L'Astrée
d'Honoré d'Urfé
Troisième partie
Livre 5
L'Astrée III, 5. Édition Vaganay**, 1925
Chez Adamas, Astrée et Alexis conversent (III, 5, 171 recto)
Phillis parle avec Calidon, et Diane avec Silvandre
[Dans le roman, c'est Paris qui est auprès de Diane ; Silvandre les regarde]
(III, 5, 174 verso et III, 5, 194 verso)
(Voir Illustrations)
L'Astrée III, 5. Édition Vaganay**, 1925
Gravure signée Guélard
Silvandre (musette) et Hylas (harpe) dialoguent en musique (III, 5, 177 verso)
(Voir Illustrations)
Éd. de 1619, 165 recto sic 163 recto.
Éd. Vaganay, III, p. 221.
AINSI se termina la dispute de Daphnide et d'Alcidon par la prudence du sage Adamas. Encore qu'il jugeât bien que selon l'Oracle η ils devaient sortir entièrement de l'opinion que la jalousie leur avait fait concevoir l'un de l'autre par la vue de la fontaine η de la Vérité d'amour. Toutefois, comme personne très avisée, jugeant par leurs discours qu'il ne leur pouvait rendre un meilleur office, ni plus à leur gré, que de les remettre bien ensemble, il pensa être à propos de leur expliquer l'Oracle η de cette sorte :
et en même temps les conseiller comme il fit, de séjourner quelque temps en cette contrée, afin que, s'il leur restait encore quelque soupçon des choses passées, et qu'il plût au Ciel de rompre l'enchantement de la fontaine η, ils pussent en s'y regardant se guérir entièrement de cette maladie.
Cependant qu'en la présence d'Adamas ces choses se passaient de cette sorte, les bergers et bergères qui étaient dans la salle avec Léonide et Alexis, incontinent que la collation fut achevée, reprirent les divers discours qu'ils avaient laissés. Mais Alexis et Astrée, pour n'être point interrompues, se prenant sous les bras, se mirent à promener
d'un bout à l'autre de la salle, qui ne fut pas une petite commodité pour Alexis, car en ces divers tours elle pouvait plus aisément cacher les changements de son visage, et excuser mieux les discours interrompus
qu'elle lui tenait. Astrée, qui n'était pas moins transportée de voir devant elle un visage si ressemblant à celui de Céladon, ne pouvant dissimuler son contentement, fut bien aise que cette commodité de parler à
Alexis
lui fût donnée en se promenant, tant pour n'être point ouïe de personne qui la pût interrompre que pour pouvoir avec plus de liberté lui représenter l'affection qu'elle lui portait. Après avoir donc fait deux ou trois tours sans savoir ni l'une ni l'autre par où commencer, enfin Astrée
fut la première à parler ainsi :
- De quelle sorte, Madame, dois-je marquer ce jour pour m'en ressouvenir à jamais, et pour
témoignage de l'extrême faveur que j'y ai reçue, puisqu'il m'a été si heureux que de me faire connaître à vous, et de vous pouvoir assurer de la volonté que j'ai de vous faire service. Malaisément le pourrai-je faire aussi dignement que j'y suis obligée si je n'y emploie la marque que le grand
Tautatès a voulu donner à notre petit hameau, qui est le Gui sacré que cette année il y a voulu faire croître, presque pour augure du bonheur que nous devions recevoir de
" votre venue en ce lieu : montrant bien par là,
" que jamais sa main libérale ne s'emploie à
" nous faire une grâce η
seule, mais qu'il l'accompagne
" toujours de plusieurs autres.
- La grâce et
" le bonheur, dit Alexis, est η tout de mon côté, qui me suis trouvée ici en la saison que ce Gui salutaire doit être cueilli, car cela a été cause que j'ai eu le bien de vous voir et de vous connaître, qui était l'un de mes plus grands désirs.
- Comment, Madame ? répliqua Astrée, nous feriez-vous bien ce tort à toutes, et à moi particulièrement, de croire que nous ne soyons venues ici que pour ce Gui salutaire duquel vous parlez ?
- Je veux croire, répondit Alexis, tout ce qu'il vous plaira, mais vous me permettrez de dire que ce sujet m'a fait avoir à ce coup le contentement de vous voir. Et qu'encore que je n'eusse point été ici, vous n'eussiez pas laissé d'y venir pour convier Adamas au sacrifice du remerciement.
- Je vous proteste, Madame, reprit incontinent la bergère, que vous seule êtes celle qui m'avez fait venir, et qu'il y a longtemps que je n'ai eu un plus grand désir que d'avoir le
bien de vous voir, vous suppliant de croire, que ni mon * courage, ni mon humeur, ne me permettent pas de me mêler des choses publiques, les laissant à nos sages Pasteurs qui les conduisent, et selon leur coutume, et selon ce qu'ils jugent être avantageux à cette contrée.
- Je serais trop glorieuse, ajouta Alexis, si je pouvais me le persuader ainsi, car ce serait une assurance de ce que je souhaite le plus, et que je chérirais autant que chose qui me pût arriver le reste de ma vie ! Mais, dites-moi, belle Bergère, ce Gui duquel nous parlons, en quel lieu a-t-il été trouvé ?
- Si le Soleil, répondit Astrée, vous permettait de vous mettre à la fenêtre, je le vous ferais voir d'ici.
