Édition de 1607, 47 recto.
Édition de Vaganay, p. 65.
[ 47 recto ] 1607 fonctionnelle
Livre troisième
LE
TROISIESME LIVRE
DE LA PREMIERE
Partie d'Astree.
Tant que le jour dura, ces belles Nymphes tindrent si
bonne compagnie à Celadon, que s'il n'eust eu le
cuisant Ξdesplaisir déplaisir du changement d'Astree, il n'eust
point eu occasion de s'ennuyer, car elles estoient et
belles, et remplies de beaucoup de jugement. Toutesfois
en l'estat où il se trouvoit, cela ne fut assez pour
luy empescher de se desirer seul ; et Ξparce par ce qu'il
prévoyoit bien que ce ne pouvoit estre que par Ξ*la separation le moyen de la Ξnuit nuict *qui les contraindroit de se retirer,
il la Ξsouhaittoit souhaitoit à toute heure. Mais lors qu'il se
croyoit plus seul, il se trouva le mieux accompagné,
car la nuict estant venuë, et ces Nymphes, retirees
en leurs chambres, ses Ξpansers pensers luy vindrent tenir
compagnie, avec de si cruels ressouvenirs, qu'ils luy
firent bien autant ressentir leur Ξabort abord qu'il l'avoit
desiré. Quels desespoirs alors ne se presenterent
point à luy ? Nul η de tous ceux que l'Amour peut
produire, voire l'Amour le plus desesperé. Car si à l'injuste sentence
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de sa Maistresse il opposait son
innocence, soudain l'execution de cest arrest luy
revenoit devant les yeux. Et comme d'un penser on
tombe en un autre, il rencontra de fortune avec la
main le ruban où estoit la bague d'Astree, qu'il
s'estoit mis au bras. O que de mortelles memoires luy
remit-il en l'esprit ! Il se representa tous les
courroux qu'en cest instant-la elle avoit Ξpaint au visage peints au visages η, toutes les cruautez que son ame faisoit
paroistre, et par ses paroles, et par ses actions, et
tous les Ξdesdains dédains Ξdont avec lesquels elle avoit proferé les
ordonnances de son bannissement. S'estant quelque temps
arresté sur ce dernier malheur il s'alla ressouvenir
du changement η de sa fortune, combien il s'estoit veu
heureux, combien elle l'avoit favorisé, et combien
tel heur avoit continué. De là il vint à ce qu'elle
avoit fait pour lui, combien en sa consideration elle avoit Ξdesdaigné dedaigné d'honnestes Bergers, combien elle
avoit peu estimé la volonté de son pere, le
courroux de sa mere, et les difficultez qui
Ξ*estoient contraires s'opposoient à leur amitié. Puis il s'alloit
Ξressouvenant combien estoient changeantes les fortunes d'Amour representant combien les fortunes d'Amour estoient peu asseurees, aussi bien que toutes les autres, et
combien peu de chose luy restoit de tant de faveurs,
qui en fin Ξestoit estoient sans plus un bracelet de cheveux
qu'il avoit au bras, et un Ξportrait pourtrait qu'il portoit au col, duquel il baisa la boite plusieurs fois ; pour
la bague qu'il avoit à l'autre bras, il croyoit que ce
fust plustost la force, que sa bonne volonté qui la luy eust Ξdonnée donné. Mais tout à coup il se ressouvint des lettres, qu'elle
luy avoit escrites, durant le Ξbon heur bon-heur de sa fortune,
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et qu'il portoit d'ordinaire avec luy dans un petit
sac de senteur. O quel tressaut fut le sien car il
eut peur que ces Nymphes foüillant ses habits ne
l'eussent Ξtrouvé treuvé. En ce doute il appella fort haut le
petit Meril, car pour le servir il estoit couché à une
garderobe fort proche. Le jeune garçon s'oyant
appeller coup sur coup deux ou trois fois, vint
sçavoir ce qu'il luy vouloit : - Mon petit amy (dit
Celadon) ne Ξsçais sçay-tu point que sont devenus mes
habits ? Car il y a Ξdedans quelque chose quelque chose dedans qu'il
m'ennuyeroit fort de perdre. - Vos habits (dit-il) ne
sont pas Ξloin loing d'icy, mais il n'y a rien dedans, car
je les ay cherchez. - Ah, dit le Berger, tu te
trompes Meril, j'y avois chose que j'aymerois mieux
avoir conservée que la vie. Et lors se tournant de
l'autre costé du lict, se mit à Ξplaindre pleindre et tourmenter
fort long temps. Meril qui l'escoutoit, d'un costé
estoit marry de son Ξdesplaisir déplaisir, et de l'autre estoit
en doute, s'il luy devoit dire ce qu'il en sçavoit. En
fin ne pouvant supporter de le voir plus longuement
en ceste peine, il luy dit, qu'il ne se devoit point
tant ennuyer, et que la Nymphe Galathée l'aymoit
trop pour ne luy rendre une chose qu'il monstroit
d'avoir si chere. Alors Celadon se tourna Ξà vers luy :
- Et comment (dit-il) la Nymphe a t'elle ce que je te demande ? - Je croy (respondit-il) que c'est cela
mesme. Pour le moins je n'y ay trouvé qu'un petit sac
plein de papier ; et ainsi que je le vous apportois,
un peu avant que vous ayez voulu dormir, elle l'a veu,
et me l'a osté. - O Ξ*Dieux Dieu (dit alors le Berger) aillent
toutes choses au pis qu'elles pourront. Et se
tournant
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de l'autre costé, ne voulut luy parler Ξdavantage d'avantage. ΞCe pendant Cependant Galathee lisoit les lettres de Celadon, car il estoit fort vray, qu'elle les avoit ostees à Meril, Ξet cela selon suivant la curiosité ordinaire de ceux qui Ξayment aiment : mais elle luy avoit fort deffendu de n'en rien dire, Ξpar-ce parce qu'elle avoit intention de les rendre, sans qu'il sçeust qu'elle les eust veuës. Pour lors Sylvie luy portoit un flambeau devant, et Leonide estoit ailleurs, si bien qu'à ce coup il fallut qu'elle fust du secret. - Nous verrons, disoit ΞSylvie Silvie, s'il est vray, que ce Berger soit si grossier comme il se Ξfaint feint, et s'il n'est point amoureux ; car je m'asseure que ces papiers en diront quelque chose ; et lors elle s'appuya un peu sur la table. ΞCe pendant Cependant Galathée desnoüoit le cordon, qui serroit si bien, que l'eau n'y avoit Ξguiere guere fait de mal ; Ξtoutesfois toutefois il y avoit quelques papiers moüillez, qu'elle tira dehors le plus doucement qu'elle Ξpust peut η, pour ne les rompre, et les ayant espanchez sur la table, le premier sur qui elle mit la main, fut une telle lettre.
Qu'est-ce que vous entreprenez Celadon ? En quelle
confusion vous allez vous mettre ? Croyez moy qui vous
conseille en amye, laissez ce dessein de me servir, il
est trop Ξplain d'incommoditez plein d'incommodité : quel contentement y
esperez vous ? Je suis tant insupportable que ce n'est
Ξguiere guere moins Ξentreprendre entre prendre que l'impossible. Il faudra
servir, souffrir,
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et n'avoir des yeux, ny de l'Amour
que pour moy ; car ne croyez point que je Ξveuille vueille avoir à partir avec quelque autre, ny que je reçoive
une volonté à moitié mienne. Je suis soupçonneuse, je
suis jalouse, je suis difficile à gaigner, et facile
à perdre, et puis Ξaysée à offenser aisee a offencer et tres mal-aisee
à Ξrappaiser rapaiser ; le moindre doute est en moy une
asseurance ; il faut que mes volontez, soient des
destinées, Ξmon opinion mes opinions des raisons, et mes
commandemens des loix inviolables. Croyez moy encor
un coup, retirez vous, Berger, de ce dangereux
labyrinthe, et fuyez un dessein si ruineux. Je me
recognois mieux que vous, ne vous figurez de pouvoir
à la fin changer mon naturel, je rompray plustost que
de plier, et ne vous plaignez à Ξl'advenir l'avenir de moy, si à ceste heure vous ne croyez ce que je vous en dis.
- Ne me tenez jamais pour ce que je suis, dit Galathée,
si ce Berger n'est amoureux, car en voicy un
commencement qui n'est pas petit. - Il n'en faut point
douter, dit ΞSylvie Silvie, estant si honneste homme. - Et
comment, repliqua Galathee, avez-vous opinion qu'il
faille necessairement aymer pour estre tel ? - Ouy,
Madame, dit-elle, à ce que j'ay ouy dire ; Ξ(Guillemets de "parce que" à "est"). Ξpar-ce parce que
l'Amant η ne desire rien davantage, que d'estre aymé,
pour estre aymé, il faut qu'il se rende
Ξaymable aimable, et ce qui rend Ξaymable aimable est cela mesme qui
rend honneste homme. A ce mot Galathée luy donna
une lettre qui estoit un peu moüillée pour Ξla seicher
au feu,
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et cependant elle en prit Ξune un autre qui estoit telle.
Vous ne voulez croire que je vous ayme, et desirez que je croye que vous m'aymez ; si je ne vous ayme point, que vous profitera la creance que j'auray de vostre affection ? A faire peut-estre, que ceste opinion m'y oblige ? A peine, Celadon, le pourra ceste foible consideration, si vos merites, et les services que j'ay receus de vous, ne l'ont peu encores. Or voyez en quel estat sont vos affaires : je ne veux pas seulement que vous sçachiez que je croy que vous m'aymez, mais je veux de plus, que vous soyez asseuré que je vous ayme, et entre tant d'autres une chose seule vous en doit rendre certain ; si je ne vous aimois point, qui me feroit Ξmespriser mépriser le contentement de mes Ξparents parens ? Si vous considerez combien je leur doy, vous cognoistrez en quelque sorte la qualité de mon amitié, puis que non seulement elle contrepese, mais emporte de tant η, un si grand poids. Et à Dieu : ne soyez plus incredule.
En mesme temps Sylvie rapporta la lettre, et Galathée luy dit avec beaucoup de Ξdesplaisir déplaisir, qu'il Ξaymoit aimoit, et
que de plus il estoit infiniment Ξaymé aimé, et luy releut
la lettre, qui luy touchoit fort au cœur voyant
qu'elle avoit à forcer une place,
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où un si fort ennemy estoit Ξdes-ja desja victorieux ; car, par ces lettres, elle jugea que l'humeur de ceste Bergere n'estoit pas d'estre à moitié Ξmaistresse Maistresse, mais avec une Ξtresabsolüe tres-absolüe puissance commander à ceux Ξqu'elle que elle daignoit recevoir pour siens. Elle Ξ*se fortifia de favorisa beaucoup ce jugement, quand elle leut la lettre qui avoit esté seichee ; elle estoit telle.
Lycidas a dit à ma Phillis que vous estiez Ξaujourd'huy aujourdhuy de mauvaise humeur, en suis-je cause, ou vous. Si c'est moy, c'est sans occasion, car ne veux-je pas tousjours vous Ξaymer aimer et estre Ξaymée aimée de vous ? et ne m'avez vous mille fois juré, que vous ne Ξdesiriez desiries que cela Ξseulement pour estre content ? Si c'est vous, vous me Ξfaictes faites tort, de disposer sans que je le sçache, de ce qui est à moy ; car par la donation que vous m'avez Ξfaicte faites, et que j'ay receue, Ξ*vous et toutes voz actions sont miennes et vous et tout ce qui est de vous m'apartient. Advertissez m'en donc et je verray si je vous en doy Ξdoner donner permission, et Ξce pendant cependant je le vous deffends.
Avec quel ΞEmpire empire, dit alors Galathée, traite ceste
Bergere ? - Elle ne luy fait point de tort, respondit Silvie, puis qu'elle l'en a bien adverty dés le
commencement. Et sans mentir, si c'est celle que je
pense, elle a Ξbien quelque raison, estant l'une des plus
belles, et des plus accomplies personnes, que je vy
jamais. Elle s'appelle Astrée,
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et ce qui me le fait
juger ainsi, c'est ce mot de Phillis, sçachant que
ces deux Bergeres sont amies jurées. Et encor, comme
je vous Ξdits dis, que sa beauté soit extreme, toutefois
c'est ce qui est en elle de moins Ξaymable aimable, car elle a
tant d'autres perfections, que celle-la est la moins
Ξapparante apparente. Ces discours ne servoient qu'à la reblesser
Ξdavantage d'avantage, puis qu'ils ne luy Ξdescouvroient descouvroyent que de
plus grandes difficultez en son dessein. Et parce qu'elle ne vouloit que Sylvie pour lors en sçeut
Ξdavantage d'avantage, elle resserra ces papiers, et se mit au
lict, non sans une grande compagnie de diverses
pensées, entre lesquelles le sommeil se glissa peu à
peu.
A peine estoit-il jour, que le petit Meril sortit de
la chambre du Berger, qui avoit plaint toute la
Ξnuit nuict, et que le travail, et le Ξmal m'al η n'avoient peu
assoupir qu'à la venuë de l'aurore. Et par ce que
Galathée luy avoit commandé de remarquer
particulierement tout ce que feroit Celadon, et le
luy Ξraporter rapporter, il alloit luy dire ce qu'il avoit
Ξappris apris. A l'heure mesme Galathée s'estant esveillée,
parloit si haut avec Leonide que Meril Ξ*l'oüyt, et s'estant fait recognoistre, on luy vint les oyant heurta à la porte, et se fit ouvrir. - Madame, dit-il,
de toute ceste nuict je n'ay dormi, car le
pauvre Celadon a failly de mourir, à cause des
papiers que vous me pristes hier ; et Ξpar-ce parce que je
le vy si fort desesperé, je fus contraint pour le
remettre un peu, de luy dire que vous les aviez.
