Édition de 1607, 21 recto.
Édition de Vaganay, p. 35.
[ 21 recto ] 1607 fonctionnelle
Livre deuxième
LE
DEUXIESME LIVRE
DE LA PREMIERE
Partie d'Astree.
Cependant que ces choses se passoient de ceste sorte
entre ces Bergers et Bergeres, Celadon receut des
trois belles Nymphes, dans le Palais d'Isoure, tous
les meilleurs allegements qui leur furent possibles ;
mais le travail, que l'eau luy avoit donné, avoit
esté si grand, que Ξquel quelque remede qu'elles luy fissent,
il ne peut ouvrir les yeux, Ξ*ni reprendre aucune cognoissance de soi-mesme ny donner autre signe de vie que par le battement du cœur, passant ainsi le
reste du jour Ξs'escoula , et une bonne partie de la Ξnuit nuict avant
qu'il revint à soy, et lors qu'il ouvrit les yeux ce
ne fut pas avec peu d'estonnement de se trouver où il estoit, car il se ressouvenoit fort bien de ce qui
luy estoit advenu sur le bord de Lignon, et comme le
desespoir l'avoit fait sauter Ξdedans dans l'eau, mais il ne
sçavoit Ξpoint comme il estoit venu en ce lieu, et apres
estre demeuré quelque temps confus en ceste pensée, il
se demandoit Ξà soi-mesme s'il estoit vif ou
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mort. Si je Ξ*suis vif vis (disoit-il) comment est il possible que la cruauté d'Astree ne me face mourir ? Et si je suis mort,
qu'est-ce, ô Amour, que tu viens Ξcherchant chercher entre ces
tenebres ; ne te Ξcontente contentes-tu point d'avoir eu ma
vie, ou bien Ξsi tu veux veux tu dans mes cendres Ξencore ralumer r'allumer encores tes anciennes flames ? Et parce que le
cuisant soucy qu'Astree Ξlui luy avoit laissé, ne
l'ayant point abandonné, appelloit toujours à luy
toutes ses pensées, il continua : - Et vous trop Ξcruels ressouvenirs cruel souvenir de mon bon-heur passé, Ξà quoy m'allez vous representant pourquoy me representez-vous le desplaisir qu'elle eust eu
Ξautrefois autres fois de ma perte, afin de rengreger mon mal
veritable, par le sien imaginé, au lieu que pour
m'alleger vous devriez Ξplutost plustost me dire le
contentement qu'elle en a, pour la Ξhaine hayne qu'elle me
porte ? Avecque mille semblables imaginations, ce pauvre Berger
se Ξrendormit r'endormit d'un si long sommeil, que les Nymphes
eurent loisir de venir voir comme il se portoit, et le trouvant
endormy, elles ouvrirent doucement les fenestres, et
les rideaux, et s'assirent autour de luy pour mieux
le contempler. Galathee apres l'avoir quelque temps
consideré, fut la premiere qui dit d'une voix basse,
pour ne l'esveiller : - Que ce Berger est changé de ce
qu'il estoit hier, et comme la vive couleur du visage
Ξlui luy est revenuë en peu de temps ! Quant à moy, je ne
plains point la peine du voyage, puis que nous luy
avons sauvé la vie ; car, à ce que vous dites, ma
mignonne (dit-elle, s'adressant à Silvie) il est des
principaux de ceste contrée. - Madame, respondit la
Nymphe, il est tres-certain, car son pere est,
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Alcippe, et sa mere Amarillis. - Comment, dit-elle,
cet Alcippe Ξduquel de qui j'ay tant ouy parler, et qui pour
sauver son amy, força à ΞUssum Usson les prisons des
Visigotz ? - C'est celuy-là mesme (dit Silvie.) Je le
vis il y a cinq ou six mois à une feste que l'on
chommoit en ces hameaux, qui sont le long des rives
de Lignon, et parce que sur tous les autres Alcippe me sembla digne d'estre regardé, je tins sur
Ξlui luy longuement les yeux ; car l'authorité de sa barbe
chenuë, et de sa venerable vieillesse le Ξfont honorer faict honnorer et respecter de chacun. Mais Ξquant quand à Celadon, il me
souvient que de tous les jeunes Bergers, il n'y Ξen eut
que luy et Silvandre qui m'osassent Ξ*acoster approcher. Par Silvandre, je sçeu qui estoit Celadon, et par Celadon Ξje sceu qui estoit Silvandre ; car Ξen leurs façons et en leurs discours, l'un et l'autre avoit l'un et l'autre avoit η en ses façons et en ses discours quelque chose
de plus genereux, que le nom de Berger ne porte.
ΞCe pendant Cependant que Silvie parloit, Amour, pour se mocquer
des finesses de Climante et de Polemas, qui estoyent
cause que Galathee s'estoit trouvée le jour
auparavant sur le lieu où elle avoit pris Celadon,
commençoit de faire ressentir à la Nymphe les effects
d'une nouvelle amour ; car tant que Silvie parla, Galathee eut tousjours les yeux sur le Berger, et les
loüanges qu'elle luy donnoit, furent cause qu'en mesme
temps sa beauté et sa vertu, l'une par la veuë, et
l'autre par l'ouye, firent un mesme coup dans son ame,
et cela d'autant plus aisément qu'elle s'y trouva
preparee par la tromperie de Climante, qui feignant
le Ξdevin divin η,
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luy avoit predit que celuy qu'elle
rencontreroit, où elle trouva Celadon, devoit estre
son mary, si elle ne vouloit estre la plus malheureuse η personne du monde, ayant auparavant fait dessein que Polemas, comme par mesgarde, s'y en iroit à l'heure
qu'il luy avoit dite, Ξà fin afin que deceuë par ceste ruze
elle prit volonté de l'espouser, ce qu'autrement ne
luy pouvoit permettre l'affection qu'elle portoit
à Lindamor. Mais la fortune, et l'Amour qui se
mocquent de la prudence, y firent trouver Celadon par le hazard que je vous ay raconté, si bien que
Galathee voulant en toute sorte Ξaimer aymer ce Berger,
s'alloit à dessein representant toutes choses, en luy
beaucoup plus aimables. Et voyant qu'il ne
s'esveilloit point, pour le laisser reposer à son
Ξaise ayse, elle sortit le plus doucement qu'elle peut et
s'en alla entretenir ses nouvelles pensées.
Il y avoit Ξpres aupres de sa chambre un escalier desrobé, qui
descendoit en une gallerie basse, par ou avec un
pont-levis η on entroit dans le jardin agencé de toutes
les raretez que le lieu pouvoit permettre, Ξsoit fut en
fontaines, et en parterres, Ξsoit fut en allées ou en
ombrages, Ξn'y ny η ayant rien esté oublié de tout ce que
l'artifice y pouvoit adjouster. Au sortir de ce lieu
on entroit dans un grand bois de Ξ*haute fustaye diverses sortes d'arbres, dont un quarré estoit de coudriers, qui tout
ensemble faisoient un si gratieux Dedale, qu'encore
que les chemins par leurs divers destours se
perdissent confusément l'un dans l'autre, si ne
laissoient ils pour leurs ombrages d'estre fort
Ξagreables aggreables :
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Assez pres de là dans un autre quarré,
estoit la fontaine η de la verité d'Amour, source Ξ*esmerveillable dans laquelle à la verité merveilleuse : car, par la force des
enchantements, l'Amant qui s'y regardoit voyoit celle
qu'il Ξaimoit aymoit ; que Ξsi aussi il s'il estoit Ξaimé aymé d'elle il Ξse s'y voyoit aupres, que si de fortune elle en Ξaimoit aymoit un
autre, l'autre y estoit representé et non pas luy, et
Ξparce par ce qu'elle Ξdescouvroit decouvroit les tromperies des Amants,
on la nomma la verité d'Amour. A l'autre des quarrez
estoit la caverne de Damon, et de Fortune, et au dernier l'antre de la vieille Mandrague, plein de
tant de raretez, et de tant de sortileges, que
d'heure à autre, il y arrivoit tousjours quelque
chose de nouveau ; outre que par tout le reste du bois,
il y avoit plusieurs autres diverses grottes, si bien
Ξcontrefaites contrefaictes au naturel, que l'œil trompoit η bien
souvent le jugement.
Or ce fut dans ce jardin, que la ΞNimphe Nymphe se vint
promener attendant le réveil du Berger. Et parce que
Ξses ces nouveaux desirs ne pouvoient luy permettre de
Ξn'en point parler s'en taire, elle feignit d'avoir oublié quelque chose
qu'elle commanda à Silvie d'aller querir, Ξdautant d'autant qu'elle se fioit moins en elle pour sa jeunesse qu'en
Leonide qui avoit un Ξâge aage plus meur, quoy que Ξces ses deux ΞNimphes Nymphes fussent ses plus secrettes confidentes :
ΞAinsi Et se voyant seule avec Leonide, elle luy dit : - Que
vous en semble Leonide ? Ce ΞDruide Druyde n'a-t'il pas une
grande cognoissance des choses ? Et les Dieux ne se
communiquent-ils pas bien librement avec luy, puis que
ce qui est futur à chacun luy est mieux
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cogneu qu'a nous le present ?
- Sans mentir (respondit la ΞNimphe Nymphe) il vous fit bien
voir dans le miroir le lieu mesme, où vous avez
trouvé ce Berger, et vous dit bien le temps aussi,
que vous l'y avez rencontré ; mais ses Ξparoles parolles estoient si douteuses, que mal-Ξaisément aysément puis-je croire
que Ξlui luy-mesme se Ξpûst peust η bien entendre. - Et comment
dites vous cela, respondit Galathee, puis qu'il me
dit si particulierement tout ce que j'y ay trouvé, que je
ne sçaurois à ceste heure en dire Ξdavantage plus que luy ? - Si me semble-t'il (respondit Leonide) qu'il vous dit
seulement, que vous trouveriez en ce lieu là une
chose de valeur inestimable, quoy que par le passé
elle eust esté desdaignée. Galathée alors se mocquant d'elle, luy dit : - Quoy
donc Leonide, vous n'en sçavez autre chose ? Il faut
que vous entendiez, que particulierement il me dit :
- Ξ*Belle Galathée Madame, vous avez deux influences bien contraires. L'une la plus infortunée qui soit Ξsous soubs le Ciel, l'autre
la plus heureuse que l'on puisse desirer, et il
Ξdespend depend de vostre election de prendre celle Ξ*des deux qu'il vous plaira, et dont je vous donneray la cognoissance. que vous voudrez, et afin que vous ne vous y trompiez, sçachez que vous estes et serez servie de plusieurs grands
Chevaliers, dont les vertus et les merites peuvent
bien diversement vous esmouvoir ; mais si vous
mesurez vostre affection, ou à leurs merites, ou au
jugement que vous ferez de leur Amour, et non point
Ξà de ce que je vous en diray de la part des grands
Dieux, je vous predits, que vous serez la plus
miserable η qui vive, et afin que
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vous ne soyez deceuë
en vostre Ξélection eslection, ressouvenez-vous qu'un tel jour
vous verrez à Marcilly un Chevalier, vestu de telle
couleur, qui recherche ou recherchera de vous
espouser ; car si vous le permettez, dés icy je plains
vostre mal-heur, et ne puis assez vous menacer des
incroyables desastres qui vous attendent, et par ainsi je vous conseille de Ξfuir fuyr tel homme, que Ξplutost que vostre Amant, vous devez appeller vostre mal-heur vous devez plustost appeller vostre mal-heur que vostre Amant.
Et au contraire regardez bien le lieu qui est
representé dans ce miroir, afin que vous le sçachiez
retrouver le long des rives de Lignon ; car un tel
jour, à telle heure, vous y rencontrerez un homme, en
l'amitié duquel le Ciel a mis toute vostre felicité.
