquis à Lindamor qu'il seroit assez
beste pour luy dire tout ce qu'il auroit veu ;
entretenez-le donc, et quand j'auray veu mes lettres,
je vous diray ce qu'il y aura de nouveau.
A ce mot la Nymphe sortit de la chambre et emmena Fleurial avec elle, et apres quelques autres paroles,
elle luy dit : - Et bien, Fleurial, quelles nouvelles
apporte-tu à Madame ? - Fort bonnes, respondit-il,
et toutes telles que vous et elle sçauriez desirer.
Car Clidaman
[ 361 verso sic 351 verso ] 1607 fonctionnelle
se porte bien, et Lindamor a fait tant de merveilles Ξà en la bataille où il s'est trouvé que ΞMerové Merovée, et Childeric l'estiment comme merite sa vertu. Mais il y avoit avec moy un jeune homme η qui Ξvouloit voulut η parler à Sylvie, Ξà a qui ceux de la porte n'ont permis d'entrer qui vous en racontera bien mieux toutes les particularitez, Ξdautant d'autant qu'il en vient, et moy j'ay pris ces lettres chez ma tante, où un de ceux de Lindamor les a portées, qui attend la response. - Et ne sçais-tu point, repliqua la Nymphe, ce qu'il veut à Sylvie ? - Non, respondit-il, car il ne l'a jamais voulu dire. - Il faut, dit la Nymphe, qu'il entre. A ce mot Ξelle alla à la porte, et voyant ce jeune homme le recognut incontinent s'en allant à la porte, elle reconnut incontinent ce jeune homme pour l'avoir veu souvent avec Ligdamon, Ξqui qu'il luy fit juger qu'il apportoit à ΞSylvie Silvie de ses nouvelles, et Ξparce par ce qu'elle sçavoit combien sa compagne desiroit que ces affaires fussent secrettes, elle ne luy en voulut rien demander, Ξfaignant feignant de ne le Ξcognoistre connoistre et seulement luy dit qu'elle en advertiroit Sylvie. Puis retirant encor Fleurial à part : - Tu sçais bien, Fleurial, luy dit-elle, mon amy, le mal-heur Ξqui qu'il η est arrivé à Lindamor. - Comment Ξcela , respondit Fleurial, tant s'en faut nous le devons croire heureux, car il acquiert tant de gloire où il est, qu'à son retour Amasis n'oseroit luy refuser Galathée. - O Fleurial que dis-tu ! Si tu sçavois comme toutes choses se passent tu avoüerois que le voyage de nostre amy est pour luy celuy de la mort, car je ne fay point de Ξdoutte doute qu'à son retour il ne meure de regret. - Mon Dieu ! dit-il, que me dittes-vous ? - Fleurial, repliqua-t'elle, il est
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ainsi que je te le dis, et ne croy point qu'il y ait du remede s'il ne vient de toy. - De moy ? dit-il, s'il peut venir de moy, tenez le pour Ξassuré asseuré, car il n'y a rien au monde que je ne fasse. - Or dit la Nymphe, sois donc secret, et à ce soir je t'en diray davantage, mais pour ceste heure il faut que je sçache ce qu'escrit le pauvre absent. - Il a envoyé, dit-il, ces lettres par un jeune homme, qui avoit charge de les porter chez ma tante, elle Ξincontinent me les a me les a incontinent envoyées, et en voicy une qu'il vous escrit. Elle l'ouvrit, et Ξleut vit qu'elle estoit telle.
Autant que l'esloignement a eu peu de puissance sur mon ame, autant ay je peur qu'il n'en Ξayt ait eu beaucoup sur celle que j'adore. Ma foy me Ξpromet dit bien que non, mais ma fortune me menace Ξque si du contraire, toutefois l'Ξassurance asseurance que j'ay en la prudence de ma confidente, me fait vivre avec moins de crainte, que si ma memoire y estoit seule. Ressouvenez vous donc de ne Ξpoint tromper l'esperance que j'ay Ξde en vous, ny Ξdesmantir démentir les Ξassurances asseurances de nostre amitié.
Or bien, dit la Nymphe, va-t'en au lieu plus
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proche d'icy, où tu dormiras ce soir, et reviens icy de bon matin, puis je te feray sçavoir une histoire dont tu seras bien estonné. Là dessus elle appella ce jeune homme qui Ξvouloit voulut η parler à Sylvie, et le Ξconduit conduisit avec elle jusques à l'antichambre de Galathée, où l'ayant fait attendre, elle entra dedans, et Ξluy fit sçavoir fit sçavoir à la Nymphe ce qu'elle avoit fait de Fleurial. - Il faut, dit la Nymphe, que vous Ξvoyez lisiez la lettre que Lindamor m'escrit, et lors elle Ξleut vid qu'elle estoit telle.
Ny le retardement de mon voyage, ny les horreurs
de Ξ*Bellonne la guerre, ny les beautez de ces nouvelles
hostesses η de la Gaule ne peuvent tellement occuper
le souvenir que vostre fidele serviteur a de vous,
Ξsans revoler qu'il ne revole continuellement au bien heureux
sejour, où en vous esloignant je laissay toute ma
gloire ; si bien que ne pouvant refuser à mon
affection la curiosité de sçavoir comme Madame se
porte, apres vous avoir mille fois baisé la robbe,
je vous presente toutes les bonnes fortunes, dont
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les armes m'ont voulu favoriser et les offre à vos
pieds, comme à la divinité dont je les Ξrecognois reconnois.
Si vous les recevez pour vostres, la renommée les
vous donnera de ma part, qui me l'a promis ainsi,
aussi bien que vous l'honneur de vos bonnes graces
à vostre tres-humble serviteur.
- Je me soucie fort, dit alors Galathee, ny de luy
ny de ses victoires, il m'obligeroit davantage
s'il m'oublioit. - Pour Dieu, Ξma Dame Madame, dit Leonide,
ne dittes point cela, si vous sçaviez combien il est
estimé, et par ΞMerové Meroüée et par Childeric, je ne
sçaurais croire (estant née ce que vous estes) que
vous Ξne l'estimissiez davantage qu'un Berger, et mesmes un Berger n'en fissiez plus de cas que d'un Berger, mais je dis Berger qui ne vous ayme point, et que vous
voyez souspirer devant vous, pour l'affection d'une
Bergere ; vous croyez que tout ce que je vous en dy,
soit par artifice. - Il est vray, dit incontinent
Galathee. - Et bien, Madame, respondit-elle, vous
en croirez ce qu'il vous plaira, si vous jureray-je
sur tout ce qui est plus à craindre aux Ξperjures parjures,
que j'ay veu à ce voyage, par un grand hazard, ce
trompeur de Climanthe, et cet artificieux de Polemas, parlant de ce qui vous est arrivé, et
descouvrant entre-eux toutes les malices dont ils
ont usé. - Leonide, adjousta Galathée, vous perdez
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temps, je suis toute resoluë à ce que je veux faire,
ne m'en parlez plus. - Je le feray, Madame, comme vous
Ξle me me le commandez, dit-elle, si me permettrez vous
encor de vous dire ce mot. Qu'est-ce, Madame, que
vous pretendez faire avec ce Berger ? - Je veux,
dit-elle, qu'il m'Ξaime ayme. - Et en quoy, repliqua
Leonide, desseignez vous que ceste amitié se
concluë ? - Que vous estes fascheuse, dit Galathee,
de vouloir que je sçache l'advenir, laissez seulement
qu'il m'ayme, et puis nous verrons que nous ferons.
- Encor, continua Leonide, Ξ(Guillemets de "continua" à "adressions".) que l'on ne sçache l'advenir, si faut-il
en tous nos desseins avoir quelque but auquel nous
les Ξadressions addressions. - Je le croy dit Galathée, sinon
en ceux de l'Amour, et pour moy je n'en veux point
avoir d'autre sinon qu'il m'ayme. - Il faut bien,
repliqua Leonide, qu'il soit ainsi, car il n'y a
pas Ξapparance apparence que vous le Ξveuillez vueilliez espouser, et
Ξne le point espousant ne l'espousant pas, que deviendra cet honneur, que
vous vous estes si longuement conservé ? Car il ne
peut estre que ceste nouvelle amitié vous aveugle
de sorte, que vous ne Ξcognoissiez connoissiez bien le tort que
vous vous Ξfaittes faites, de vouloir Ξun homme pour Amant pour amant un homme que
vous Ξne voulez η pour mary. - Et vous, dit-elle,
Leonide, qui Ξfaittes faites tant la scrupuleuse, Ξdittes dites en
verité, avez vous Ξ*intention envie de l'espouser ? - Moy,
Madame, respondit-elle, je le tiens estre trop peu
de chose, et vous supplie tres humblement de ne me
croire point de si peu de courage, que je daignasse
tourner les yeux sur luy. Que s'il y a jamais eu
quelque Ξ*chose homme qui Ξen ait eu le pouvoir ait η le pouvoir de me donner quelque ressentiment
[ 364 recto sic 354 recto ] 1607 fonctionnelle
d'Amour, je vous advoüeray librement
que le respect que je vous ay porté, m'en a Ξretiré retirée.
- Et quand ? adjousta Galathee. - Lors, dit-elle,
Madame, que vous me commandastes de ne faire plus
d'estat de Polemas. - O que vous Ξestes gratieuse avez bonne grace,
s'escria Galathée, par vostre foy ? Vous n'avez point
aymé Celadon ? - Je vous jureray sur la verité que
je vous doy, Madame, respondit-elle, que je n'ayme
point d'autre sorte Celadon, que s'il estoit mon frere.
Et en cela elle ne mentoit point, car depuis que le
Berger luy avoit la derniere fois parlé si clairement,
elle avoit Ξrecognu reconnu le tort qu'elle se faisoit, et
ainsi avoit resolu de changer l'Amour en amitié.
- Or bien, Leonide, dit la Nymphe, laissons ce discours
et celuy aussi de Lindamor, car la pierre en est
jettée. - Et quelle response, dit-elle, ferez vous
à Lindamor ? - Je ne luy en veux point faire d'autre,
que le silence. - Et que pensez-vous, dit-elle, qu'il
devienne, lors que celuy qu'il a envoyé icy
retournera sans lettres ? - Il deviendra, dit
Galathée, ce qu'il pourra, car pour moy Ξje suis toute η resoluë que ny Ξsa la η consideration, ny celle de tout
autre, ne seront jamais cause que je Ξveuille vueille me
rendre miserable. - Il n'est donc point necessaire,
respondit Leonide, que Fleurial revienne ? - Nullement,
dit-elle. Leonide alors luy dit froidement qu'il y avoit là
un jeune homme qui vouloit parler à Sylvie, et qu'elle
croyoit que Ξs' c'estoit de la part de Ligdamon, qu'il
n'avoit point voulu dire son message qu'à Sylvie
mesme. - Il
[ 364 verso sic 354 verso ] 1607 fonctionnelle
faut, respondit la Nymphe, que nous
Ξle menions la mettions η
où elle est, nous en serons quittes pour faire tirer
les rideaux du lict où est Celadon, car je m'Ξassure asseure
qu'il sera bien aise d'Ξoüir ouyr ce que Ligdamon escrit,
puis qu'il me semble que vous luy avez desja
raconté toutes leurs Amours. - Il est vray, respondit
Leonide, mais Sylvie est si desdaigneuse, et si altiere,
que sans doute elle s'offensera Ξque si ce messager luy
parle, et mesme devant Ξluy Celadon. - Il faut, dit-elle,
la surprendre. Allez seulement devant dire au Berger
qu'il ne parle point, et tirez les rideaux, et je
l'y conduiray. Ainsi sortirent ces Nymphes, et Galathee Ξrecognoissant reconnoissant
ce jeune homme pour l'avoir veu bien souvent avec Ligdamon, luy demanda d'où il venoit, et quelles
nouvelles il apportoit de son maistre. - Je viens,
Madame, dit-il, de l'armée de ΞMerové Merovée, et quant aux
nouvelles de mon Maistre, je ne les puis dire qu'à
Sylvie. - Vrayement, dit la Nymphe, vous estes bien
secret, et croyez vous que je Ξveuille vueille permettre que
vous disiez quelque chose à mes Nymphes que je ne
sçache point Ξ? η. - Madame, dit-il, ce sera devant vous,
s'il vous plaist, car j'en ay ce commandement, et
principalement devant Leonide. - Venez donc, dit la
Nymphe. Et ainsi elle le Ξconduit fit entrer en la chambre de
Celadon, où desja Leonide avoit donné l'ordre
qu'elle avoit resolu, sans en rien dire à Sylvie qui au commencement s'en estonna, mais puis voyant
entrer Galathée avec ce jeune homme, elle jugea
bien que c'estoit pour empescher que ΞCeladon le Berger ne
fust
[ 365 recto sic 355 recto ] 1607 fonctionnelle
veu. Le sursault qu'elle receut fut tres-grand,
quand elle vid Egide, tel estoit le nom de ce
jeune homme Ξcar elle le recognut incontinant pour l'avoir si souvent veu avec Ligdamon qu'elle reconnut incontinent, car encor
qu'elle n'eust point d'Amour pour Ξluy Ligdamon, Ξtoutefois elle ne se pouvoit pas si ne se pouvoit-elle exempter entierement de quelque bonne
volonté. Elle jugea bien qu'il luy en diroit des
nouvelles, toutefois elle ne voulut Ξpas luy en demander Ξtout haut .