- Comment (reprit la Nymphe) il sçait donc que je les
ay ? - Ouy certes, Madame, respond Meril, et
m'asseure qu'il vous supplira de les luy rendre, car
il les tient trop chers ; et si
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vous l'eussiez Ξouï ouy comme moy, je ne croy point qu'il ne vous eust fait
pitié. - He ! Dy moy Meril, adjousta la Nymphe,
entre-Ξautre chose autres choses, que disoit-il ? - Madame,
repliqua t'il, apres qu'il se fut
enquis si je n'avois point veu ses papiers, et qu'en
fin il Ξeut sceu eust sçeu que vous les aviez, il se tourna
comme transporté de l'autre costé, et dit : Or sus,
aillent toutes choses au pis qu'elles pourront. Et
apres avoir demeuré muet quelque temps, et qu'il
Ξ*pensoit pensa que je me fusse remis dans le lict, je l'Ξouïs oüys souspirer assez haut, et puis dire de telles paroles : - Astrée ! Astrée ! ce bannissement devoit-ce estre la
Ξ*conclusion recompense de mes services ? Si vostre amitié est
changee, pourquoy me blasmez-vous pour vous excuser ?
Si j'ay failly, que ne me Ξdictes dites vous ma faute ? N'y
a-t'il point de justice au Ciel, non plus que de
pitié en vostre ame ? H élas, s'il y en a, que n'en Ξressen ressens-je quelque faveur, afin que n'ayant peu
mourir, comme vouloit mon desespoir, je le fasse pour
le moins comme le commande la rigueur d'Astrée ? Ah !
rigoureux, pour ne dire cruel commandement ! Qui eust
peu en un tel accident prendre autre resolution que
celle de la mort ? N'eust-il pas donné signe de peu
d'Amour, plustost que de beaucoup de courage ? Et il
s'arresta un peu, puis il reprit ainsi : Mais à quoy,
mes traistres espoirs, m'allez-vous flattant ? Est-il
possible que vous m'osiez approcher encores ?
ΞDictes Dites-vous pas qu'elle changera ? Considerez ennemis
de mon repos, quelle apparence il y a que tant de
temps escoulé, tant de services, et d'affections
recogneuës, tant de
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desdains supportez, et
d'impossibilitez vaincües, ne l'ayent peu, et qu'une
absence le puisse. Esperons, esperons Ξplutost plustost un
favorable cercueil de la mort, qu'un favorable
repentir d'elle. Apres plusieurs semblables discours,
il se teut assez long temps ; mais estant retourné au
lict, je l'oüys peu apres Ξ*recommencer ses plaintes qu'il est allé continuant jusques pres du recommancer ses regrets, qu'il a continués jusques au jour, et tout ce que
j'en ay peu remarquer, Ξn'a na η esté que des plaintes,
qu'il fait contre une Astrée, qu'il accuse de
changement et de cruauté.
Si Galathée avoit sçeu un peu des affaires de
Celadon, par les lettres d'Astrée, elle en apprit
tant par le rapport de Meril, que pour son repos, il
eust esté bon qu'elle en eust esté plus ignorante.
ΞToutefois elle s'alloit flatant Toutesfois en se flattant elle se figuroit que le
Ξmespris mépris d'Astrée pourroit luy ouvrir plus Ξaysément aisément le
chemin a ce qu'elle desiroit. Escoliere Ξ(Guillemets de "Amour" à "en".) d'Amour ! qui
ne sçavoit pas qu'Amour ne meurt jamais en un cœur
genereux, que la racine n'en soit entierement arrachee.
En ceste esperance elle escrivit un billet qu'elle
plia sans le Ξcachetter cacheter, et le mit entre ceux d'Astrée.
Puis donnant le sac à Meril : - Tien, luy dit-elle,
Meril, rends ce sac à Celadon, et luy dy que je
voudrois luy pouvoir rendre aussi bien tout le
contentement qui
luy deffaut. Que s'il se porte bien, et qu'il me
Ξveuille vueille voir, dy luy que je me trouve mal ce matin. ΞEt cela, elle le disoit Elle disoit cela, afin qu'il eust loisir de visiter
ses papiers, et de lire celuy qu'elle luy escrivoit.
Meril s'en alla. et Ξparce par ce que Leonide estoit dans
un autre lict, elle ne Ξpust peut voir le sac, ny ouyr la
commission qu'elle
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luy avoit donnée, mais soudain qu'il fut dehors elle l'appella, et la fit mettre
dans le lict avec elle ; et apres Ξquelqu'autres quelques autres propos, elle luy parla de ceste sorte : - Vous sçavez,
Leonide, ce que je vous dy hier de ce Berger, et
combien il m'importe qu'il m'Ξaime ayme, ou qu'il ne m'Ξaime ayme pas ; Ξdepuis de puis ce temps-là, j'ay sçeu de ses nouvelles
plus que je n'eusse voulu. Vous avez ouy ce que Meril m'a Ξraporté r'apporté, et ce que Silvie m'a dit des
perfections d'Astrée, si bien, continua-t'elle, que
puis que la place est prise, je voy naistre une
double difficulté à nostre entreprise. ΞToutesfois Toutefois
ceste heureuse Bergere l'a fort offensé, Ξ(Guillemets de "et" à "Madame".) et un cœur
genereux souffre mal-aisément un Ξmespris mépris sans s'en
ressentir. - Madame, luy respondit Leonide, d'un
costé je voudrois que vous fussiez contente, et de
l'autre je suis presque bien Ξayse aise de ces incommoditez ;
car vous vous Ξfaictes faites tant de tort. si vous continuez,
que je ne sçay si vous l'effacerez jamais.
Pensez-vous, encor que vous croyez estre icy bien
secrette, que l'on ne vienne à sçavoir ceste vie ? et
que sera-ce de vous, si elle Ξvient à se descouvrir se decouvre ? Le
jugement ne vous manqua jamais, au reste de vos actions,
est-il possible qu'en Ξcet cest accident il vous defaille ?
Que jugeriez-vous d'une autre qui Ξ*fist meneroit telle vie ?
Vous respondrez, Ξ(Guillemets de "que" à "l'estre".) que vous ne Ξfaictes faites point de mal. Ah !
Madame, il ne suffit pas à une personne de vostre
qualité, d'estre exempte du crime, il faut l'estre
aussi du blame η. Si c'estoit un homme qui fust digne
de vous, je Ξla le η patienterois : mais encor que Celadon soit des premiers de ceste contrée, c'est
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toutesfois
un Berger, et qui n'est recogneu pour autre. Et ceste
vaine opinion de Ξbon heur bon-heur, ou de mal-heur, pourra-t'elle
tant sur vous, qu'elle vous abatte de sorte le
courage que vous Ξveuillez vueillez égaler ces gardeurs de
Brebis, ces rustiques, et ces demy-sauvages à vous ?
Pour Dieu, Madame, revenez en vous mesme, et
considerez l'intention dont je profere ces paroles.
Elle eust continué Ξdavantage , n'eust esté que Galathée toute
en Ξcolere cholere l'interrompit : - Je vous ay dit, que je ne
voulois point, que vous me Ξtinsiez tinssiez ces discours, je
sçay à quoy j'en suis resolüe, quand je vous en
demanderay advis, donnez le moy, et une fois pour
toutes, ne m'en parlez plus, si vous ne voulez me
Ξdesplaire déplaire. A ce mot elle se tourna de l'autre costé,
en telle furie, que Leonide Ξcognut cogneut bien
Ξ*de l'avoir qu'elle l'avoit fort Ξ(Guillemets de "offensée" à "volonté".) offensée. Aussi n'y a-t'il rien
qui touche
" plus vivement qu'opposer l'honneur à
l'Amour :
" car toutes les raisons d'Amour demeurent
" vaincües, et l'Amour Ξtoutefois toutesfois Ξ*preside demeure
" tousjours en
la volonté le plus fort.
" Peu apres Galathee se Ξ*retourna tourna, et luy dit : - Je n'ay
" point creu jusques Ξici icy, que vous Ξpensissiez estre eussiez opinion d'estre ma gouvernante, mais à ceste heure je
commence d'avoir quelque Ξopinion creance, que vous le vous
figurez. - Madame, respondit-elle, je ne me
Ξmescognoistray mécognoistray jamais tant, que je ne recognoisse
tousjours ce que je vous doy ; mais puis que vous
trouvez si mauvais ce que mon devoir m'a fait vous
dire, je proteste dés Ξicy ici, que je ne vous Ξdonray donneray jamais occasion d'entrer pour ce Ξsujet subject en colere
contre moy. - C'est
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une estrange chose que de vous,
repliqua Galathée, qu'il faille que vous ayez
tousjours raison en vos opinions ! ΞQuelle Qu'elle η apparence
y a t'il, que l'on puisse sçavoir que Celadon soit
icy ? Il n'y a ceans que nous trois, Meril, et ma
nourrice, sa mere. Pour Meril, il ne sort point, et
outre cela, il a assez de discretion pour son Ξâge aage.
Pour ma nourrice, sa fidelité m'est assez cogneuë, et
puis ç'a esté en partie par son dessein, que le tout
s'est conduit de Ξceste cette sorte : Car luy ayant raconté
ce que le ΞDruide Druyde m'avoit predit, elle qui Ξm'aime m'ayme plus
tendrement que si j'estois son enfant propre, me
conseilla de ne Ξpoint desdaigner dédaigner cét advertissement ; et
Ξparce par ce que je luy proposay la difficulté du grand
abord des personnes qui viennent ceans quand j'y suis,
elle mesme m'avertit de Ξfaindre feindre que je me voulois
purger. - Et quel est vostre dessein ? dit Leonide.
- De faire en sorte, respondit elle, que ce
Berger me vueille du bien, et jusques à ce que cela
Ξne soit, de ne Ξle η point laisser sortir de ceans ; que
si une fois il vient à Ξm'aimer m'aymer, je Ξlairray laisseray conduire
le reste à la fortune. - Madame, dit Leonide, Dieu
vous en donne tout le contentement que vous en
desirez ; mais permettez moy de vous dire encor pour
ce coup, que vous vous ruinez de reputation. Quel
temps faut-il pour déraciner l'affection si bien
prise qu'il porte à Astrée, la beauté, et Ξles vertus la vertu de laquelle on dit estre sans seconde ? - Mais,
interrompit Ξincontinant incontinent la ΞNimphe Nymphe, elle le desdaigne,
elle l'Ξoffense offence, elle le chasse : pensez-vous qu'il
n'Ξaye ayt pas assez de
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courage pour la laisser ? - O
madame, rayez cela de vostre esperance, dit
Leonide, s'il n'a point de courage, il ne le
ressentira pas, et s'il en a, un homme genereux ne se
divertit jamais Ξ(Guillemets de "une" à "Ressouvenez"). d'une entreprise pour les difficultez.
Ressouvenez-vous pour exemple, de combien de desdains
vous avez usé contre
Lindamor, et combien vous l'avez traité cruellement,
et combien il a peu fait de cas de tels desdains, ny
de telles cruautez. Mais qu'il soit ainsi, que
Celadon, pour estre en fin un Berger, n'ait pas tant
de courage que Lindamor, et qu'il fléchisse aux
coups d'Astrée, qu'esperez-vous de bon pour cela ?
Pensez-vous qu'un esprit trompé soit aisé à retromper
une seconde fois en un mesme sujet ? Non, non, Madame,
quoy qu'il soit, et de naissance, et de conversation entre des hommes grossiers, si ne le peut-il estre
tant, qu'il ne craigne de se rebrusler à ce feu, dont
la douleur luy cuit encore en l'ame. Il faut (et c'est
ce que vous pouvez esperer de plus Ξavantageux advantageux) que le
temps le guerisse entierement de ceste bruslure,
avant qu'il puisse tourner les yeux sur un autre sujet
semblable, et Ξquelle qu'elle η longueur y faudra t'il ? Et
cependant, sera-t'il possible d'empescher si long temps,
que les gardes qui ne sont qu'Ξà en ceste basse Ξcourt cour, ne
viennent à le sçavoir ? ou en le voyant (car encor ne
le pouvez-vous pas tenir tousjours en une chambre) ou
par le rapport de Meril (qui encor qu'assez discret
pour son Ξâge aage) est en fin un enfant ? - Leonide, luy
dit-elle, cessez de vous travailler pour ce sujet, ma
resolution est celle que je vous ay dite ; que si vous
voulez
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me faire croire que vous m'aimez, favorisez mon
dessein en ce que vous pourrez, et du reste laissez-m'en
le soucy. Ce matin, si le mal de Celadon le permet
(il me sembla qu'hier il se portoit bien) vous pourrez
le conduire au jardin, car pour aujourd'huy je me
trouve un peu mal, et difficilement sortiray-je du
lict, que sur le soir. Leonide toute triste ne luy
respondit, sinon qu'elle rapporteroit tousjours tout
ce qu'elle pourroit à son contentement.
ΞCe pendant Cependant qu'elles discouroient ainsi, Meril fit son
message, et ayant trouvé le Berger esveillé, luy donna
le bon jour de la part de la ΞNimphe Nymphe, et luy presenta
ses papiers. O combien promptement se releva-t'il sur
le lict ! Il fit ouvrir les rideaux, et les fenestres,
n'ayant le loisir de se lever, tant il avoit de haste
de voir ce qui luy avoit cousté tant de regrets. Il
ouvre le petit sac, et apres l'avoir baisé plusieurs
fois : - O secretaire, dit il, de ma vie plus heureuse !
comment t'es tu trouvé entre ces mains estrangeres ? A
ce mot il Ξsort sert η toutes les lettres sur le lict, et pour
voir s'il en manquoit quelqu'une, il les remit en leur
rang, selon le temps qu'il les avoit receuës, et voyant
qu'il restoit Ξencores un billet, il l'ouvre, et leut tels mots.