Si vous faites en sorte qu'il vous Ξaime ayme, ne croyez
point les Dieux veritables, si vous pouvez Ξsouhaiter pour vostre contentement rien davantage que ce que vous en aurez souhaitter plus de contentement que vous en avez η, mais prenez bien garde que le premier de vous deux qui Ξs'entreverra verra l'autre sera celuy qui Ξaimera l'autre plus aisément aymera le premier. Vous
semble t'il que ce ne soit pas me parler fort
clairement, et mesme que des-ja je ressens veritables Ξles ses predictions qu'il Ξm'a faites ma η faictes ; car ayant veu ce
Berger
la premiere, il ne faut point que j'en mente, il me
semble Ξde recognoistre en moy quelque estincelle de bonne
volonté Ξenvers pour luy. - Comment, Madame, luy dit Leonide,
voudriez vous bien Ξaimer aymer un Berger ? Ne vous
ressouvenez vous pas qui vous estes ? - Si faits, Leonide, je m'en ressouviens, dit-elle, mais il faut
aussi que vous sçachiez que les Bergers sont
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hommes
aussi bien que les ΞDruides Druydes, et les Chevaliers, et que
leur noblesse est aussi grande que celle des autres,
estant tous venus d'ancienneté de mesme tige, que
l'exercice Ξà quoy auquel on s'Ξadonne addonne ne peut pas nous
rendre Ξautre autres que nous ne sommes de nostre naissance ;
de sorte que si ce Berger est bien nay, pourquoy ne le
croiray je Ξpas aussi digne de moy que tout autre ? - En
fin, Madame, dit-elle, c'est un Berger, comme que vous
le vueillez desguiser. - En fin, dit Galathee, c'est
un honneste homme, comme que vous le puissiez qualifier.
- Mais, Madame, respondit Leonide, vous estes si
grande ΞNimphe Nymphe, Dame apres Amasis de toutes ces
belles contrées, aurez-vous le courage si abattu que
d'aimer un homme nay du milieu du peuple ? un
rustique ? un Berger ? un homme de rien ? - ΞMamie M'amie,
repliqua Galathée, laissons ces injures, et vous
ressouvenez qu'Enone se fit bien Bergere pour Paris,
et que l'ayant perdu elle Ξl'a regretté et pleuré le regretta et pleura à
chaudes larmes. - Madame (dit Leonide) celuy-là
estoit fils de Roy, et puis Ξla faute l'erreur d'autruy ne doit
Ξpas vous faire Ξretomber tomber en une semblable faute. - Si c'est
faute (respondit-elle) je m'en remets aux Dieux, qui
me la conseillent par l'Oracle de leur ΞDruide Druyde ; mais
que Celadon ne soit nay d'aussi bon sang que Paris,
m'amie, vous n'avez point d'esprit si vous le dites,
car ne sont-ils pas venus tous deux d'une mesme
origine η ? Et puis n'avez-vous Ξpas ouy ce que Silvie a
dit de luy et de son pere ? Il faut que vous sçachiez
qu'ils ne
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sont pas Bergers, pour n'avoir dequoy
vivre autrement, mais pour s'achetter par Ξ*telle façon de vivre cette douce vie, un honneste repos. - Et quoy Madame (adjousta
Leonide) vous oublierez par ainsi l'affection, et les
services du gentil Lindamor ? - Je ne voudrois pas,
dit Galathee, qu'un oubly Ξfust fut la recompense de ses
services ; mais je ne voudrois pas aussi, que
l'amitié que je luy pourrois rendre fust l'entiere
ruyne de tous mes Ξcontentements contentemens. - Ah ! Madame (dit
Leonide) ressouvenez vous combien il a esté fidelle.
- Ah ! m'amie (dit Galathee) considerez que
c'est, que d'estre eternellement mal-heureuse. - Quant
à moy, respondit Leonide, je plie les espaules à ces
jugements d'Amour, et ne sçay que dire Ξautre chose , sinon qu'une
extreme affection, une entiere fidelité, Ξ*la perte de tout un âge en l'employ de tout un aage, et un continuel service, ne se Ξdevoient point devoyent si longuement
recevoir, ou receus Ξ*payer meritoyent d'estre payez d'autre
monnoye que d'un change η. Pour Dieu, Madame, considerez
combien sont trompeurs η ceux qui dient la fortune d'autruy, puis que le plus souvent ce ne sont que
legeres imaginations que leurs songes leur rapportent.
combien menteurs, puis que de cent accidents qu'ils
predisent, à peine y en a-t'il un qui advienne ?
Combien ignorants, puis que se meslant de cognoistre
le bon-heur d'autruy, ils ne sçavent Ξcognoistre de trouver le leur
propre ; et ne vueillez pour les Ξfantasticques fantastiques discours
de cet homme, rendre si miserable, une personne, qui est
tant à vous ; remettez-vous devant les yeux
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combien il
vous Ξaime ayme, à quels hazards il s'est mis pour vous,
quel combat fut celuy de Polemas, et quel desespoir Ξvous luy donnastes lors, et à quels vous le destinez à ceste fut lors le sien, quelles douleurs vous luy preparez à cette heure, et quelles morts vous le contraindrez
Ξde s' d'inventer pour se deffaire, s'il en a la cognoissance.
Galathee en branlant la teste, luy respondit :
- Voyez-vous Leonide, il ne s'agit pas icy de
l'Ξélection eslection de Lindamor, ou de Polemas comme
autrefois, mais de celle de tout mon bien, ou de tout mon
mal. Les considerations que vous avez sont tres-bonnes
pour vous, à qui mon Ξmal-heur malheur ne toucheroit que par la
compassion ; mais pour moy elles sont trop
dangereuses, puis que ce n'est pas pour un jour mais
pour tousjours que ce mal-heur me menace. Si j'estois
en vostre place et vous en la mienne, peut-estre vous
conseilleroy-je cela mesme que vous me conseillez,
mais certes une eternelle infortune m'Ξespouvente espouvante.
ΞEt Quant aux mensonges de ces personnes que vous dites,
je veux bien croire pour l'amour de vous, que peut-estre
il n'aviendra pas, mais peut-estre aussi
aviendra t'il. Et dites moy, je vous supplie,
Ξcroyriez croiriez vous une personne prudente, qui pour le
contentement d'autruy, Ξlairroit laisseroit balancer sur un
peut-estre tout son bien, ou tout son mal ? Si vous
m'aimez ne me tenez jamais ce discours, ou autrement
je croiray, que vous cherissez plus le contentement de
Lindamor que le mien. Et quant à luy, ne faites doute
qu'il ne s'en console bien par autre moyen que
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par la
mort, car la raison et le temps l'emportent Ξtoujours tousjours sur ceste fureur. Et de fait, combien en avez-vous veu
Ξ*qui se soient voulu desesperer en de ces tant desesperez pour semblables occasions, qui
peu de temps apres ne se soient repentis de leurs desespoirs.
Ces belles Nymphes discouroient ainsi, quand de loin
elles virent retourner Silvie, de laquelle, pour estre
trop jeune, Galathee s'alloit cachant ainsi que j'ay
dit. Cela fut cause qu'elle trencha son discours
assez court ; toutefois elle ne laissa de dire à
Leonide : - Si vous m'avez aimée quelquefois, vous me
le ferez paroistre a ceste heure, que non Ξseulement seullement
il y va de mon contentement, mais de toute ma felicité.
Leonide ne luy peut respondre, Ξparce par ce que Silvie s'en
trouva si proche qu'elle eust oüy leurs discours.
Estant arrivee, Galathée sçeut que Celadon estoit
esveillé, car de la porte elle l'avoit ouy plaindre et
souspirer. Et il estoit vray, Ξdautant d'autant que quelque
temps apres qu'elles furent sorties de sa chambre il
s'esveilla en sursaut ; et parce que le Soleil par les
vitres donnoit à plein sur son lict, à l'ouverture de
ses yeux, il demeura tellement esblouy, que confus en
une Ξclarté clairté si grande, il ne sçavoit où il estoit. Le
travail du jour passé l'avoit estourdy, mais à l'heure il ne luy en restoit plus aucune douleur, si bien que
se ressouvenant de sa cheute dans Lignon, et de
l'opinion qu'il avoit euë peu auparavant Ξqu' d'estre
mort, se voyant maintenant dans ceste confuse lumiere,
il ne sçavoit que juger, sinon qu'Amour
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l'eust ravy au Ciel, pour recompense de sa fidelité. Et ce qui
l'abusa davantage en ceste opinion, fut que quand sa
veuë commença de se Ξfortifer renforcer, il ne vid autour de
luy, que des enrichisseures d'or, et des peintures
esclatantes, dont la chambre estoit toute paree, et
que son œil foible encore ne pouvoit recognoistre
pour contrefaites.
D'un costé il voyoit Saturne appuyé sur sa faux, avec
les cheveux longs, le front ridé, les yeux chassieux,
le nez aquilin, et la bouche degoutante de sang, et
pleine encore d'un morceau de ses enfants, dont il en
avoit un demy mangé en la main gauche, auquel par
l'ouverture qu'il luy avoit faite au costé avec les
dents, on voyoit comme pantheler les poulmons, et
trembler le cœur, veuë à la verité pleine de cruauté, car ce petit enfant avoit la teste renversee sur les
espaules, les bras Ξpanchants penchants pardevant, et les jambes
eslargies d'un costé et d'autre, toutes rougissantes
du sang qui sortoit de la blessure que ce vieillard
luy avoit faite, de qui la barbe longue et chenüe en
Ξmaints mains η lieux se voyoit tachee des gouttes du sang qui
tomboit du morceau qu'il taschoit d'avaller. Ses bras,
et Ξses η jambes nerveuses et crasseuses, estoient en
divers Ξendroicts endroits couvertes de poil, aussi bien que ses
cuisses maigres, et descharnees. Dessous ses pieds
s'eslevoient des grands morceaux d'ossements, dont les
uns blanchissoient de vieillesse, les autres ne
commençoient que d'estre descharnez, et
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d'autres
joincts avec un peu de peau et de chair demy gastée,
Ξmonstroient monstroyent n'estre que depuis peu mis en ce lieu.
Autour de luy on ne voyoit que des Sceptres en pieces,
des couronnes rompües, des grands edifices ruinez, et
cela de telle sorte, qu'à peine restoit-il quelque
legere ressemblance de ce que ç'avoit esté. Un peu
plus Ξesloigné loing on voyoit les Coribantes avec leurs
Ξtimbales Cimbales et haut-bois, cacher le petit Jupiter dans une
caverne, des dents devoreuses de ce pere. Puis assez
pres de là on le voyoit grand, Ξle avec un visage
enflambé, mais grave, et plein de Majesté, les yeux
benins, mais redoutables, la Couronne sur la teste,
en la main gauche, le Sceptre qu'il appuyoit sur la
cuisse, où l'on voyoit encor la cicatrice de la
playe qu'il s'estoit faite, quand pour l'imprudence
de la Nimphe Semele, afin de sauver le petit Bacchus,
il fut contraint de s'ouvrir Ξcet endroit-là cest endroit, et de l'y
porter jusques à la fin du terme. De l'autre main il
avoit le Ξfoudre fouldre Ξqui à trois poinctes ondoyantes à trois poinctes, qui estoit si bien
representé, qu'il sembloit mesme voler des-ja par
l'Air. Il avoit les pieds sur un grand Monde, et pres de luy
on voyoit Ξune grande Aygle un grand Aigle, qui portoit Ξà en son bec
crochu un foudre, et l'approchoit levant la teste
contre luy au plus pres de son genouil. Sur le dos de
cet oyseau estoit le petit ΞGanimedes Ganimede, vestu à la
façon des habitans du mont Ida, grasset, potelet,
blanc, les cheveux dorez et frisez η, qui d'une main
caressoit la teste de cet oyseau, et de l'autre
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taschoit de prendre le foudre de celle de Jupiter,
qui du coude et non point autrement repoussoit
nonchalamment son foible bras. Un peu à costé on
voyoit la couppe, et l'esguiere dont ce petit
eschançon versoit le Nectar à son maistre, Ξtant si bien
representees, que Ξdautant d'autant que ce petit importun
s'efforçant d'atteindre à la main de Jupiter, l'avoit
touchée d'un pied, il sembloit qu'elle chancellast pour
tomber, et que le petit eust expressément tourné la
teste pour voir ce qui en aviendroit. De Ξchasque chaque costé des pieds de ce Dieu on voyoit un grand tonneau η :
à costé droit Ξ*c'estoit celuy du bien, et l'autre estoit η celuy du mal, et a l'entour les vœux, les prieres, les
sacrifices estoient diversement figurez. *Car les sacrifices estoient representez par des fumees
entre-meslées de feu, et au dedans les vœux et
Ξles supplications paroissoient comme legeres Idées η, et a
peine marquees, en sorte que l'œil les Ξpeust peut Ξbien
recognoistre. ΞPour raconter η toutes ces peintures particulierement il seroit trop long Ce seroit un trop long discours de raconter η toutes ces peintures particuliérement : tant
y a que Ξl'entour le tour de la chambre en estoit tout plein.