Mais Galathee s'Ξaddressant adressant au jeune homme : - Voyla,
dit-elle, Sylvie, il ne tiendra qu'a vous que vous
ne paracheviez vostre message, puis que vous voulez
que Leonide, et moy y soyons. - Madame, dit
Egide s'Ξaddressant adressant à Sylvie, Ligdamon, mon maistre,
le plus Ξfidele fidelle serviteur que vos merites vous
ayent jamais acquis, m'a commandé de vous faire
sçavoir quelle a esté sa fortune, ne voulant autre
chose du Ξciel Ciel pour recompense de sa fidelité, sinon
qu'une estincelle de pitié vous touche, puis que
nulle de celles de l'Amour n'a Ξpû peu approcher le
glaçon de vostre cœur. - Et quoy, dit Galathee,
en l'interrompant, il semble qu'il fasse son
testament. Comme se porte-t'il ? - Madame, dit-il,
s'addressant à
Galathee, je le vous diray, s'il vous plaist de
m'en donner le loisir. Et puis, retournant à Sylvie, il continua de ceste
sorte.
[ 365 verso sic 355 verso ] 1607 fonctionnelle
Histoire de Ligdamon.
Apres que Ligdamon eut pris congé de vous, il
partit avec Lindamor, accompagné de tant de beaux
desseins, qu'il ne se promettoit rien moins que
d'acquerir par ce voyage ce que ses services
n'avoient Ξpû peu par sa presence, resolvant de faire
tant d'actes signalez, qu'Ξou on η le nom de vaillant, que
ses victoires luy donneroient, vous seroit agreable,
ou bien mourant, il vous en laisseroit du regret.
En ce dessein, ils parviennent à l'armée de ΞMeroüé Meroüée, Prince remply de toutes les perfections qui
sont requises à un conquerant, et arriverent si à
propos que la bataille avoit esté assignée le
septiesme jour d'apres ; de sorte que tous ces
jeunes Chevaliers n'avoient autre plus grand soucy
que de visiter leurs armes et remettre leurs chevaux
en bon estat. Mais ce n'est Ξd'eux tous deux η de qui j'ay à vous parler ; c'est
pourquoy passant sous silence tout ce qui ne touche Ξà Ligdamon a Lygdamon, je vous diray que le jour assigné à ce
grand combat estant venu, les deux armées sortent
de leur camp, et à veuë l'une de l'autre, se mettent
en bataille. Icy un Ξescadron esquadron de cavalerie, là un
bataillon de gens de pied ; icy les tambours, là
les trompettes ; d'un costé, le hannissement des
chevaux, de l'autre les voix des soldats
retentissoient de tant de bruit, que l'on pouvoit
bien alors
[ 366 recto sic 356 recto ] 1607 fonctionnelle
dire, que Bellonne l'effroyable rouloit
dans ceste campagne, et estalloit tout ce qu'elle avoit
de plus horrible en sa Gorgonne. Quant à moy, qui n'avois jamais esté en semblable
occasion, j'estois si estourdy de ce que j'oyois et si
esbloüy de l'esclair des armes, qu'en verité je ne
sçavois où j'estois, toutefois ma resolution fut de
Ξne point n'abandonner mon maistre, car la nourriture que
d'enfance il m'avoit donnée, m'obligeoit, ce me
sembloit, à ne Ξle point esloigner l'eslongner en ceste occasion, où rien
ne se representoit à nos yeux qu'avec les enseignes
de la mort.
Mais ce ne fut rien au prix Ξ*du bruit, de la confusion, ou pour mieux dire du cahos en quoy de l'estrange confusion, lors que
tous ces escadrons et tous ces bataillons se meslerent, quand le signal de la bataille se
donna, car la cavalerie attaqua celle de l'ennemy,
et l'infanterie de mesme, avec Ξsi grands cris, et de si grands bruits des armes, et des chevaux un si grand bruit, que les hommes, les armes et les chevaux faisoient,
qu'on n'eust pas oüy tonner. Apres
avoir passé plusieurs nuës de traits, je ne sçaurois
vous raconter au vray comment je me Ξtreuvay trouvay avec mon
maistre au milieu des ennemis, où Ξ*toute la peine que j'avois n'estoit que d'avoir pitié de ceux que l'espée de Ligdamon alloit détranchant, comme si les armes qu'ils portoient n'eussent esté que d'escorce je ne faisois qu'admirer les grands coups de l'espee de Lindamor η ;
Et sans mentir, belle Nymphe, je luy vis faire tant
de merveilles, que l'une me fait oublier l'autre.
Tant y a que sa valeur fut telle que ΞMeroüé Meroüée voulut
sçavoir son nom, comme l'ayant remarqué ce jour là
entre tous les Chevaliers. Des ja ce premier escadron estoit victorieux, et les nostres commençoient à se
Ξrallier r'allier pour aller attaquer le
[ 366 verso sic 356 verso ] 1607 fonctionnelle
second, quand l'ennemy
pour faire un entier effort, fit marcher tout ce qui
luy restoit, afin d'investir si promptement ceux-cy,
que ΞMeroüé Meroüée ne les pûst secourir à temps, et certes
s'il eust eu affaire à un Capitaine moins experimenté
que cestuy-cy, je croy bien que son dessein eust eu Ξeffet effect, mais ce grand Ξsoldart soldat, jugeant le desespoir
de l'adversaire, fit partir en mesme temps trois
escadrons nouveaux, deux aux deux ayles et le
troisiesme en queuë du premier Ξet cela si à propos qu'ils
soustindrent une partie du premier choc, toutefois
nous qui estions Ξfort avancez, nous Ξtreuvasmes trouvasmes fort
outragez du grand nombre. Mais je ne veux icy vous ennuyer par une particuliere
description de ceste journée, aussi bien n'en
sçaurois-je venir à bout. Tant y a qu'au mesme temps
les deux infanteries s'estant Ξrencontrées rencontrees, celle
de ΞMeroüé Meroüée eut du meilleur, et autant que nous
Ξgagnions gaignions du terrain sur ceux de Cheval, autant en
perdoit l'infanterie de l'ennemy. Si est-ce qu'au
choc que nous receusmes, il y eut plusieurs des nostres
portez par terre, outre ceux que les traits de
l'infanterie dés le commencement de la bataille
avoient des-ja mis à pied ; car Ξd'abort d'abord l'ennemy
faisant desbander quelques Ξ*enfants perdus Archers, nous fit tirer
sur les ayles tant de traits que nostre cavalerie
n'osant quitter son rang, eut beaucoup à souffrir,
avant que ΞMeroüé Meroüée y eust envoyé des siens, pour
escarmoucher avec eux.
Et entre ceux qui au second effort en furent
incommodez, Clidaman
[ 367 recto sic 357 recto ] 1607 fonctionnelle
en fut un, car son cheval tomba
mort Ξsous luy , de trois coups de flesches. Ligdamon qui avoit
tousjours l'œil sur luy, soudain qu'il le vid en
terre poussa son cheval d'extreme furie, et fit tant
d'armes qu'il fit un rond de corps morts à l'entour
de Clidaman, qui cependant eut loisir de se
dépestrer de son cheval. La furie de l'ennemy qui à la cheute de Clidaman s'estoit renforcée en ce lieu,
l'eust en fin estouffé sous les pieds Ξde leurs des chevaux, sans
le secours, et sans la valeur de mon maistre,
Ξ*car se jettant à terre, quoy qu'au commencement Clidaman le refusast, en fin il accepta son cheval, et luy demeura à pied, et si pressé entre les chevaux, que je le vis plusieurs fois sabouler aux pieds, alors m'approchant de luy, et me mettant en terre, je luy offris mon cheval, mais il se trouva si blessé, et si pressé qu'il ne pût remonter. qui se jettant à terre, le remit sur son cheval, demeurant à pied si blessé, et si pressé des ennemis, qu'il ne peut monter sur le Cheval que je luy menois. En ce point les nostres furent forcez de
reculer, comme se Ξressentant sentant affoiblis, à ce que je croy,
du bras invincible de mon maistre, et le Ξmalheur mal-heur fut
si grand pour nous, que nous nous trouvasmes Ξentournez au milieu
de tant d'ennemis, qu'il n'y eut plus d'esperance de
salut. Toutefois Ligdamon ne voulut jamais se rendre, et
quoy qu'il fust blessé, et si las que l'on peut imaginer,
si n'y avoit-il si hardy, voyant les grands coups
qui sortoient de son bras, qui osast l'attaquer.
En fin à toute furie de chevaux, cinq ou six le
vindrent Ξhurter heurter, et si à l'impourveu qu'ayant donné
de son espée dans le poitral du premier cheval, elle
se rompit pres de la garde, et le cheval frappé dans
le cœur, luy tomba dessus. Je courus alors pour le
relever, mais dix ou douze qui se jetterent
[ 367 verso sic 357 verso ] 1607 fonctionnelle
sur luy
m'en empescherent, et ainsi Ξdemi morts tous deux nous fusmes enlevez, et fut un si grand malheur, encor plus desastré tous deux demy morts, nous fusmes enlevez. Et cét accident fut encor plus mal-heureux,
en ce que presque en mesme temps les nostres
recouvrerent ce qu'ils avoient perdu du champ, par Ξle les secours que Childeric Ξy donna de toute l'arriere-garde,
et depuis allerent tousjours Ξgagnant gaignant le champ, jusques à ce que sur le soir l'entiere route se donna, et que
les logis des ennemis furent bruslez, et eux la
pluspart pris ou tuez.
Quant à nous, nous fusmes conduits en leur principale
ville nommée Rhotomaghe, où mon maistre ne fut si tost
arrivé, que plusieurs le vindrent visiter, les uns se
Ξdisant disans ses parents, les autres ses amis, encor qu'il
n'en Ξcognust conneust point. Quant à moy je ne sçavois que
dire, ny luy que penser, de Ξ*se voir faire tant de caresses par ces barbares voir que ces estrangers luy faisoient tant de caresses, mais nous fusmes encor
plus estonnez quand une Dame Ξhonorable honnorable, fort bien
suivie, le vint visiter, disant que c'estoit son fils,
avec tant de demonstration d'amitié que Ligdamon en estoit comme hors de soy, et Ξdavantage encores d'avantage encore
quand elle luy dit : - O Lydias, mon enfant, avec
combien de contentement et de crainte vous Ξvoicy vois-je
icy ! Car je loüe Dieu qu'à la fin de mes jours je
vous puisse voir si estimé au rapport de ceux qui
vous ont pris. Mais helas quelle crainte est la
mienne, de vous voir en ceste ville si cruelle, puis
que vostre ennemy Aronte est mort des Ξblessures blesseures
qu'il a Ξeu euës de vous, et
[ 368 recto sic 358 recto ] 1607 fonctionnelle
que vous avez esté Ξcondanné condamné à mort par ceux de la Ξjustice Justice ? Quant à moy je n'y
sçay autre remede que de vous rachepter promptement,
et attendant que vous soyez guery vous tenir caché,
afin que pouvant monter à cheval vous vous retiriez
avec les Francs.
Si Ligdamon fut estonné de ce discours, vous le
pouvez juger, et Ξcognut connut bien en fin qu'elle le
prenoit pour un autre. Mais il ne Ξpût peut η luy respondre,
Ξparce par ce qu'en mesme instant Ξentra dans la chambre celuy qui l'avoit pris celuy qui l'avoit pris entra dans la chambre, avec deux Ξdéputez Deputez de la ville,
pour prendre le nom et la qualité des prisonniers,
Ξdautant d'autant qu'il y en avoit plusieurs des leurs pris,
et ils Ξvouloient voulurent η les changer. La pauvre Dame fut fort
surprise, croyant qu'ils le vinssent Ξprendre saisir pour le
conduire en prison, et oyant qu'ils luy demandoient
son nom, elle faillit à le dire elle-mesme, mais mon
maistre la devança et se nomma Ligdamon Segusien.