Celadon, je veux que vous sçachiez que Galathée vous aime, et que le Ciel Ξn'a point permis le desdain d'Astrée que a permis le desdain d'Astrée pour ne vouloir, que plus long temps une
Bergere possedast ce qu'une Nymphe desire. Recognoissez
ce bon-heur et ne le refusez.
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L'estonnement du Berger fut tres-grand, Ξtoutefois toutesfois voyant que le petit Meril consideroit ses actions,
il n'en voulut faire semblant. Les resserrant donc
toutes ensemble, et se remettant au lict, il luy
demanda qui les luy avoit baillées. - Je les ay prises,
dit-il, dans la toilette de Madame, et n'eust esté que
je desirois de vous oster de la peine où je vous
voyois, je n'eusse osé y aller ; car elle se trouve
un peu mal. - Et qui est avec elle ? demanda Celadon. - Les deux ΞNimphes Nymphes, dit-il, que vous vistes icy hier,
dont l'une est Leonide, niepce d'Adamas, l'autre
est Silvie fille de Deante le glorieux ; Ξet certes
elle n'est pas sa fille sans raison, car c'est bien
la plus altiere en ses façons que l'on puisse voir.
Ainsi receut Celadon le premier advertissement de la bonne volonté de Galathée, car encor qu'il n'y eust
ny chiffre ny signature au billet qu'il avoit receu, si jugea t'il bien que Ξ*ce cela n'avoit point esté fait sans
Ξson sceu qu'elle le sçeut. Et des lors il previt que ce luy
seroit une sur-charge à ses Ξennuis ennuys, et qu'il s'y
falloit resoudre.
Voyant donc Ξqu'il estoit desja assez tard que la moitié du jour estoit presque passée, et se trouvant assez bien il ne voulut
demeurer plus long temps au lict, croyant que Ξplutost plustost il en sortiroit, Ξplutost plustost aussi pourroit-il prendre
congé de ces belles Nymphes. S'estant levé en ceste
deliberation, ainsi qu'il sortoit pour s'aller
promener, il rencontra Leonide et Silvie, que
Galathée, n'osant se lever, ny se montrer encor à
luy, de honte du billet qu'elle luy avoit escrit, luy
envoyoit pour l'entretenir. Ils descendirent
[ 55 recto ] 1607 fonctionnelle
dans le
jardin. Et Ξparce par ce que Celadon leur vouloit cacher son
ennuy, il se monstroit avec le visage le plus riant
qu'il pouvoit dissimuler, et feignant d'estre curieux de sçavoir tout ce qu'il voyoit : - Belles ΞNimphes Nymphes, leur
dit-il, n'est-ce pas prés d'icy, où se trouve la
Ξfonteine fontaine de la verité d'Amour η ? Je voudrois bien, s'il
estoit possible, que nous la vissions. - C'est bien
pres d'icy, respondit la ΞNimphe Nymphe, car il ne faut que
descendre dans ce grand bois ; mais de la Ξvoir veoir il est
impossible, et il en faut remercier ceste belle qui en
est cause, dit-elle, en montrant Silvie. - Je ne sçay
repliqua t'elle, pourquoy vous m'en accusez ; car
Ξquant à moi quand a moy je n'ouys jamais blasmer l'espée si elle
couppe l'Ξimprudant imprudent qui met le doigt dessus. - Il est
vray, respondit η Leonide, mais si Ξest ay bien moy celuy qui en blesse, et
vostre beauté n'est pas de celles qui se laissent voir
sans homicide. - Telle qu'elle est, respondit Silvie,
avec un peu de rougeur, elle a bien d'assez forts
liens, pour ne lascher jamais ce qu'elle estraint une
fois. ΞEt cela elle le disoit Elle disoit cecy, en luy reprochant l'infidelité
d'Agis, qui l'ayant quelque temps Ξaimée aymée, pour une
jalousie, ou pour une absence de deux Ξmois moys s'estoit
entierement changé, et pour Polemas qu'une autre
beauté luy avoit desrobé, ce qu'elle entendit fort
bien. Aussi luy repliqua t'elle : - J'Ξavoüe advoue, ma sœur,
que mes liens sont Ξaisez aysez à deslier, mais c'est
dautant que je n'ay jamais voulu prendre la peine de
les noüer.
Celadon oyoit avec beaucoup de plaisir leurs petites
disputes, et Ξà fin afin qu'elles ne finissent si tost, il dit à
[ 55 verso ] 1607 fonctionnelle
Silvie : - Belle Nymphe, puis que c'est de vous
d'où procede la difficulté de voir ceste admirable
Ξfonteine fontaine, Ξ*ce ne nous seroit nous ne vous aurions pas peu d'obligation,
si par vous mesmes nous apprenions comme cela est
advenu. - Celadon, respondit la ΞNimphe Nymphe en Ξsouriant sousriant,
vous avez bien assez d'affaire chez vous, sans aller
chercher ceux d'autruy. ΞToutefois Toutesfois si Ξavec vostre Amour peut encor trouver place la curiosité la curiosité peut encor trouver place avec vostre amour, ceste parleuse de Leonide, si vous l'en priez vous en
dira bien la fin, puis que, sans en estre requise, elle
vous a si bien dit le commencement. - Ma sœur,
respondit Leonide, vostre beauté fait bien mieux
parler Ξ*les yeux desquels tous ceux de qui elle est veuë. Et puis que vous
me donnez permission d'en dire un Ξeffet effect, je vous aime
tant que je ne Ξlairray laisseray jamais vos victoires Ξ*assoupies incognuës, et mesmes celles, que vous Ξmontrez d'avoir agreables qu'elles soient sceuës desirez si fort que l'on sçache. ΞToutefois Toutesfois pour n'ennuyer ce
Berger, j'Ξabregeray abbregeray pour ce coup le plus qu'il me sera
possible. - Non point pour cela, interrompit le
Berger, mais pour donner loisir à ceste belle ΞNimphe Nymphe de vous rendre la pareille. - N'en doutez nullement,
repliqua Silvie, mais selon qu'elle me Ξtraitera traittera, je
verray ce que j'auray à faire. Ainsi de l'une et de l'autre, par leur bouche mesme,
Celadon apprenoit η leur vie plus particuliere, et afin
qu'en Ξse ce η promenant il Ξpust les les pust mieux oüyr, elles le
mirent entre elles, et marchant au petit pas, Leonide
commença de ceste sorte.
[ 56 recto ] 1607 fonctionnelle
Histoire de Silvie
Ξ(Guillemets de "Ceux" à "ny".) Ceux qui dient que pour estre Ξaimé aymé, il ne faut qu'Ξaimer aymer,
n'ont pas esprouvé ny les yeux, ny le courage de ceste
ΞNimphe Nymphe ; autrement ils eussent cogneu, que tout ainsi
que l'eau de la Ξfonteine fontaine fuit incessamment de sa
source, que de mesme l'Amour, qui naist de ceste
belle, s'esloigne d'elle le plus qu'il peut. Si oyant
le discours que je vay vous faire, vous n'advoüez ce
que je dis, je veux bien que vous m'accusiez de peu
de jugement.
Amasis, mere de Galathée, a un fils nommé Clidaman,
accompagné de toutes les Ξaimables aymables vertus qu'une
personne de son Ξâge aage, et de sa qualité peut avoir,
car il semble estre nay à tout ce qui est des armes,
et des Dames. Il peut y avoir trois ans, que pour
donner Ξquelque cognoissance de son gentil naturel, avec Ξla permission d'Amasis, il fit un serviteur à toutes
les ΞNimphes Nymphes, et cela non point par Ξl' election, mais par Ξle
sort η, parce qu'ayant mis tous les noms des ΞNimphes Nymphes dans un vase, et tous ceux des jeunes Chevaliers dans
l'autre, devant toute l'assemblée, il prit la plus
jeune d'entre nous, et le plus jeune d'entr'eux ; au
fils il donna le vase des ΞNimphes Nymphes, et à la fille
celuy des Chevaliers, et lors, apres plusieurs sons
de trompettes, le jeune garçon tira, et le premier nom
Ξqu'il qui sortit, fut Silvie ; soudain on en fit faire de
mesme
[ 56 verso ] 1607 fonctionnelle
à la jeune ΞNimphe Nymphe, qui tira celuy de Clidaman.
Grand certes fut l'applaudissement de chacun, mais
plus grande la gentillesse de Clidaman, qui apres
avoir receu le billet vint, un genouil en terre, baiser
les mains à ceste belle ΞNimphe Nymphe, qui toute honteuse ne
l'eust point permis, sans le commandement d'Amasis,
qui dit que c'estoit le moindre hommage qu'elle deust
recevoir au nom d'un si grand dieu que l'Amour. Apres
elle, Ξles autres toutes toutes les autres furent appellées : aux unes il
rencontra selon leur desir, aux autres non ; tant y a
que Galathée en eut un tres-accomply, nommé Lindamor,
qui pour lors ne faisoit que revenir de l'armée de
Merovée. Quant au mien, il s'appelloit Agis, le
plus inconstant et trompeur qui fut jamais. Or de ceux
qui furent ainsi donnez, les uns servirent par
Ξapparance apparence, les autres par leur volonté ratifierent à
ces belles la donation que le hazard leur avoit fait
d'eux ; et ceux qui s'en deffendirent le mieux, furent
ceux qui auparavant avoient desja conçeu quelque
affection.
Entre autres le jeune Ligdamon en fut un : Ξcestui cestuy-cy escheut à Silere, ΞNimphe Nymphe à la verité bien-aymable, mais non pour luy, qui avoit des-ja disposé
ailleurs de ses volontez. Et certes ce fut une grande
fortune pour luy d'estre alors absent ; car il n'eust
jamais fait à Silere le Ξfaint feint hommage qu'Amasis
commandoit, et cela luy
eust peut-estre causé quelque disgrace. Car il faut,
gentil Berger, que vous sçachiez, qu'il avoit esté
nourry si jeune parmy nous, qu'il n'avoit
[ 57 recto ] 1607 fonctionnelle
point encor
dix ans quand il y fut mis, Ξdu au reste si beau et si
adroit en tout ce qu'il faisoit, qu'il n'y avoit
celle qui n'en fist cas, et plus que toutes, Silvie
estant presque de mesme Ξâge aage. Au commencement leur
ordinaire conversation Ξ*conceut engendra une amitié de frere
à sœur, telle que leur cognoissance estoit capable de recevoir. Mais Ξpeu à peu à mesure que Ligdamon prenoit plus
d'Ξâge aage, il prenoit aussi plus d'affection ; si bien
que l'enfance se changeant en quelque chose de plus
rassis, il commença sur les quatorze ou quinze ans,
de changer en desirs ses volontez, et peu à peu ses
desirs en passions. ΞToutefois il vesquit Toutesfois il vescut avec tant de discretion que Silvie n'en eut jamais cognoissance
qu'elle mesme ne l'y forçast. Depuis qu'il fut attaint
à bon escient, et qu'il Ξrecognut recogneut son mal, il jugea
bien incontinent le peu d'espoir qu'il y avoit de
guerison, une seule des humeurs de Silvie ne luy
Ξpouvoit pouvant estre cachee. Si bien que la joye et la
gaillardise qui estoit η en son visage, et en toutes
ses actions, se changea η en tristesse, et sa
tristesse en une si pesante melancolie, qu'il n'y
avoit celuy qui ne Ξrecognust recogneut ce changement. Silvie ne fut pas des dernieres à luy en demander la cause,
mais elle n'en peut tirer que des Ξresponses responces interrompuës. En fin voyant qu'il continuoit en ceste
façon de vivre, un jour qu'elle commençoit desja à se
plaindre de son peu d'amitié, et à luy reprocher
qu'elle l'obligeoit à ne luy rien celer, elle oüyt
qu'il ne peut si bien se contraindre qu'un
tres ardent Ξsoupir souspir
[ 57 verso ] 1607 fonctionnelle
ne luy eschapast au lieu de
Ξresponse responce. Ce qui la fit entrer en opinion qu'Amour
peut-estre estoit la cause de son mal.
Et Ξvoyez combien voyés, si le pauvre Ligdamon conduisoit
discrettement ses actions, puis qu'elle ne se Ξpust peut η
jamais imaginer d'en estre la cause. Je croy bien que
l'humeur de la Ξnimphe Nymphe, qui ne Ξpenchoit panchoit point du tout à ce dessein en pouvoit estre en partie l'occasion.
Car mal aisément Ξ(Guillemets de "pensons" à "froideur".) pensons nous à une chose esloignée
de nostre intention ; mais encor failloit-il qu'en cela
Ξla sa prudence fust grande, et Ξ*la froideur de ses actions sa froideur aussi, puis
qu'elle couvroit du tout l'ardeur de son affection.
Elle donc plus qu'auparavant le presse ; que si c'est
Amour, elle luy promet toute l'assistance, et tous
les bons offices qui se peuvent esperer de son amitié η.
Plus il luy en fait de refus, et plus elle desire de
le sçavoir ; en fin ne pouvant se deffendre
Ξdavantage d'avantage, il luy advoüa que c'estoit Amour, mais
qu'il avoit fait serment de n'en dire jamais le Ξsujet subjet. - Car,
disoit-il, de l'Ξaimer aymer, mon Ξoutrecuidence outrecuidance certes est
grande, mais forcee par tant de beautez, Ξet en cela excusable, mais qu'elle est excusable en cela ; de l'oser nommer, Ξquelle qu'elle η excuse
couvriroit l'ouverture que je ferais de ma temerité ?