Mesmes Venus dans sa conque Marine entre Ξautre chose autres choses regardoit encores la blesseure que le Grec η luy
fit en la guerre Troyenne, et l'on voyoit tout contre
le petit Cupidon qui la caressoit,
avec la Ξ*bruslure blesseure sur l'espaule, de la lampe de la
curieuse Psiché. Et cela si bien representé, que le
Berger ne le pouvoit discerner pour contrefait.
Et lors qu'il estoit plus avant en ceste pensée, les
trois Nymphes entrerent
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dans sa chambre, la beauté et
la majesté desquelles Ξravit encores davantage le Berger, et le ravirent encore plus en admiration. Mais ce qui luy persuada beaucoup Ξ*plus aysément ceste estrange opinion, et que ces trois Nymphes estoient les graces ses compagnes, ce fut qu'avec elles entra mieux
l'opinion qu'il avoit d'estre mort, fust que voyant ces
Nymphes, il les prit pour les trois graces ; et mesmes voyant entrer avec elles le petit Meril, de qui la
hauteur, la jeunesse, la beauté, les cheveuz frisez
et la jolie façon luy firent juger que c'estoit
Amour. Et quoy qu'il fust confus en luy mesme, si est-ce que ce courage qu'il eut tousjours Ξ*fort grand plus grand que ne requeroit pas le nom de Berger, luy donna
l'asseurance apres les avoir saluées, de demander en
quel lieu il estoit. A quoi Galathee respondit :
- Celadon vous estes en lieu, où l'on fait dessein de
vous guerir entierement, nous sommes celles qui vous
trouvant dans l'eau vous avons porté icy, où vous
avez toute Ξ*la puissance qu'il vous plaist puissance. Ξ*Pensez seulement à vostre guerison, car nous la desirons autant que vous mesmes. Alors Silvie s'avança : - Et
quoy Celadon (dit-elle) est-il possible que vous
ne me Ξconnoissiez cognoissiez point ? Vous ressouvient-il pas de
m'avoir veuë en vostre hameau ? - Je ne sçay
(respondit Celadon) belle ΞNimphe Nymphe, si l'estat où je suis
pourra excuser la foiblesse de ma memoire. - Comment,
dit la ΞNimphe Nymphe, ne vous ressouvenez-vous plus que la
ΞNimphe Nymphe Silvie, et deux de ses compagnes allerent voir
vos sacrifices et vos jeux, le jour que vous
chommiez à la Deesse Venus ? L'accident qui vous est
arrivé vous a t'il fait oublier, qu'apres que vous
eustes gagné à la Ξ*luitte course tous vos compagnons, Silvie fut celle qui vous donna pour prix un chappeau de
fleurs qu'incontinent vous mistes sur la teste
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à la
Bergere Astree. Je ne sçay pas si toutes ces choses
sont effacees de vostre memoire, si Ξsçai sçay-je bien que
quand vous portastes ma guirlande sur les beaux
cheveux d'Astree, chacun s'en estonna, à cause de
l'inimitié qu'il y avoit entre vos deux familles, et
particulierement entre Alcippe vostre pere, et Alcé pere d'Astree. Et lors Ξmesmes mesme j'en voulus sçavoir
l'occasion, mais on me l'embroüilla de sorte, que je Ξn'en ne peu sçavoir autre chose, sinon qu'Amarillis ayant esté aymee de ces deux ΞBergers Bergeres η, et Ξcomme entre qu'entre les
rivaux il y a tousjours peu d'amitié, ils vindrent
plusieurs fois aux mains, jusques à ce qu'Amarillis eut espousé vostre pere, et qu'alors Alcé, et la
sage ΞHypolite Hipolyte, que depuis il espousa, espouserent
ensemble une si cruelle haine contre eux, qu'elle ne
leur permit jamais d'avoir pratique ensemble. Or voyez, Celadon, si je ne vous cognois
pas bien, et si je ne vous donne Ξpas de bonnes enseignes de
ce que je dis. Le Berger oyant ces paroles s'alla peu à peu
remettant en memoire ce qu'elle disoit, et toutesfois
il estoit si estonné, qu'il ne sçavoit luy respondre ;
car ne cognoissant Silvie que pour Nymphe d'Amasis, et
à cause de sa vie champestre, n'ayant point Ξ*de cognoissance d'elle, il ne sçavoit que juger de se voir entr'elles familiarité avec elle, ny avec ses compagnes, il ne pouvoit juger pourquoy, ny comment il estoit a ceste heure parmy elles. En fin il respondit : - Ce que vous
me Ξdictes dites, belle Nymphe, est fort vray, et me
ressouviens que le jour de Venus, Ξvindrent trois Nymphes qui donnerent trois Nymphes donnerent
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les trois prix, desquels j'eu celuy de la
Ξ*luitte course. Lycidas, mon frere, celuy Ξ*de la course sauter, qu'il
donna à Phillis, et Silvandre celuy de chanter,
qu'il presenta à la fille η de la sage Bellinde. Mais
de me ressouvenir des noms qu'elles avoient, je ne le
sçaurois, Ξdautant d'autant que nous estions tant empeschez en
nos jeux que nous nous contentasmes de sçavoir que
c'estoient des Nymphes Ξ*Et Sylvandre qui avoit esté plusieurs fois en divers lieux de ceste contrée, et mesme à la grande ville de Marcilly, me fit entendre, quand je luy demanday qui elles estoient, que c'estoient des Nymphes d'Amasis, Dame de tout ce pays, car quant à moy, ne sortant point le corps des pasturages, et des bois, aussi ne faisoit mon esprit peu curieux, si bien que je ne sçavois autre chose d'Amasis que ce que l'on m'en disoit. d'Amasis, et de Galathee ;
car quant à nous, de mesme que nos corps ne sortent des pasturages, et des bois, aussi ne font nos
esprits peu curieux. - Et Ξdepuis despuis, repliqua Galathée,
n'en avez vous rien sçeu Ξdavantage d'avantage ? - Ce qui m'en a donné plus de cognoissance, respondit le Berger, Ξç'a ça esté le discours que mon pere Ξbien souvent m'a fait m'a fait bien souvent de ses fortunes, parmy Ξlequel lesquelles je luy ay plusieurs
fois ouy faire mention d'Amasis, mais non point
d'aucune particularité qui Ξluy la touche, quoy que je
l'aye bien desiré. - Ce desir (reprit Galathee) est
trop loüable pour ne luy satisfaire ; c'est pourquoy
je vous veux dire particulierement, et qui est
Amasis, et qui nous sommes.
Sçachez donc, gentil Berger, que de toute ancienneté
ceste contrée que l'on nomme à ceste heure ΞForetz Forestz
fut couverte de grands Ξabismes abysmes d'eau η, et qu'il n'y
avoit que les hautes montagnes que vous voyez à
l'entour, qui fussent Ξdescouvertes et découvertes, hormis quelques
pointes dans le milieu de la plaine, comme l'escueil
du bois d'Isoure, et Ξde Mont-Verdun ; de sorte que
les habitans demeuroient tous sur le haut des
montagnes.
[ 29 verso ] 1607 fonctionnelle
Et c'est pourquoy encores les anciennes
familles de Ξtoute ceste contree, ont les bastimens de leurs
noms sur les lieux plus relevez, et dans les plus
hautes montagnes, et pour preuve de ce que je dis,
vous voyez encores aux Ξcouppeaux coupeaux d'Isoure, de Mont-Verdun, et autour du Chasteau de Marcilly, Ξdes de gros Ξaneaux anneaux de fer Ξplantez plantés dans le rocher où les
vaisseaux s'attachoient, n'y ayant pas apparence qu'ils
peussent servir à autre chose. Ξ*Or en ce temps-là, ce pays fut donné en partage à la grande Desse Diane, où à cause des eaux, et des forests, elle monstra de se plaire plus que par tout ailleurs, car ses Driades et Amadriades vivoient et chassoient dans ces grands bois et hautes montagnes, qui ceignent à l'entour toute ceste plaine, et ses Naïades vivoient dans ceste grande assemblée d'eau, dont je vous ay parlé. Ξ*Mais il peut y avoir trois cents ans et davantage, qu'un estranger Romain, le conquereur en dix ans de toutes les Gaules, fit rompre quelques montagnes, par lesquelles ces eaux s'escoulerent, et peu apres se descouvrit le sein de nos plaines, lesquelles luy semblant agreables et fertilles, il delibera de les faire habiter, et ainsi fit descendre tous ceux qui vivoient aux montagnes et dans les forests, et par-ce que la plaine humide, et limonneuse, jetta grande quantité d'arbres, les peuples voisins nommerent ceste contrée Foretz, et les peuples Foresiens, au lieu qu'auparavant ils estoient appellez Segusiens, et voulut, que le premier bastiment qui y fut fait, portast le nom de Julius, comme luy, et depuis fit bastir la ville de Feurs, qui proprement n'estoit que le lieu où il tint son armée, le temps qu'il mist ordre aux affaires de ceste contrée, et de fait en leur langue elle s'appella Forum Segusianorum, qui est à dire, place ou marché des Segusiens. Et lors qu'il en partit, son lieutenant qui demeura pour commander en tous ces quartiers, fit bastir sur un coustau la ville capitale, laquelle il nomma de son nom, Marcilly. Mais pour retourner à nostre propos, lors que Mais il peut y avoir quatorze où quinze siecles, qu'un estranger Romain η, qui en dix ans conquit toutes les Gaules, fit rompre quelques montagnes, par lesquelles ces eaux s'escoulerent, et peu apres se découvrit le sein de nos plaines, qui luy semblerent si agreables et fertiles, qu'il delibera de les faire habiter, et en ce dessein fist descendre tous ceux qui vivoient aux montagnes, et dans les forests, et voulut que le premier bastiment qui y fut fait, portast le nom de Julius, comme luy. Et parce que la plaine humide et limoneuse jetta grande quantité d'arbres, quelques uns ont dit que le pays s'appelloit Foretz, et les peuples Foresiens, au lieu que auparavant ils estoient nommez Segusiens. Mais ceux-là sont fort deceus, car le nom de Foretz vient de Forum qui est Feurs, petite ville que les Romains firent bastir, et qu'ils nommerent Forum Segusianorum, comme s'ils eussent voulu dire la place ou le marché des Segusiens, qui proprement n'estoit que le lieu où ils tenoient leurs armées durant le temps qu'ils mirent ordre aux contrees voisines.
[ 30 recto ] 1607 fonctionnelle
Voilà, Celadon, ce que l'on tient pour asseuré de l'antiquité de ceste province, mais il y a deux opinions contraires de ce que je vous vay dire. Les Romains disent que du temps que nostre plaine estoit encores couverte d'eau, la chaste Deesse Diane l'eut tant agreable qu'elle y demeuroit presque ordinairement ; car ses Driades, et Amadriades vivoient et chassoient dans ces grands bois et hautes montagnes qui ceignoient ceste grande quantité d'eaux, et parce qu'elle n'estoit que de sources de fontaines, elle y venoit bien souvent se baigner avec ses Nayades qui y demeuroient ordinairement. Mais lors que les eaux s'escoulerent,
les Nayades Ξde Diane furent contraintes de les suivre, et
d'aller avec elles dans le sein de l'Ocean, si bien
que la Deesse se trouva tout à coup amoindrie de la
moitié de ses Nymphes ; et cela fut cause que ne
pouvant avec un chœur si petit, continuer ses
ordinaires passe-temps, elle esleut quelques filles
des principaux Druides et Chevaliers, qu'elle joignit
avec les Nymphes qui luy estoient restees, ausquelles
elle donna aussi le nom de Nymphe.