- Je pense, dit Alexis, que la montagne le couvre déjà de ce côté-là. Mais encore que cela ne soit pas, il me semble qu'il est si tard que la grande chaleur peut bien être passée, et que par ainsi nous n'en recevrons pas tant d'incommodité que de plaisir de la belle vue de cette plaine. Et à ce mot, ouvrant la fenêtre, et s'accoudant toutes deux dessus, après avoir jeté les yeux d'un côté et d'autre,
Astrée
commença de cette sorte :
- Voyez-vous, Madame, le cours de cette rivière, qui passant contre les murailles de la ville de Boën semble couper cette plaine presque par le milieu, s'allant rendre au-dessous de
Feurs
dans le sein de Loire, c'est le malheureux et diffamé
Lignon, le long duquel vous pouvez voir notre hameau, vis-à-vis de
Montverdun, qui est cette petite montagne qui s'élève en pointe de diamant au milieu de la plaine, et qui semble
un écueil dans la mer η car telle pouvons-nous dire que ressemble
la plaine
qui est tout à l'entour. Si vous retirez maintenant votre vue un peu à main gauche, vous verrez le Temple de la Bonne Déesse, qui est ce Temple rond au pied duquel passe un bras de ce détestable η
Lignon, un peu plus en là, et suivant cette fâcheuse rivière, vous y remarquerez un petit bois, et c'est là où est le chêne bienheureux, qui porte le Gui sacré cette année. Et véritablement c'est une chose remarquable qu'il y a une forme de Temple fait de petits arbres pliés les uns sur les autres fort artificieusement, et que personne ne sait ni celui qui l'a fait,
ni en quel temps on y a travaillé. Et toutefois, il est si bien disposé et si bien entendu que tous ceux qui le considèrent avouent que celui qui en a été l'artisan doit avoir été un très bon maître. Et cela est cause que, suivant la coutume η, nous pensons presque tous que ce doit être quelque Pan ou Égipan,
ou quelque autre demi Dieu champêtre
" qui en a été l'inventeur ; car c'est l'ordinaire
" d'attribuer à quelque Dieu les choses qui
" nous semblent belles, et desquelles l'Auteur nous est inconnu. Alexis, feignant de ne savoir ce que ce pouvait être, faisait l'étonnée de tout ce que la bergère lui disait, et pour mieux dissimuler, faisait semblant de ne pouvoir pas bien remarquer le lieu qu'elle lui voulait montrer, et que toutefois elle savait mieux que la Bergère même qui le lui voulait enseigner. Et au contraire, la belle
Astrée, la tirant un peu vers elle, et avançant la main pour lui faire porter la vue droite au lieu où était ce Temple :
- Voyez-vous, Madame, lui disait-elle, ce bois qui touche presque le bord de la rivière ? Portez votre vue un peu plus à main gauche, vous verrez un petit pré qui semble plus vert que les autres qui sont plus en là. C'est parce que l'herbe n'y est point foulée, et que le bétail n'y est jamais conduit, d'autant que dès longtemps il est dédié à quelque Divinité aussi bien que cette touffe d'arbres qui le touche. Or ce petit pré sacré semble avoir été conservé de cette sorte comme l'entrée de ce Temple artificieux qui est dans ces arbres que vous voyez. - Il me semble, répondit froidement Alexis, que je commence de remarquer ce que vous dites, et même que je vois un arbre beaucoup plus élevé que tous les autres. - Il est vrai, dit incontinent Astrée, c'est celui sur lequel est appuyé le Temple, et qui, pour être le plus signalé, a eu le bonheur de porter cette année le Gui sacré pour lequel l'on doit faire le sacrifice du remerciement. Si j'avais l'esprit de vous pouvoir redire les choses rares qui y sont et l'artifice avec lequel il est fait, je m'assure que vous vous en étonneriez. Entre les autres η, j'y ai remarqué une image de la Déesse Astrée (car ce Temple lui est dédié) toute différente de celles η que l'on a accoutumé de nous représenter. Elle est vêtue en bergère, la houlette en la main, et des troupeaux auprès d'elle, et ce que je trouve plus étrange, c'est que ceux qui l'ont vue aussi bien que moi assurent qu'elle me ressemble. Alexis à ce discours ne put s'empêcher de rougir, et il fut fort à propos que personne ne la pût voir, car il eût
été trop aisé de remarquer ce changement, duquel elle-même se prenant garde, et ayant peur que si de fortune Astrée eût tourné les yeux vers elle, elle ne s'en fût aperçue, feignant de s'appuyer du coude sur la fenêtre, elle se mit la main sur le visage. Et pour ne lui donner le temps de la regarder : - Je crois, belle bergère, lui dit-elle, que celui qui a peint cette Déesse de cette sorte l'a fait avec beaucoup de raison : car Astrée qui est la Déesse de la Justice ne peut-être mieux représentée qu'en bergère, avec la houlette et les troupeaux, soit pour montrer que même dans les lieux plus retirés et plus champêtres, les innocents et les plus faibles sont par elle maintenus en assurance, soit pour faire entendre que, par le moyen de la justice, l'on voit la paix et l'abondance parmi les hommes, qui toutes deux ne se peuvent mieux représenter que par les bergères et par les troupeaux. Mais je l'estime encore plus judicieux d'avoir donné votre visage à cette Déesse. Car comment pouvait-il mieux choisir, puisqu'il avait à présenter une divinité, que le patron η le plus parfait que la nature nous ait fait voir ? Votre beauté étant telle que je veux croire que cette Astrée, si elle prend la peine de baisser les yeux sur cet Autel, se glorifiera plus des traits de ce beau visage que du sien même, et qu'elle aimera mieux être vue telle que vous paraissez en terre que telle qu'on la voit dans le ciel η. - Ces louanges, dit Astrée en rougissant, sont trop grandes pour une personne si remplie de malheur que je suis ! Et même venant de vous, Madame,