- Celle, respondit Ξincontinant incontinent Silvie, de l'amitié
que vous me portez. - Vrayement, repliqua Ligdamon,
j'auray donc celle-la et celle de vostre commandement,
que je vous supplie avoir ensemble devant les yeux
pour ma descharge, et ce miroir η qui vous fera voir ce
que vous desirez sçavoir. A ce mot il prend celuy
qu'elle portoit à sa ceinture, et le
[ 58 recto ] 1607 fonctionnelle
luy mit devant les yeux. Pensez quelle fut sa surprise, recognoissant Ξincontinant incontinent ce qu'il vouloit dire ; et elle m'a depuis juré qu'elle croyoit au commencement que ce fust de Galathée *, de qui il vouloit parler. ΞCe pendant Cependant qu'il demeuroit ravy à la considerer, elle demeura ravie à se considerer en sa simplicité, en colere contre luy, mais beaucoup plus contre elle-mesme voyant bien qu'elle luy avoit tiré par force ceste declaration de la bouche. ΞToutefois Toutesfois son courage altier ne permit pas qu'elle Ξfist fit longue Ξdeffense deffence, pour la justice de Ligdamon ; car tout à coup elle se leva, et sans Ξluy parler parler à luy, partit pleine de despit que quelqu'un l'osast aimer. Orgueilleuse beauté qui ne juge rien digne de soy ! Le fidelle Ligdamon demeura, mais sans ame, et comme une statue insensible. En fin revenant à soy, il se Ξconduit conduisit le mieux qu'il Ξpût peust η en son logis, d'où il ne partit de long-temps, Ξparce par ce que la cognoissance qu'il Ξeut eust du peu d'amitié de Silvie, le toucha si vivement qu'il en tomba malade ; de sorte que personne ne Ξlui luy esperoit plus de vie, quand il se resolut de luy escrire une telle lettre.
La perte de ma vie n'eust eu assez de force pour vous
Ξdescouvrir decouvrir la temerité de vostre serviteur, sans
vostre exprés commandement. Si Ξtoutefois toutesfois vous jugez
que je devois mourir, et
[ 58 verso ] 1607 fonctionnelle
me taire, Ξdites dittes aussi que
vos yeux devoient avoir moins absolue puissance sur
moy ; car, si à la premiere semonce, que leur beauté
m'en fit, je ne peus me deffendre de Ξne leur donner mon
ame, comment en ayant esté si souvent requis,
eusse-je refusé la recognoissance de ce don ? Que si
Ξtoutefois toutesfois j'ay Ξoffense offencé en offrant mon cœur à vostre
beauté, je veux bien pour la faute que j'ay commise
de presenter à tant de merites, chose de si
peu de valeur, vous sacrifier encore ma vie, sans
regretter la perte de l'un ny de l'autre, que d'autant
qu'ils ne η vous sont agreables.
ΞCette Ceste lettre fut portée à Silvie lors qu'elle estoit
seule dans sa chambre ; il est vray que j'y arrivay Ξau en mesme temps, et certes à la bonne heure pour Ligdamon ; car voyez Ξquelle qu'elle η est l'humeur de ceste
belle ΞNimphe Nymphe : elle avoit pris un si grand despit
contre luy, depuis qu'il luy avoit Ξdescouvert découvert son
affection, que seulement η elle n'effaça pas le Ξressouvenir souvenir de son amitié passée, mais en perdit tellement la
volonté, que Ligdamon luy estoit comme chose
indifferente, si bien que, quand elle oyoit que
chacun desesperoit de sa guerison, elle ne s'en
esmouvoit non plus que si elle ne l'eust jamais veu.
Moy qui plus particulierement y prenois garde, je ne
sçavois qu'en juger, sinon que sa jeunesse Ξluy lui faisoit
ainsi Ξaisément aysément perdre l'amitié des personnes absentes ;
mais à ceste fois que je luy
[ 59 recto ] 1607 fonctionnelle
vy refuser ce qu'on luy
donnoit de sa part, je Ξcognu cogneu bien qu'il y devoit
avoir Ξentr'eux entre eux du mauvais mesnage. Cela fut cause que
je pris la lettre qu'elle avoit refusée, et que le
jeune garçon qui l'avoit apportee par le commandement
de son maistre, avoit laissée sur la table. Elle alors,
moins fine qu'elle ne vouloit pas estre, me courut
apres, et me pria de ne la point lire. - Je la veux voir,
dis-je, quand ce ne seroit que pour la deffense que
vous m'en faites. Elle rougit alors, et me dit : - Non,
ne la lisez point, ma sœur, obligez moy de cela, je
vous en conjure par nostre amitié. - Et Ξquelle qu'elle η doit-elle estre, luy respondis-je, si elle peut
souffrir que vous me cachiez quelque chose ? Croyez,
Silvie, que si elle vous laisse assez de
dissimulation pour vous couvrir à moy, qu'elle me
donne bien assez de curiosité pour vous Ξdescouvrir découvrir.
- Et quoy, dit-elle, il n'y a donc plus d'esperance en
vostre discretion ? - Non plus, luy dis-je, que de
sincerité en vostre amitié. Elle demeura un peu
muette en me regardant, et s'Ξaprochant approchant de moy, me
dit : - Au moins promettez moy que vous ne la verrez
point, que je ne vous aye fait le discours de tout ce
qui s'est passé. - Je le veux bien, dis-je, pourveu
que vous ne soyez point mensongere.
Apres m'avoir juré qu'elle me diroit veritablement
tout, et m'avoir adjuré que je n'en fisse jamais
semblant, elle me raconta ce que je vous ay dit de
Ligdamon. - Et à ceste heure, continua-t'elle, il
vient de m'envoyer ceste lettre, et j'ay bien
affaire de ses plaintes, ou Ξplutost plustost
[ 59 verso ] 1607 fonctionnelle
de ses Ξfaintes feintes.
- Mais luy respondis-je, si elles estoient
veritables ? - Et quand elles le seroient, pourquoy
ay-je à me mesler,
dit-elle, de ses folies ? - Pour cela mesme,
adjoustay-je, que Ξcelui celuy est obligé d'Ξaider le ayder au miserable, qu'il a fait tomber dans un precipice.
- Et que puis-je mais de son mal ? repliqua t'elle,
pouvois-je moins faire que de vivre, puis que j'Ξestoy estois
au monde ? Pourquoy avoit il des yeux ? Pourquoy
s'est il trouvé où j'estois ? Vouliez-vous que je m'en
fuisse ? - Toutes ces excuses, luy Ξdisje dis-je, ne sont pas
valables, car sans doute vous estes complice Ξà de son
mal. Si vous eussiez esté moins pleine de Ξperfection perfections,
si vous vous fussiez renduë moins Ξaimable aymable, croyez-vous
qu'il eust esté reduit à ceste extremité ? - Et
vrayement, me dit-elle en Ξsouriant sousriant, vous estes bien
Ξ*gracieuse jolie de me charger de ceste faute. Quelle vouliez-vous
que je fusse, si je n'eusse esté celle que je suis ?
- Et quoy, Silvie luy respondis-je, ne sçavez-vous
point, Ξ(Guillemets de "que" à "serez-vous".) que celuy qui aiguise un fer entre les mains
d'un furieux, est en partie coulpable du mal qu'il en
Ξfait faict ? Et pourquoy ne le serez-vous pas, puis que
ceste beauté, que le Ciel à Ξvostre vostre naissance vous a
donnee, a esté par vous si curieusement Ξesguisée aiguisee avec
tant de vertus, et Ξaimables aymables perfections, qu'il n'y a
œil qui sans estre blessé les puisse voir ? Et vous ne
serez pas blasmée des meurtres que vostre cruauté en
fera ? Voyez vous, Silvie, il ne falloit pas que vous
fussiez moins belle, ny moins remplie Ξde des perfections,
mais vous deviez vous estudier autant
[ 60 recto ] 1607 fonctionnelle
à vous faire
bonne, que vous estiez belle, et à mettre autant de
douceur en vostre ame, que le Ciel vous en avoit mis
au visage ; mais le mal est, que vos yeux pour mieux
blesser l'ont toute prise, et n'ont l'aissé en elle η que
rigueur et cruauté.
Or, gentil Berger, ce qui me faisoit tant affectionner
la Ξdeffense deffence de Ligdamon estoit, que outre que nous
estions un peu alliés η, encor estoit-il fort aimé de
toutes celles qui le cognoissoient, et j'avois sçeu
qu'il estoit reduit à fort mauvais terme. ΞDonques Doncques,
apres quelques semblables propos, j'ouvris la lettre,
et la leus tout haut, afin qu'elle l'entendist. Mais
elle n'en fit jamais un seul clin d'œil, ce que je
trouvay fort estrange, et prevy bien, que si je
n'usois de tres-grande force, Ξqu'à à peine tirerois je
jamais d'elle quelque bon remede pour mon malade ; ce qui me fit resoudre de luy dire du premier coup qu'en
toute façon je ne voulois point que Ligdamon se
perdist. - ΞVoy Voyez, ma sœur, me dit-elle, puis que vous
estes si pitoyable, guerissez-le. - Ce n'est pas de
moy, respondis-je, dont sa guerison Ξdespend dépend ; mais je
vous Ξassure asseure bien, si vous continuez envers luy, comme
vous avez fait par le passé, que je vous en feray
avoir du desplaisir, car je feray qu'Amasis le sçaura,
et n'y aura une seule de nos compagnes, à qui je ne le
die. - Vous seriez bien assez folle, repliqua-t'elle.
- N'en doutez nullement, respondis-je, car pour
Ξla conclusion, j'Ξaime ayme Ligdamon, et ne veux point voir
sa perte, tant que
[ 60 verso ] 1607 fonctionnelle
je la pourray empescher. - Vous
dites fort bien, Leonide, (me dit-elle alors en
colere) Ξç'a tousjours esté des offices que j'ay ce sont icy des offices que j'ay tousjours attendu de vostre amitié. - Mon amitié (luy respondis-je)
seroit toute telle envers vous contre luy, s'il avoit
le Ξtord tort. En ce point nous demeurasmes Ξquelque quelques temps sans
parler ; en fin je luy demanday quelle estoit sa
resolution. - Telle que vous voudrez, me dit-elle,
pourveu que vous ne me fassiez point ce desplaisir de
publier les folies de ΞLigdamon Lygdamon : car encor que je
n'en puisse estre taxée, il me fascheroit Ξtoutefois toutesfois Ξque l'on le sceust qu'on les sçeust. - Voyez, m'escriay-je alors, Ξquelle qu'elle η humeur est la vostre, Silvie, vous craignez que l'on
sçache qu'un homme, vous Ξait ayt aimée, et vous ne craignez
pas de faire sçavoir que vous luy Ξayez avez donné la mort.
- ΞParce Par ce, respondit-elle, qu'on peut soupçonner le
premier estre produit avec quelque consentement de
mon costé, mais non point le dernier. - Laissons cela,
repliquay-je, et vous resolvez que je veux que
Ligdamon soit à l'advenir traité d'autre sorte.
Et Ξlors je luy dy qu'en toute façon puis je continuay qu'elle s'asseurast que je ne
permettrois point qu'il mourust, et que je voulois
qu'elle luy escrivist Ξde sorte en façon, qu'il ne se
desesperast plus, que quand il seroit guery, je me
contenterois qu'elle Ξ*le traitast en usast comme elle voudroit,
pourveu qu'elle luy laissast la vie. J'eus de la
peine à obtenir Ξceste cette grace d'elle, toutefois je la
menaçois à tous coups de le dire ; ainsi apres un
long debat, et l'avoir fait recommencer deux ou trois
fois, en fin elle luy escrivit de ceste sorte.
[ 61 recto ] 1607 fonctionnelle
Response de ΞSylvie Silvie,
a ΞLygdamon Ligdamon.
S'il y a quelque chose en vous qui me plaise, c'est moins vostre mort que Ξtout toute autre ; la recognoissance de vostre faute m'a Ξsatisfaicte satisfaite, et ne veux point d'autre vengeance de vostre temerité, que la peine que vous en aurez. Recognoissez vous à l'advenir, et me recognoissez. ΞA-Dieu A Dieu, et vivez.
Je luy escrivis ces mots au bas de la lettre, afin qu'il esperast mieux, ayant un si bon second.
Billet de Leonide
a Lygdamon,
dans la
response ΞSylvie Silvie.
Leonide a mis la plume Ξà en la main à ceste Nymphe. Amour le vouloit, vostre justice l'y Ξconvioit convyoit, son
devoir le luy commandoit, mais son opiniastreté avoit
une grande deffense. Puis que ceste faveur est la
premiere que j'ay obtenuë pour vous, guerissez vous,
et esperez.
[ 61 verso ] 1607 fonctionnelle
Ces billets luy furent portez si a propos, qu'ayant
encor assez de force pour les lire, il vid le
commandement que ΞSylvie Silvie luy faisoit de vivre, et
Ξparce par ce que jusques alors il n'avoit voulu user
d'aucune sorte de remede, depuis, pour ne Ξdesobeïr desobeyr à
ceste Nymphe, il se gouverna de façon qu'en peu
de temps il se porta mieux ; ou fust que sa maladie,
ayant fait tout son effort, estoit Ξà sur son
" declin, ou
que veritablement le contentement
" de l'ame soit un Ξ(Guillemets de "bon" à "diminuant".) bon remede pour les douleurs du corps, tant y a que depuis,
son mal alla Ξtousjours toujours diminuant. Mais cela esmeut si
peu ceste cruelle beauté, qu'elle ne se changea jamais
envers luy, et quand il fut Ξgueri guery, la plus favorable
response qu'il Ξpût peut η avoir, fut : - Je ne vous ayme
point, je ne vous hay point aussi ; contentez vous que
de tous ceux qui me pratiquent, vous estes celuy qui
me Ξdesplait desplaist le moins. Que si luy ou moy la
recherchions de plus grande declaration, elle nous
disoit des paroles si cruelles qu'autre que son
courage ne les pouvoit imaginer ny autre affection
les supporter, que celle de Ligdamon.