Ξ*Or les Druides comme vous sçavez, sont ceux qui administrent la justice souveraine, et qui font les sacrifices par toutes les Gaules, quoy qu'ils ayent leur siege principal à Dreux, ville ainsi nommée, du nom qu'ils portent ; d'autre costé les Chevaliers sont ceux qui commandent aux affaires de la guerre, si bien que ces deux ordres ont toute souveraine authorité sur les Gaulois, en paix, et en guerre. De là advint qu'apres que Diane eut choisi plusieurs de leurs filles Mais il advint, comme en fin l'abus pervertit tout
ordre, Ξelles que plusieurs d'entr'elles qui avoient de
jeunesse esté nourries en leurs maisons, les unes,
entre les commoditez d'une amiable mere, les autres
entre les Ξalleichements allechements des souspirs, et des services
des ΞAmants Amans, ne pouvant continuer les peines de la
chasse, ny bannir de leur memoire les honnestes
affections de ceux qui autresfois les avoient
[ 30 verso ] 1607 fonctionnelle
recherchees,
Ξplusieurs se voulurent retirer en leurs maisons, et se
marier. Quelques autres η, à qui la Déesse en refusa le
congé, manquerent à leurs promesses, et à leur
honnesteté, dequoy elle fut tant irritée, qu'elle
resolut d'Ξesloigner éloigner ce pays, profané, ce luy sembloit,
de ce vice qu'elle abhorroit si fort. Mais pour ne
punir la vertu des unes, avec l'erreur des autres,
avant que de partir, elle chassa ignominieusement, et
bannit à jamais hors du pays toutes celles qui
avoient failly, et Ξesleut eleut une des autres, à laquelle
elle donna la mesme authorité qu'elle avoit sur
toute la contree, et voulut qu'à jamais la race de
celle-la y Ξeust eut toute Ξ*souveraine puissance, et des lors leur
permit se marier, avec Ξdeffenses deffences toutesfois
tres expresses, que les hommes Ξne succedassent jamais à ceste puissance ny succedassent jamais. Depuis ce temps il n'y a point eu d'abus
entre nous, Ξcar et nos loix ont tousjours esté
inviolablement observees. Mais nos Druydes parlent bien d'autre sorte : car ils
disent que nostre grande Princesse Galathee, fille
du roy Celtes, femme du grand Hercule, et mere de
Galathee, qui donna son nom aux Gaulois qui
auparavant estoient appellez Celtes, pleine d'amour
pour son mary, le suivoit partout où son courage et
sa vertu le portoient contre les monstres, et contre
les Geants. Et de fortune en ce temps-la ces monts
qui nous separent de l'Auvergne, et ceux qui sont
plus en là à la main gauche, qui se nomment Cemene,
et Gebenne, servoient de retraite à quelques Geants
qui par leur force se rendoient redoutables à chacun. Hercule en estant averty y vint, et par ce qu'il
[ 31 recto ] 1607 fonctionnelle
aymoit tendrement sa chere Galathee, il la laissa
en ceste contree qui estoit la plus voisine, et où
elle prenoit beaucoup de plaisir, fut en chasse,
fut en la compagnie des filles de la contree. Et
parce qu'elle estoit Royne de toutes les Gaules,
lors qu'Hercule eust vaincu les Geants, et que la
necessité de ses affaires le contraignit d'aller
ailleurs, avant que partir, pour laisser une memoire eternelle du plaisir qu'elle avoit eu en ceste
contree, elle ordonna ce que les Romains disent que
la Deesse Diane avoit fait. Mais que ce soit Galathee, où Diane, Ξet semble que nous ayons *tant y a que, par un privilege surnaturel, nous avons esté particulierement maintenuës
en nos franchises, Ξpar la puissance de nostre Deesse Diane, * puis que de tant de peuples, qui
comme Ξtorrents torrens sont fondus dessus la Gaule, il n'en Ξn' y a point eu qui nous Ξayt ait troublé en nostre repos ;
mesme Alaric Roy des Visigotz, lors qu'il conquit
avec l'Aquitaine toutes les Provinces de deça Loyre,
ayant sceu nos statuts, en reconfirma les privileges,
et sans usurper aucune authorité sur nous, nous
laissa en nos anciennes franchises. Vous trouverez peut-estre estrange, que je vous parle
ainsi particulierement des choses qui sont outre la
capacité de celles de mon Ξaage âge ; mais il faut que vous
sçachiez, que ΞPimander Pimandre η, qui estoit mon pere, a esté
Ξfort curieux de rechercher les antiquitez de ceste contrée,
de sorte que les plus sçavants ΞDruides Druydes luy en
discouroient d'ordinaire durant le repas, et moy qui
estois presque tousjours à ses costez, en retenois ce
qui me plaisoit le plus. Et ainsi je sçeus que d'une
ligne
[ 31 verso ] 1607 fonctionnelle
continuée, Amasis ma mere estoit descenduë de
Ξcelle celles que la Deesse Diane ou Galathee avoit esleuë.
Et c'est pourquoy estant Dame de toutes ces contrees,
et ayant encore un fils nommé ΞClitaman Clidaman, elle nourrit avec nous quantité de filles, et Ξdes de jeunes fils des
ΞDruides Druydes, et des Chevaliers, qui pour estre en si bonne
escole, apprennent toutes les vertus que leur âge
peut permettre. Les filles vont vestuës comme vous
nous voyez, qui est une sorte Ξ*d'habits que les Nimphes de Diane d'habit que Diane ou Galathée avoient accoustumé de porter, et que nous
avons tousjours maintenuë pour memoire d'elle. Voyla,
Celadon, ce que vous vouliez sçavoir de nostre estat,
et m'asseure avant que vous nous Ξesloigniez esloignez (car je
veux que vous nous voyez toutes ensemble) que vous
direz nostre assemblee ne ceder à nul autre, Ξny n'y η en
vertu ny en beauté.
Alors Celadon cognoissant qui estoient ces belles
Nymphes, recogneut aussi quel respect il leur devoit,
et quoy qu'il n'eust pas accoustumé de se trouver
ailleurs qu'entre des Ξbergers Bergers, ses semblables, si est-ce que la bonne naissance qu'il avoit, luy
apprenoit assez Ξ*la civilité ce qu'il devoit à telles personnes.
Donc apres leur avoir rendu l'honneur Ξà quoy il luy sembloit leur estre auquel il croyoit estre obligé : - Mais (dit-il en continuant)
encor ne puis-je assez m'estonner de me voir entre
tant de grandes Nymphes, moy qui ne Ξ(Guillemets de "suis" à "sous les".) suis qu'un simple
Berger, et de recevoir d'elles tant de faveurs.
- Celadon, respondit Galathée, en Ξquel quelque lieu que
la vertu se trouve, elle merite d'estre
[ 32 recto ] 1607 fonctionnelle
aymée, et
honorée, aussi bien sous les habits
des Bergers, que
sous la glorieuse pourpre "
des Roys. Et pour vostre
particulier vous "
n'estes point envers nous en moindre
consideration, que le plus grand des ΞDruides Druydes, ou des
Chevaliers de nostre Ξcourt Cour, car vous ne devez leur
ceder en faveur, puis que vous ne le Ξfaictes faites pas en merite.
Et Ξquant à quand a ce que vous vous voyez entre nous, sçachez
que ce n'est point sans un grand mystere de nos
Dieux, qui nous l'ont ainsi ordonné, comme vous le
pourrez sçavoir à loisir, soit qu'ils ne vueillent
plus que tant de vertus demeurent sauvages entre les
forests, et les lieux champestres, soit qu'ils facent
dessein, en vous faisant plus
grand que vous n'estes, de rendre par vous bien-heureuse
une personne qui vous ayme. Vivez seulement en repos,
et vous guerissez, car il n'y a rien que vous
puissiez desirer en l'estat où vous estes, que la
santé. - Madame, respondit le Berger, qui n'entendoit
pas bien ces paroles, si je dois desirer la santé, le
principal sujet est, pour vous pouvoir rendre quelque
service, en eschange de tant de graces qu'il vous
plaist de me faire ; il est vray que tel que je suis,
il ne faut point parler que je sorte des bois, ny de
nos pasturages, autrement le vœu Ξsolennel solemnel que nos
peres ont fait aux Dieux, nous accuseroit envers eux,
d'estre indignes enfans de tels peres. - Et quel est
ce serment ? respondit la Nymphe. - L'histoire,
repliqua Celadon, en seroit trop longue, si mesme Ξ*je voulois il me faloit redire le sujet, que mon pere
[ 32 verso ] 1607 fonctionnelle
Alcipe a eu
de le continuer. Tant y a, Madame, qu'il y a plusieurs
annees, que d'un accord general, tous ceux qui estoient
le long des rives de Ξde Loyre Loire, Ξ*de Lignon, de Furan,
d'Argent, et de toutes ces autres rivieres, apres
avoir Ξ*longuement souffert bien recogneu les incommoditez que l'ambition
d'un peuple nommé Romain, Ξleur faisoit ressentir à leurs voisins pour le desir de dominer, Ξils s'assemblerent dans
ceste grande plaine, qui est autour de Mont-verdun,
et Ξlà d'un mutuel consentement, jurerent tous de fuir
à jamais toute sorte d'ambition, puis qu'elle seule
estoit cause de tant de peines, et de vivre, eux et
les leurs, avec le paisible habit de Bergers. Et
depuis a esté Ξremarqué marqué η (tant Ξ*nos les Dieux ont eu agreable
ce vœu) que nul de ceux qui l'ont fait, ou de leurs
successeurs, n'a eu que travaux et peines
incroyables, s'il ne l'a observé ; et entre tous, mon
pere en est Ξle plus nouvel, et remarquable exemple l'exemple le plus remarquable et le plus nouveau ; de sorte que Ξtous ayant cogneu que la volonté du
Ciel estoit de nous retenir en repos ce que nous avons
à vivre, nous avons de nouveau ratifié ce vœu, avec
tant de serments, que celuy Ξseroit trop detestable qui le romproit qui le romproit seroit trop detestable. - Vrayement, respondit la Nymphe,
je suis tres-aise d'oüir ce que vous me Ξdictes dites, car il y a fort longtemps que j'en ay ouy parler, et n'ay
encore peu sçavoir pourquoy tant de bonnes et
anciennes familles, Ξcommes comme j'oyois dire qu'il y en
avoit entre vous, s'amusoient hors des villes, à
passer leur Ξâge aage entre les bois, et les lieux
solitaires. Mais, Celadon, si l'estat où vous estes,
le vous Ξ*veut peut permettre, Ξdictes dites
[ 33 recto ] 1607 fonctionnelle
moy je vous prie, quelle a esté la fortune de vostre pere Alcippe, pour luy faire reprendre Ξl'estat la sorte de vie qu'il avoit si long temps Ξlaissé laissée, car je m'asseure que le discours merite d'estre sçeu. Alors Ξle Berger, quoy qu'il quoy que le Berger se sentist encore mal de l'eau qu'il avoit avalee, si est ce qu'il se contraignit pour luy obeir, et commença de Ξcette ceste sorte.
Histoire d'Alcippe
Vous me commandez, Madame, de vous dire la fortune la
plus traversee, et
la plus diverse d'homme du monde,
et en laquelle "
on Ξ(Guillemets de "peut" à "soy-mesme".) peut bien apprendre, que Ξqui celuy qui veut donner "
de la peine à autruy s'en prepare Ξà soy-mesme la
plus "
grande
partie. ΞToutesfois Toutefois, puis que vous le
voulez ainsi, pour ne vous desobeïr, je vous en diray
briefvement ce que j'en ay appris par les ordinaires
discours de celuy mesme à qui toutes ces choses sont
advenuës ; car pour nous faire entendre, combien nous
Ξ*sommes estions heureux de vivre en repos d'esprit, mon pere
nous Ξest allé racontant a raconté bien souvent ses fortunes estranges.