à qui elles sont bien mieux dues. Il est vrai que telle que je puis être, je suis bien tellement vôtre que vous en pouvez et parler et disposer comme il vous plaira, n'ayant pour cette heure nulle autre plus grande ambition que de pouvoir mériter le titre d'être à vous. Alexis alors, tournant les yeux vers elle : - Voulez-vous, lui dit-elle, belle bergère, que je croie ce que vous me dites ? - Je vous supplie, Madame, dit incontinent Astrée, et vous en conjure par ce que vous avez jamais le plus aimé. - Cette conjuration, dit-elle, que vous me faites, outre ce qui est de votre mérite, est trop forte pour permettre que votre requête ne vous soit accordée. C'est pourquoi, pour ne manquer à celle par qui vous m'avez conjurée, je vous promets dorénavant de croire tout ce que vous me dites de votre bonne volonté, mais avec condition que jamais vous ne vous en repentiez. Et en échange, je vous donne ma foi de ne vous refuser jamais chose que vous vouliez de moi quand vous me la demanderez au nom de celle que j'aime le mieux. - Madame, reprit incontinent Astrée, je veux que les faisceaux de verveine et de fougère que nous présentons à Tautatès quand, pour notre salut et pour notre conservation, l'on fait le sacrifice du pain et du vin, soient rejetés des Vacies lorsque je les offrirai ! Et que le feu ni la fumée n'en soient jamais agréables à Hésus, Taramis et Bélénus, si jamais je commets cette faute envers vous, à qui de nouveau je me redonne, et me consacre pour toute ma vie. - Et moi, dit Alexis, je vous reçois,
belle bergère, du meilleur de mon cœur, et vous donne cette main pour gage de la foi avec laquelle je me lie à vous d'une perpétuelle amitié.
Qui pourrait dire η le contentement d'Astrée,
et qui représenter celui d'Alexis ? L'une pour se voir aux bonnes grâces de celle auprès de laquelle elle faisait dessein de vivre le reste de ses jours, et l'autre pour ouïr ces paroles si pleines d'affection de celle qu'elle aimait plus que soi-même. Et il faut croire que sans la crainte qu'Astrée avait de ne pouvoir pas faire consentir ses parents au dessein qu'elle avait de suivre cette chère Druide en quelque lieu qu'elle allât, et sans l'opinion qu'Alexis avait qu'étant reconnue, elle perdrait toutes ces faveurs, il leur eût été impossible de ne donner connaissance à tous de l'excès de leur contentement.
D'autre côté,
Paris
qui était auprès de
Diane,
et qui ne pouvait assez lui représenter son extrême affection, ennuyé de se voir tant de personnes à l'entour qui écoutaient ce qu'il disait, afin de les entretenir à quelque autre chose, pria
Hylas, lui faisant présenter une Harpe, de vouloir chanter quelque chose dessus pour empêcher que cette bonne compagnie ne s'ennuyât en sa maison.
Hylas
qui quelquefois était assez complaisant, prenant ce qu'on lui présentait, accorda librement de faire ce que Paris désirait, pourvu qu'il fût ordonné aux autres d'en faire de même, et particulièrement à Silvandre. Ce berger qui avait toujours les yeux sur Diane, connaissant qu'elle avait agréable
de l'ouïr chanter, sans en attendre le commandement, prit la Harpe des mains d'Hylas, et chanta tels vers :
SONNET,
Qu'encore que son amour soit extrême,
il croit de n'aimer
point assez.
QUand de tous les mortels les cœurs seraient unis
Pour aimer un sujet qui fût le plus aimable,
Leur passion encore ne serait point capable
D'égaler mon amour, ni mes feux infinis.
N'adorer rien que vous, et nous être bannis
De tout autre penser qui puisse être agréable,
Languir, et souhaiter ce mal être η incurable,
Ou d'une prompte mort être soudain punis,
N'estimer de mon feu sinon la violence,
Brûler de cent désirs, mais tous sans espérance,
De mon extrême amour sont les moindres excès.
Et toutefois, ô Dieux ! quand je vous vois, Madame η,
Je vois tant de sujet et d'amour et de flamme
Que je m'accuse encore de n'aimer point assez.
Silvandre laissant toute la compagnie fort satisfaite de ce qu'il avait chanté, baisant η la harpe, la présenta à Corilas, qui, la recevant de bon cœur et tournant les yeux du côté de Stelle, après avoir accordé sa voix avec l'instrument, chanta d'une voix fort agréable de cette sorte :
SONNET.
Que son amour éteinte ne se peut
plus rallumer.
TAnt de serments jurés d'amour et de constance,
Que, perfide, on vous oit
profaner si souvent,
Ne sont pour nous tromper que des propos de vent η
Qui se perdent en l'air si tôt qu'ils ont naissance.
" Vous savez qu'un brasier prend plus de violence
" Que sans cesse l'on va de souffles émouvant,
" Et qu'un feu, qui couvert languit auparavant,
" Par le vent agité reprend sa violence.
Vous le savez, trompeuse, et pensez en nos cœurs
De rallumer les feux éteints par vos rigueurs
De ces propos de vent η dont vous faites coutume.