Mais pour ne Ξpoint tirer ce discours en longueur, Ligdamon l'Ξaima ayma, et servit tousjours depuis sans
nulle autre apparence d'espoir, que celle que je vous
ay ditte, jusques à ce que Clidaman fut esleu par la
fortune pour la servir ; alors certes il faillit bien
à perdre toute resolution, et n'eust esté qu'il sçeut
par moy, qu'il η n'estoit pas mieux traitté, je ne sçay
quel il fust devenu.
[ 62 recto ] 1607 fonctionnelle
ΞToutefois Toutesfois encor que cela le
consolast un peu, la grandeur de son rival luy Ξfaisoit donnoit plus Ξ*de peur que de jalousie. Il me souvient qu'une fois il me fit
une telle response, sur ce que je luy disois, qu'il ne
devoit se monstrer tant en peine pour Clidaman. - Belle
Nymphe, me respondit-il, je vous diray librement d'où mon soucy procede, et puis jugez si j'ay tort. Il
y a desja si Ξlong temps longtemps que j'espreuve ΞSilvie Silvie ne
pouvoir estre esmeuë, ny par fidelité d'affection, ny
par extremité d'Amour, que c'est sans doute qu'elle ne
peut estre blessée de ce costé la. ΞToutefois Toutes-fois, comme
j'ay appris du Ξ(Guillemets de "sage" à "une fois".) sage Adamas, vostre oncle, toute
personne est sujette à une certaine force Ξattirante, de laquelle dont elle
ne peut Ξéviter esviter l'attrait, quand une fois elle en est
touchée. Et quelle puis-je penser, que puisse estre
celle de ceste Belle, si ce n'est la grandeur et la
puissance, et ainsi si je crains, c'est la fortune, et
non les merites de Clidaman ; sa grandeur, et non
point son affection. Mais certes en cela il avoit
tort ; car ny l'Amour de Ligdamon, ny la grandeur de Clidaman n'esmeurent jamais une seule estincelle de
bonne volonté en Sylvie. Et ne croy point
qu'Amour ne la garde pour exemple aux autres, la
voulant punir de tant de desdains, par quelque moyen
inaccoustumé. Or en ce mesme temps il advint un grand
tesmoignage de sa beauté ou pour le moins de la force
Ξqu'elle quelle η a à se faire aymer.
C'estoit le jour tant celebré, que tous les ans nous
chommons Ξ*à Diane le sixiesme de la Lune de Juillet,
[ 62 verso ] 1607 fonctionnelle
et que Amasis a accoustumé de faire ce Ξsolennel solemnel sacrifice, tant à cause de la feste, que pour estre le jour de
la nativité de Galathée. Ξque nous estions des-ja Lors qu'estant desja bien
avant au sacrifice, Ξlors qu' il arriva dans le temple quantité
de personnes vestuës Ξen deuil de dueil, au milieu Ξdesquels desquelles
venoit un Ξchevalier Chevalier plein de tant de majesté entre
les autres, qu'il estoit aysé à juger Ξpour qu'il estoit
leur maistre. Il estoit si triste et melancolique,
qu'il faisoit bien paroistre d'avoir quelque chose en
l'ame qui l'affligeoit beaucoup. Son habit noir en
façon de mante, luy Ξtraînoit traisnoit jusques en terre, qui
empeschoit de cognoistre la beauté de sa taille, mais
le visage qu'il avoit Ξdescouvert découvert, et la teste nuë, dont
le poil blond, et crespé faisoit honte au Soleil,
Ξ*ne pouvoient de l'amertume du deuil couvrir toute leur douceur attiroient les yeux de chacun sur luy. Il vint au
petit pas jusques où estoit Amasis, et apres
Ξluy avoir baisé la robe avoir baisé sa robbe, il se retira, attendant que le
sacrifice fust Ξparachevé achevé, et par fortune bonne, ou
mauvaise pour luy, je ne sçay, il se trouva vis à
vis de ΞSylvie Silvie. Estrange Ξeffet effect d'Amour ! Il n'eust
si tost mis les yeux sur elle, qu'il ne Ξl'a la cogneust,
quoy qu'auparavant il ne l'eust jamais veuë ; et pour
en estre plus asseuré le demanda à l'un des siens
qui nous cognoissoit toutes ; sa Ξresponse responce fut suivie
d'un profond souspir par cest estranger, et depuis,
tant que les ceremonies durerent, il n'osta les yeux
de dessus Ξelle . Ξ*En fin toutes choses estant parachevées Enfin le sacrifice estant parachevé,
Amasis s'en retourna en son Palais, où luy ayant
donné Ξaudiance audience, il luy parla devant tous de telle
sorte :
[ 63 recto ] 1607 fonctionnelle
- Madame, encore que le Ξdeuil dueil que vous voyez en mes
habits soit beaucoup plus noir en mon ame, si ne
peut-il Ξesgaler égaler la cause que j'en ay. Et Ξtoutesfois je ne pense pas, encor que ma perte ayt esté extreme toutefois, encores que ma perte soit extreme, je ne pense pas estre le seul qui y Ξayt ait perdu, car vous y estes
particulierement amoindrie Ξau nombre de vos fideles entre vos fidelles serviteurs, d'un qui peut-estre n'estoit point ny le
moins affectionné, ny le plus inutile à vostre service.
Ceste consideration m'avoit fait esperer de pouvoir
obtenir de Ξ*vostre justice vous quelque vengeance de sa mort contre
son homicide ; mais dés que je suis entré dans ce
temple, j'en ay perdu toute esperance, jugeant que si
le desir de vengeance mouroit en moy, qui suis le frere
de l'Ξoffensé offencé, qu'à plus forte raison se perdroit-Ξelle il en vous, Madame, en qui la compassion du Ξmort Mort, et le
service qu'il vous avoit voüé, en peuvent sans plus faire naistre quelque volonté. Toutesfois, par ce que
je voy les armes de l'homicide de mon frere, preparées
Ξdes ja desja contre moy, non point pour fuir telle mort, mais
pour en advertir les autres, je vous diray le plus
briefvement qu'il me sera possible, la fortune de
celuy que je regrette. Encore, Madame, que je n'aye l'honneur d'estre Ξcognu cogneu de vous, je m'asseure Ξtoutefois toutes fois qu'au nom de mon
frere, qui na η jamais vescu qu'à vostre service, vous
me recognoistrez pour vostre tres-humble serviteur : Il
s'Ξapelloit appeloit Aristandre Ξet moi Guyemants , et sommes tous deux fils de ce grand ΞCleomire Cleomir, qui pour vostre service Ξsi souvent visita visita si
souvent le Tybre,
[ 63 verso ] 1607 fonctionnelle
le Rhin, et le Danube. Et Ξdautant d'autant que j'estoy le plus jeune, il peut y avoir Ξ*six neuf ans, qu'aussi tost qu'il me vid capable de porter les armes, il m'envoya Ξà en l'armee de ce grand Meroüee, la delice des hommes, et le plus Ξagreable aggreable Prince qui vint jamais Ξdes François * en Gaule. De dire pourquoy mon pere m'envoya plustost vers Meroüée, que vers Thierry le Roy des Visigots, * ou vers celuy des Bourguignons, il me seroit mal-Ξaysé aisé, Ξtoutefois toutesfois j'ay opinion que ce fut, pour ne me faire servir un Prince si proche de vos Ξestats Estats, que la fortune pourroit rendre vostre ennemy. Tant y a que Ξle la rencontre pour moy fut Ξtel telle, que Childeric son fils, Prince belliqueux, et de grande esperance, me voyant presque de son Ξâge aage, me voulut plus particulierement favoriser de son amitié que de tout autre. Quand j'arrivay pres de luy, c'estoit sur le Ξpoint poinct que ce grand η et prudent Ætius traittoit un accord avec Meroüée et ses Ξ*Françons Francs (car tels nomme-t'il tous ceux qui le suivent) pour resister à ce fleau η de dieu Attila, Roy des Huns, qui ayant Ξramassé r'amassé par les deserts de l'Asie, un nombre incroyable de gens, jusques à cinq cents mille combattans, descendit comme un deluge, Ξfurieusement ravageant ravageant furieusement tous les Ξpaïs pays par où il passoit. Et encor que Ξcet cest Ætius Lieutenant general en Gaule de Valentinian, fut venu en deliberation de faire la guerre à Meroüée, qui durant le gouvernement de Castinus s'estoit saisi d'une partie de la Gaule, si luy sembla t'il
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meilleur de se Ξles allier le rendre amy, et les
Visigots, et les Bourguignons aussi, que d'estre Ξtous deffaits deffait par Attila, qui desja ayant traversé la
Germanie, estoit sur les bords du Rhin, où il ne
demeura long temps sans Ξse tellement advancer s'avancer tellement en Gaule, qu'il assiegea la ville d'Orleans, d'où la survenuë
de Thierry Roy des Visigots luy fit lever le siege,
et prendre autre chemin. Mais attaint par Meroüée, et Ætius avec leurs confederez, aux champs
Cathalauniques, il fut Ξdeffait defait, plus par la
vaillance des Francs, et la prudence de Meroüée, que
de toute autre force. Depuis Ætius ayant esté tué,
peut estre par le commandement de son maistre, pour
quelque Ξmescontentement mécontentement, Meroüée fut receu a Paris, Orleans, Sens, et aux villes Ξvoisines voysines pour
Seigneur, et pour Roy ; et tout ce peuple luy a depuis
porté tant d'affection, que non seulement il veut
estre à luy, mais se fait nommer du nom des Francs Ξou Françons ,
pour luy estre plus agreable, et leur Ξpays païs au lieu de
Gaule Ξ*s'appella prend le nom de France. ΞCe pendant Cependant que j'estois ainsi entre les armes des Francs, des Gaulois, des Romains, des Bourguignons,
des Visigots, et des Huns, mon frere estoit entre
celles d'Amour. Armes d'autant plus Ξoffensives offencives,
qu'elles n'adressent toutes leur playes qu'au cœur !
Son desastre fut tel (si Ξtoutefois toutesfois à ceste heure il
m'est permis de le nommer ainsi) qu'estant nourry avec Clidaman, il vid la belle ΞSylvie Silvie, mais la
voyant, il vid sa mort aussi n'ayant depuis vescu
que comme se trainant au cercueil. D'en dire la
[ 64 verso ] 1607 fonctionnelle
cause
je ne sçaurois, car estant avec Childeric, je Ξn'en sceu ne sçeu autre chose, sinon que mon frere estoit à
l'extremité. Encor que j'eusse tous les contentemens
qui se peuvent, comme Ξceluy qui estoit estant bien veu de Ξson mon maistre,
aymé de mes compagnons, chery, et honoré generalement
de tous, pour une certaine bonne opinion que l'on
avoit Ξconceu conceuë de moy aux affaires qui s'estoient
presentées, qui peut estre m'avoit plus Ξraporté r'apporté entre eux d'Ξautorité authorité et de credit, que mon âge, et
ma capacité ne meritoient. Si ne peus-je, sçachant
la maladie de mon frere, m'arrester plus long temps
Ξen l'Isle de France pres de Childeric ; Ξainsi donc prenant congé de Meroüée et Childeric leur au contraire, prenant congé de luy, et luy promettant de retourner bien tost, je
m'en revins Ξen avec la haste que Ξvouloit requeroit mon amitié.
Soudain que je fus arrivé chez luy, plusieurs luy
coururent dire que Guyemants
estoit venu, *car c'est ainsi que l'on m'appelle ; son
amitié luy donna assez de force, pour se relever sur
le lict, et m'embrasser de la plus entiere affection,
que η jamais un frere serra l'autre entre ses bras.
Il ne serviroit, Madame, que de vous ennuyer, et me
reblesser encor plus vivement, de vous raconter les
choses que nostre amitiè fit entre nous. Tant y a que
deux ou trois jours apres, mon frere fut reduit à
telle extremité, qu'à peine avoit-il la force de
respirer, et toutefois ce cruel Amour Ξla s'adonnoit η tousjours Ξplutost plustost aux souspirs, Ξ*qu'aux respirs, et entre qu'à la necessité qu'il en avoit pour respirer, et parmy ses plus
cuisants regrets, on n'oyoit que le nom de ΞSylvie Silvie.
[ 65 recto ] 1607 fonctionnelle
Moy à qui le Ξdesplaisir déplaisir de sa mort estoit si violent,
que rien n'estoit assez fort pour me le faire
dissimuler, je voulois tant de mal à ceste Silvie Ξincognuë incogneuë, que je ne pouvois m'empescher de la
maudire ; ce que mon frere oyant, et son affection
estant encore plus forte que son mal, il s'efforça de
me parler ainsi : - Mon frere, si vous ne voulez estre
mon plus grand ennemy, cessez, je vous prie, ces
imprecations, qui ne peuvent que m'estre plus
Ξdes-agreables desagreables, que mon mal mesme. J'esliroy Ξplutost plustost de n'estre point que si elles avoient Ξeffet effect, et
estant inutiles, que Ξproffitez profitez-vous, sinon de me
Ξtesmoigner témoigner combien vous haissez ce que j'ayme ? Je
sçay bien que ma perte vous ennuye, et en cela je
ressens plus nostre separation que ma fin. Mais puis
que tout homme est nay Ξ(Guillemets de "pour" à "belle".) pour mourir, pourquoy avec moy
ne remerciez-vous le Ciel, qui m'a esleu la plus belle
mort, et Ξla plus belle meurtriere qu'autre ayt jamais
eüe ? L'extremité de mon affection, et l'extremité de
la vertu de Sylvie, sont les armes desquelles sa
beauté s'est servie, pour me mettre au cercueil ; et
pourquoy me plaignez vous, et voulez vous mal à celle
à qui je veux plus de bien qu'à mon ame ? Je croy qu'il
vouloit dire davantage, mais la force luy manqua, et
moy, plus baigné de pleurs de pitié, que contre Attila je n'avois jamais esté moüillé η de sueur Ξen sous mes armes,
ny mes armes *n'avoient esté teintes de sang sur moy, je
luy respondis : - Mon frere, celle qui vous ravit aux
vostres, est la plus injuste qui fut jamais. Et si elle
est belle, les Dieux Ξmesmes mesme ont usé d'injustice en elle,
car
[ 65 verso ] 1607 fonctionnelle
ou ils luy devoient changer le visage, ou le cœur.