Sçachez donc Madame, qu'Alcippe ayant esté nourry par son pere avec la simplicité de Berger, eut
tousjours un esprit si esloigné de sa nourriture, que
Ξtout toute autre chose luy plaisoit Ξ*davantage que ce qui estoit des villageois plus que ce qui sentoit le village. Si bien que jeune enfant, pour presage de
ce qu'il reüssiroit, et à quoy estant en âge il Ξs'adonneroit s'addonneroit, il n'avoit plaisir si grand que de
faire des
[ 33 verso ] 1607 fonctionnelle
assemblées d'autres enfans ainsy que luy,
ausquels il apprenoit de se mettre en ordre, et les
armoit, les uns de Ξfrondes fondes η, les autres d'Ξarc arcs, et de
fléches, Ξdesquelles desquels il leur montroit à tirer justement,
sans que les menaces des vieux et sages Bergers l'en
peussent destourner. Les anciens de nos hameaux qui
voyoient ses actions, predisoient de grands troubles
par ces contrées, et sur tout qu'Alcippe seroit un
esprit Ξturbulant turbulent qui jamais ne s'arresteroit dans
les termes Ξde du Berger. Lors qu'il commençoit
Ξ*d'attaindre la quinze ou seiziesme année d'atteindre un demy siecle de
son âge, de fortune il devint amoureux de la Bergere Amarillis, qui pour lors estoit recherchée
secrettement d'un autre Berger son voisin, nommé
Alcé. Et parce qu'Alcippe avoit une si bonne opinion
de soy-mesme, qu'il luy sembloit n'y avoir Bergere qui
ne receust aussi librement son affection, comme il la
luy offriroit, il se resolut de n'user pas de
beaucoup d'artifice pour la luy declarer, de sorte
que la rencontrant à un des sacrifices de Pan, ainsi
qu'elle retournoit en son hameau, il luy dit : - Je
n'eusse jamais creu avoir si peu de force, que de ne
pouvoir resister aux coups d'un ennemy, qui me blesse
sans y
" penser. Elle luy respondit : - Celuy qui blesse
par
" Ξmesgarde mégarde ne doit pas avoir le nom d'ennemy.
" - Non pas, respondit-il, en ceux qui ne s'arrestent
" pas aux Ξeffaits effets, mais aux
paroles seulement η : Ξet mais
" quant à moy, je trouve que
celuy qui offense
" comme que ce soit, est ennemy, et
c'est
pourquoy je vous puis bien donner ce nom. - A
moy, repliqua-t-elle ? Je n'en voudrois Ξpas avoir, ny
[ 34 recto ] 1607 fonctionnelle
Ξl'effait l'effet, ny la pensee, car je Ξfaits fais trop d'estat de
vostre merite. - Voila, adjousta le Berger, un des coups dont vous m'offensez le plus en me disant une
chose pour une autre. Que si veritablement vous
recognoissiez en moy ce que vous Ξdictes dites, autant que je
m'estime outragé de vous, autant m'en dirois je
favorisé. Mais je voy bien qu'il vous suffit de porter Ξl'amour l'Amour aux yeux, et en la bouche, sans luy donner
place dans le cœur. La Bergere alors se trouvant surprise, comme n'ayant
point entendu parler d'Ξamour Amour, lui respondit : - Je fais
estat, Alcippe, de vostre vertu ainsi que je dois, et
non point outre mon devoir, et quant à ce que vous
parlez d'Amour, croyez que je n'en veux avoir, ny dans
les yeux, ny dans le cœur pour personne, et moins
pour Ξces ses η esprits abaissez η, qui vivent comme des sauvages dans les bois. - Je cognois bien, repliqua
le Berger, que ce n'est point élection d'Amour, mais
ma destinée, qui me fait estre vostre, puis que si
l'Amour doit naistre de ressemblance d'humeur, il
seroit bien mal-aisé qu'Alcippe n'en eust pour vous
qui dés le berceau a eu en haine Ξceste cette vie champestre,
que vous Ξmesprisez méprisez si fort ; et vous proteste, Ξque s'il ne
faut que changer de condition pour avoir part en vos
bonnes graces, que dés icy je quitte la houlette, et
les trouppeaux, et veux vivre entre les hommes, et non
point entre les sauvages. - Vous pouvez bien, Ξrespondit repondit
Amarillis, changer de condition, mais non pas Ξme la m'en faire changer, Ξqui suis estant resoluë de n'estre jamais moins
à moy que je suis pour donner place a quelque
[ 34 verso ] 1607 fonctionnelle
plus
forte affection. Si vous voulez donc que nous
Ξcontinuons continuions de vivre, comme nous avons fait par le
passé, changez ces discours d'affection et d'Amour,
en ceux que vous souliez me tenir Ξautresfois autrefois, ou bien
ne trouvez point estrange que je me bannisse de Ξvous vostre presence, estant impossible qu'Amour et l'honnesteté
d'Amarillis puissent Ξ*se souffrir demeurer ensemble. Alcippe qui n'avoit point attendu une telle response,
se voyant si Ξ*esloigné de son attente éloigné de sa pensee, fut tellement
confus en soy-mesme, qu'il demeura quelque temps sans
luy pouvoir respondre ; en fin estant revenu, il
tascha de se persuader, que la honte η de son âge et
de son sexe, et non pas faute de bonne volonté envers
luy, luy avoit fait tenir tels propos. C'est pourquoy
il luy respondit : - ΞQuelle Qu'elle η que
vous me puissiez estre, je ne seray jamais autre que
vostre serviteur, et si le commandement que vous me
Ξfaictes faites n'estoit incompatible avec mon affection, vous
devez croire qu'il n'y à rien au monde qui m'y Ξpust peut η faire contrevenir ; vous m'en excuserez donc, et
me permettrez que je continuë ce dessein, qui n'est qu'un
tesmoignage de vostre merite, et auquel vueillez vous
ou non, je suis entierement resolu.
La Bergere tournant doucement l'œil Ξcontre vers luy : - Je ne
sçay Alcippe [ luy dit-elle ] si c'est par Ξgajeure gageure ou
par opiniastreté que vous Ξme parlez de ceste sorte. - C'est
respondit-il Ξpour par tous les deux, car j'ay fait Ξgajeure gageure avec mes desirs de vous vaincre, ou de mourir, et
ceste resolution s'est changee en opiniastreté, ny η ayant rien qui me puisse
[ 35 recto ] 1607 fonctionnelle
divertir du serment que j'en
ay Ξfait faict. - Je serois bien aise (repliqua Amarillis)
que vous eussiez pris quelqu'autre pour butte de telles
importunitez. - Vous nommerez (luy dit le Berger) mes
affections comme il vous plaira, cela ne peut Ξtoutesfois toutefois me faire changer de dessein. - Ne trouvez donc point
mauvais, repliqua Amarillis, si je suis aussi ferme
en mon opiniastreté, que vous en vostre importunité.
Le Berger voulut repliquer, mais il fut interrompu par
plusieurs Bergeres qui survindrent ; de sorte
qu'Amarillis, pour conclusion, luy dit assez bas :
- Vous me ferez Ξdesplaisir déplaisir, Alcippe, si vostre
déliberation est Ξrecogneuë cogneuë, car je me contente de
Ξsçavoir scavoir vos folies, et aurois trop de Ξdesplaisir déplaisir que
quelqu'autre les Ξentendist entredist η. Ainsi finirent les premiers discours η de mon pere, et
d'Amarillis, qui ne firent que luy augmenter le desir
qu'il avoit de la servir, Ξ(Guillemets de "Car à "que".) car rien ne donne tant
d'Amour que l'honnesteté. Et de fortune le long du
chemin, ceste trouppe rencontra Celion, et Bellinde,
qui s'estoient arrestez à contempler deux tourterelles,
qui sembloient se caresser, et se faire l'Amour l'une
à l'autre, sans se soucier de voir à l'entour d'elles
tant de personnes. Alors Alcippe se ressouvenant du
commandement qu'Amarillis venoit de luy faire, ne
peut s'empescher de souspirer tels vers, et par ce
qu'il avoit la voix assez bonne, Ξchâcun chacun se teut pour
l'escouter.
[ 35 verso ] 1607 fonctionnelle
Sonnet Ξd'Alcippe
sur les contraintes de l'honneur.
Ξ*O Couples bienheureux, aymables tourterelles,
Sans nombre redoublez vos baisers amoureux,
Et allez à l'envy renouvellant par eux,
Tantost vos douces paix, puis vos douces querelles !
Chers oyseaux de Venus, aymables Tourterelles,
Qui redoublez sans fin vos baisers amoureux,
Et lassez η à l'envy renouvellez par eux,
Ores vos douces paix, or vos douces querelles,
Ξ*Quand je vous vois languir d'un tremoussement d'ayles
Et à demy lassez η vous caresser tous deux,
O gentils oyselets, que je vous dis heureux,
De jouïr librement de vos amours fidelles !
Quand je vous voy languir, et tremousser des aisles,
Comme ravis de l'aise ou vous estes tous deux,
Mon Dieu, qu'à nostre égard je vous estime heureux.
De jouir librement de vos Amours fidelles !
Ξ*Que vous estes heureux de montrer franchement,
Ce, qu'helas ! il nous faut cacher si finement
Sous les injustes loix que cet honneur nous donne !
Vous estes fortunez de pouvoir franchement
Monstrer ce qu'il nous faut cacher si finement
Par les injustes loix que cest honneur nous donne.
Ξ*De nostre propre bien nous rendant ennemis :
Car le cruel qu'il est, sans raison il ordonne,
Qu'en Amour seulement η le larcin soit permis.
Honneur feint qui nous rend de nous mesme ennemis,
Car le cruel qu'il est, sans raison il ordonne
Qu'en Amour seulement η le larcin soit permis.
Depuis ce temps, Alcippe se laissa tellement transporter à son affection, qu'il n'y avoit plus de borne qu'il n'outrepassast, et elle au contraire se monstroit tousjours plus froide, et plus gelee envers luy ; et sur ce sujet, un jour qu'il fut prié de chanter, il dit tels vers η.
[ 36 recto ] 1607 fonctionnelle
Madrigal, sur la froideur d'Amarillis.
Ξ*Elle a le cœur de glace, et les yeux tous de flame,
Et moy pour mon mal-heur
Je gele η par dehors, et j'ay le feu dans l'ame.
Mais c'est par-ce qu'Amour, qui se paist de douleur,
Loge dedans mon cœur, et aux yeux de Madame.
Dieux ! changera-t'il point quelquefois ce moqueur ?
Et que je l'aye aux yeux, et elle dans le cœur ?
Elle a le cœur de glace, et les yeux tous de flame,
Et moy tout au rebours
Je gele η par dehors, et je porte tousjours
Le feu dedans mon ame,
Helas : C'est que l'Amour,
A choisi pour sejour
Et mon cœur et les yeux de ma belle Bergere.
Dieu, changera-t'il point quelques fois de dessein,
Et que je l'aye aux yeux, et qu'elle l'ait au sein ?
En ce temps-là, comme je vous ay dit, Alcé recherchoit Amarillis, et parce que c'estoit un tres-honneste Berger, et qui estoit tenu pour fort sâge, le pere
d'Amarillis Ξinclinoit panchoit plus à la luy bailler,
que non point à Alcippe, à cause de son courage Ξturbulant turbulent. Et au contraire la Bergere Ξaimoit aymoit Ξdavantage d'avantage
mon pere, par ce que son humeur estoit plus
approchante de la sienne, ce que recognoissant bien
le sage pere, et ne voulant user de Ξviolance violence ni d'authorité absoluë envers elle, il eut opinion que
Ξl'esloignement l'éloignement la pourroit divertir de ceste volonté ;
et ainsi resolut de l'envoyer pour quelque temps vers Artemis Ξseur sœur d'Alcé, qui se tenoit sur les rives
de la
riviere d'Allier. Lors qu'Amarillis
sçeut la
deliberation "
de son pere, comme tousjours on s'efforce "
contre les choses defenduës, elle prit resolution de
ne partir point sans Ξassurer asseurer Alcippe de sa bonne
volonté ; en ce dessein elle luy escrivit tels mots.
[ 36 verso ] 1607 fonctionnelle
Vostre opiniastreté a surpassé la mienne, mais la mienne aussi surmontera celle qui me contraint de vous advertir, que demain je parts, et qu'aujourd'huy si vous Ξme vous trouvez sur le chemin, où nous nous rencontrasmes avant-hier, et que vostre Amour se puisse contenter de parole, elle aura occasion de l'estre, et à Dieu.