Mais ne le pensez plus, en vain sont vos efforts,
" Le vent peut rallumer des brasiers demi morts,
" Mais ceux qui sont éteints jamais il ne rallume.
Stelle, oyant les reproches que Corilas lui faisait, le voyant finir, tendait déjà la main pour recevoir la harpe et lui rendre ce qu'il lui avait prêté. Mais le berger qui s'en douta bien, ne la lui voulut donner, disant qu'il n'était pas raisonnable que Hylas à qui l'on l'avait premièrement donnée, en fût si longtemps privé. Et la lui présentant : - Ne vous offensez, bergère, dit-il à Stelle, si je la remets à Hylas, puisque si votre dessein était de dire quelque chose selon votre humeur, je m'assure qu'il vous satisfera s'il chante selon son cœur. Hylas feignant de s'offenser : - Vous êtes bien gracieux, lui dit-il, Corilas, de vouloir payer vos dettes avec l'argent d'autrui ; pour le moins nous avons Stelle et moi cet avantage qu'étant tous deux η d'une même opinion, nous avons rencontré quelqu'un qui approuve notre humeur, mais la vôtre est si mauvaise que vous êtes le seul de votre secte η. Et lors prenant la harpe, sans attendre la réponse de Corilas, il chanta tels vers :
I.
AVant qu'une amitié déplaise à sa compagne,"
Il faut chercher ailleurs de nouvelles amours."
Que s'il ne nous advient η de mieux trouver toujours,"
Celui n'est pas marchand qui ne perd et ne gagne. "
II.
Que si ce que l'on cherche à l'abord ne se montre,
Il ne faut pour cela s'en aller dépitant :
" Le fondeur ne rompt pas le moule au même instant
" Que son essai premier a mauvaise rencontre.
III.
Mais quand nous aurons fait quelque fâcheuse prise,
Changeons η-la de bonne heure, et nous en défaisons η,
" Voyez-vous ces marchands qui vivent par raison,
" Comme ils offrent devant la pire marchandise.
IV.
" Ce qui nous rend prudents, n'est-ce l'expérience ?
" L'expérience n'est que d'avoir éprouvé
" Cent diverses humeurs, et s'être conservé.
" Ce qui nous rend prudents, c'est donc l'inconstance.
V.
Que j'estime l'Amant η que tout plaisir emporte
Sur le premier objet qui lui tente les yeux !
" La rivière qui court et passe en divers lieux
" Contente beaucoup plus que non pas une eau morte.
VI.
Ceux qui d'être constants se donnent la louange,
S'ils aiment longuement, sont eux-mêmes inconstants.
" En laideur, la beauté se change par le temps ;
Et qui l'aime changée,
il faut aussi qu'il change.
VII.
Car savez-vous que c'est qu'une beauté passée ?
" C'est un foyer qui chaud a d'autres fois été,
Un grand Hiver qui suit après un grand Été, "
Bref, une eau qui, bouillante η,
est à la fin glacée.
Phillis, qui ne pouvait souffrir que Hylas s'en allât sans réponse : - Il me semble, dit-elle, Silvandre, que vous et moi avons grande raison de répondre à cet inconstant berger, puisque c'est en la présence de notre Maîtresse qu'il ose parler de cette sorte, outre qu'en quelque lieu qu'un vrai Amant entende parler tant au désavantage de la fidélité, je crois qu'il est obligé de la défendre. - Vous avez raison, mon ennemie, répondit Silvandre, et je l'aurais déjà fait si je n'eusse eu crainte d'être blâmé d'indiscrétion en l'interrompant. Mais si Hylas veut redire les mêmes vers que nous avons ouïs, j'essayerai de lui répondre couplet par couplet. - Il me serait malaisé, ajouta Hylas, et peut-être peu agréable à cette compagnie, de rechanter les vers que je viens de dire. Mais afin que tu n'aies point d'excuse, Silvandre, en voici d'autres qui ne sont point plus désagréables. Et lors, retâtant la harpe, il voulut commencer quand Silvandre lui fit signe qu'il attendît un peu, et tirant de son côté sa musette, en accommode les hanches et le pipeau, et après l'avoir enflée et ajustée à sa voix : - Me voici prêt, dit-il, Hylas, de combattre. Si tu n'as perdu le courage, ne laissons point écouler le temps inutilement, car quant à moi qui ai la raison de mon côté, je suis grandement hardi ! - Et moi, dit Hylas, comme le généreux Lion η dédaigne les autres animaux qui sont
trop inférieurs à sa force, de même c'est à contrecœur que je me prends à toi, puisque tu m'es tant inférieur, soit en esprit, soit en la bonne cause que je soutiens, que je prévois bien la victoire ne m'en pouvoir être guère honorable. Et à ce mot, joignant la voix au son de la harpe, il commença de cette sorte, Silvandre lui répondant η couplet par couplet au son de sa musette.
I. HYLAS.
MOn amour est un feu, son ardeur lui demeure
Autant qu'il trouve objet propre à l'entretenir.
L'objet, c'est mon plaisir, qui ne voudra η
qu'il meure,
Que mon plaisir jamais il ne laisse finir.
Silvandre.
Mon Amour est un feu, son ardeur lui demeure
Autant qu'il trouve objet propre à l'entretenir.
L'objet, c'est la vertu η ; que la vertu ne meure,
Et jamais mon amour on ne verra finir.