Elle eut alors opinion qu'il se voulust dissimuler,
et pour oster tout soupçon elle se retira chez elle,
en resolution de le racheter si promptement, qu'il ne
Ξpûst pas peut η estre Ξrecognu reconnu. Et il estoit vray, que mon maistre
ressembloit de telle sorte à Lydias, que tous ceux
qui le Ξvoioyent voyoient le prenoient pour luy. Et ce Lydias
estoit un jeune homme de ce Ξpaïs pays-là, qui estant
amoureux d'une tres belle Dame, s'estoit battu avec
Aronte son rival, de qui la jalousie avoit esté telle,
qu'il s'estoit laissé aller au delà de son devoir,
Ξmédisant mesdisant d'elle et de luy ; Ξdequoy de quoi Lydias offensé,
apres luy en avoir
[ 368 verso sic 358 verso ] 1607 fonctionnelle
fait parler deux ou trois fois, afin qu'il changeast de discours, et croyant qu'il
prenoit pour crainte ce qui procedoit de la prudence de ce jeune homme, il fut en fin forcé, et de son
devoir, et de son Amour, d'en venir aux armes, et avec
tant d'heur qu'ayant laissé son ennemy comme mort en
terre, il eut loisir de se sauver des mains de la
Ξjustice Justice, qui depuis qu'Aronte fut mort le
poursuivit de sorte, qu'il fut encores qu'absent,
Ξcondanné condamné à la mort.
Ligdamon estoit tellement blessé, qu'il ne songeoit
point à toutes ces choses. Moy qui prevoyois le mal
qui luy en pourroit advenir, je pressois tousjours
la mere de le racheter, ce qu'elle fit, mais non
point si secrettement que les Ξennemis ennemys de Lydias n'en
fussent advertis ; si bien qu'a leur requeste, le
mesme jour que ceste bonne Dame ayant payé sa rançon,
le Ξfaisoit feroit η porter chez elle, ceux de la Ξjustice Justice y
arriverent, qui luy firent faire le chemin de la
prison, quoy que Ligdamon Ξsceust sceut dire, deceuz comme
les autres, de la ressemblance de ΞLydias Lycidas η.
Ainsi le voila au plus grand danger où jamais autre
Ξpûst peut estre pour n'avoir point failly, mais ce ne fut
rien au prix du lendemain, qu'il fut interrogé sur les
points, dont il estoit tant ignorant, qu'il ne sçavoit
que leur dire. Toutefois ils ne laisserent de
ratifier le premier jugement, et ne luy donnerent
autre terme que celuy de la
guerison de ses playes. Le bruit Ξincontinant court incontinent courut
par toute la ville, que Lydias est prisonnier, et
qu'il a esté Ξcondanné condamné,
[ 369 recto sic 359 recto ] 1607 fonctionnelle
non point à mourir comme
meurtrier seulement, mais comme rebelle, ayant esté
pris avec les armes en la main Ξpour les Françons pour les Francs, qu'à ceste occasion on le Ξmettroit mettoit dans la cage des
Lyons. Et cela estoit vray que leur coustume de tout
temps estoit telle, mais Ξon ne la luy avoit voulu prononcer on ne luy avoit voulu prononcer cest arrest, afin qu'il ne se Ξfist fit mourir.
Toutefois on ne parloit d'autre chose dans la ville,
et la voix en fut tellement espanduë, qu'elle en vint
jusques à mes aureilles, dont Ξespouvanté espouventé je me
desguisay de sorte avec l'aide de ceste bonne Dame
qui l'avoit racheté, que je Ξvins viens η à Paris
Ξtrouver trouve η ΞMeroüé Meroüée, et
Clidaman, ausquels je fis entendre cét
accident, dont ils Ξen furent fort estonnez, leur
semblant presque impossible que deux personnes se
ressemblassent si fort qu'il n'y eust point de
difference. Et pour y remedier ils y envoyerent
promptement deux Ξherautz herauts d'armes, pour faire sçavoir
aux Ξennemis ennemys l'erreur en quoy ils estoient, mais
cela ne fut que le leur persuader davantage, et leur
faire haster l'execution de leur jugement.
Les playes de Ligdamon estoient des-ja presque
gueries, de sorte que pour ne luy donner plus de
loisir ils luy prononcerent la sentence, qu'attaint
de meurtre et de rebellion, la justice ordonnoit
qu'il eust à mourir par les Lyons, destinez à telle
execution. Que Ξtoutefois toutesfois pour estre nay noble et
de leur patrie, luy faisant grace, ils luy permettoient
de porter l'espee et le poignard comme estant armes de
Chevalier, desquelles,
[ 369 verso sic 359 verso ] 1607 fonctionnelle
s'il en avoit le courage,
il pourroit se deffendre, ou essayer pour le moins de
venger genereusement sa mort. Et Ξà en mesme temps ils firent dans leur conseil response à ΞMeroüé Meroüée, qu'ils
chastieroient ainsi tous leurs Ξcompatriottes compatriotes, qui
seroient traistres à leur patrie.
Voila le pauvre Ligdamon en extreme danger ;
toutefois ce courage qui ne Ξfleschit fleschissoit jamais que Ξdessous sous
l'Amour, voyant qu'il n'y avoit point d'autre remede,
se resolut à sa conservation le mieux qu'il Ξpût peust.
Et Ξdautant d'autant que Lydias estoit des meilleures familles
des Neustriens, presque tout le peuple s'Ξassembla assemble
pour voir ce spectacle. Et lors qu'il se vid prest à
estre mis dans Ξcet horrible cest horible camp clos, tout ce qu'il Ξrequit requist fut de combattre les ΞLyons Lions un à un. Le peuple
qui oüyt une si juste demande, la fit accorder par ses
Ξacclamations exclamations et Ξbattements battemens de mains, Ξquelle difficulté quelques difficultés η que les parties y missent, si bien que le
voila mis seul dans la cage, et les ΞLyons Lions qui à travers
les barreaux Ξvoient voyoient ceste nouvelle proye, rugissoient
si espouvantablement, qu'il n'y avoit celuy des
assistans qui n'en paslist.
Sans plus Ligdamon sembloit Ξassuré asseuré entre tant de
dangers et prenant garde à la premiere porte qui
Ξs'ouvriroit s'ouvrit, Ξafin à fin de Ξn'estre n'y estre point surpris, il vid
sortir un ΞLyon Lion furieux, à la hure herissée, qui dés
l'abord ayant trois ou quatre fois battu Ξde la queuë sur le terrain la terre de
sa queuë, commença d'estendre ses grands bras, et
Ξentreouvrir entr'ouvrir les ongles, comme luy voulant monstrer
de quelle mort il mourroit. Mais Ligdamon
[ 370 recto sic 360 recto ] 1607 fonctionnelle
voyant
bien qu'il n'y avoit nul salut que en sa valeur, aussi
tost qu'il le void Ξdesmarcher démarcher, luy darde si à propos
son poignard, qu'il le luy planta dans l' Ξestomac estomach jusques à la poignée, dont l'animal
Ξtomba mort à mesme instant estant touché au cœur tomba mort en mesme instant.
Le cry Ξfut grand de tout le peuple de tout le peuple fut grand, car chacun esmeu
de Ξ*sa belle disposition son adresse, de sa valeur, et de son courage, le
favorisoit en son ame. Luy toutefois qui sçavoit
bien que la rigueur de ses Ξjuges Juges ne s'arresteroit
pas là, courut promptement reprendre son poignard, et
presque en mesme temps, voila un autre ΞLyon Lion, non moins
effroyable que le premier, qui aussi tost que sa
porte fut ouverte, vint, la gorge beante de telle
furie, que Ligdamon en fut presque surpris. Toutefois
au passer il se destourna un peu, et luy donna un si
grand coup d'espée sur une pate, qu'il la luy couppa,
de quoy l'animal en furie se tourna si promptement
Ξà vers luy que du heurt il le jetta Ξen par terre. Mais sa
fortune fut telle, qu'en tombant, et le ΞLyon Lion se
lançant dessus, il ne fit que tendre son espée, qui
luy donna si à propos sous le ventre, qu'il tomba
mort presque aussi promptement que le premier. Cependant que Ligdamon alloit ainsi disputant sa vie,
voila une Dame, belle entre les plus belles
Neustriennes, qui se mit à genoux devant les Ξjuges Juges,
les suppliant de faire Ξsursoir surseoir l'execution jusques
à ce qu'elle eust parlé. Eux qui la Ξcognurent connurent pour
estre des principales du Ξpaïs pays, voulurent bien la
gratifier de ceste faveur, et mesme que c'estoit
[ 370 verso sic 360 verso ] 1607 fonctionnelle
celle-cy pour qui Lydias avoit tué Aronte : elle
s'appelloit Amerine.
ΞAinsi donc le combat sursoyé, ceste jeune Dame dit aux juges Et lors elle leur parla de ceste sorte d'une voix
assez Ξ(Guillemets de "voix" à "voyant".) honteuse : - Messieurs, l'ingratitude doit estre
punie comme la trahison, puis que ç'en est une espece,
c'est pourquoy voyant Lydias Ξcondanné condamné pour avoir
esté contraire à ceux de sa patrie, je craindrois
l'estre η, sinon de vous, sans doute de nos Dieux, si
je ne me Ξressentois sentois obligée à sauver la vie à qui Ξl'a la η voulu mettre pour me sauver l'honneur. C'est pourquoy
je me presente devant vous, Ξassurée asseurée sur nos
privileges
qui ordonnent que tout homme Ξcondanné condamné à mort en est
Ξabsoubs delivré quand une fille le demande pour son mary,
soudain que j'ay sçeu vostre jugement, je suis venuë
en toute diligence le vous requerir, et n'ay Ξpû peu y
estre si tost qu'il n'Ξait ayt couru la fortune que chacun
a Ξveu veuë ; toutefois puis que Dieu me Ξl'a la η conservé si
heureusement, vous ne devez me le refuser injustement.
Tout le peuple qui oüyt ceste demande, cria d'une
joyeuse voix : - Grace, grace. Et quoy que les ennemis
de ΞLydias Lidias poursuivissent le contraire, si fut-il
conclud que les privileges du païs auroient lieu.
Ξ*Et ainsi le firent sortir de ce danger : mais helas ! pour le remettre en un plus grand malheur Mais, helas ! Ligdamon ne sortit de ce danger que pour r'entrer comme je croy en un plus grand, car
estant conduit devant les Ξjuges Juges, ils luy firent
entendre les coustumes du Ξpaïs pays, qui estoient telles :
que tout homme attaint et convaincu de Ξquel quelque crime
que ce pûst estre, seroit Ξabsous delivré des rigueurs de la
justice si une fille le demandoit
[ 371 recto sic 361 recto ] 1607 fonctionnelle
pour son mary, de
sorte, que s'il vouloit l'espouser il seroit
remis en liberté, et pourroit vivre avec elle.
Luy qui ne la cognoissoit point se trouva fort empesché à leur respondre ; toutefois ne voyant autre
remede d'eschapper du danger où il estoit, il le
promit, esperant que le temps luy apporteroit
quelque expedient pour sortir de ce Labyrinthe. Amerine qui avoit tousjours Ξrecognu recogneu Lydias tant
amoureux d'elle, ne fut pas peu estonnée d'une si
grande froideur ; toutefois jugeant que l'effroy
du danger où il avoit esté, le rendoit ainsi hors
de luy, elle en eut plus de pitié, et le mena chez
la mere de Lydias, qui estoit celle qui avoit procuré
ce mariage, sçachant qu'il n'y avoit point d'autre
remede pour sauver son fils, outre qu'elle n'ignoroit
pas l'Amour qui estoit entre-eux, Ξ*estant donc avec ceste bonne Dame ce qui luy faisoit
presser la conclusion du mariage le plus qu'il luy
estoit possible, pensant plaire à son fils. Mais au
contraire c'estoit avancer la mort de celuy qui
n'en pouvoit Ξmaits mais. Hé ! mon cher Maistre, quand je me
ressouviens des dernieres paroles que vous me Ξdittes distes,
je ne sçay comme il est possible que je vive.