Il seroit trop long, Madame, de vous dire tout ce qui
se passa particulierement entr'eux, outre que l'estat
où je me trouve, m'empesche de le pouvoir faire. Ce
me sera donc assez en abregeant, de vous dire qu'ils
se rencontrerent au mesme endroit, et que ce fut la
le premier lieu où mon pere eut asseurance d'estre
Ξaymé aimé d'Amarillis, et qu'elle luy conseilla de laisser
la vie champestre où il avoit esté nourry, parce
qu'elle la Ξmesprisoit méprisoit comme indigne d'un noble courage,
luy promettant qu'il n'y avoit rien d'assez fort pour
la divertir de sa resolution. Apres qu'ils furent
separez, Alcippe grava tels vers sur un arbre, le
long du bois.
[ 37 recto ] 1607 fonctionnelle
Sonnet.
D'Alcippe sur la constance de
son amitié.
Amarillis toute pleine de grace,
Alloit ces bors de ces fleurs despouillant.
Mais sous la main qui les alloit cueillant,
D'autres soudain renaissoient en leur place.
Ces beaux cheveux, où l'Amour s'entrelasse,
Amour alloit d'un doux air éveillant
Et s'il en voit quelqu'un s'éparpillant,
Tout curieux soudain il le ramasse.
Telle Lignon pour la voir s'arresta,
Et pour miroir ses eaux luy presenta.
Et puis luy dit : Une si belle image
A ton Ξdespart départ mon onde esloignera ;
Mais de mon cœur jamais ne partira
Le traict fatal, Nymphe η, de ton visage.
Lors qu'elle fut partie, et qu'il commença à bon escient Ξà de ressentir les Ξdesplaisirs déplaisirs de son absence,
allant bien souvent sur le mesme lieu où il avoit pris
congé de sa Bergere, il y souspira plusieurs fois tels
vers.
[ 37 verso ] 1607 fonctionnelle
Sonnet,
Ξd'Alcippe Sur l'Absence.
Ξ*Belle onde de Lignon, qui de source éternelle,
Du gratieux FOREST va le sein arrousant,
Et qui flot dessus flot ne te va reposant,
Que tu ne sois rentré dans l'onde paternelle ;
Riviere de Lignon dont la course eternelle
Du gratieux Forets va le sein arrousant,
Et qui flot dessus flot ne te vas reposant,
Que tu ne sois r'entrée en l'onde paternelle,
Ξ*Ne vois-tu point Allier qui te ravit ta belle,
Use comme outrageux du droit du plus puissant,
Et qu'ainsi ton Soleil loin de toy ravissant,
Il semble que par force au combat il t'appelle.
Ne vois-tu point Allier qui ravissant ta belle,
Use comme outrageux des Loix du plus puissant,
Et l'honneur de tes bords loing de toy ravissant,
T'oblige d'entreprendre une juste querelle ?
Ξ*Contre ce ravisseur sousleve à ton secours,
Les yeux qui sur tes bords vont pleurant leurs amours,
Fleschir à l'outrageux est faute de courage.
Contre ce ravisseur appelle à ton secours,
Ceux qui pour son départ répandent tous les jours
Les larmes que tu vois inonder ton rivage.
Ξ*Ose le seulement, que mille de nos cœurs
Te dorront pour secours milles fleuves de pleurs,
Qui ne se tariront qu'en vengeant ton outrage η.
Ose-le seulement, et nos yeux et nos cœurs
Verseront pour t'ayder milles fleuves de pleurs,
Qui ne se tariront qu'en vengeant ton outrage η.
Mais ne pouvant Ξpatienter de vivre sans la veoir au mesme lieu, où
il avoit tant accoustumé le bien de sa veuë, il se
resolut, comme que ce fust, de partir de la, et lors
qu'il en cherchoit l'occasion, il s'en presenta une
toute telle qu'il l'eust sçeu desirer. Ξcar Peu auparavant
la mere d'Amasis estoit morte, et on se preparoit
dans la grande ville
[ 38 recto ] 1607 fonctionnelle
de Marcilly de la recevoir
comme nouvelle Dame, avec beaucoup de triomphe. Et
parce que les preparatifs, que l'on y faisoit y
attiroient par Ξla curiosité presque tout le pays, mon
pere fit en sorte qu'il Ξen obtint le congé obtint congé d'y aller. Et
c'est de là Ξque nasquit la source d'où vint le commencement de tous ses
travaux. Il Ξ*estoit de l'âge de dixsept à dixhuict ans avoit un demy siecle et quelques lunes, le visage beau entre tous ceux de ceste contrée, les
cheveux blonds, annelés et crespez de la Nature,
qu'il portoit assez longs Ξ*car Clodion n'avoit encor fait la defense des chevelures, outre que nous n'estions point de ses sujects ; il avoit tous les traicts du visage si beaux et agreables ; et bref, Madame, il estoit tel que l'Amour en voulut faire peut-estre
quelque secrette vengeance. Et voicy comment : Il fut
veu de quelque Dame, et si secrettement Ξaimé aymé d'elle,
que jamais nous n'en avons peu sçavoir le nom. Au
commencement qu'il arriva à Marcilly, il estoit
Ξvestu venu η en Berger, mais assez proprement, car son pere
le cherissoit fort, et afin qu'il ne fist quelque
folie, comme il avoit accoustumé en son hameau, il
luy mit deux ou trois Bergers aupres, qui en avoient le
soing, principalement un nommé Cleante, homme à qui
l'humeur de mon pere plaisoit, de sorte qu'il l'aimoit
comme s'il eust esté son fils. Ce Cleante en avoit
un nommé Clindor, de Ξl'âge l'aage de mon pere, qui sembloit
avoir eu de Ξla nature la mesme inclination Ξen l'amitié d' à aymer
Alcippe. Alcippe, qui d'autre costé recognoissoit
ceste affection, l'aima plus que tout autre, ce qui
estoit si agreable à Cleante qu'il n'avoit rien
qu'il Ξpust peust η refuser à mon pere. Cela fut cause qu'apres avoir veu quelques jours,
comme Ξle les jeunes
[ 38 verso ] 1607 fonctionnelle
Chevaliers qui estoient à ces festes,
alloient vestus, comme ils s'armoient et combattoient
à la barriere, et ayant declaré son dessein à son amy
Clindor, tous deux ensemble requirent Cleante de leur
vouloir donner les moyens de se faire paroistre entre
ces Chevaliers. - Et comment, leur dit Cleante,
avez vous bien le courage de vous esgaler à eux ?
- Et pourquoy non (dit Alcippe) n'ay-je pas autant
de bras, et de jambes qu'eux ? - Mais, dit Cleante,
vous n'avez pas appris les civilitez des villes. - Nous
ne les avons pas apprises, dit-il, mais elles ne sont
point si difficiles qu'elles nous doivent oster
l'esperance de les apprendre bien tost ;et puis il me
semble qu'il n'y Ξa à pas tant de difference de celles cy aux
nostres, que nous ne les changions bien aisément.
- Vous n'avez pas, dit-il, l'adresse aux armes. - Nous avons,
repliqua t'il, assez de courage pour suppleer à ce
deffaut. - Et quoy, adjousta Cleante, voudriez vous
laisser la vie champestre ? - Et qu'ont affaire,
respondit Alcippe, les bois avec les hommes ? et que
peuvent apprendre les hommes en la pratique des
bestes ? - Mais, respondit Cleante, ce vous sera
bien du desplaisir de vous voir desdaigner par ces
glorieux Ξcourtisants courtisans, qui a tous coups vous reprocheront
que vous estes des Bergers. - Si c'est honte, dit
Alcippe, d'estre Berger, il ne le faut plus estre ;
si ce n'est pas honte, le reproche n'en peut estre
mauvais. Que s'ils me méprisent pour ce nom, je
tascheray par mes actions de me faire estimer.
En fin
[ 39 recto ] 1607 fonctionnelle
Cleante les voyant, Ξet l'un et l'autre si resolus à faire autre
vie que celle de leurs peres : - Or bien, dit-il, mes
Ξenfants enfans, puis que vous avez pris ceste resolution, je
vous diray, que quoy que vous soyez tenus pour
Bergers, vostre naissance Ξtoutesfois toutes fois vient des plus
anciennes tiges de ceste contree, et d'où il est Ξsorty sorti autant de braves Chevaliers que de quelqu'autre qui
soit en Gaule, mais une consideration contraire à
celle que vous avez leur fit eslire ceste vie
retirée ; par ainsi ne craignez point que vous ne
soyez bien reçeus entre ces Chevaliers, Ξdesquels dont les
principaux sont mesmes de vostre sang. Ces paroles ne
servirent que de rendre leur desir plus ardant, car
ceste cognoissance leur donna plus d'envie de mettre
en effet leur resolution, sans considerer ce qui leur
pourroit advenir, Ξsoit fut par les incommoditez que telle
vie rapporte, Ξsoit fut par le desplaisir, que le pere
d'Alcippe et ses parents en recevroient. Dés l'heure,
Cleante fit la despence de tout ce qui leur estoit
necessaire. Ils estoient tous deux si bien nays,
qu'ils s'acquirent bien tost la cognoissance et
l'amitié de tous les principaux. Et Alcippe en mesme
temps s'adonna de telle sorte aux armes, qu'il reüssit un des bons Chevaliers de son temps.
Durant ces festes qui continuerent deux Ξ*mois lunes, mon
pere fut veu, comme je vous ay dit, Ξpar une d'une Dame, de Ξlaquelle qui je n'ay jamais peu sçavoir le nom, et Ξparce par ce qu'il ne
luy defailloit aucune de ces choses qui peuvent faire
aymer,
[ 39 verso ] 1607 fonctionnelle
elle en fut de sorte esprise, qu'elle inventa
une ruze η assez bonne pour venir à bout de son
intention. Un jour que mon pere assistoit dans un
temple aux sacrifices, qui se faisoient pour Amasis,
une assez vieille femme se vint mettre pres de luy,
et feignant de faire ses oraisons, elle luy dit deux
ou trois fois : - Alcippe, Alcippe, sans le regarder. Luy qui s'ouyt nommer, luy voulut demander ce qu'elle
luy vouloit. Mais luy voyant les yeux
tournez ailleurs, il creut qu'elle parloit à un
autre ; elle qui s'apperceut qu'il l'escoutoit,
continua : - Alcippe, c'est à vous à qui je parle,
encor que je ne vous regarde point : si vous desirez
d'avoir la plus belle fortune que jamais Chevalier
ait euë en ceste ΞCourt Cour, trouvez-vous entre jour et
nuict au carrefour qui conduit à la place de Pallas et la vous sçaurez de moy le reste. Alcippe voyant qu'elle luy parloit de ceste sorte,
sans la regarder aussi, luy respondit qu'il s'y
trouveroit. A quoy il ne faillit point ; car le soir
Ξaprochant approchant, il s'en alla au lieu assigné, où il ne
tarda Ξguiere sans guere que ceste femme Ξâgée aagée ne vint à luy,
presque couverte d'un taffetas qu'elle avoit sur la
teste, et l'ayant tiré à part, luy dit : - Jeune homme
tu es le plus heureux qui vive, estant aimé de la plus
belle, et plus aimable Dame de Ξceste Court cette Cour, et de
laquelle (si tu veux me promettre ce que je te demanderay) des à ceste heure, je m'oblige à te faire
avoir toute sorte de contentement. Le jeune Alcippe oyant
[ 40 recto ] 1607 fonctionnelle
ceste proposition, demanda qui estoit la Dame.