II. HYLAS.
Quand j'aime, en mon amour je suis du tout extrême,
η Et voilà, cet amour ne dure longuement !"
Mais la raison le veut, tout excès véhément "
Ne peut durer longtemps
sans se changer soi-même.
Silvandre.
Quand j'aime, en mon amour je suis du tout extrême,
Et voilà, cet amour dure éternellement ;
Car la perfection ne craint le changement, "
Plus l'Amant est parfait, plus ardemment il aime. "
III. HYLAS.
Fi de ces amitiés si longuement gardées,
Est-il rien de plus doux qu'une jeune beauté ?
Mais qu'a l'Amant vieilli dedans sa loyauté,
Que des rances amours, que des beautés ridées ?
Silvandre.
Fi de ces amitiés mortes plutôt que nées,
Est-il rien de plus doux qu'une constante amour ?
Si l'amour est un bien, qui n'en jouit qu'un jour,
Le doit bien regretter par des siècles d'années η.
IV. HYLAS.
Mais voyez ces Amants que l'on nomme fidèles,
Ne sont-ce point plutôt des esprits hébétés η ?
Esprits sans point d'esprit, qui ne sont arrêtés
Que pour n'oser voler, ou pour n'avoir des ailes.
Silvandre.
Mais voyez ces Amants que l'on nomme infidèles,
Esprits qui faits de plume au vent η sont emportés !
Pourquoi les dirait-on, volant de tous côtés,
Être plutôt Amants que non pas hirondelles ?
V. HYLAS.
Quelle beauté voit-on en ces roses fanées ?
En ces œillets flétris par la longueur du temps ?
Quels plaisirs donneront, quels tristes passe-temps,
N'étant plus de saison, ces beautés surannées ?
Silvandre.
Et comment les douceurs seront-elles goûtées,
De ces fruits qui trop verts n'ont goût ni sentiment ?
Et quels plaisirs aussi donneront à l'Amant
Ces trop vertes beautés qui semblent avortées ?
VI. HYLAS.
" Le temps consomme tout, rend la beauté moins belle.
" Et n'est-ce être imprudent d'amoindrir ces plaisirs ?
Il faut donc changer à tous coups nos désirs
Pour jouir à tous coups d'une beauté nouvelle.
Silvandre.
" Le temps rend à la fin toute chose mieux faite.
" Qu'est-ce qui n'a naissant quelque imperfection ?
Il faut donc demeurer en même affection,
Si nous voulons avoir une amitié parfaite.
VII. HYLAS.
Quoi que ce soit, en moi ne fais point ta retraite,
Ô sotte loyauté qui nous vas η décevant !
Si j'aime, mon amour ressemblera
le vent η,
Qui vit tant qu'il se meut et meurt quand il s'arrête.
Silvandre.
Au contraire en mon cœur, viens, selon ta coutume,
Ô foi, l'heur et l'honneur d'un véritable Amant !
J'estime enfin l'Amour comme le diamant,
D'autant plus qu'il ne craint les marteaux ni l'enclume.
Cependant que ces bergers chantaient de cette sorte, et que le reste de la compagnie était attentive à les écouter,
Paris
qui ne voulait perdre cette commodité, s'approchant encore davantage de
Diane : - Fût-il jamais, lui dit-il assez bas, une plus agréable humeur que celle d'Hylas ?
- Je crois, répondit la bergère, qu'il n'y a point de différence entre lui et la plupart des autres, sinon qu'il dit plus librement son intention.
- Comment, répliqua incontinent
Paris, auriez-vous bien cette mauvaise opinion des hommes, et les estimeriez-vous bien aussi inconstants que lui, sans y mettre autre différence que le taire ou le dire ?
- Je n'ai point, répondit Diane
en souriant, de mauvaise opinion des hommes : car je ne crois pas que ce soit
erreur à eux
de faire comme Hylas, étant "
une chose assez naturelle d'aimer ce qui nous est agréable."