Alors Aristandre, ayant repris Ξdavantage d'avantage de force,
me repliqua : - Pour Dieu Guyemants, ne Ξblasphemez plasphemez η plus de ceste sorte, et croyez que Silvie Ξa à le cœur
si respondant au visage, que comme l'un est plein de
beauté, l'autre aussi l'est de vertu. Que si pour
l'Ξaymer aimer je meurs, ne vous en estonnez, Ξpar pour ce que si
l'œil ne peut sans esbloüissement soustenir les
esclairs d'un Soleil sans nuage, comment mon ame ne
seroit-elle demeurée Ξesblouïe esblouye aux rayons de Ξ*mille tant de Soleils qui Ξ*flamboient esclairent en ceste belle ? Que si Ξelle n'a peu je n'ay peu gouster tant de divinitez sans mourir, Ξqu'elle ayt que j'aye au
moins le contentement de celle qui mourut pour voir η Jupiter en sa divinité. Je veux dire que comme sa
Ξmort mere η rendit tesmoignage que nulle autre n'avoit Ξjamais veu
tant de divinitez qu'elle, que vous avoüyez aussi que
nul n'ayma jamais tant de beauté, ny tant de vertu
que moy.
Moy qui venois d'un exercice qui me faisoit croire n'y
avoir point d'Amour forcé, mais volontaire, avec
lequel on s'alloit flattant en l'oysiveté η, je luy
dis : - Est-il possible qu'une seule beauté soit la
cause de Ξvostre votre mort ? - Mon frere, me respondit-il,
je suis Ξà en telle extremité que je ne pense pas vous
pouvoir satisfaire, en ce que vous me demandez. Mais
continua-t'il, en me prenant la main, par l'amitié
fraternelle, et par la nostre particuliere, qui nous
lie encor plus, je vous adjure de me promettre un don.
Je le fis. Lors il continua : - Portez de ma part ce
baiser à Sylvie, et lors il me baisa la main, et
observez ce que vous trouverez de ma derniere volonté,
et quand vous Ξla
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verrez ceste Nymphe, vous sçaurez ce que
vous m'avez demandé. A ce mot, avec le souffle s'Ξen vola envola son ame, et son corps me demeura froid entre les bras.
Ξ*Ce L'affliction que je ressentis de ceste perte, comme
elle ne peut estre imaginée que par celuy qui l'a Ξfaicte faite, aussi ne peut elle estre Ξ*conceuë comprinse, que par Ξle la η cœur qui Ξla l'a soufferte ; et mal-aisement parviendra la
parole, où la pensée ne peut atteindre ; si bien que
sans m'arrester Ξdavantage d'avantage à Ξrepleurer pleurer ce desastre, je
vous diray, Madame, qu'aussi tost que ma douleur me
l'a voulu permettre, je me suis mis en chemin, tant pour
vous rendre l'hommage, que je vous doy, et vous
demander justice de la mort d'Aristandre, que pour
observer la promesse que je luy ay Ξfaicte faite envers son
homicide, et luy presenter ce que dans sa derniere
volonté il a laissé par escrit, et Ξafin à fin que je me
puisse dire aussi juste observateur de ma parole, que
Ξluy inviolable en son affection son affection a esté inviolable. Mais Ξaussi tost soudain que je
me suis presenté devant vous, et que j'ay voulu ouvrir
la bouche pour accuser ceste meutriere, j'ay recogneu
si veritables les paroles de mon frere, que non
seulement j'excuse sa mort, mais encore j'en desire,
et requiers une semblable. Ce sera donc, Madame, avec
vostre permission, que je paracheveray.
Et lors faisant une grande reverence a Amasis, il
choisit entre nous Sylvie, et mettant un genoüil en
terre, il luy dit : - Belle meurtriere, encor que sur
ce beau sein il tombast une larme de pitié à la
nouvelle de la mort d'une personne Ξtant à vous qui vous estoit tant acquise, vous ne Ξlairriez laisseriez d'en avoir aussi
entiere,
[ 66 verso ] 1607 fonctionnelle
et honorable victoire. Toutesfois si vous jugez qu'a tant de flammes, que vous aviez allumées en luy, si peu d'eau ne seroit pas grand allegement, recevez pour le moins l'ardant baiser qu'il vous envoye, ou Ξplutost plustost son ame changée en ce baiser, qu'il remet en ceste belle main, Ξ*pleine riche à la verité des despoüilles de plusieurs autres libertez, mais de nulle plus entiere que la sienne. A ce mot il luy baisa la main, et puis continua ainsi apres s'estre relevé : - Entre les papiers où Aristandre avoit mis sa derniere volonté, nous avons trouvé Ξcestui cestuy-cy, et Ξparce par ce qu'il est Ξcachetté cacheté de la façon que vous voyez, et qu'il s'adresse à vous, je le vous apporte avec la protestation, que par son testament il me commande de vous faire, avant que vous l'ouvriez. Que si vostre volonté n'est de luy accorder la requeste qu'il vous y fait, il vous supplie de ne Ξpoint la lire afin la lire point, à fin qu'en sa mort, comme en sa vie, il ne ressente les traits de vostre cruauté. Lors il luy presenta une lettre que Sylvie troublée de cet accident eust refusée sans le commandement qu'Amasis luy en fit. Et Ξlors puis Guyemants reprit la Ξparole parolle ainsi : - J'ay jusques icy satisfait à la derniere volonté d'Aristandre, il reste que je poursuive sur son homicide sa cruelle mort. Mais si Ξautrefois autresfois l'offense m'avoit fait ce commandement, l'Amour à ceste heure m'ordonne, que ma plus belle vengeance soit le sacrifice de ma liberté, sur le mesme autel qui fume encores de celle de mon frere, qui m'estant ravie, lors que je ne respirois contre vous, que sang, et mort, rendra tesmoignage que justement tout œil qui vous
[ 67 recto ] 1607 fonctionnelle
Ξvoit void, vous doit son cœur pour tribut, et qu'injustement tout homme vit, qui ne vit en vostre service. ΞSylvie Silvie confuse un peu de Ξce ceste rencontre, demeura assez long temps à respondre, de sorte qu'Amasis prit le papier qu'elle avoit en la main, et ayant dit à Guyemants que ΞSylvie Silvie luy feroit response, elle se tira à part avec quelques-unes de nous, et rompant le cachet, leut telles paroles.
Lettre d'Aristandre, à Sylvie.
Si mon affection ne vous a peu rendre mon service
agreable, ny mon service mon affection, que pour le
moins, ou η ceste affection vous rende ma mort pleine
de pitié, ou ma mort vous asseure de la fidelité de mon affection ; et que comme nul n'ayma jamais tant
de perfections, que nul aussi n'ayma jamais avec tant
de passion. Le dernier tesmoignage que je vous en
rendray, sera le don de ce que j'ay de plus cher apres
vous, qui est mon frere ; car je sçay bien que je le
vous donne, puis que je luy Ξdonray charge ordonne de vous voir,
sçachant assez par experience qu'il est impossible
que cela soit sans qu'il vous Ξayme aime. ΞN'ordonnez Ne vueillez pas, ma belle meurtriere, qu'il soit heritier de ma fortune, mais ouy bien de celle que j'eusse Ξpû peu justement
[ 67 verso ] 1607 fonctionnelle
meriter envers toute autre que vous. Celuy
qui vous escrit, c'est un serviteur, qui pour avoir
eu plus d'Amour qu'un cœur n'estoit capable Ξ*de retenir d'en concevoir, voulut mourir Ξplutost plustost que d'en diminuer.
Amasis appellant alors Sylvie, luy demanda de quelle
si grande cruauté elle avoit peu user contre
Aristandre qui l'Ξeust eut conduit à ceste extremité. La
Nymphe rougissant luy respondit, qu'elle ne sçavoit
dequoy il se pouvoit plaindre. - Je veux, luy dit-elle,
que vous receviez Guyemants en sa place. Alors
l'appellant devant tous elle luy demanda s'il vouloit
observer l'intention de son frere. Il respondit qu'ouy,
pourveu qu'elle ne Ξfust fut point contraire à son
affection. - Il η prie Ξdit alors Amasis, ceste Nymphe ceste Nymphe, dit alors Amasis,
de vous recevoir en sa place, et que vous ayez
meilleure fortune que luy. ΞPour estre receu De vous recevoir, je le luy
commande ; pour la fortune dont il parle, ce n'est
jamais la priere ny le commandement d'autruy, qui la
peut faire, mais le propre merite, ou la fortune mesme. Guyemants apres avoir baisé la Ξrobe robbe à
Amasis, en vint faire de mesme à la main de ΞSylvie Silvie,
en signe de servitude ; mais elle estoit si piquée
contre luy, des reproches qu'il luy avoit Ξfaits faites η, et de
la declaration de son affection, que sans le
commandement d'Amasis, elle ne l'eust jamais permis.
On commençoit a se retirer, quand Clidaman qui
revenoit de la chasse, fut adverty de ce nouveau
serviteur de sa Ξmaistresse Maistresse, dequoy il fit ses plaintes
si haut, qu'Amasis, et Guyemants les ouyrent ;
Ξparce par ce qu'il ne sçavoit
[ 68 recto ] 1607 fonctionnelle
d'où cela procedoit, elle le luy
declara. Et à peine avoit-elle parachevé, que
Clidaman reprenant la parole, se plaignit qu'elle
eust permis une chose tant à son Ξdes-avantage desadvantage, que
c'estoit revoquer ses ordonnances, que le destin la
luy avoit Ξesleuë eslevé η, que nul ne la luy sçauroit ravir
sans la vie. Ξ*Et Clidaman disoit ces paroles Paroles qu'il proferoit avec affection et vehemence, parce qu'à bon escient il Ξaymoit aimoit
Sylvie. Mais Guyemants qui outre Ξson affection s'estoit acquis une sa nouvelle Amour avoit si bonne opinion de soy mesme, qu'il n'eust
voulu ceder à personne du monde, respondit, Ξadressant addressant sa parole a Amasis : - Madame, on veut que
je ne sois point serviteur de la belle Sylvie. Ceux
qui le requierent sçavent peu d'Amour, autrement ils
ne penseroient pas que vostre ordonnance, ny celle
de tous les Dieux ensemble fust assez forte pour
divertir le cours d'une affection ; c'est pourquoy je
declare ouvertement, que si on me deffend ce qui m'a
Ξdes-ja desja esté permis, je seray desobeissant, et rebelle,
et n'y a devoir ny consideration qui me fasse changer.
Et lors se tournant Ξà vers Clidaman : - Je sçay le
respect que je vous doy, mais je ressents aussi le
pouvoir qu'Amour a sur moy. Si le destin vous a donné à ΞSylvie Silvie, sa beauté est celle qui m'a acquis : jugez
lequel des deux dons luy doit estre plus agreable.
Clidaman vouloit Ξrespondre répondre, quand Amasis luy dit :
- Mon fils, vous auriez raison de vous douloir, si on
alteroit nos ordonnances, mais on ne les interesse nullement ; il vous a esté commandé de Ξ(Guillemets de "servir" à "rend".) servir Sylvie,
et non pas deffendu aux autres. Les senteurs η rendent
plus d'odeur, estant esmeuës.
[ 68 verso ] 1607 fonctionnelle
Un Amant aussi ayant un rival, rend plus de Ξtesmoignage tesmoignages de ses merites. Ainsi ordonna Amasis. Et voyla Sylvie bien servie ; car Guyemants n'oublioit chose que son affection lui commandast, et Clidaman à l'Ξenvy envi s'estudioit de paroistre encor plus soigneux. Mais sur Ξtous tout Ligdamon la servoit avec tant de discretion, et de respect, que le plus souvent il ne l'osoit aborder, pour ne donner cognoissance aux autres de son affection ; et à mon gré son service estoit bien autant aymable que Ξde nul des autres. Mais certes une fois il faillit de perdre patience. Il advint qu'Amasis se trouva entre les mains une Ξesguille éguille faite en façon d'espée, Ξde laquelle Silvie dont Sylvie avoit accoustumé de se relever, et accommoder le poil, et voyant Clidaman assez pres d'elle, elle la luy donna pour la porter à sa Ξmaistresse Maistresse, mais il la garda tout le jour, afin de mettre ΞGuyemantz Guyemants en peine. Il ne se doutoit point de Ligdamon ; et voyez comme bien souvent on blesse l'un pour l'autre, car le poison qui fut preparé pour ΞGuyemantz Guyemants toucha tant au cœur à Ligdamon, que ne pouvant le dissimuler, afin de n'en donner cognoissance, il se retira en son logis, où apres avoir quelque temps envenimé son mal par ses pensers, il prit la plume, et m'escrivit tels vers.
Madrigal,
sur l'espee de ΞSylvie SILVIE,
entre les mains de Clidaman.
Ξ*D'une meurtrière espée,
Amour en trahison,
De mon bon-heur l'esperance a couppée ;
Et toutefois ce n'est pas sans raison.