- Voila, dit-elle, la premiere chose que je veux que tu
me promettes, qui est de ne Ξte point t'enquérir t'enquérir point de son
nom, et de tenir ceste fortune secrette ; l'autre que
tu permettes que je te bouche les yeux, Ξet quand je te
conduiray où elle est. Alcippe luy dit : - Pour ne
m'enquerir de son nom, et de tenir Ξcet cétte affaire
secrette, cela feray-je fort volontiers ; mais de me
boucher les yeux, jamais je ne le permettray. - Et
qu'est-ce que tu Ξ*peux veux craindre ? dit-elle. - Je ne
crains rien, respondit Alcippe, mais je veux avoir
les yeux en liberté. - O jeune homme, dit la vieille,
que tu es encore apprentif ! Pourquoy veux-tu faire
desplaisir à une personne qui t'aime tant ? Et n'est-ce
pas luy Ξdesplaire déplaire que de vouloir sçavoir d'elle plus
qu'elle ne veut ? Croy moy, ne fais point de difficulté,
ne doute de rien ; quel danger y peut il avoir pour
toy ? Où est ce courage que ta presence promet à
l'abord ? Est-il possible qu'un peril imaginé te fasse
laisser un bien asseuré ? Et voyant Ξ*que je ne m'esmouvois qu'il ne s'en esmouvoit point : - Que maudite soit la mere, dit-elle,
qui te fist si beau, et si peu hardy ; sans doute et
ton visage, et ton courage, sont plus de femme que de
ce que tu es. Le jeune Alcippe ne pouvoit oüyr sans
rire Ξla colere de ceste vieille les paroles de ceste vieille en colere. En fin
apres avoir quelque temps pensé en luy mesme quel
ennemy il pouvoit avoir, et trouvant qu'il n'en avoit
point, il se resolut d'y aller, pourveu qu'elle luy
permit de porter son espee ; et ainsi se laissa
boucher les yeux, et la
[ 40 verso ] 1607 fonctionnelle
prenant par la Ξrobbe robe, la
suivit où elle le voulut conduire.
Je serois trop long, si je Ξvoulois vous raconter vous racontois, Madame,
toutes les particularitez de ceste nuit. Tant y a
qu'apres plusieurs Ξdestours détours, et ayant peut estre
plusieurs fois passé sur un mesme chemin, il se trouva
en une chambre, où les yeux bandez il fut Ξdesabillé deshabillé
par ceste mesme femme, et mis dans un lict. Peu apres
arriva la Dame, qui l'avoit envoyé chercher, et se
mettant aupres de luy, lui Ξdesboucha déboucha les yeux, parce
qu'il n'y avoit point de lumiere dans la chambre ;
mais Ξquel quelque peine qu'il y prit, il ne sçeut jamais
tirer une seule parole d'elle. De sorte qu'il se leva
le matin sans sçavoir qui elle estoit, seulement la
jugea-t'il belle et jeune. Et une heure avant jour,
celle qui l'avoit Ξamené amenée, le vint reprendre, et le
Ξreconduit reconduisit avec les mesmes ceremonies Ξqu'elle l'y avoit amené et . Depuis ce
jour ils resolurent ensemble que toutes les fois
qu'il y devroit retourner, il trouveroit une pierre
à un certain carrefour dés le matin.
Cependant que ces choses se passoient ainsi, le pere
d'Alcippe vint à mourir, de sorte qu'il demeura plus
maistre de soy-mesme qu'il ne souloit estre, et n'eust
esté le commandement d'Amarillis et son intention
particuliere qui l'y retenoit η, l'Amour qu'il portoit à sa Bergere l'eust peut-estre rappellé dans les bois,
car les faveurs de ceste Dame incogneüe ne pouvoient
en rien luy en oster le souvenir. Que si les grands
dons qu'il recevoit d'elle
[ 41 recto ] 1607 fonctionnelle
ordinairement, ne l'eussent
retenu en ceste Ξpratique praticque, passé les deux ou trois
premiers voyages il s'en fust retiré, Ξ*Mais les commoditez qu'íl en retiroit estoient telles, qu'il s'y contraignoit, mesmes avoit acquis durant ce temps-là beaucoup de quoy qu'il sembla que depuis ce temps-là il entra en faveur η aupres de Pimandre, et d'Amasis. Mais par ce qu'un
jeune Ξ(Guillemets de "cœur" à "que".) cœur peut mal-aisément tenir long-temps quelque
chose de caché, il advint que Clindor son cher amy
le voyant Ξdespendre despenser plus que de coustume, luy
demanda d'où luy en venoient les moyens. A Ξquoi quoy du
premier coup Ξrespondant répondant fort diversement, en fin il
luy Ξdescouvrit découvrit toute ceste fortune, et puis luy dit,
que Ξquel quelque artifice qu'il y eust sçeu mettre, il
n'avoit jamais peu sçavoir qui elle estoit. Clindor trop curieux, luy conseilla de coupper demy pied de
la frange du lict, et Ξpuis le lendemain suivre η que le lendemain il suivist η les
meilleures maisons Ξd'où il avoit doute, et que l'on en pourrait avoir cognoissance dont il se pouvoit douter et qu'il la recognoistroit, ou à la couleur, ou à la piece, ce
qu'il fit, et par cét artifice, mon pere Ξrecogneut qui estoit eust cognoissance de celle qui le favorisoit. ΞToutefois Toutesfois il
en a tellement tenu le nom secret, que ny Clindor, ny
nul de ses enfans n'en a jamais rien peu sçavoir.
Mais la premiere fois que par apres il y retourna,
lors qu'il estoit prest à se lever le matin, il la
conjura de ne se vouloir plus cacher à luy, qu'aussi
bien c'estoit peine perduë, puis qu'il sçavoit
asseurément qu'elle estoit une telle. Elle s'oyant
nommer Ξfaillit fut sur le point de parler, Ξtoutefois toutesfois elle
se teut Ξpour lors , et attendit que la vieille Ξfust feust venuë, à
laquelle quand Alcippe fut sorty du lict, elle fit
tant de menaces, croyant que ce fust elle qui
[ 41 verso ] 1607 fonctionnelle
l'eustΞdescouverte découverte, que cette pauvre femme s'en vint toute
tremblante jurer à mon pere qu'il se trompoit. Luy
alors en Ξse souriant, luy raconta la finesse dont il
avoit usé, et que ç'avoit esté de l'invention de
Clindor ; elle, bien aise de ce qu'il luy avoit
descouvert, apres mille sermens du contraire η, Ξrentra r'entra le dire à ceste Dame, qui mesme s'estoit levée pour
oüyr Ξleur les discours. Et quand elle sçeut que Clindor en avoit esté l'inventeur, elle tourna toute sa
colere contre luy, pardonnant Ξaisément aysément à Alcippe qu'elle ne pouvoit haïr, toutefois depuis ce jour
elle ne l'envoya plus querir. Et parce qu'un esprit Ξoffensé offencé n'a rien de si doux Ξqu'à penser à que la vengeance, ceste femme tourna * tant de tant de costez
qu'elle fit une querelle à Clindor, pour laquelle il
fut Ξcontraint contrainct de se battre contre un cousin de
Pimander, qu'il tua, et quoy qu'il fust poursuivy Ξpar Pymander , si se sauva t'il en Auvergne avec l'Ξaide ayde d'Alcippe. Mais
Amasis fit en sorte, qu'Alaric Roy des Visigotz Ξsiegeant estant pour lors à Toulouse, le fit mettre prisonnier
à ΞUssom Usson, avec commandement à ses officiers, de le
remettre entre les mains de Pimander, qui Ξ*cependant fit faire son procés, et n'attendoit pour l'execution de la sentence n'attendoit pour le faire mourir que d'avoir la commodité de
l'envoyer querir. Alcippe ne laissa rien d'intenté
pour obtenir son pardon, mais ce fut en vain, car il
avoit trop forte partie. C'est pourquoy voyant la
perte Ξassurée asseurée de son amy, il delibera à Ξquel hazard que ce fust quelque hazard que ce fut de le sauver.
Il estoit pour lors à ΞUssom Usson, comme je vous ay dit,
place si
[ 42 recto ] 1607 fonctionnelle
forte qu'il eust semblé à tout autre une
folie de vouloir entreprendre de l'en sortir. Son
amitié Ξtoutefois toutesfois, qui ne trouvoit rien de plus
mal-aisé que de vivre sans Clindor, le fit resoudre
de devancer ceux qui alloient de la part de Pimander. Ainsi feignant de se retirer chez soy mal
Ξcontant content, il part luy douziesme, et un jour de marché
se presentent à la porte du Chasteau tous vestus en
villageois, et Ξportant portans sous leurs Ξjupes des juppes de
courtes
espées, et Ξaux au bras des paniers comme personnes qui
alloient vendre. Je luy ay oüy dire qu'il y avoit
trois forteresses l'une dans l'autre. Ces resolus
Ξpaïsans vindrent paysans vindrent jusques à la derniere, où peu de
Visigotz estoient restez, car la plus-part estoient
descendus en la basse ville pour voir le marché, et
pour se pourvoir de ce qui estoit necessaire pour leur
garnison. Estant là ils offroient à si bon prix leurs
denrees,
que presque tous ceux qui estoient dedans sortirent
pour en achepter. Lors mon pere voyant l'occasion
bonne, saisissant au collet celuy qui gardoit la
porte, luy mit l'espée dans le corps, et chacun de ses
compagnons comme luy se deffit en mesme instant du
sien, et entrant dedans, mirent le reste au fil de
l'espée. Et soudain serrant la porte coururent aux
prisons, où ils trouverent Clindor dans un cachot, et
tant d'autres, qu'ils se jugerent, Ξestant estans armez,
suffisans de deffaire le reste de la garnison.
Pour abreger, je vous diray, Madame, qu'encore que pour
l'alarme, les portes de la ville fussent fermées, si les forcerent ils sans perdre un seul homme,
[ 42 verso ] 1607 fonctionnelle
quoy que
le gouverneur, qui en fin y fut tué, y fist toute la
resistance qu'il peut. Ainsi Ξvoila voyla Clindor sauvé, et
Alaric adverty que c'estoit mon pere qui avoit fait
ceste entreprise, dequoy il se sentit tant Ξoffensé offencé,
qu'il en demanda justice à Amasis, et elle qui ne
vouloit perdre son amitié, s'affectionna beaucoup pour
le contenter, Ξet envoya incontinent pour se saisir de
mon pere. Mais ses Ξamis amys l'en Ξavertirent advertirent si à propos,
qu'ayant donné ordre à ses affaires, il sortit hors de
ceste contree, et piqué contre Alaric plus qu'il
n'est pas croyable, s'alla mettre avec une nation η, qui
Ξalors ne faisoit que d'entrer depuis peu estoit entrée en nos Gaules, et qui pour
estre belliqueuse, s'estoit saisie des deux bords du Rosne et de Ξ*la Sone l'Arar, et *d'une partie des ΞAlobroges Allobroges Ξau service de leur Roy nommé Gondioch .
Et parce que desireux d'Ξagrandir aggrandir leurs terres, ils
faisoient continuellement la guerre aux ΞVisigostz, Ostrogosts Visigots, Ostrogots et Romains, il y fut tresbien receu avec
tous ceux qu'il y voulut conduire, et estant cogneu
pour homme de valeur, fut Ξincontinant honoré incontinent honnoré de
diverses charges. Mais quelques années estant escoulées,
Gondioch Roy de ceste nation venant à mourir, ΞGondebault Gondebaut son fils Ξluy succeda à la Couronne de
Bourgongne, et desirant d'Ξassurer asseurer ses affaires dés le
commencement, fit la paix avec ses voisins, mariant
son fils Sigismond avec une des filles de Theodoric Roy des ΞOstrogostz Ostrogotz. Et pour complaire à Alaric, qui
estoit infiniment offensé contre Alcippe, Ξil luy promit
de ne le tenir plus aupres de luy. De sorte qu'avec
son congé, il se retira avec un autre peuple, qui du
costé de Renes
[ 43 recto ] 1607 fonctionnelle
s'estoit saisi d'une partie de la Gaule, en Ξdespit dépit des Gaulois et des Romains.