Toutes choses estoient prestes pour le mariage, et
failloit η que le lendemain il se parachevast, quand
le soir il me tira à part, et me dit : - Egide mon
amy, vis-tu jamais une semblable fortune à celle-cy,
que l'on me Ξveuille vueille faire croire que je ne suis pas
moy-mesme ? - Ξ*Mon Maistre Seigneur, luy dis-je, il me semble,
qu'elle
[ 371 verso sic 361 verso ] 1607 fonctionnelle
n'est pas mauvaise. Amerine est belle et
riche, tous ceux qui se Ξdient disent vos Ξparents parens sont les
principaux de ceste contree, que pourriez-vous desirer
mieux ? - Ah ! Egide, me dit-il, que tu parles bien à ton
aise. Si tu sçavois l'estat en quoy je me trouve, tu
en aurois pitié. Mais prends bien garde à ce que je
te Ξvas vay dire, et sur toute l'obligation que tu m'as,
et l'amitié que j'ay tousjours cognuë en toy, ne faits
faute aussi tost que demain j'auray fait ce à quoy
je me resouls, de porter ceste lettre à la belle ΞSilvie Sylvie,
et luy racontes tout ce que tu auras veu. Et de plus,
Ξassure luy asseure la que jamais je n'ay aimé qu'elle, qu'aussi
n'en aimeray-je jamais d'autre. A ce mot il me donna ceste lettre, que je garday
fort soigneusement, jusques au lendemain, qu'à
l'heure mesmes qu'il partit pour aller au ΞTemple temple, il
m'appella, et me commanda de me tenir pres de luy,
et me fit encor rejurer de vous venir trouver en
diligence. En mesme temps on le vint prendre pour le
Ξmetre mettre sur le chariot nuptial η, où des-ja la belle
Amerine estoit assise, avec un de ses oncles qu'elle
aimoit et honoroit comme pere. Elle estoit au milieu
de Ligdamon et de Caristes, ainsi s'appelloit son
oncle, toute voilée d'un grand voile jaune, et ayant
sur la teste aussi bien que Ligdamon le Thyrse ;
il est vray que celuy de mon maistre estoit fait
de ΞSisymbre Symbre η, et celuy d'Amerine de la picquante
et douce Aspharagone. Devant le chariot marchoit toute
leur famille, et apres suivoient leurs parents, et
proches, alliez, et
[ 372 recto sic 362 recto ] 1607 fonctionnelle
Ξamis amys. En ce triomphe ils arriverent au Temple, et furent
menez à l'Ξautel hostel η d'Hymen, au devant duquel Ξestoient allumez cinq torches cinq torches estoient allumées. Au costé droit d'Hymen,
on avoit mis ΞJuppiter et Juno Jupiter et Junon, au gauche, Venus
et Diane. Quant à Hymen il estoit couronné de
fleurs et d'odorante Marjolaine, tenant de la main
Ξdroitte droite un flambeau, et de la gauche un voile de mesme
couleur à celuy qu'Amerine portoit, comme aussi les
brodequins qu'il avoit aux pieds.
Dés lors qu'ils entrerent dans le Temple, la mere de
Lydias et d'Amerine allumerent leurs torches. Et
lors le grand Druide s'approchant d'eux, Ξadressa addressa sa parole à mon Maistre, et luy demanda : - Lydias
voulez vous bien Amerine pour mere de famille ? Il
demeura quelque temps sans respondre, enfin il fut
contraint de dire qu'ouy. Lors le Druide se tournant
Ξà vers elle : - Et vous Amerine voulez-vous bien
Lydias pour pere de famille ? Et luy respondant oüy,
leur prenant les mains et les mettant ensemble il
dit : - Et moy je vous donne de la part des grands
Dieux l'un à l'autre, et pour arres, mangez
ensemble le Condron, et lors prenant le gasteau
d'orge, ΞLydias mon Maistre le couppa, et l'ayant espars, elle
en Ξramassa r'amassa les pieces, Ξet dont selon la coustume Ξen ils
mangerent ensemble.
Il ne restoit plus pour parachever toutes les
ceremonies, que
prendre le vin ; il se tourna Ξà vers moy et me dit :
- Or sus amy, pour le plus agreable service que tu me
fis jamais, apporte moy la tasse. Je le fis, helas,
par mal-heur trop diligent. Aussi tost qu'il l'eut
Ξà en la
[ 372 verso sic 362 verso ] 1607 fonctionnelle
main d'une voix fort haute : - O Ξpuissants puissans
Dieux ! qui sçavez, dit-il, qui je suis, ne vangez
point ma mort sur ceste belle Dame, qui en l'erreur
de me prendre pour un plus heureux que Ξmoy je ne suis,
me conduit à ceste sorte de mort.
Et à ce mot il Ξbut bût tout ce qui estoit dans la
Ξcoupe couppe, qui estoit contre la coustume, parce que le
mary n'en beuvoit que la moitié, et la femme Ξl'autre, le reste. Ξde quoy elle Elle dit en sousriant : - Et quoy amy Lydias
il semble Ξdit-elle que vous ayez oublié la coustume ? Vous
m'en Ξdeviez devez laisser ma part. - Dieu ne le permette,
dit-il, Ξ*belle sage Amerine, car c'est du poison que j'ay
esleu Ξplutost plustost pour finir ma vie, que manquer à ce
que je vous ay promis, et à l'affection aussi que je
doy à la belle ΞSilvie Sylvie. - O Dieux, dit-elle, est-il
possible ? Et lors croyant que ce fut vrayement son Lydias,
mais Ξqui qu'il eust changé de volonté durant son absence,
ne voulant vivre sans luy, courut la tasse Ξà en la
main, où estoit celuy qui avoit le vin mixtionné,
car le jour auparavant Ligdamon l'avoit fait faire
à un Apotiquaire, et avant que l'on sçeust ce que
mon maistre avoit dit, et quelque deffense qu'il en
sçeut faire, Ξparce par ce que c'estoit la coustume, on luy
en donna la pleine tasse, qu'elle beut promptement.
Et puis revenant le trouver, elle luy dit : - Et bien
cruel et ingrat, tu as Ξplutost plustost aimé la mort que moy,
et moy, je l'aime mieux aussi que ton refus. Mais si
ce Dieu η, qui jusques icy a conduit nos affections, ne
me venge d'une ame si parjure en l'autre vie, je
croiray qu'il n'a point d'aureille
[ 373 recto sic 363 recto ] 1607 fonctionnelle
pour oüyr les faux
Ξserments sermens, ny point de force pour les punir.
Alors chacun s'approcha pour oüyr ces reproches,
et ce fut en mesme temps que Ligdamon luy respondit :- Ξ*Belle Discrette Amerine, j'advouë que j'aurois offensé, si
j'estois celuy que vous pensez que je sois. Mais
croyez moy qui suis sur la fin de mon dernier jour,
je ne suis point Lydias, je suis Ligdamon ; et en
Ξquelle quelque erreur que l'on puisse estre de moy à ceste
heure, je m'Ξassure asseure que le temps descouvrira ma
justice. Et cependant j'eslis Ξplutost plustost la mort que
de manquer à l'affection que j'ay promise à la belle ΞSilvie Sylvie, à Ξlaquelle qui je consacre ma vie, ne pouvant
autrement satisfaire à toutes deux.
Et lors il continua : - O belle ΞSilvie Sylvie, reçoy ceste
volonté que je t'offre, et permets que ceste derniere
action soit de toutes les
miennes la mieux receuë, puis qu'elle s'en va
emprainte de ce beau caractere de ma fidelité.
Peu à peu le poison alloit Ξgagnant gaignant les esprits de
ces deux nouveaux espousez η, de sorte qu'à peine
pouvoient ils respirer lorsque tournant les yeux
sur moy, il me dit : - Va mon ami, paracheve ce
que tu as à faire, et sur tout raconte bien ce que
tu as veu, et que la mort m'est agreable, qui
m'empesche de noircir la fidelité que j'ay Ξvoüée voüé η à la belle ΞSilvie Sylvie. ΞSilvie Sylvie, fut la derniere parole
qu'il dit ; car avec ce mot Ξsortit ceste belle ame cette belle ame sortit hors de ce corps, et je croy quant à moy que si jamais
Amant fut heureux aux Ξchamps Elysées champs Elysiens, Ξque mon maistre
le sera en attendant qu'il vous puisse revoir. - Et
Ξquoi quoy, dit ΞSilvie Sylvie, il est donc bien
[ 373 verso sic 363 verso ] 1607 fonctionnelle
vray que ΞLigdamon Lindamor η est mort ? - C'est sans doute,
respondit-il. - O ΞDieux dieux ! s'escria Silvie. A ce mot tout ce qu'elle Ξpût peut η faire fut de se jetter
sur un lit, car le cœur luy failloit, et apres avoir
demeuré quelque temps le visage contre le chevet, elle
pria Leonide qui estoit pres d'elle de prendre la
lettre de Ligdamon, et dire à Egide qu'il s'en allast
chez elle, Ξparce par ce qu'elle s'en vouloit servir. Ainsi Egide se retira, mais si affligé qu'il estoit
tout couvert de larmes.
Alors Amour voulut monstrer une de ses puissances ;
car ceste ΞNimphe Nymphe, qui n'avoit jamais Ξaimé aymé
Ligdamon en vie, à ceste heure qu'elle Ξoyt ouyt raconter
sa mort, Ξelle en monstre un si grand ressentiment,
" que la personne la plus passionnée d'Amour
" n'en auroit
point davantage. Ce fut sur
" ce propos que Galathée
parlant a Celadon Ξ(Guillemets de "disoit " à "quelque".) disoit
qu'à l'advenir elle
croiroit impossible, que une femme une fois en sa vie
n'aimast quelque chose. Car disoit-elle, ceste
jeune Nymphe a usé de tant de Ξcruautez à cruauté envers tous
ceux qui l'ont Ξaimée aymée, que les uns η en sont morts de
desplaisir, les autres η de desespoir se sont bannis
de sa veuë ; et mesme cestuy-cy qu'elle pleure mort,
elle l'a reduit autrefois à telle extremité, que
sans Leonide c'estoit fait de luy, de sorte que
j'eusse juré qu'Amour eust Ξplutost plustost eu place dans les
glaçons les plus froids des Alpes, que dans son
cœur, et toutefois vous voyez à ceste heure à quoy
elle est reduitte. - Madame, respondit le Berger, ne
croyez point que ce soit Amour, c'est Ξplutost plustost pitié.
A la verité il faudroit
[ 374 recto sic 364 recto ] 1607 fonctionnelle
bien qu'elle fust de la
plus dure pierre qui fut jamais, si le rapport que ce
jeune homme a fait, ne l'avoit bien vivement touchée ;
car je ne sçay qui ne le seroit en l'oyant raconter,
encor que l'on n'eust autre cognoissance de luy que
ceste seule action. Et quant à moy il faut que je die
la verité, je tiens Ligdamon plus heureux que s'il
estoit en vie, puis qu'il aimoit ceste Nymphe avec tant d'affection,
et qu'elle le rudoyoit avec tant de rigueur comme
j'ay sçeu. Car quel plus grand heur luy pouvoit-il
advenir que de finir ses miseres, et entrer aux
felicitez qui l'accompagnent ? Quel croyez-vous que
soit son contentement, de voir ΞSylvie le plaindre, le regretter, et estimer que Sylvie le plaint, le regrette, et estime son affection ? Mais je dis
ceste Sylvie, qui autrefois l'a tant Ξ(Guillemets de
"rudoyé" à "parvenir".) ] rudoyé ; et
puis qu'est-ce que desire l'Amant, que de pouvoir
rendre Ξassurée asseurée la Ξchose personne aymée de sa fidelité, et
de son affection ?
Et pour parvenir à ce point
quels supplices et quelles morts sçauroit-il
refuser, à ceste heure qu'il void d'où il est les
larmes de sa ΞSilvie Sylvie, qu'il oyt ses souspirs, quel
est son heur, et quelle sa gloire, non seulement
de l'avoir Ξassurée asseurée de son Amour, mais d'estre
luy-mesme tout certain qu'elle l'Ξaime ayme ? O non,
Madame, croyez moy, Ligdamon n'est point à plaindre,
mais si est bien Sylvie, car (et vous le verrez avec
le temps) tout ce qu'elle se representera sera
d'ordinaire les actions de Ligdamon, les discours
de Ligdamon, sa façon, son amitié, sa Ξvalleur valeur, bref,
cét idole luy ira volant d'ordinaire à l'entour,
presque
[ 374 verso sic 364 verso ] 1607 fonctionnelle
comme vengeur η des cruautez dont elle a
tourmenté ce pauvre Amant, et les repentirs qui l'iront
tallonnant en Ξces ses pensees seront les executeurs de la
justice d'Amour.