Car voyant bien que mon destin commande
Que mon Amour trop grande,
Ne se pouvant payer
Je meure sans loyer.
Il veut (pour n'estre au moins entierement ingrat)
Ne pouvant en Amant, que je meure en soldat
η.
Amour en trahison
D'une meurtriere espée,
[ 69 recto ] 1607 fonctionnelle
Mais non pas sans raison,
De mon bon-heur l'esperance a coupée
Car ne pouvant payer,
Ma grande servitude,
Par un digne loyer,
Qui l'excusast de son ingratitude,
Il veut me traitter finement,
Plustost en soldat qu'en Amant η.
ET AU BAS DE CES VERS
il adjousta ces paroles.
Il faut advouer, belle Leonide, que Silvie fait comme le Soleil, qui jette indifferemment ses rayons sur les choses plus viles, aussi bien que sur les plus nobles.
Luy mesme m'apporta ce papier, et ne peus, quoy que je m'y estudiasse, y rien entendre, ny tirer de luy autre chose, sinon que Silvie luy avoit donné un grand coup d'espée ; et me laissant s'en alla le plus perdu homme de la terre. Voyez comme Amour est artificieux blesseur, qui avec de si petites armes fait de si grands coups. Il me fascha de le voir en Ξcet cét estat, et pour sçavoir s'il y avoit quelque chose de nouveau, j'allay trouver Silvie ; mais elle me jura qu'elle ne sçavoit que ce pouvoit estre. En fin ayant demeuré quelque temps à relire ces vers, tout à coup elle porta la main à ses cheveux,
[ 69 verso ] 1607 fonctionnelle
et n'y
trouvant son poinçon, elle se mit à sousrire, et dit
que son poinçon estoit perdu, et que quelqu'un
l'avoit trouvé, et qu'il falloit que Ligdamon le luy
eust Ξrecognu recogneu. A peine m'avoit elle dit cela que
Clidaman entra dans la sale avec
ceste meurtriere espée en la main. Je la suppliay de
ne la luy Ξplus laisser laisser plus. - Je verray, dit-elle, sa
discretion, Ξet puis j'useray du pouvoir que je doy avoir
sur luy. Elle ne faillit pas à son dessein, car
d'abord elle luy dit : - Voila une espée qui est a moy.
Il respondit : - Aussi est bien celuy qui la porte.
- Je la veux avoir, dit-elle. - Je voudrois,
respondit-il, que vous voulussiez de mesme tout ce
qui est a vous. - Ne me la voulez-vous pas rendre ?
dit la ΞNimphe Nymphe. - Comment, repliqua-t'il, pourrois-je
vouloir quelque chose, puis que je n'ay point de
volonté ? - Et, luy dit-elle, qu'avez vous fait de
celle que vous aviez ? - Vous me l'avez ravie, dit-il,
et à Ξceste cette heure elle est changée en la vostre.
- Puis donc, continua-t'elle, que vostre volonté
n'est que la mienne, vous me rendrez ce poinçon, Ξparce par ce que je le veux. - Puis, dit-il, que je veux cela mesme
que vous voulez, et que vous voulez avoir ce poinçon,
il faut par necessité que je le vueille avoir aussi. ΞSilvie Sylvie sousrit un peu. - Mais en fin dit elle, je veux
que vous me le donniez. - Et moy aussi, dit il, je
veux que vous me le donniez. Alors la ΞNimphe Nymphe estendit
la main et le prit. - Je ne vous refuseray jamais,
dit-il, quoy que vous Ξveuillez vueillez m'oster, et fust ce le
cœur encores une fois. Ainsi ΞSilvie Sylvie Ξ*réeut receut son espée, et j'escrivis ce
billet à Ligdamon.
[ 70 recto ] 1607 fonctionnelle
Le bien, que sans le sçavoir on avoit fait à vostre rival, le sçachant luy a esté ravy : jugez en quel terme sont ses affaires, puis que les faveurs qu'il a procedent d'ignorance, et les defaveurs de deliberation.
Ainsi Ligdamon fut guery, non pas de la mesme main, mais du mesme fer qui l'avoit blessé. Cependant l'affection de ΞGuyemantz Guyemants vint à telle extremité, que peut-estre ne devoit elle rien à celle d'Aristandre ; d'autre costé Clidaman, sous la couverture de la courtoisie avoit laissé couler en son ame une tres-ardante et tres-veritable Amour. Apres avoir Ξentr'eux entre eux plusieurs fois essayé à l'envy, qui seroit plus agreable à Sylvie, et cogneu qu'elle les favorisoit, et deffavorisoit également, ils se resolurent un jour, parce que d'ailleurs ils s'entre-Ξaimoient aimoyent fort, de sçavoir qui des deux estoit le plus aimé, et vindrent pour cet effet Ξà Silvie a Sylvie de laquelle ils eurent de si froides responses qu'ils n'y Ξpurent peurent asseoir jugement. Alors par le conseil d'un Druide, qui peut-estre se Ξfachoit faschoit de voir deux telles personnes perdre si inutilement le temps, qu'ils pouvoient bien mieux employer pour la deffense des Gaules, que tant de Barbares alloient inondant, ils vindrent à la fontaine η de la verité d'Amour. Vous sçavez quelle est la proprieté de ceste eau,
[ 70 verso ] 1607 fonctionnelle
et
comme elle declare par force les pensées plus
secrettes des Amants ; car celuy qui y regarde dedans
y voit sa maistresse, et s'il est aimé, il se voit
aupres, et si elle en aime quelqu'autre, c'est la
figure de celuy-là qui s'y voit. Or Clidaman fut le
premier qui s'y presenta, il mit le genoüil en terre,
baisa le bord de la Ξfonteine fontaine, et apres avoir supplié
le Demon du lieu de luy estre plus favorable η qu'à
Damon, il se panche un peu en dedans ; Ξincontinant incontinent
Silvie s'y presente Ξtant si belle et admirable, que
l'Amant transporté se baissa pour luy baiser la main,
mais son contentement fut bien changé quand il ne
vid personne pres d'elle. Il se retira fort troublé,
apres y avoir demeuré quelque temps, et sans en
vouloir dire autre chose, fit signe à ΞGuyemantz Guyemants,
qu'il y esprouvast sa fortune. Luy avec toutes les
ceremonies requises, ayant fait sa requeste, jetta
l'œil sur la Ξfonteine fontaine ; mais il fut Ξtraitté à l'égal de traité comme
Clidaman, parce que Silvie seule se presenta,
bruslant presque avec ses beaux yeux l'onde qui
sembloit rire autour d'elle. Tous deux estonnez de Ξce ceste rencontre, en demanderent
la cause à ce Druide, qui estoit tres-grand magicien.
Il respondit que c'estoit Ξdautant d'autant que Silvie n'aimoit encore personne, comme n'estant point
capable de pouvoir estre bruslée, mais de brusler
seulement. Eux qui ne se pouvoient croire tant
deffavorisez, Ξparce par ce qu'ils s'y estoient presentez
separez, y retournerent tous deux ensemble ; et quoy
que l'un et l'autre se panchast de divers costez, si
est-ce que la ΞNimphe Nymphe y parut seule. Le Druide en
Ξsousriant souriant
[ 71 recto ] 1607 fonctionnelle
les vint retirer, leur disant qu'ils
creussent pour certain n'estre point aimez, et que se
pancher d'un costé et d'autre ne pouvoit representer
leur figure dans ceste eau. - Car il faut, disoit-il,
que vous sçachiez, que tout ainsi que les autres
eaux representent les corps qui luy sont devant,
celle-cy represente les esprits.
Ξ(Guillemets de "Or" à "lors".) Or l'esprit qui n'est
que la volonté, la memoire et le jugement, lors qu'il
aime, se transforme en la chose aimée ; et c'est
pourquoy lors que
vous vous presentez icy, elle
reçoit la figure de "
vostre esprit, et non pas de
vostre corps, et vostre "
esprit, estant changé en ΞSilvie Sylvie, il represente Silvie, "
et non pas vous. Que
si Silvie vous aimoit "
elle seroit changée aussi
bien en vous, que vous "
en elle ;
et ainsi representant vostre esprit vous verriez Silvie, et voyant Sylvie changée, comme je vous ay
dit, par cét Amour, vous vous y verriez aussi.
Clidaman estoit demeuré fort attentif à ce discours,
et Ξvoyant considerant que la conclusion estoit une asseurance
de ce qu'il craignoit le plus, de colere η mettant
l'espee à la main, en frappa deux ou trois coups de
toute sa force sur le marbre de la Ξfonteine fontaine ; mais son
espée ayant au commencement resisté, en fin se rompit
par le milieu, sans Ξpresque laisser laisser presque marque de ses
coups. Et parce qu'il estoit resolu en toute façon de
rompre la pierre, imitant en cela le chien en colere,
qui mord le caillou que l'on luy a jetté, le Druide
luy fit entendre qu'il se travailloit en vain, Ξdautant d'autant que cet enchantement ne pouvoit prendre fin
par force, mais par extremité d'amour ; que
toutefois, s'il vouloit
[ 71 verso ] 1607 fonctionnelle
Ξla le η rendre inutile, il en
sçavoit le moyen. Clidaman nourrissoit pour rareté dans Ξdes de grandes
cages de fer, deux Lyons, et deux Lycornes, qu'il
faisoit bien souvent combattre contre diverses sortes
d'animaux. Or ce Druide les luy demanda pour gardes
de ceste Ξfonteine fontaine, et les enchanta de sorte, qu'encor
qu'ils fussent mis en liberté, ils ne pouvoient
abandonner l'entrée de la grotte, sinon quand ils
alloient chercher à vivre, Ξdeux y demeuroient tousjours car en ce temps là, il n'y en demeuroit que deux. Et depuis n'ont fait mal à
personne qu'à ceux qui ont voulu essayer la Ξfonteine fontaine ;
mais ils assaillent ceux-là avec tant de furie, qu'il
n'y a point d'Ξapparance apparence que l'on s'y hazarde, car les
Lyons sont si grands et affreux, ont les ongles si
longs et si Ξtrenchants tranchants, sont si legers et adroits, et
si animez à ceste deffense, qu'ils font des effects
incroyables. D'autre costé les Lycornes ont la corne
si pointuë et si forte, qu'elles perceroient un
rocher, et hurtent avec tant de force, et de vitesse,
qu'il n'y a personne qui les puisse éviter η. Aussi tost
que ceste garde fut ainsi disposée, Clidaman et ΞGuyemantz Guyemants partirent si secrettement, qu'Amasis, ny ΞSilvie Sylvie n'en sçeurent rien qu'ils ne fussent Ξdes ja desja
bien loing. Ils allerent trouver Meroüée et
Childeric, car on nous a dit depuis, que se Ξvoyant voyans également Ξtraittez traitez de l'Amour, ils voulurent essayer
si les armes leur seroient également favorables.
Ainsi, gentil Berger, nous avons perdu la commodité
de cette Ξfonteine fontaine qui Ξdescouvroit découvroit si bien les
cachettes η des pensées trompeuses, que si tous eussent Ξesté été comme Ligdamon, ils ne nous l'eussent Ξpoint pas fait
[ 72 recto ] 1607 fonctionnelle
perdre ; car lors que je sceus que Clidaman et ΞGuyemantz Guyemants s'y en Ξalloient alloyent, je luy conseillay d'estre
le tiers, m'Ξassurant asseurant qu'il seroit Ξ*des le plus favorisé. Mais il me fit une
telle response : - Belle
Leonide, je conseilleray
Ξ(Guillemets de "tousjours" à "rechercher".) tousjours à ceux qui "
sont en doute de leur bien, ou
de leur mal, qu'ils "
hazardent Ξquelquefois quelque fois d'en
sçavoir la verité ; "
mais ne seroit-ce folie à celuy
qui n'a jamais "
peu concevoir aucune esperance de ce
qu'il desire, "
de rechercher une plus seure
cognoissance η "
de son Ξ*desastre astre ? Quant à moy, je ne suis
point en doute, si la belle ΞSilvie Sylvie m'aime, ou non, je
n'en suis que trop Ξassuré, mais asseuré, et quand je voudray en
sçavoir Ξdavantage d'avantage, je ne le demanderay jamais qu'à
ses yeux, et à ses actions. Depuis ce temps là son
affection est Ξallé allée croissant, tout ainsi que le feu
où l'on met du bois ; car c'est le Ξ(Guillemets de "propre" à "ennuyeux".) propre de la
pratique, de rendre ce qui plaist plus agreable, et ce
qui Ξennuïe ennuye plus ennuyeux, et Dieu sçait, comme ceste
cruelle l'a tousjours Ξtraitét traité. Le moment est à Ξadvenir qu'elle venir auquel elle l'a jamais
voulu voir sans desdain, ou
cruauté ; et ne sçay "
Ξquant quand à moy, comme un homme
genereux ait "
eu tant de patience, puis qu'en verité les
offenses "
qu'elle luy a faites, Ξont tiennent plustost de
l'outrage "
que de la rigueur.
Un jour qu'il la rencontra qu'elle s'alloit promener
seule avec moy, Ξparce par ce qu'il a la voix fort agreable,
et que je le priay de chanter, il dit tels vers.
[ 72 verso ] 1607 fonctionnelle
Ξ*Quel est ce mal qui me travaille,
Et ne veut me donner loisir,
De trouver remede qui vaille ?
Hélas ! c'est un ardant desir,
Qui comme feu tousjours aspire
Au bon-heur le plus eslevé,
Aussi ce que plus on desire,
C'est ce qu'on a moins esprouvé.
Quel est-ce mal qui me travaille,
Et ne veut me donner loisir,
De trouver remede qui vaille ?
Hélas ! C'est un ardant desir,
Qui comme un feu tousjours aspire
Au lieu plus haut et mal-aisé :
Car le bien que plus je desire,
C'est celuy qui m'est refusé.