Et puisque la plupart
des
bergers n'aiment que pour se plaire, n'ai-je pas occasion de croire que partout où le plaisir les emporte, ils ne font point de difficulté d'aimer, suivant en cela l'exemple de nos brebis η,
qui ne mangent pas toujours d'une même herbe, ni ne paissent toujours en même pâturage, mais vont diversifiant tantôt dans les prés, et tantôt sur les collines ou sous les ombrages ? La bergère, parlant de cette sorte, souriait, pour montrer
qu'elle parlait contre sa créance, et Paris, qui s'en prit garde : - Le parti d'Hylas, dit-il, belle bergère, serait bien fortifié s'il avait ouï ce que vous venez de dire ! Mais je pense que si vous étiez condamnée à suivre cette opinion, il serait bien difficile à vous y faire consentir. - J'avoue, répondit-elle, que vous dites vrai. Mais il ne le faut pas trouver étrange, puisque les bergères ne sont pas sujettes aux mêmes lois que les bergers, et que non seulement elles fuient l'inconstance, mais la constance aussi. - Vos propos, répliqua Paris, sont des Énigmes pour moi, s'il ne vous plaît, belle bergère, de les dire plus clairement ! - J'entends, répondit-elle, que les filles de cette contrée, non seulement fuient l'inconstance, parce qu'elles ne sont point changeantes, mais la constance aussi, parce qu'elles ne s'attachent à nulle amitié qui les y puisse obliger, aimant et estimant tout ce qui le mérite, non point avec amour et passion, mais par le devoir η et par la raison. - Je le crois, ajouta froidement Paris, tout ainsi que vous, et voudrais bien, pour l'intérêt que j'y puis avoir, que quelqu'une pour le moins entre elles fût d'une autre humeur. - Il faut, gentil Paris, reprit Diane, que vous pardonniez à leur esprit grossier ; car étant nourries dans ces lieux champêtres et à moitié sauvages, pouvez-vous penser qu'elles soient beaucoup différentes aux choses qu'elles voient et qu'elles pratiquent ? Voyez-vous combien la nourriture a de force par-dessus la raison ? Je m'assure que de toute cette troupe il s'en trouvera fort peu qui ne choisissent
plutôt, pour leur contentement, de vivre avec leurs troupeaux le long des rivages, et sous le chaume de leurs petites cabanes, que dans ces grands Palais, et parmi la civilité des villes. - Et vous, belle bergère, dit Paris, de quelle opinion êtes-vous, et que vous semble-t-il de cette maison, et comment vous est-elle agréable ? - Je serais, répondit Diane de mauvais jugement, si je ne la trouvais très belle ! - Elle le serait encore davantage, ajouta Paris, si ce qui y est maintenant y demeurait toujours. - Vous avez raison, répliqua Diane, car véritablement tant de belles bergères et tant de gentils et discrets bergers en rendent non seulement la compagnie grande, mais la demeure fort agréable. - Ce n'est pas, reprit Paris, la quantité * mais la qualité des personnes qui me la fait estimer. - Je le crois, dit-elle, comme vous, puisque bien souvent les plus grandes compagnies sont les plus ennuyeuses. Mais celle-ci est telle qu'il faudrait être de mauvaise humeur pour s'y fâcher. - Je vois bien, répliqua Paris, qu'encore vous n'entendez pas, ou plutôt vous ne voulez pas entendre ce que je veux dire. Ce n'est pas de toute la troupe de qui j'entends parler ! Mais, belle bergère, d'une seule, sans laquelle toute la compagnie me serait ennuyeuse. Diane feignant de ne le pouvoir entendre : - Celle-là, dit-elle froidement, vous est bien fort obligée, encore que ce soit aux dépens de toutes les autres. - Personne de la compagnie, répondit Paris, ne m'en doit savoir mauvais gré, puisque, sans celle que je dis, la vie même me
serait désagréable. Et à ce mot, s'étant tu pour quelque temps, et voyant que Diane ne disait rien. - Je ne vis jamais, continua-t-il en souriant, une bergère moins curieuse que Diane ! Pourquoi ne me demandez-vous qui est celle de qui je veux parler ?
- Ce serait, dit-elle, une trop grande indiscrétion, car je suis bien assurée que si vous voulez la
nommer, vous me la
direz, et si vous la voulez taire, je serais trop indiscrète à vous en importuner.
- Celle, ajouta Paris, à qui j'ai donné le cœur ne doit faire difficulté d'en savoir les secrets, ni moi
" de les lui découvrir.
- Les hommes, répondit
" Diane, en faisant de semblables dons, donnent bien souvent, et retiennent !
- Si vous dites cela pour moi, répliqua incontinent Paris, pardonnez-moi, belle Diane, si je dis que vous avez tort, puisque dès le jour que je me donnai à vous, ou plutôt que le Ciel m'y donna, ce fut d'une si entière volonté que je n'aurai jamais contentement que vous n'en ayez pris toute sorte de possession. Et c'est de vous de qui je parle, et de qui je souhaite la demeure en cette maison, si j'y dois recevoir jamais quelque contentement. - J'aurais peu d'esprit, répondit la bergère en rougissant, si l'honneur que vous me faites n'était reçu de moi avec respect, ainsi que je le dois à votre civilité.
- Ne parlez point de respect, interrompit incontinent Paris, mais au lieu de ce mot, mettez-y celui d'Amour !
- Cette parole, répondit-elle, sied trop mal en la bouche d'une fille.
- S'il ne vous plaît, répliqua-t-il, l'avoir en la bouche, ayez-la dans le cœur.
- Je n'ai garde, reprit Diane, car j'ai
trop cher l'honneur que vous me faites de m'aimer, et cette faute η m'en rendrait indigne.
Il y avait quelque temps que
Silvandre et Hylas ne chantaient plus, et que le reste de la compagnie demeurait sans dire mot, et comme attendant s'ils voulaient recommencer, qui fut cause que plusieurs s'aperçurent non seulement de l'affection avec laquelle Paris entretenait Diane, mais aussi de la passion avec laquelle Silvandre supportait leurs longs discours. Ce que
considérant Hylas, et lui semblant d'avoir quelque avantage par-dessus lui : - C'est assez chanter, lui dit-il, Silvandre, entrons un peu en raison, et me dis par ta foi si tu es encore de la même opinion que tu soulais être.
- Je n'ai pas accoutumé, dit Silvandre, de beaucoup changer, mais de quelle opinion veux-tu parler ?
- Es-tu encore, reprit
Hylas, dans le cœur de
Diane ? Et elle, est-elle encore dans le tien ?
- Pourquoi, répondit
Silvandre, me fais-tu cette demande ?
- Parce, dit-il, que je veux tout à cette heure te faire avouer le contraire.