Ces propos se tenoient si haut, et si pres de Sylvie,
qu'elle les oyoit tous, et cela la faisoit crever,
car elle les jugeoit veritables. En fin apres les
avoir soustenuz quelque temps, et se recognoissant
trop foible pour resister à de si forts ennemis, elle
sortit de ceste chambre, et s'alla retirer en la
sienne, où alors il n'y eut plus de retenuë à ses
larmes. Car ayant fermé la porte apres elle, et prié
Leonide qu'elle la laissast seule, elle se rejette
sur le lict où, les bras croisez sur l'Ξestomach estomac, et
les yeux contre le Ξciel Ciel, elle alloit repassant par
sa memoire toute leur vie passée, quelle affection il
luy avoit tousjours Ξfait faict paroistre, comme il avoit
patienté ses rigueurs, avec quelle discretion il
l'avoit servie, combien de temps ceste affection avoit
duré, et en fin, disoit-elle, tout cela s'enclost
à Ξcet cest heure dans un peu de terre. Et Ξpuis s'arrestant un peu, elle s'alloit en ce regret, se ressouvenant de ses propres discours, de ses
Ξ*à-dieux, bref de tant de particularitez qu'elle Adieux, de ses impatiences, et de milles petites particularitez, elle fut contrainte de dire : - Tay toy,
memoire, laisse reposer les cendres de mon Ligdamon,
que si tu me tourmentes, je sçay qu'il te Ξdesadvoüera desavoüera pour sienne, et si tu ne l'Ξes és pas, je ne
te veux point. En fin apres avoir demeuré quelque
temps muette, elle dit : - Or bien la pierre en est
jettée, s'abrege, ou s'estende ma vie comme il plaira
aux Dieux, et à ma destinée, jamais je ne Ξlairray cesseray
[ 375 recto sic 365 recto ] 1607 fonctionnelle
d'Ξaymer aimer le Ξressouvenir souvenir de Ligdamon, de cherir son amitié et d'honorer ses vertus. Galathée cependant ouvrit la lettre qui estoit demeurée entre les mains de Leonide. Elle trouva qu'elle estoit telle.
Lettre de Ligdamon
a ΞSylvie SILVIE
Si vous avez Ξesté été offensée de l'outrecuidance qui m'a Ξfait vous aymer poussé à vous aimer, Ξla ma mort qui Ξm' s'en est ensuivie vous vengera. Que si elle vous est indifferente, je m'Ξassure asseure que ce dernier acte de mon affection me gaignera quelque chose de plus advantageux en vostre ame. S'il advient ainsi, je cheris la ressemblance de Lydias plus que ma naissance, puis que par elle je vins au monde pour vous estre ennuyeux, et que par celle-cy j'en sors vous estant agreable.
Ce sont sans mentir, dit Celadon, de grandes vengeances que celles d'Amour, et je me ressouviens qu'un Ξpasteur Pasteur des nostres fit dernierement sur le tombeau d'un mary jaloux, tels vers.
[ 375 verso sic 365 verso ] 1607 fonctionnelle
Sonnet.
sur le tombeau d'un
mary jaloux.
Dessous son pasle effroy ceste tombe relante,
Tient enclos l'ennemy du grand Dieu Cupidon,
De sa temerité la mort fut le guerdon,
Mort qui selon nos vœux fut encore trop lente.
C'est ce tyran cruel, dont la force Ξ*arrogante insolente
Rendoit larcin d'Amour ce qui doit estre un don,
Et desdaignant les feux, et l'Amoureux brandon,
Retenoit la pitié, desesperoit l'attente.
C'est ce jaloux Argus, dont les cent yeux tousjours,
Curieux importuns veilloient sur nos Amours,
Et faisoient nos espoirs mourir avant que naistre.
Mais l'Amour par la mort, à la fin s'est vengé,
Apprenez, ô mortels ! Comme Amour outragé
Fait, quoy qu'il tarde, en fin sa vengeance η paroistre.
- Il est tout vray, respondit Galathée qu'Amour ne laisse jamais une offense contre luy impunie, et de là vient que nous voyons en cecy de plus estranges accidents qu'en tout le reste des actions humaines. Mais si cela est, Celadon, comment ne fremissez vous de peur ? Comment n'attendez vous de moment à autre
[ 376 recto sic 366 recto ] 1607 fonctionnelle
les traits vengeurs de ce Dieu ? - Et pourquoy, dit
le Berger, dois-je craindre, puis que c'est moy qui
suis l'Ξoffensé offencé ? - Ah Celadon ! dit la Nymphe, si
toutes choses estoient justement balancées, combien
vous trouveriez-vous plus pesant aux Ξoffenses offences que
vous Ξfaittes faites, qu'en celles que vous recevez. - C'est
là, luy dit Celadon, c'est là le comble du mal-heur,
quand un affligé est creu bien heureux, et Ξ(Guillemets de "quand" à "Mais".) qu'on le void
languir sans en avoir pitié. - Mais, respondit la
Nymphe, dittes moy Berger, entre toutes les plus
grandes offenses, celle Ξ(Guillemets de "Entre" à "puis".) de l'ingratitude ne tient elle
pas le premier lieu ? - Si fait sans Ξdoutte doute,
respondit-il. - Or puis qu'il est ainsi, continua Galathée, comment
vous en pouvez vous laver, puis qu'à
tant d'amitié que je vous Ξfais faits paroistre, je ne reçois
de vous que froideur, et que desdain ? Il a fallu en
fin que j'aye dit ce mot. Voyez vous Berger, estant
ce que je suis, et voyant ce que vous estes, je
ne puis penser que je n'aye offensé en quelque chose
Amour, puis qu'il me punit avec tant de rigueur. Celadon fut extremement marry d'avoir commencé ce
discours, car il l'alloit fuyant le plus qu'il luy
estoit possible ; toutefois puis que c'en estoit
fait, il resolut de Ξluy en oster le doutte l'en esclaircir entierement, et
ainsi il luy dit : - Madame, je ne sçay comment
respondre à vos paroles, sinon en rougissant, et
toutefois Amour qui vous a fait parler, me contraint
de vous respondre. Ce que vous nommez en moy
ingratitude, mon affection le nomme devoir, et quand il
vous plaira
[ 376 verso sic 366 verso ] 1607 fonctionnelle
d'en sçavoir la raison, je la vous diray.
- Et quelle raison, interrompit Galathée,
pouvez vous dire, sinon que vous aymez ailleurs et
" que vostre foy vous oblige à cela ? Mais la loy
" Ξ(Guillemets de "de la" à "celuy".) de la nature η precede toute autre, ceste loy
" nous
commande de rechercher nostre bien, et
pouvez vous
en desirer un plus grand que celuy de mon amitié ?
ΞQuelle Qu'elle η autre
y a t'il en Ξ*cet estat ceste contrée qui soit ce
que je suis, qui puisse faire pour vous ce que je
puis ? Ce sont mocqueries, Celadon, que de s'arrester à ces sottises de fidelité et de constance,
paroles que les vieilles et Ξ(Guillemets de "celles" à "Celadon".) celles qui deviennent
laides ont
" inventées pour retenir par ces liens les
ames
" que leurs visages mettoient en liberté. On
" dit
que toutes vertus sont enchaisnées, la constance
" ne
peut donc estre sans la prudence,
" mais seroit-ce
prudence, Ξde desdaigner η le bien
" certain, pour fuir le
tiltre d'inconstant ? - Madame,
" respondit Celadon,
la prudence ne nous
" apprendra jamais Ξ(Guillemets de "de faire " à "puis-je".) de faire nostre
profit par un
" moyen honteux, ny la nature par ses
loix
" ne nous commandera jamais de bastir avant
" que
d'avoir Ξassuré asseuré le fondement. Mais y
" a t'il quelque
chose plus honteuse que Ξde n'observer
" pas ce qui est
promis ? Y a t'il rien
" de plus leger qu'un esprit
qui va comme
" l'abeille η, volant d'une fleur à l'autre,
attirée
" d'une nouvelle douceur ?
Madame, si la
fidelité
se pert, quel fondement puis-je faire en
vostre amitié ? Puis que si vous suivez la loy que
vous dittes, combien demeureray-je en ce bon-heur ?
Autant que vous demeurerez
[ 377 recto sic 367 recto ] 1607 fonctionnelle
en lieu où il n'y aura
point d'autre homme que moy ?
ΞAinsi alloient discourant ceste Nymphe et ce Berger La Nymphe et le Berger discouroient ainsi, cependant
que Leonide se retira en sa chambre pour faire la
despeche de Lindamor, qui fut enfin de s'en revenir
en toute diligence, sans que nul sujet le Ξpûst peust η
arrester, autrement qu'il desesperast de toute
chose. Et le lendemain que Fleurial revint, apres
luy avoir donné sa lettre, elle luy dit : - Voy-tu Fleurial, c'est à ce coup qu'il faut que tu fasses
paroistre par ta diligence l'amitié que tu portes Ξà a Lindamor, car le retardement ne peut luy Ξraporter r'apporter rien de moins que la mort. Va donc, où Ξplutost plustost vole,
et luy Ξdy dis qu'il revienne encore plus promptement, et
qu'à son retour il aille droit chez Adamas, parce
que je le luy ay entierement acquis, et qu'estant icy,
il sçaura la plus remarquable trahison d'Amour qui Ξayt ait
jamais esté inventée, mais qu'il vienne sans qu'on le
sçache, s'il est possible.
Ainsi partit Fleurial, si desireux de servir Lindamor,
qu'il ne voulut pas mesme retourner en la maison
de sa tante, pour Ξmesme ne perdre ce peu de temps, et pour
n'avoir occasion d'y envoyer celuy η que Lindamor
avoit Ξdepesché depeché, voulant luy mesme luy faire ce bon
service.
Ainsi s'écoulerent trois ou quatre jours, durant
lesquels Celadon se remit de sorte qu'il ne
ressentoit presque plus de mal, et des ja commençoit
de trouver long le retour du Druide, pour l'esperance
qu'il avoit de sortir de ce lieu. Et pour
[ 377 verso sic 367 verso ] 1607 fonctionnelle
abreger les
jours trop longs, il s'alloit quelquefois promener
dans le jardin, et d'autres dans le grand bois de
haute fustaye, mais non jamais sans y estre
accompagné
de l'une des Nymphes, et bien souvent de toutes trois.
L'humeur de Sylvie estoit celle qui luy plaisoit le
plus, comme Ξsimpathisant davantage sympathisant d'avantage avec la sienne ;
c'est pourquoy il la recherchoit le plus qu'il pouvoit.
Il advint qu'un jour, estans tous quatre au promenoir,
ils passerent devant la grotte de Damon, et de fortune, et Ξparce par ce que l'entrée sembloit belle et
Ξ*rare faitte avec un grand art, le Berger demanda ce que
c'estoit : à quoy Galathée respondit : - Voulez-vous,
Berger, voir une des plus grandes preuves qu'Amour ayt fait de sa puissance il y a Ξlong temps longtemps ? - Et
quelle est-elle ? respondit le Berger. - C'est, dit
la Nymphe, les Amours de Mandrague, et de Damon,
car pour la Bergere Fortune, c'est chose ordinaire.
- Et qui est, Ξrepliqua respliqua le Berger, ceste
Mandrague ? - Ξ(Guillemets de "cognoist" à "Galathée".) Si l'on cognoist à l'œuvre quel est
l'ouvrier, dit Galathée, à voir ce que je dis, vous
jugerez bien qu'elle est une des plus grandes
ΞMagiciennes magiciennes de la Gaule ; car c'est elle qui a fait
par ses enchantements ceste grotte, et plusieurs
autres raretez qui sont autour d'icy.
Et lors entrant dedans, le Berger demeura ravy en la
consideration de l'ouvrage. L'entrée estoit fort haute,
et spacieuse ; aux deux costez, au lieu de pilliers,
Ξc' estoient deux Termes, qui sur leur teste soustenoient
les bouts de la voute du portail.
[ 378 recto sic 368 recto ] 1607 fonctionnelle
L'un figuroit Pan,
et l'autre ΞSiringue Syringue, qui estoient fort
industrieusement revestus de petites pierres de
diverses couleurs, les cheveux, les sourcils, les
moustaches, la barbe, et les deux cornes de Pan, estoient de Ξcoquille coquilles de mer, si proprement mises,
que le ciment n'y paroissoit point. ΞSiringue Syringue qui
estoit de l'autre costé avoit les cheveux de roseaux,
et en quelques lieux depuis le nombril, on les voyoit
comme croistre peu à peu. Le tour de la porte estoit
par le dehors à la rustique, et Ξpandoient pendoient des festons
de coquille Ξratachez r'atachez en quatre endroits, finissant
aupres de la teste des deux Termes. Le dedans de la
voute estoit en pointe de rocher, qui Ξsembloient sembloit en
plusieurs lieux degoutter le Ξsalpaistre salpestre, et sur le
milieu s'entr'ouvroit Ξcomme en ovale, Ξdont par où toute la Ξclairté clarté
entroit dedans. ΞTout l'entour, tant par dedans que par dehors, estoit de tant en tant enrichy de statues Ce lieu, tant par dehors que par dedans, estoit enrichy d'un grand nombre de statuës,
qui enfoncées dans Ξleur leurs niches faisoient diverses
Ξfonteines fontaines, et toutes representoient quelque Ξeffett effect de la puissance d'Amour.