Mais, Madame, ce discours vous seroit ennuyeux si
particulierement je vous racontois tous ses voyages ;
car de ceux cy il fut contraint de s'en aller à
Londres vers le grand Roy Artus, qui en ce mesme
temps, comme depuis je lui ay oüy raconter plusieurs
fois, institua L'Ordre des Chevaliers de la table
ronde. De la il
fut contraint de se retirer au Royaume qui porte le
nom du port des Gaulois. Et en fin estant Ξrecerché recherché par Alaric, il se resolut de passer la mer et aller
à Bisance, où l'Empereur luy donna la Ξ(Guillemets de "charge" à "fort".) charge "
de ses
galeres. Mais Ξdautant d'autant que le desir de "
revenir en la
patrie est le plus fort de tous les autres, mon pere,
quoy que tres-grand avec ces grands Empereurs, n'avoit
Ξtoutefois toutesfois rien plus à cœur, que de revoir fumer ses
foüiers, où si souvent il avoit esté Ξemmailliotté emmaillotté, et
Ξsemble sembla que la fortune luy en presenta le moyen, lors
que moins il l'attendoit. Mais j'ay Ξ(Guillemets de "ouy" à "tour".) ouy dire
quelquefois à nos ΞDruides Druydes, que la
fortune se "
Ξplait plaist de tourner le plus souvent sa roüe
du "
costé où l'on attend moins son tour. Alaric "
vint à
mourir, et Thierry son fils luy succeda, qui pour
avoir plusieurs freres eut bien assez affaire à
maintenir ses estats, sans penser aux inimitiez de son
pere. Et ainsi se voulant
Ξ(Guillemets de "rendre" à "le".)
rendre aymable à chacun
(car la bonté et la "
liberalité sont les deux aymants,
qui attirent le "
plus l'amitié de chacun) dés le
commencement "
de son regne, il Ξfit un pardon general de toutes les offenses faites publia une abolition generale de toutes les offences faittes en son Royaume.
[ 43 verso ] 1607 fonctionnelle
Voila un grand commencement pour moyenner le retour
d'Alcippe. Si ne pouvoit-il encore revenir, Ξdautant d'autant que Pimander n'avoit point oublié l'injure receuë.
ΞToutefois Toutesfois, ainsi que les Visigotz furent cause de son
bannissement, de mesme la fortune s'en voulut servir
pour instrument de Ξson rappel r'appel. Quelque temps auparavant, comme je vous ay dit, Artus
Roy de la Ξgrand' grande Bretagne avoit institué les
Chevaliers de la table ronde, qui Ξestoient estoit η un certain
nombre de jeunes hommes vertueux, obligez d'aller
chercher les adventures, punir les meschans, faire
justice aux oppressez, et maintenir l'honneur des
Dames. Or les ΞVisigostz Visigotz d'Espagne, qui alors
Ξsiegeoient demeuroient dans Pampelune, à l'imitation de Ξcestui cestuy-cy η esleurent des Chevaliers, qui alloient en
divers lieux Ξmontrant monstrans leur force et adresse. Il advint
qu'en ce temps un de ces ΞVisigostz Visigotz, apres avoir couru
plusieurs contrees s'en vint à Marcilly, où ayant
fait son deffi accoustumé, il vainquit plusieurs des
Chevaliers de Pimander, ausquels il Ξcoupoit couppoit la teste,
et d'une cruauté extreme, pour tesmoignage de sa valeur,
les envoyoit à une Dame qu'il servoit en Espagne.
Entre les autres Amarillis y perdit un oncle, qui
comme mon pere, ne voulant demeurer dans le repos de
la vie champestre, avoit suivy le mestier des armes.
Et parce que durant cest esloignement, elle avoit
esté assez curieuse pour avoir d'ordinaire de ses
nouvelles, par la voye de
certains jeunes garçons qu'elle et luy avoient dressez à cela, aussitost que ce mal-heur luy fust avenu, elle
Ξle luy escrivit, non pas en opinion qu'il
[ 44 recto ] 1607 fonctionnelle
deust s'en
retourner, mais comme luy faisant Ξ(Guillemets de "part" à "sçavoir".) part de son Ξdesplaisir deplaisir. Amour qui n'est jamais dans une belle ame sans la
remplir de mille
desseins genereux, ne permit à mon
pere de sçavoir "
le desplaisir d'Amarillis estre causé
par un "
homme, sans incontinent faire resolution de "
chastier cet outrecuidé. Et ainsi avec le congé de
l'Empereur, s'en vint Ξ*dissimulé deguisé en la maison de Cleante,
qui sçachant sa deliberation, tascha plusieurs fois de
l'en divertir, mais Amour avoit de plus fortes
parsuasions que luy. Et un matin que Pimander sortoit
pour aller au Temple, Alcippe se presenta devant luy,
armé de toutes pieces, et quoy qu'il eust la visiere haussee, si ne fut-il point Ξrecognu recogneu pour la barbe qui
luy estoit venuë depuis son départ. Lors que Pimander sçeut sa resolution, il en fit beaucoup d'estat, pour
la Ξhaine hayne qu'il portoit à Ξcet estranger cest etranger à cause de son
arrogance et de sa cruauté, et dés l'heure mesme Ξle fit avertir fit
advertir le Visigoth par un heraut d'armes. Pour
abreger, mon pere le vainquit, et en presenta l'espee
à Pimander, et sans se faire cognoistre à personne,
sinon à Amarillis qui le vid en la maison de Cleante, il s'en retourna à Bisance, ou il fut
receu comme de coustume. ΞCe pendant Cependant Cleante qui
n'avoit nul plus grand desir, que de le revoir libre en ΞForestz Foretz, le descouvrit à Pimander, qui estoit fort
desireux de sçavoir le nom de celuy qui avoit combattu
l'estranger. Luy au commencement estonné, en fin esmeu
de la vertu de cest homme, demanda s'il estoit possible
qu'il fust encor en vie. A quoy Cleante respondit,
en racontant toutes
[ 44 verso ] 1607 fonctionnelle
ses fortunes, et tous ses longs
voyages et en fin quel il estoit parvenu aupres de tous
les Roys qu'il avoit Ξservy servis. - Sans mentir, dit alors ΞPimander Pimandre, la vertu de Ξcet cét homme merite d'estre
recherchee et non pas bannie, outre l'extreme
plaisir qu'il m'a fait ; qu'il revienne donc, et qu'il
s'asseure que je le cheriray, et Ξaimeray aymeray comme il
merite, et que dés icy je luy pardonne tout ce qu'il
Ξa fait contre moy à Ussum à faict contre moy. Ainsi mon pere apres avoir demeuré dix-sept ans η en
Grece, revint en sa patrie, Ξhonoré honnoré de ΞPimander Pimandre et
d'Amasis,
" qui luy donnerent la plus belle charge qui
fut
" prés de Ξ(Guillemets de "leur" à "force".) leur personne. Mais voyez que c'est que
" de nous ! On se Ξsoule saoule de toute chose par l'abondance,
et le desir assouvy demeure sans force. Aussi tost que
mon pere eut les faveurs de la fortune telles qu'il
Ξeust eut sçeu desirer, le voila Ξqui qu'il η en perd le goust, et
les mesprise. Et lors un bon demon qui le voulut retirer de ce goulphe, où il avoit si
souvent failly de faire naufrage, luy representa à
ce que je luy ay oüy dire
" semblables considerations.
ΞVien Viens-ça, Alcippe, quel
" est ton dessein ? n'est-ce
pas assez de vivre heureux
" autant que Cloton Ξfillera filera tes
jours, si cela est, ou pense-tu trouver ce bien,
sinon au Ξ(Guillemets de "repos" à "amis".) repos η ? Le repos où peut il estre que hors des
" affaires ? les affaires, comment peuvent elles
" esloigner l'ambition η de la Ξcourt Cour, puisque la mesme
" felicité de l'ambition gist en la pluralité des
" affaires ? ΞN'as N'a tu point encor assez éprouvé
" l'inconstance dont elles sont pleines ? aye pour le
" moins ceste consideration en toy : L'ambition
" est de
commander à plusieurs, chacun de ceux-la
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a Ξle mesme
dessein que toy. Ces desseins leur "
proposent les mesmes chemins ; allant par mesme "
chemin, ne
peuvent ils parvenir là mesme "
ou tu és ? Et y
parvenant, puis que l'ambition "
est un lieu si estroit
qu'il n'est pas capable que "
d'un seul, il faut que tu
te deffendes de mille "
qui t'attaqueront, ou que tu leur
cedes. Si tu te "
deffends, quel peut estre ton repos,
puis que tu "
as à te garder des amis, et des ennemis,
et que "
jour et nuit leurs fers sont Ξesguisez aiguisez contre
toy ? "
Si tu leur cedes, est-il rien de si miserable
qu'un "
courtisan Ξdescheu décheu ? Doncques, Alcippe,
r'entre "
en toy-mesme, et te ressouviens que tes peres "
et
ayeulx ont esté plus sages que toy, ne Ξveuille vueille "
point
estre plus Ξadvisé avisé, mais plante η un clou de diamant à la
rouë de ceste fortune, que tu as si souvent Ξtrouvé trouvée si
muable. Reviens au lieu de ta naissance, laisse-là
ceste pourpre et la change en tes premiers habits,
que ceste lance soit changée en houlette, et ceste
espée en coultre pour ouvrir la terre, et non pas le
flanc des hommes. Là tu trouveras chez toy le repos
qu'en tant d'années tu n'as jamais peu trouver ailleurs.
ΞVoyla Voilà, Madame, les considerations qui Ξramenerent r'amenerent mon
pere à sa premiere profession. Et ainsi, au grand
estonnement de tous, mais avec beaucoup de loüange
des plus Ξsages seurs η, il revint à son premier estat, où il
fit renouveller nos anciens statuts, avec tant de
contentement de chacun, qu'il se pouvoit dire estre
au comble de l'ambition, quoy qu'il v s'en fust despoüillé, puis qu'il estoit tant aimé, et honoré de
ses voisins, qu'ils le tenoient pour un oracle. Et
toutefois
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ce ne fut pas encor Ξlà la fin de ses
peines, car s'estant apres la mort de Pymander retiré
chez lui il ne fut, plustost en nos rivages, qu'Amour ne luy renouvelast sa premiere playe, n'y ayant
" de toutes les fleches d'Amour, nulle plus
" acerée que
celle de la conversation. Ainsi donc voyla Amarillis si avant en sa pensée, qu'elle luy donnoit plus de peine que tous ses
premiers travaux. Ce fut en ce temps qu'il reprit Ξla sa η devise qu'il avoit portè durant tous ses voyages, d'une
penne de Geay η, voulant signifier PEINE J'AY. De cet
Amour vint une tres-grande inimitié : Car Alcé, pere
d'Astrée estoit infiniment amoureux de ceste Amarillis, et Amarillis durant l'exil de mon pere
avoit permis ceste recherche, par le commandement de
ses parents, et à ceste heure ne s'en pouvoit
distraire sans luy donner tant Ξ*de dégoustement d'ennuy, que c'estoit le
desesperer. D'autre costé Alcippe, qui Ξdespouillant dépoïillant η l'habit de Chevalier n'en avoit pas laissé le
courage, ne pouvant souffrir un rival, vint aux mains
plusieurs fois avec Alcé, qui n'estoit pas sans
courage, et croit-on que n'eust esté les Ξparents parens d'Amarillis, qui se resolurent de la donner à
Alcippe, Ξqu'il fust il fut arrivé beaucoup de Ξmal-heur malheur entre eux. Mais encor que par ce mariage on coupast les
racines des querelles, celles toutesfois de la Ξhayne haine demeurerent si vives, que depuis elles crûrent si
hautes, qu'il n'y a jamais eu familiarité entre Alcé,
et Alcippe. Et c'est cela (Ξdit dict Celadon, s'addressant à ΞSylvie Silvie)
belle Nymphe, que vous Ξouïstes ouystes dire estant Ξà en nostre
hameau ; car je suis fils d'Alcippe et d'Amarillis,
et Astrée
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est fille d'Alcé, et d'ΞHypolite Hyppolite. Vous
trouverez peut estre estrange, que Ξ*n'estant sorty de nos bois ny de nos pasturages η je sçache tant Ξdes de particularitez des contrées voisines. Mais Madame,
tout ce que j'en ay Ξappris apris, n'a esté que de mon pere,
qui me racontant sa vie, a esté contraint de me dire
ensemble les choses que vous avez oüies.
Ainsi finit Celadon son discours, et certes non
point sans peine, car le parler luy en donnoit
beaucoup, pour avoir Ξencores encore l'estomach mal disposé,
et cela fut cause qu'il raconta ceste histoire le
plus briefvement qu'il Ξpust peut η. ΞDe laquelle Galathee Galathée toutesfois en demeura plus satisfaite η, qu'il ne se peut croire, pour
avoir sçeu de quels ayeuls estoit descendu ce Berger
qu'elle Ξaymoit aimoit tant.