- Il me semble, Hylas, répondit le berger, que tu as longuement dormi pour te réveiller tant hors de propos. Chacun se mit à rire et de la demande et de la réponse, qui fut cause que Phillis prit occasion d'interrompre les discours de Paris et de Diane, appelant sa compagne pour ouïr cette gracieuse dispute. Et en ce même temps, Hylas répondit : - Berger, Berger, je ne m'éveille pas tant hors de propos que tu penserais bien,
puisque de mettre hors d'erreur une personne, "
" c'est une œuvre qui n'est jamais hors de saison.
" Et réponds-moi seulement, si tu es encore ainsi que je t'ai ouï dire d'autres fois η,
dans le cœur de Diane, et si Diane est encore dans le tien. Diane oyant cette demande : - Écoutons, dit-elle à
Paris, ce que veut dire Hylas, je m'assure que ce sera quelque gracieux discours. Alors ils ouïrent que Silvandre répondit : - Penses-tu, Hylas, que si tu changes continuellement, les autres en fassent de même ? Nous sommes et Diane et moi au même lieu que nous soulions être.
- De sorte, reprit Hylas, que tu es encore dans son cœur, et elle dans le tien.
- Il est ainsi que tu le dis, ajouta le berger.
- Or réponds-moi, Silvandre, continua Hylas, et me dis, je te supplie, puisque tu es dans le cœur de Diane, si les discours que Paris lui tenait à cette heure lui sont agréables ou non. Et vous, Diane, puisque vous êtes dans le cœur de Silvandre, dites-nous si Silvandre voudrait que ces discours vous fussent agréables.
Il n'y eut personne en toute la compagnie, hormis Silvandre,
qui ne se mît à rire, et de telle façon qu'Astrée et Alexis tournèrent la tête pour savoir ce que c'était. Ce que Hylas ayant vu, sans attendre la réponse de Silvandre, parce que le long entretien d'Astrée ne lui était pas moins ennuyeux qu'à
Silvandre celui de Paris, il s'encourut vers elle : - Ma Maîtresse, dit-il à
Alexis, ces bergères de Lignon sont si flatteuses que, si l'on ne s'en prend garde, il est presque impossible de résister à leurs charmes.
- Je crois, mon serviteur, répondit Alexis,
que vous en parlez comme savant. - Il est vrai, dit-il, que je n'ai pas attendu jusques ici à faire mon apprentissage η ! Mais si est-ce qu'elles ne se doivent pas attribuer la gloire de me l'avoir fait faire. Car avant que d'aimer Phillis, j'avais trouvé belle Laonice, et auparavant Madonthe, et avant que toutes ces deux Criséide. Et voilà ces trois belles étrangères, dit-il montrant Florice, Palinice et Circène, qui témoigneront que je n'étais pas même apprentif quand, le long de l'Arar, je devins leur serviteur. Je ne dis pas que si Carlis, qui est dans la galerie avec Daphnide, était ici, elle ne pût bien se donner la louange d'avoir été la première qui a commencé de m'en faire la leçon. - Mais, dit Alexis en l'interrompant, pour glorieuse qu'elle puisse être, je ne crois pas qu'elle se puisse vanter, si elle a été la première, qu'elle soit aussi maintenant la dernière, puisqu'à ce que je vous ouï dire, vous n'en avez aimé, mon serviteur, qu'autant que vous en avez rencontré ! - Vous deviez, dit-il, ma Maîtresse, y ajouter ce mot de belles, car j'avoue que partout où j'ai pu remarquer la beauté, je l'ai aimée et servie. Mais il me semble que vous devez estimer cette humeur qui m'a fait être à vous, et sans laquelle cette mal-faite η de Carlis m'eût possédé toute seule. - J'estimerais grandement, répondit Alexis, cette humeur de laquelle vous parlez, si je ne craignais que, comme elle est cause que maintenant vous êtes à moi, elle me donnera bientôt aussi le regret de vous perdre. - Ah ! ma Maîtresse, ne tenez jamais je vous supplie ce
langage, car outre que vous offensez mon amour, encore est-il impossible que jamais cela puisse être, puisque l'on ne me voit aimer que la beauté, et hors de vous, il est impossible d'en trouver. - Je serai très aise, répondit la Druide, que vous ayez longuement cette opinion de moi afin que je ne vous perde pas si tôt que les autres ! Mais j'aimerais encore mieux que vous eussiez tant de
persuasion que vous pussiez faire croire à tous ce que vous dites de moi.
- Il ne faut point, répliqua-t-il de
" persuasion où la vue en rend de si bons η témoignages ! - Si tous, répondit Alexis, me voyaient avec vos yeux, leurs témoignages me seraient peut-être favorables.
- Je m'assure, reprit Hylas, qu'il n'y a personne ici qui démente ce que les miens me disent.
- Les vôtres, répondit Alexis, voient bien ce qui est, mais votre bouche dit ce que vous voulez, et ces paroles avec lesquelles vous me louez plus que je ne vaux témoignent assez que vous avez étudié en plus que d'une école η
- Je l'avoue, reprit Hylas, mais si puis-je dire sans vanité qu'en moi l'écolier a surpassé le maître.
- Vous ne dites pas, interrompit Florice, qu'au temps que vous étiez mon écolier vous preniez votre leçon et de
Circène, et de Palinice aussi, et que si toutes trois nous unissions notre savoir ensemble, nous vous pourrions bien tenir encore quelque temps à l'école !
- Et comment, reprit incontinent Alexis, est-il possible, mon serviteur, que vous ayez entrepris de les servir toutes trois en même temps ?