Ξ*Desir ardant dés ta naissance
Boüillonnant de jeunes ardeurs,
Quand nasquit ta sœur l'Esperance,
Vous remplissiez de vos grandeurs,
Qui presque le fist possesseur ;
Non pas seulement mes pensées,
Mais toute mon ame à la fois,
Dont les puissances rabaissées
Alloient fechissant sous vos loix.
Ce desir eut dés sa naissance
Et pour sa mere et pour sa sœur,
Une temeraire esperance,
Qui presque le fist possesseur ;
Mais comme le cœur d'une femme
N'est pas en amour arresté,
Le desir me demeure en l'ame,
Bien que l'espoir m'en soit osté.
Ξ*Ores que l'Esperance est morte
Pourquoy Desir t'efforces tu
D'une violence plus forte ?
C'est que tu nayz de la vertu,
Et tout ainsi comme ta mere,
De l'espoir ne te nourris pas ;
Aussi tu ne veux qu'au contraire
Ta mort vienne de son trespas.
Mais si l'esperance est esteinte,
Pourquoy, Desir, t'efforces-tu
De faire une plus grande atteinte ?
C'est que tu nayz de la vertu,
Et comme elle est toujours plus forte,
[ 73 recto ] 1607 fonctionnelle
Et sans faveurs et sans appas,
Quoy que l'esperance soit morte,
Desir, pourtant tu ne meurs pas.
Il Ξn'eut point si tost parachevé n'eust point si tost achevé, que ΞSilvie Sylvie reprit
ainsi : - Hé ! dites moy Ligdamon, puis que je ne
suis pas cause de vostre mal, pourquoy vous en
prenez vous à moy ? C'est vostre desir que vous devez
accuser, car c'est luy qui vous travaille vainement.
Le passionné Ligdamon respondit : - Le desir est celuy
certes qui me tourmente, mais ce n'est pas luy qui en
doit estre blasmé, c'est ce qui le fait naistre, ce
sont les vertus et les perfections deΞSilvie Sylvie.
- Ξ (Guillemets de "si" à "n'ayt point".) Si
les
desirs, repliqua t'elle, ne sont desreglez, ils "
ne tourmentent point, et s'ils sont desreglez, "
et
qu'ils transportent au delà de la raison, ils "
doivent
naistre d'autre objet que de la vertu, et "
ne sont point
vrays enfans d'un tel pere, puis "
qu'ils ne luy
ressemblent point. - Jusques icy, "
respondit
Ligdamon, je n'ay point oüy dire que l'on desadvoüast
un enfant pour ne Ξpoint
ressembler
à son pere. Et Ξtoutefois toutes-fois
les extremes "
desirs ne sont point contre la Ξ(Guillemets de "raison" à "sçauroit".) raison :
car n'est-il "
pas raisonnable de desirer toutes choses "
bonnes, selon le degré de leur bonté ? Et "
par ainsi une extréme beauté sera raisonnablement "
Ξaimée aymée en
extremité ; que s'il les faut en quelque chose
blasmer, on ne sçauroit dire qu'ils soient contre
raison, mais outre la raison. - Cela suffit, repliqua
ceste cruelle, je ne suis point plus raisonnable que
la raison ; c'est pourquoy je ne veux advoüer pour
mien
[ 73 verso ] 1607 fonctionnelle
ce qui l'outrepasse. A ce mot, pour ne luy laisser
le moyen de luy respondre, elle alla rencontrer
quelques-unes de ses compagnes qui nous Ξavoient avoyent suivies.
Une fois qu'Amasis revenoit de ce petit lieu de
Montbrison, où la beauté des jardins, et la solitude
l'Ξ*ayant avoient plus long temps arrestee qu'elle ne pensoit,
la Ξnuit nuict la surprit en revenant à Marcilly. Et Ξparce par ce que le soir estoit assez Ξfraiz frais, je luy allois
demandant par les chemins, expressement pour le faire
parler devant sa Maistresse,
s'il ne Ξ*ressentoit sentoit point la Ξfraicheur fraischeur et l'humidité du Ξserein serain η. A quoy il me respondit, qu'il y avoit long
temps, que le froid, ny le chaud exterieur ne luy
pouvoit guiere faire de mal. Et luy demandant
pourquoy, et Ξquelle qu'elle η estoit sa recepte : - A l'un, me
respondit-il, j'oppose mes desirs Ξardents ardans, et à
l'autre mon espoir gelé. - Si cela est, luy
repliquay-je soudain d'où vient que je vous oys si
souvent dire que vous bruslez, et d'Ξautrefois autresfois que
vous gelez ? - Ah ! me respondit-il, avec un grand
souspir, courtoise ΞNimphe Nymphe, le mal dont je me plains
ne me tourmente pas par dehors ; c'est au dedans, et
encores si Ξprofond profondement que je n'ay cachette en l'ame
si reculée, où je n'en ressente la douleur. Car il
faut que vous sçachiez, qu'en tout autre, le feu et
le froid sont incompatibles ensemble ; mais moy j'ay
dans le cœur continuellement le feu allumé et la
froide glace, et en ressens sans soulagement la seule
incommodité.
Silvie ne tarda Ξpoint davantage plus longuement à luy faire ressentir
ses cruautez accoustumées, que jusqu'à
[ 74 recto ] 1607 fonctionnelle
la fin de ceste parole. Encores crois je qu'elle ne luy donna pas mesme du tout le loisir de la Ξparachever proferer, tant elle avoit d'envie de luy faire Ξressentir esprouver ses pointures, veu que se tournant Ξà vers moy, comme sousriant, elle dit, en Ξpenchant panchant desdaigneusement la teste de son costé : - O que Ligdamon est heureux d'avoir, et le chaud, et le froid quand il veut ! Pour le moins il n'a pas dequoy se plaindre, ny de ressentir beaucoup d'incommodité, car si la froideur de son espoir le gele, qu'il se rechauffe en l'ardeur de ses desirs ; que si ses desirs trop ardents le bruslent, qu'il se refroidisse aux glaçons de ses espoirs. - Il est bien necessaire, belle ΞSilvie Sylvie, respondit Ligdamon, que j'use de ce remede pour me maintenir, autrement il y a long temps que je ne serois plus, mais c'est bien peu de soulagement à un si grand feu. Tant s'en faut, la cognoissance de ces choses m'est une nouvelle blessure qui m'Ξoffense offence, d'autant plus qu'en la grandeur de mes desirs, je cognoy leur impuissance, et en leur impuissance leur grandeur. - Vous figurerez, repliqua la ΞNimphe Nymphe, vostre mal tel que vous voudrez, si ne croiray-je jamais que le froid, estant si pres du chaud, et le chaud si pres du froid, l'un ny l'autre permette à son voisin d'Ξoffenser offencer beaucoup. - A la verité respondit Ligdamon, Ξque je brusle, et gele me faire brusler et geler en mesme temps n'est pas une des moindres merveilles qui procedent de vous ; mais celle-cy est bien plus grande, que Ξde vostre glace c'est de vostre glace que procede ma chaleur, et de ma chaleur vostre glace. - Ξ*Et plus que tout cela vos Mais il est encor
[ 74 verso ] 1607 fonctionnelle
plus merveilleux de voir qu'un
homme puisse avoir de semblables imaginations,
adjousta la ΞNimphe Nymphe ; car elles conçoivent des choses
tant impossibles, que celuy qui les croiroit, pourroit
estre autant taxé de peu de jugement, que vous en
les disant de peu de verité. - J'advouë, respondit-il,
que mes imaginations conçoivent des choses du tout impossibles ; mais cela procede de mon trop
d'affection, et de vostre trop de cruauté, et comme
cela Ξn' est un de vos moindres Ξeffets effects, aussi ce que vous
me reprochez, n'est un de mes moindres tourments. - Je
croy, adjousta t'elle, que vos tourments et mes
Ξeffets effects, sont en leur plus grande Ξ(Guillemets de "force" à "accompagnoit".) force en vos
discours. - ΞMalaisément Mal-aysement, respondit Ligdamon,
pourroit on bien dire ce qui ne se peut bien ressentir.
- ΞMalaisément repliqua la Nimphe Mal-aysement, repliqua la Nymphe, peuvent avoir
cognoissance les sentiments des vaines idées d'une
malade imagination. - Si la verité, adjousta
Ligdamon, n'accompagnoit ceste imagination, à peine Ξ(Guillemets de "je" à "fissiez".) Ξque je fusse necessiteux aurois-je tant de besoing de vostre compassion Ξcomme je suis . - Les
hommes, respondit la ΞNimphe Nymphe, font leurs trophées de
nostre honte. - Ne fissiez vous point mieux,
respondit-il, les vostres de nostre perte ? - Je ne
Ξvis veis jamais, repliqua ΞSilvie Sylvie, des personnes tant
perdües, qui se trouvassent si bien que vous faites
tous.
Plus je vous raconte des cruautez de ceste ΞNimphe Nymphe, et
des patiences de Ligdamon, et plus il m'en revient
Ξà en la memoire. Quand Clidaman s'en fut allé, comme
je vous Ξai ay dit, Amasis voulut luy envoyer apres la
Ξpluspart plus-part des jeunes
[ 75 recto ] 1607 fonctionnelle
Chevaliers de ceste contrée, sous la charge de Lindamor, afin qu'il fust tenu de Meroüée pour tel qu'il estoit. Entre autres Ligdamon comme tres-gentil Chevalier, n'y fut point oublié, mais ceste cruelle ne voulut jamais luy dire Adieu, feignant de se trouver mal ; luy Ξtoutefois toutesfois qui ne s'en vouloit point aller sans qu'elle le sçeust en quelque sorte, m'escrivit tels vers.
SUR UN DEPART.
ΞPourquoi, puis Amour Amour pourquoy, puis que tu veux
Que je brusle de tant de feux,
Faut-il que j'esloigne Madame ?
Je luy respondis.
Pour faire en elle quelque Ξeffaict effait,
Ne sçais-tu qu'en la cendre naist,
Le Phœnix qui meurt en la Ξflame flamme ?
Il eust esté trop heureux de ceste response ; mais
ceste cruelle m'ayant trouvé que j'escrivois, et ne
voulant ny luy faire du bien, ny permettre qu'autre
luy en fist, me ravit la plume à toute force de la
main, me disant que les flateries que je faisois à
Ligdamon, estoient cause de la continuation de ses
folies, et qu'il
[ 75 verso ] 1607 fonctionnelle
avoit plus à se plaindre de moy, que d'elle. Pour la fin elle luy Ξ*rescrivit escrivit :
ΞResponse de Silvie RESPONCE DE SILVIE.
Le Phœnix de la cendre sort,
Parce qu'en la Ξflame flamme il est mort η.
L'absence en l'Amour est mortelle,
Si la presence n'a rien Ξpu peu.
Jamais par le froid n'est rompu
Le glaçon qu'un feu ne degelle.
Vous pouvez penser avec quel contentement il partit. Il fut fort à propos pour luy d'avoir accoustumé de longue main semblables coups, et qu'il se ressouvint, que les deffaveurs qui partent de celles que l'on sert, doivent le plus souvent tenir lieu de faveurs. Et me souvient que sur ce discours, il se disoit le plus heureux Amant du monde, puis que les ordinaires deffaveurs qu'il recevoit de Silvie, ne Ξpouvoient le mettre pouvoyent le remettre en doute, qu'elle n'eust beaucoup de memoire de luy, et qu'elle ne le Ξrecognust recogneust pour son serviteur, et que puis qu'elle ne traittoit point de ceste sorte avec les autres, qui ne luy estoient point particulierement affectionnez, Ξqu' il falloit Ξcroire croyre que ceste monnoye estoit celle, dont elle payoit ceux qui estoient a elle, et que Ξquelle qu'elle fust telle qu'elle η estoit, il Ξfalloit la la falloit cherir, puis qu'elle avoit ceste marque. Et sur ce sujet, il m'envoya Ξtels ces vers avant que partir.
[ 76 recto ] 1607 fonctionnelle
Elle le veut ainsi ceste beauté supréme,
Que ce soit l'impossible, et non ce que je puis,
Qui luy fasse l'essay de ce que je luy suis ?
Et bien, elle le veut, et je le veux de mesme.
ΞEn fin Enfin elle verra que mon amour extreme,
En Ξsa la source ressemble à la source du puis η,
Car plus elle voudra m'espuiser par Ξennuis ennuys,
Et plus elle verra qu'infiniment je l'Ξaime ayme.
La source qui produit ma belle affection,
Est celle-là sans plus de sa perfection,
Eternelle en Ξeffet effect, comme elle est eternelle.
Donc Ξ*essais de mon cœur, rigueur, peine, desdain essays rigoureux de mon cruel destin,
Puisez incessamment, mon amour est sans fin,
Et plus vous puiserez, plus elle sera belle.
Leonide eust continué son discours n'eust esté que de loing elle vid venir Galathée, qui apres avoir demeuré longuement seule, et ne pouvant Ξdavantage plus long temps se priver de la veuë du Berger, s'estoit habillee le mieux à son advantage, que son Ξmiroir miroüer luy avoit sceu conseiller, et s'en venoit sans autre compagnie que du petit Meril. Elle estoit belle et bien digne d'estre Ξaimée aymé η d'un cœur qui n'eust point eu d'autre affection. En ce mesme temps pour la confusion que l'eau avoit mise en l'estomac de Celadon, il se trouva fort mal. De sorte qu'à l'abord de la ΞNimphe Nymphe, ils furent Ξcontrains contraints de se retirer, et le Berger peu apres Ξde se mettre au lit se mit au lict, où il demeura plusieurs jours tombant et se relevant de ce mal, sans pouvoir estre, ny bien malade, ni bien guery.