Au milieu de la grotte on voyoit le tombeau η eslevé
de la hauteur de dix ou douze pieds, qui par le haut
se Ξserroit fermoit en couronne, et tout à l'entour estoit
Ξgarni garny de tableaux, dont les Ξpaintures peintures estoient si
bien faittes que la veuë en decevoit le jugement.
La separation
de chaque tableau se faisoit par des demy pilliers de
marbre noir rayez, les encoigneures du tombeau, les
bazes, et les chapiteaux des demy colomnes, et la
cornice qui tout à l'entour
[ 378 verso sic 368 verso ] 1607 fonctionnelle
en façon de ceinture,
Ξratachoit r'atachoit ces tableaux, et de diverses pieces n'en
faisoit qu'une bien composee, estoit du mesme marbre.
La curiosité de Celadon fut bien assez grande, apres avoir
consideré le tout ensemble, pour desirer d'en sçavoir
les particularitez, et Ξafin à fin de donner occasion à la
Nymphe de luy en dire quelque chose, il loüoit
l'invention, et l'artifice de l'ouvrier. - Ce sont,
adjousta la Nymphe, les esprits de Mandrague, qui
depuis quelque temps ont laissé cecy pour tesmoignage,
que Ξ(Guillemets de "l'Amour" à "raconter à".) l'Amour ne pardonne non plus au poil chenu qu'aux
cheveux blonds,
et pour raconter à jamais à ceux qui
viendront icy les infortunées η Ξ*comme et fidelles Amours de
Damon, d'elle, et de la Bergere Fortune. - Et quoy,
repliqua Celadon, est-ce icy la Ξfonteine fontaine de la
verité d'Amour ? - Non, respondit la Nymphe, mais Ξce elle
n'est pas loing d'icy, et je voudrois avoir assez
d'esprit pour vous faire entendre ces tableaux, car
l'histoire est bien digne d'estre sceuë.
Ainsi qu'elle s'en approchoit, pour les luy expliquer,
elle vid entrer Adamas, qui estant de retour, et
ne trouvant point les Nymphes dans le logis, jugea
qu'elles estoient au promenoir, ΞEt où apres avoir caché
les habits qu'il portoit, il les vint trouver si à
propos, qu'il sembloit que la fortune le Ξconduit conduisit
là, pour luy faire desduire les Amours de ceste
Fortune. Aussi Galathée ne l'apperceut plutost
qu'elle Ξne s'escriast s'ecria : - O mon pere, vous voicy venu tout à
temps pour me sortir de la peine où j'estois.
[ 369 recto ] 1607 fonctionnelle
Et lors s'addressant à Celadon : - Voicy, Berger, qui satisfera au desir que vous avez de sçavoir ceste histoire. Et apres luy avoir demandé comme il se portoit, et que les salutations furent Ξfaittes faites d'un costé et d'autre, Adamas pour Ξobeïr obeyr au commandement de la Nymphe, et contenter la curiosité du Berger, s'approchant avec eux du tombeau, commença de ceste sorte.
Histoire de Damon
et de Fortune.
Ξ(Guillemets de "Tout" à "temps".) Tout ainsi que l'ouvrier se joüe de son œuvre, et en
fait comme il luy plaist, de Ξmesme mesmes les grands
Dieux, de la main desquels nous sommes formez,
prennent plaisir à nous faire joüer sur le theatre
du monde, le personnage qu'ils nous ont esleu. Mais
entre tous, il n'y en a point qui Ξayt ait des imaginations si Ξbisarres bigearres qu'Amour, car il rajeunit les vieux, et
envieillit les jeunes, en aussi peu de temps que dure
l'esclair d'un bel œil, et ceste histoire qui est
plus veritable que je ne voudrois, en rend une preuve
que mal-Ξaisément aysément peut-on contredire, comme par la
suitte de mon discours vous advoüerez.
[ 369 verso ] 1607 fonctionnelle
Tableau premier.
Voyez vous en premier lieu, ce Berger assis en terre,
le dos appuyé contre ce chesne, les jambes croisees,
qui joue de la cornemuse ? C'est le beau Berger Damon, qui eut ce nom de beau, pour la perfection
de son visage. Ce jeune Berger paissoit ses brebis le long de vostre
doux Lignon, estant nay d'une des meilleures familles
de Mont-verdun, et non point trop esloigné parent
de la vieille Cleontine, et de la mere de Leonide, et
par consequent en quelque sorte mon allié η. Prenez
garde comme ce visage, outre qu'il est beau, represente
bien Ξnaïvement naïfvement une personne qui n'a soucy que de se
contenter Ξsoy-mesme ; car vous y voyez je ne sçay quoy d'ouvert
et de serain, sans trouble ny nuage de fascheuses
imaginations. Et au contraire tournez les yeux sur
ces Bergeres qui sont autour de luy, vous jugerez bien
à la façon de leur visage, qu'elles ne sont pas sans
peine, car autant que Damon a l'esprit libre et
reposé, autant ont ces Bergeres les cœurs
passionnez pour luy, encor, comme vous voyez, qu'il
ne daigne tourner les yeux sur elles, et c'est
pourquoy on a Ξpaint peint tout aupres, à costé droit en
l'air, ce petit enfant nud, avec l'arc et le flambeau
en la main, les yeux bandez, le dos aylé, l'espaule
chargee d'un carquois, qui le menace de l'autre main.
C'est Amour, qui offensé du mespris
[ 370 recto ] 1607 fonctionnelle
que ce Berger
fait de ces Bergeres jure qu'il se vengera Ξ*et elles aussi de luy.
Mais pour l'embellissement du Ξtableau Tableau, prenez garde
comme l'art de la Ξpainture peinture y est bien Ξobservée observé, soit
aux Ξraccourcissements raccourcissemens, soit aux ombrages, ou aux
proportions. Voyez comme il semble que le bras du
Berger s'enfonce un peu dans l'Ξenflure enfleure de cet
instrument, et comme la cane par où il souffle,
semble en haut avoir un peu perdu de sa Ξtainture teinture,
c'est parce que la bouche moitte la luy a ostée.
Regardez à main gauche comme ses brebis paissent,
voyez-en les unes couchées à l'ombre, les autres
qui se Ξleichent leschent la jambe,
les autres comme estonnées qui regardent ces deux
ΞBelliers Beliers qui se viennent heurter de toute leur force.
Prenez garde au tour que Ξcestui-cy cestuy-cy fait du col, car
il baisse la teste en sorte, que l'autre l'attaquant
rencontre seulement ses cornes, mais le
raccourcissement du dos de l'autre est bien aussi
artificiel, car la nature qui luy apprend que la
vertu unie a plus de force, le fait tellement resserrer
en un monceau, qu'il semble presque rond. Le devoir
mesme des chiens n'y est pas oublié, qui pour s'opposer
aux courses des loups, se tiennent sur les Ξayles aisles
du costé du bois. Et semble qu'ils se Ξsoient soyent mis
comme trois sentinelles, sur des lieux relevez, Ξafin à fin de voir de plus loing, Ξou où comme je pense, Ξafin à fin de se voir l'un l'autre, et se secourir Ξà en la necessité. Mais considerez la soigneuse industrie du Ξpaintre peintre. Au lieu que les chiens qui dorment sans soucy, ont
accoustumé de se mettre en
[ 370 verso ] 1607 fonctionnelle
rond et bien souvent se Ξcachant cachent la teste sous les pattes, presque pour se desrober la Ξclairté clarté, ceux qui sont Ξpaints peints icy sont couchez d'une autre sorte, pour monstrer qu'ils ne dorment pas, mais reposent seulement ; car ils sont couchez sur Ξleurs les quatre pieds, et ont le nez tout le long des jambes de devant, Ξtenant tenans tousjours les yeux ouverts aussi curieusement qu'un homme sçauroit faire. Mais voyons l'autre tableau.
Tableau deuxiesme.
Voicy le second Tableau qui est bien contraire au
precedent, car Ξsi celuy-la est plein de mespris, Ξcestui-cy cestuy-cy l'est d'Amour, s'il ne monstre qu'orgueil, Ξcestui-cy cestuy-cy ne fait paroistre que douceur, et Ξsousmission submission,
et en voyez vous icy la cause.
Regardez ceste Bergere assise contre ce buisson, comme
elle est belle, et proprement vestuë : ses cheveux
relevez par devant, s'en vont folastrant en liberté
sur ses espaules, et semble que le vent, à l'envy de la nature par son souffle les aille recrespant en onde, mais c'est que jaloux des petits Amours qui
s'y trouvent cachez, et qui vont y tendant leurs Ξ*lassets lacs,
il les en veut chasser. Et de fait voyez en quelques
uns emportez par force, d'autres qui se tiennent aux
nœuds qu'ils y ont faits, et d'autres qui essayent
d'y retourner, mais ils ne
[ 371 recto ] 1607 fonctionnelle
peuvent, tant leur Ξayle encor aisle
encore foiblette est contrariee de l'importunité de
Zephir. C'est la belle Bergere Fortune, de qui l'Amour
Ξse veut veut se servir
pour faire la vengeance promise contre Damon, qui est
ce Berger que vous voyez debout pres d'elle appuyé
sur sa houlette. Considerez ces petits Amours qui sont tous embesoignez autour d'eux, et comme chacun est attentif à ce qu'il
fait. En voicy un qui prend la mesure des sourcils de
la Bergere, et la donne à l'autre, qui avec un
cousteau escarte son arc, Ξafin à fin de le compasser semblable à leur tour. Et voicy un autre qui ayant
Ξdesrobé dérobé quelques cheveux de ceste Ξbelle Belle, de si beau
Ξlarrececin larrecin veut faire la corde de l'arc de son
compagnon. Voyez comme il s'est assis en terre, comme
il a lié le commencement de sa corde au gros Ξarteil orteil,
qui se renverse un peu pour estre trop tiré : Ξvoyez prenez garde que pour mieux cordonner, un autre luy porte sa
pleine main de larmes de quelque Amant, pour luy
moüiller les doigts. ΞPrenez garde Considerez comme il tient les
reins je ne sçay comment pliez, que dessous le bras
droit vous luy voyez paroistre la moitié du devant,
encor qu'il monstre tout à Ξplein plain le derriere de
l'espaule droitte. En voicy un autre qui ayant mis la
corde à un des bouts de l'arc, afin de la mettre en
l'autre, baisse ce costé en terre, et du genoüil
gauche plie l'arc en dedans, de l'Ξestomac estomach il
s'appuie dessus, et de la main gauche, et de la droitte
il tasche de faire glisser la corde Ξjusques jusqu'en bas.
Cupidon est un peu plus haut, de qui la main
[ 371 verso ] 1607 fonctionnelle
gauche tient son arc, ayant la droitte encor derriere l'aureille, comme s'il venoit de lascher son trait, car voyez luy le coude levé, le bras retiré, les trois premiers doigts entr'ouverts, et presque estendus, et les autres deux Ξserrez retirez dans la main, et certes son coup ne fut point en vain, car le pauvre Berger en fut tellement blessé que la mort seule le Ξpût peut η guerir. Mais regardez un peu de l'autre costé, et voyez cét Anteros, qui avec des Ξchaînes chaisnes de roses, et de fleurs, Ξlye lie les bras, et le col de la belle Bergere Fortune, et puis les remet aux mains du Berger, c'est pour nous faire entendre, que les merites, l'Amour, et les services de ce beau Berger, qui sont figurez par ces fleurs, obligerent Fortune à une Amour reciproque envers luy. Que si vous trouvez estrange que Anteros soit icy representé plus grand que Cupidon, sçachez que c'est pour vous faire entendre que l'Amour qui Ξnaist n'aist η de l'Amour est tousjours plus grande que celle dont elle procede. Mais passons au troisiesme.
Troisiesme
Tableau.
Lors Adamas continua. Voicy vostre belle riviere de Lignon. Voyez comme elle prend une double source, l'une venant des
[ 372 recto ] 1607 fonctionnelle
montagnes de Cervieres, et l'autre
de Ξcelles de Charmasel Chalmasel, qui viennent se joindre un peu par
dessus la marchande ville de Boing.
Que tout ce Ξpaïsage paysage est bien fait, et les bords
tortueux de ceste riviere, avec ces petits aulnes
qui Ξla l'a η bornent ordinairement ! Ne Ξcognoissez connoissez vous
point icy le bois qui confine ce grand pré, où le
plus souvent les Bergers paresseux paissent leurs
trouppeaux ? Il me semble que ceste grosse touffe d'arbres à main gauche, ce petit Ξbié biez qui serpente
sur le costé droit, et Ξceste cette demie lune que fait la
riviere en cét endroit, vous le doit bien remettre
devant les yeux ; que s'il n'est à ceste heure du tout semblable, ce n'est Ξpas que le Tableau soit Ξfailly faux,
mais c'est que quelques arbres depuis ce temps-là
sont morts, et d'autres creus, que la riviere Ξen η des
lieux s'est advancée, et reculée en Ξdautres d'autres, et
toutefois il n'y a guiere de changement.
Or regardez un peu plus bas le long de Lignon, voicy
une trouppe de brebis qui est à l'ombre, voyez comme
les unes Ξlaschement ruminent ruminent laschement, et les autres tiennent
le nez en terre pour en tirer la Ξfraîcheur fraischeur ; c'est
le trouppeau de Damon, que vous verrez si vous
tournez la veuë en ça dans l'eau jusques à la
ceinture. Considerez comme ces jeunes arbres
courbez le couvrent des rayons du Soleil, et Ξsemblent semble presque Ξ*jaloux estre joyeux η qu'autre qu'eux le voye. Et
toutefois la curiosité du Soleil est si grande,
qu'Ξencores encore entre les diverses fueilles, Ξtrouve-il il trouve
passage à quelques uns de ses rayons.
[ 372 verso ] 1607 fonctionnelle
Prenez garde
comme Ξcet ceste ombre et Ξce clair ceste clairté y sont bien
Ξrepresentez representées. Mais certes il faut aussi advoüer que
ce Berger ne peut estre surpassé en beauté.
Considerez les traits delicats et proportionnez Ξde son du visage, sa taille Ξdroite droitte et longue, ce flanc arrondy, cet Ξestomac estomach relevé, et voyez s'il y a rien
qui ne soit en perfection, Ξet encor encore qu'il soit un
peu courbé pour mieux se servir de l'eau, et que
de la main droitte il frotte le bras gauche, si est-ce
qu'il ne fait action qui empesche de Ξrecognoistre reconnoistre sa
parfaite beauté. Or jettez l'œil de l'autre costé du rivage si vous
ne craignez d'y voir le laid en sa perfection, comme
en la sienne vous avez veu le beau, car entre ces
ronces effroyables, vous verrez la magicienne
Mandrague contemplant le Berger en son bain. La voicy
vestuë presque en despit de ceux qui la regardent,
eschevelée, un bras nud, et la robbe d'un costé
retroussée plus haut que le genoüil. Je croy qu'elle
vient de faire Ξ*quelque sortilege quelques sortileges, mais jugez icy
l'Ξeffet effect d'une beauté. Ceste vieille que vous voyez si ridee, qu'il semble
que Ξchasque chaque moment de sa vie ait mis un sillon en son
visage maigre, petite, toute chenuë, les cheveux
à Ξmoytié moitié tondus, toute accrouppie, et selon son Ξâge aage plus propre pour cercueil que pour la vie, n'a
honte de s'esprendre de ce jeune Berger. Si l'ΞAmour amour vient de la Ξsimpathie sympathie, comme on dit, je ne sçay pas
bien où l'on la pourra trouver entre Damon et elle.
Voyez
" quelle mine elle fait en son Ξexthaze extaze. Elle
estend
[ 373 recto ] 1607 fonctionnelle
la teste, Ξallongit allonge le col, serre les espaules, tient les bras joints le long des Ξcostez costés, et les mains assemblées en son Ξgyron giron : Ξet le meilleur est que pensant sousrire, elle fait la moüe. Si est ce que telle qu'elle est, elle ne laisse de rechercher l'ΞAmour amour du beau Berger. Or haussez un peu les yeux, et voyez dans ceste nuë Venus et Cupidon, qui regardant ceste nouvelle Amante, semblent Ξs'esclater esclater de rire. C'est que sans doute ce petit Dieu, pour quelque gageure peut estre qu'il avoit faite avec sa mere, n'a pas plaint un Ξtrait traict, qui toutefois devoit estre tout usé de vieillesse, pour faire un si beau coup. Que si ce n'est par gageure, c'est pour faire voir en ceste vieille, que le bois sec brusle mieux, et plus aisément que le verd, ou bien que pour monstrer sa puissance sur ceste vieille hostesse des tombeaux, il luy plaist de faire preuve de l'ardeur de son flambeau, avec lequel il me semble qu'il luy redonne une nouvelle ame, et pour dire en un mot, qu'il la fasse ressusciter, et sortir du cercueil.
Tableau quatriesme.
Mais passons à cet autre. Voicy une nuict fort bien representée, voyez comme sous l'obscur de ses ombres, ces montaignes paroissent en sorte qu'elles se Ξmontrent monstrent un peu, et si en effet on ne sçauroit bien juger que c'est. Prenez garde comme ces estoilles semblent tremousser,
[ 373 verso ] 1607 fonctionnelle
voyez comme
ces autres sont Ξsi η bien disposées, que l'on Ξles η peut
recognoistre. ΞVoila l'ourse majeur Voyla la grande Ourse, voyez comme
le judicieux η ouvrier, encor qu'elle ait vingt sept
Ξestoiles estoilles, toutefois n'en represente clairement que
douze, et de ces douze Ξencores encors n'y en fait-il que
sept bien esclatantes. Voyez Ξl'ourse mineur la petite Ourse ;
Ξvoyez considerez que Ξdautant d'autant que jamais Ξses ces sept estoilles
ne se cachent, encores qu'il y en ayt une de la
troisiesme grandeur, et quatre de la quatriesme,
toutefois il nous les fait voir toutes, observant Ξtoutefois
leur proportion. ΞVoila Voyla le Dragon, auquel il a bien
mis les trente et une Ξestoiles estoilles, mais si n'en
monstre-t'il bien que treize dont les cinq comme
vous voyez, sont de la quatriesme grandeur, et les
huit de la troisiesme. Voicy la couronne d'ΞAriadne Adriane,
qui a bien ses Ξhuit huict estoilles, mais il n'y en a que
six qui soient bien voyantes Ξet encore en voicy une
qui est la plus Ξreluysante reluisante de toutes. Voyez vous
de ce costé la voye de laict, par ou Ξ*nous tenons les Romains tiennent que les Dieux descendent en terre, et
remontent au Ciel. Mais que ces nuages sont bien
representez, qui en quelques lieux couvrent le Ciel
avec espaisseur, en d'autres seulement comme une
legere fumée, et ailleurs Ξrien point du tout, selon
qu'ils sont plus ou moins eslevez, ils sont plus ou
moins clairs. Or considerons l'histoire de ce Tableau. Voicy
Mandrague au milieu d'un cerne, une baguette Ξà en la
main Ξdroitte droicte, un livre tout crasseux en l'autre, avec
une chandelle de cire vierge, des
[ 374 recto ] 1607 fonctionnelle
lunettes fort
troubles au nez, voyez comme il semble qu'elle
marmotte, et comme elle tient les yeux tournez d'une
estrange façon, la bouche demy ouverte, et faisant
une mine si estrange des sourcils, et du reste du
visage, qu'elle monstre bien de travailler d'affection.
Mais prenez garde comme elle a le pied, le costé,
le bras, et l'espaule gauche nuds, c'est pour estre
le costé du cœur. Ces fantosmes que vous luy voyez
autour, sont demons qu'elle a contraint venir à
elle par la force de ses charmes, pour sçavoir comme
elle pourra estre Ξaimée aymée de Damon ; ils luy
declarent l'affection qu'il porte à Fortune, qu'il
n'y a point de meilleur moyen que de luy persuader
que ceste Bergere Ξaime ayme ailleurs, et que pour le faire
plus Ξaisément aysément, il faut qu'elle change pour ce coup la vertu de la Ξfonteine fontaine de la verité d'ΞAmour amour η.
Avant que passer plus outre, considerez un peu
l'artifice de ceste peinture, voyons les effets
de la chandelle de Mandrague, entre les obscuritez
de la nuit. Elle a tout le costé gauche du visage
fort clair, et le reste tellement obscur qu'il
semble d'un visage different, la bouche entre-ouverte
paroist par le dedans claire, autant que l'ouverture
peut permettre à la Ξclairté clarté d'y entrer, et le bras qui
tient la chandelle, vous le voyez aupres de la main
fort obscur, à cause que le livre qu'elle tient y
fait ombre, et le reste est si clair
par le dessus, qu'il fait plus paroistre la noirceur du
dessous. Et de mesme avec combien de consideration
ont estez observez
[ 374 verso ] 1607 fonctionnelle
les effets que ceste Ξchandelle chandele fait en ces demons, car les uns et les autres selon
qu'ils sont tournez sont esclairez ou obscurcis.
Or voicy un grand artifice de la Ξpainture peinture, qui
est cét esloignement, car la Ξprospective perspective y est si
bien observée, que vous diriez que cet autre
accident, qu'il veut representer de deça, est
hors de ce Tableau et bien esloigné d'icy, et
Ξc'est ceste η Mandrague encores qui est à la Ξfonteine fontaine de la verité d'Amour η.
Mais pour vous faire mieux entendre le tout, sçachez
que quelque temps auparavant une belle Bergere, fille
d'un Magicien tres sçavant, s'Ξesprit éprit si secrettement
d'un Berger, que son pere ne s'en Ξ(Guillemets de "apperceut" à "dés longtemps ".) apperceut
" point. Soit que les charmes de la magie ne
" puissent rien sur
les charmes d'Amour, ou soit
" qu'attentif à ses
estudes, il ne jettast point l'œil
" sur elle. Tant y a qu'apres une tres Ξardente ardante
" amitié, Ξdautant d'autant qu'en
Amour il n'y a rien de
" plus Ξinsupportable insuportable que le
desdain, et que ce
" Berger la Ξmesprisoit méprisoit pour s'estre
dés long temps
" voüé ailleurs, elle fut Ξreduitte reduite à
tel terme que peu à peu son feu croissant, et ses
forces diminuant elle vint à mourir, sans que le
sçavoir de son pere la Ξpust peust η secourir. ΞDe quoy estant le magicien tres-ennuyé Dequoy le Magicien estant fort marry, quand il en Ξsceut sçeust
l'occasion, afin d'en marquer la memoire a jamais,
Ξil changea son tombeau en Ξfonteine fontaine, qu'il nomma verité
d'Amour, Ξparce par ce que qui Ξaime ayme, s'il y regarde, y void
sa Dame, et s'il en est Ξaimé aymé, il s'y void aupres, ou
bien celuy qu'elle Ξaime ayme ; que si elle n'Ξaime ayme rien, elle
paroist toute seule η.
[ 375 recto ] 1607 fonctionnelle
Et c'est ceste vertu que Mandrague veut changer, afin que Damon y venant voir, et trouvant que sa Maistresse en Ξaime ayme un autre, il perde aussi l'affection qu'il luy porte, et qu'elle ait ainsi la place libre. Et voyez comme elle l'enchante, quels caracteres elle fait tout autour, quels triangles, quels carrez enlacez avec ses ronds ; croyez qu'elle n'y oublie rien qui y soit necessaire, car Ξcet cét affaire luy touche de trop pres. Auparavant elle avoit par ses sortileges, assemblé tous ses demons pour trouver remede à son mal, mais Ξdautant d'autant qu'Amour est plus fort que tous ceux-cy, ils n'oserent entreprendre contre luy, mais seulement luy conseillerent de faire ceste trahison à ces deux Ξfidels fidelles Amants. Et Ξdautant d'autant que la vertu de la fonteine luy venoit par les enchantements d'un Magicien, Mandrague qui à surmonté en ceste science tous ses devanciers, la luy Ξpût peut η bien oster pour quelque temps. Mais passons au Tableau qui suit.
Tableau Cinquiesme.
Ce cinquiesme Tableau, continua Adamas, a deux
actions. La premiere quand Damon vint à ceste
Ξfonteine fontaine, pour Ξse sortir sortir de la peine Ξen quoy où l'avoit mis
un songe Ξfacheux fascheux. L'autre, quand trompé par
l'artifice de Mandrague, ayant veu dans la Ξfonteine fontaine
que la Bergere Fortune aimoit un autre, de desespoir
[ 375 verso ] 1607 fonctionnelle
il se tua. Or voyons comme elles sont bien representées. Voicy
Damon avec son espieu, car il est au mesme equipage qu'il souloit estre allant à la chasse. Voicy son
chien qui le suit, prenez garde avec quel soing ce
Ξfidele fidelle animal considere son maistre, car cependant
qu'il η regarde dans la Ξfonteine fontaine, il semble, tant il a
les yeux Ξbandez tendus sur luy, d'estre desireux de sçavoir
qui le rend si Ξestonné esbahy. Que si vous considerez
l'estonnement qui est peint en son visage, vous
jugerez bien qu'il en doit avoir une grande occasion.
Mandrague luy avoit Ξfait faict voir en songe η Maradon
jeune Berger, qui prenant une flesche à Cupidon, en
ouvroit le sein à Fortune, et luy ravissoit le cœur.
Luy qui suivant l'ordinaire des Amants estoit
tousjours en doute s'en vint aussi tost qu'il fut
jour courant à ceste Ξfonteine fontaine, pour sçavoir si sa
Ξmaistresse Maistresse l'aimoit. Je vous supplie, considerez son
Ξestonnement esbahissement, car si vous comparez les visages des
autres Tableaux à cestuy-cy, vous y verrez bien les
mesmes traits, quoy que le trouble en quoy il est
peint le change de beaucoup. De ces deux figures que
vous voyez dans la Ξfonteine fontaine, l'une comme vous pouvez
Ξcognoistre connoistre, est celle de la Bergere Fortune, et
l'autre du Berger Maradon, que la magicienne avoit
fait representer plutost qu'un autre, pour sçavoir
que cestuy cy avoit esté dés long temps serviteur de
ceste Bergere, et quoy qu'elle n'eust jamais daigné
le regarder, Ξtoutefois toutesfois Amour qui croit facilement
ce qu'il craint, persuada Ξincontinant incontinent
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le contraire à
Damon, creance qui le fit resoudre à la mort.
Remarquez, je vous supplie que ceste eau semble Ξde trembler : c'est que la Ξpainture pauvre η a voulu representer
l'effet des larmes du Berger qui tomboient dedans.
Mais passons à la seconde action. Voyez comme la
continuation de ceste caverne est bien Ξfaite faitte, et
Ξqu' comme il semble que vrayement cela soit plus Ξenfonsé enfoncé.
Ce mort que vous y voyez au fond, c'est le pauvre
Damon, qui desesperé, se met l'espieu au travers du
corps. L'action qu'il fait est bien naturelle, vous
luy voyez Ξune la jambe toute estenduë, l'autre retirée comme de douleur, un bras engagé
sous le corps, y ayant esté surpris par la promptitude de la cheute, et n'ayant eu la force
de le Ξravoir r'avoir, l'autre languissant le long du
corps, quoy qu'il serre Ξencor encore mollement l'espieu de
la main, la teste Ξpenchée panchée sur l'espaule droitte,
les yeux à demy fermez, et demy tournez, et en tel estat,
qu'à les voir on juge bien que c'est un homme aux
trances de la mort, la bouche entre-ouverte, les
dents en quelques endroits un peu descouvertes, et
l'entre-deux du nez fort retiré, tous signes d'une
prompte mort. Aussi ne le figure t'il pas icy pour
mort entierement, mais pour estre entre la mort et
la vie, si entre-elles il y a quelque separation.
Voicy l'espieu bien representé, voyez comme ceste
espaisseur de son fer est à Ξmoytié cachée moitié caché dans la
playe, et la houppe d'un costé toute sanglante, et
de l'autre blanche encores, comme estoit sa premiere
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couleur. Mais Ξquelle qu'elle η a esté la diligence du peintre ! Il n'a pas mesme oublié les cloux qui vont comme serpentant à l'entour de la hante, car les plus pres de Ξla lame l'ame η, aussi bien que Ξle les bois, sont tachez de sang ; il est vray que par dessous le sang on ne laisse pas de Ξrecognoistre reconnoistre la doreure. Or considerons le rejaillissement du sang en sortant de la playe : il semble à la Ξfonteine fontaine qui conduitte par longs canaux de quelque lieu fort relevé, lors qu'elle a esté quelque temps contrainte et retenuë en bas, aussi tost qu'on luy donne ouverture, Ξsaute saulte de furie ça et la, car voyez ces rayons de sang, comme ils sont bien representez, considerez ces boüillons, qui mesme semblent se souslever à Ξeslents eslans. Je croy que la Nature ne sçauroit rien representer de plus naïf. Mais voyons cet autre Tableau.
Tableau sixiesme.
Or voicy le sixiesme et dernier Tableau, qui contient
quatre actions de la Bergere Fortune.
La premiere, c'est un songe que Mandrague luy fait
faire, l'autre, comme elle va à la Ξfonteine fontaine pour
s'en Ξesclaircir esclarcir, la troisiesme, comme elle se plaint
de l'inconstance de son Berger, et la derniere, comme
elle meurt, qui est la conclusion de ceste tragedie.
Or voyons toutes choses particulierement.
Voicy le lever du Soleil, prenez garde à la longueur
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de ses ombres, Ξet comme d'un costé le Ciel est encor
un peu moins clair. Voyez ces nuës qui sont à Ξmoytié moitié
air, comme il semble que peu à peu elles
s'aillent eslevant, ces petits oyseaux qui semblent
en montant chanter, et tremousser de l'ayle, sont
des Ξallouëttes alloüettes qui se vont seichant de la Ξrozée rosée au
nouveau Soleil ; ces oyseaux mal formez, qui d'un vol
incertain se vont cachant, sont des Ξchats-huans chat-huants, qui
Ξfuient fuyent le Soleil, Ξduquel la montagne dont la montaigne couvre encores une
partie, et l'autre reluit si claire qu'on ne sçauroit
juger que ce fust autre chose qu'une grande et confuse
clairté.
Passons plus outre. Voicy la Bergere Fortune qui
dort, elle est dans le lict, où le Soleil qui entre
par la fenestre, Ξpar mesgarde ouverte ouverte par mesgarde, luy donne sur
le sein à demy descouvert. Elle a un bras
negligemment estendu sur le bois du lict, la teste
un peu panchée le long du chevet, l'autre main
estenduë le long de la cuisse par le dehors du lict,
et Ξparce par ce que la chemise s'est par hazard retroussée,
vous la voyez par dessus le coude sans qu'elle cache
nulle des beautez du bras. Voicy autour d'elle les
demons de Morphée, Ξdesquels dont Mandrague s'est servie,
pour luy donner volonté d'aller à la Ξfonteine fontaine des
veritez d'Amour.
De fait la voicy à ce costé qui y Ξregarde regorge, car ayant
songé η que son Berger estoit mort, et prenant sa mort
pour la perte de son amitié, elle en venoit sçavoir
la verité. Voyez comme ce visage triste Ξesmeut par sa douceur, a pitié de par sa douceur esmeut à pitié et fait participer à son desplaisir,
Ξparce par ce
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qu'elle n'Ξeut eust si tost jetté la veuë dans l'eau
qu'elle Ξn' apperceut Damon. Mais hélas ! pres de luy
la Bergere ΞMelide Melinde, Bergere belle à la verité, et
qui n'avoit point esté sans soupçon d'Ξaimer aymer Damon,
toutefois sans estre Ξaimée aymée de luy. Trompée de ceste
menterie, voyez comme elle s'est retirée au profond
de ceste caverne, et vient sans y penser pour
plaindre son desplaisir au mesme lieu où Damon pour mesme sujet estoit presque mort. La voicy assise
contre ce rocher, les bras croisez sur l'estomac, que
la colere et l'ennuy luy ont fait descouvrir, en
rompant ce qui estoit dessus. Il me semble qu'elle
souspire, et que l'estomac panthele, le visage et Ξses les
yeux tournez en haut demandent vengeance au Ciel, de
la perfidie qu'elle croit estre en Damon.
Et Ξparce par ce que le transport de son mal luy fit relever
la voix en se plaignant, Damon que vous voyez pres
de là, encor qu'il fust sur la fin de sa vie,
entre-oyant les regrets de sa Bergere, et en recognoissant la voix, s'efforça de l'appeller. Elle
qui ouyt ceste parole mourante, tournant en sursaut
la teste s'en va vers luy. Mais, ô Dieux quelle
luy fut ceste veuë. Elle oublie le voyant en cét
estat, l'occasion qu'elle avoit de se plaindre de
luy, et luy demande
qui l'avoit si mal traitté. - C'est, luy dit-il, le
changement de ma ΞFortune fortune η, c'est l'inconstance de vostre
ame, qui m'a deceu avec tant de demonstration de bonne
volonté. Bref c'est le bon heur de Maradon, que
la Ξfonteine fontaine d'où vous venez m'a Ξmontré monstré aupres de
vous. Et
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vous semble-t'il raisonnable que celuy vive
ayant perdu vostre amitié, qui ne vivoit que pour estre
Ξaimé aymé de vous ? Fortune oyant ces paroles : - Ah !
Damon, dit-elle, combien à nostre Ξdam dommage est
menteuse ceste source ! puis qu'elle m'a fait voir ΞMelide Melinde aupres de vous, que je vois Ξmourir toutefois toutesfois
mourir pour me bien Ξaimer aymer ? Ainsi ces Ξfideles fidelles Amants
Ξrecognurent reconnurent l'infidelité de ceste Ξfonteine fontaine, et plus
Ξassurez asseurez qu'ils n'avoient jamais esté de leur
affection, ils moururent embrassez : Damon de sa
playe, et la Bergere du desplaisir de sa mort.
Voyez les η de ce costé, voila la Bergere assise contre
ce rocher couvert de mousse, et voicy Damon qui tient
la teste en son gyron, et qui pour luy dire le dernier
Ξà-dieu Adieu luy tend les bras, et luy en lie le col, et
semble de s'efforcer, et s'eslever un peu pour la baiser,
cependant qu'elle toute couverte de son sang, baisse
la teste, et se Ξplie le corps courbe pour s'approcher de son visage,
et luy passe les mains sous le corps pour le souslever
un peu. Ceste vieille eschevelée qui leur est aupres, c'est
Mandrague la Ξmagicienne Magicienne, qui les trouvant morts
maudit son art, deteste ses demons, s'arrache les
cheveux, et se meurtrit la poitrine de coups. Ce
geste d'eslever les bras en haut par dessus la teste,
y tenant les mains jointes, et au contraire de baisser
le col, et se cacher presque le menton dans le sein,
pliant et s'amoncelant le corps dans son gyron, sont
signes de son violent desplaisir, et du regret qu'elle
a de la perte de deux si fideles
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et Ξparfaits parfaicts Amants,
outre celle de tout son contentement. Le visage de
ceste vieille est caché, mais considerez l'Ξeffet effect
que font ses cheveux : ils retombent en bas, et au droit de la nucque, Ξdautant d'autant qu'ils y sont plus
courts, ils y semblent se relever en haut. Voila un
peu plus esloigné Cupidon qui pleure, voicy son arc
et ses flesches rompuës, son flambeau esteint, et
son bandeau tout moüillé de larmes, pour la perte de
deux si fideles Amants.
Celadon avoit esté tousjours fort attentif au discours du sage Adamas, et bien souvent se reprenoit de
peu de courage de n'avoir sçeu retrouver un semblable
remede à celuy de Damon, et parce que ceste
consideration le retint quelque temps muet, Galathée
en sortant de la grotte, et prenant Celadon par la
main : - Que
vous semble, luy dit-elle, de cét Amour et de Ξses ces η effets ? - Que ce sont, respondit le Berger, Ξ(Guillemets de "point" à "tousjours à".) des
effets d'imprudence, et non Ξpoint pas d'Amour, Ξmais et que
c'est un erreur populaire pour couvrir nostre
ignorance ou pour
" excuser nostre faute, d'attribuer
tousjours à
" quelque divinité les effets, dont les
causes
" nous sont cachées. - Et quoy, dit la Nymphe,
" croyez vous qu'il n'y ait point d'Amour ? - S'il y
en a, repliqua le Berger, il ne doit estre que
douceur ; mais quel qu'il soit vous en parlez, Madame,
à une personne autant ignorante qu'autre qui vive.
Car, outre que ma condition ne me permet pas d'en
sçavoir beaucoup, mon esprit grossier m'en rend encor
plus incapable.
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Alors la triste Sylvie luy repliqua : - ΞToutefois Toutesfois, Celadon, il y a quelque temps que je vous vy en un lieu où Ξmalaisément malaysément eust on Ξpû peu croire cela de vous, car il y avoit trop de beautez Ξet vous estes trop honneste homme, elles pour ne vous pouvoir prendre, et vous pour ne vous laisser prendre. pour ne vous pouvoir prendre, et vous estes trop honneste homme pour ne vous laisser prendre à elles. - Belle Nymphe, respondit le Berger, en quelque lieu que ce fust, puis que vous y estiez, c'est sans doute qu'il y avoit beaucoup de beauté, mais comme trop de feu brusle Ξplutost plustost qu'il n'eschauffe, vos beautez aussi sont trop grandes pour nos cœurs rustiques, et se font Ξplutost plustost admirer qu'Ξaimer aymer, et adorer que servir. Avec tels propos ceste belle trouppe s'alloit retirant au logis, où l'heure du repas les appelloit.