- Jugez par là, ma Maîtresse, dit-il froidement, et la grandeur de
mon courage, et si je ne vous servirai pas bien, puisqu'à cette heure je vous entreprends toute seule ?
Cependant qu'il discourait de cette sorte, Adamas, Daphnide et Alcidon sortirent de la galerie, parce que l'heure de souper η s'approchait. Et après avoir quelque temps parlé ensemble de divers discours, les tables furent dressées, et si bien servies que Daphnide même s'étonna qu'en un lieu champêtre, on pût avoir les curiosités que la prévoyance du sage Druide leur fit voir. Et parce que, le repas étant fini, chacun se remit sur des discours divers qui durèrent assez longuement, et qu'Adamas remarqua que les yeux de la plus grande partie de cette troupe commençaient de s'appesantir, il convia Daphnide et Alcidon de s'aller reposer, et les conduisit en leurs chambres, laissant à
Léonide et à
Paris de mener les bergères et les bergers dans les leurs η. Mais encore que la nuit fût déjà fort avancée, si est-ce qu'Alexis, ayant conduit dans leur chambre Astrée, Diane et Phillis, ne se pouvait séparer d'elles ;
après leur avoir donné cent fois le bonsoir, elle avait toujours à qui dire quelque chose. Enfin Léonide, qui après avoir logé toutes les autres, * l'était venue retrouver en cette chambre, oyant l'horloge qui frappait la minuit, la contraignit de se retirer. Les trois bergères se voyant seules, encore qu'il y eût divers lits dans la chambre, voulurent toutefois coucher toutes trois dans le plus grand, ne se pouvant qu'à grande peine séparer.
Cependant qu'elles se déshabillaient, Astrée
ne pouvant guère parler d'autre chose que d'Alexis : - Mais, ma sœur, dit-elle, s'adressant à Phillis, vîtes-vous jamais deux visages si ressemblants que celui de la belle Alexis et du pauvre Céladon ? Phillis répondit : - Quant à moi, j'avoue n'avoir jamais vu portrait ressembler plus à celui pour qui il a été fait. - Mais dites encore davantage, ajouta Diane, que ne vîtes jamais miroir représenter plus naïvement le visage qui lui est devant. - Et que diriez-vous, ma sœur, reprit Astrée, si vous aviez parlé particulièrement à elle, puisque la voix, le langage, la façon, les actions, les souris, bref, les moindres petites choses qu'elle fait, sont si semblables à celles que je soulais remarquer en Céladon que n'y pouvant trouver aucune différence, plus je la considère, et plus j'en demeure ravie ! - Mon Dieu, reprit alors Phillis, si nous pouvions faire que le sage Adamas la voulût laisser quelque temps parmi nous, je crois, ma sœur, que ce vous serait bien du contentement ! - N'en doutez point, répondit Astrée, car je puis dire ici entre nous n'avoir jamais eu plaisir que celui de voir Alexis, depuis la misérable perte de Céladon ! Mais il ne faut pas espérer qu'Adamas veuille qu'elle y vienne, l'ayant si chère qu'à peine la peut-il perdre de vue, ni qu'elle-même l'ait agréable, étant accoutumée à une autre sorte de vie. Et quand il n'y aurait point d'autre empêchement, je suis si peu aimée de la Fortune que je serais trop outrecuidée de penser qu'elle me voulût faire cette grâce. - Ma sœur, reprit Diane, si nous voulons que cette fille
vienne dans notre hameau, il faut que nous y "
usions d'un peu d'artifice. Quelquefois l'on obtient "
par finesse ce qui serait refusé, si ouvertement "
on le demandait ;
et une telle finesse n'est "
point blâmable, lorsqu'elle
ne fait mal à personne. Si nous demandons cette faveur au Druide, peut-être que sa courtoisie est assez grande pour ne nous la refuser, et peut-être aussi y fera-t-il de telles considérations que nous ne l'obtiendrons pas. Mais venons-y par un autre moyen, supplions-le, et faisons que toute notre troupe en fasse de même, de ne vouloir plus retarder le sacrifice du remerciement du Gui sacré ; il l'a déjà promis aux bergers η qui l'en vinrent prier il y a quelques jours. Si nous obtenons ce point sur lui d'y venir à cette heure * même, je m'assure qu'après il ne fera point de difficulté d'y conduire Alexis, tant parce que Léonide même y viendra que pour accompagner Daphnide, qu'il faut supplier d'y assister ; outre qu'étant un sacrifice assez solennel, et sa fille étant Druide, il n'y a pas apparence qu'il la laisse seule au logis en une telle occasion. Et toutefois, afin d'être préparées à toute chose, s'il advient qu'il en fasse quelque difficulté, il en faut prier et elle et Léonide, car à ce que j'ai pu reconnaître, elle ne se déplaît pas en notre compagnie. Et toutefois, parce qu'elle a été nourrie si différemment, il pourrait bien être que par civilité elle se contraint de
vivre de cette sorte avec nous, étant en la maison de son père. Mais je suis d'avis que si nous la pouvons tenir en notre hameau, nous nous étudiions toutes trois
à lui donner tous les plaisirs que nous pourrons, et en ce que nous verrons qu'elle en prendra, c'est en quoi il faudra que nous nous essayions
" de lui en donner davantage. Car bien
" souvent l'opinion fait de grands effets, et
" il peut bien être que l'on lui aura figuré notre sorte de vie telle que quand elle la verra de plus près, elle ne la trouvera pas tant désagréable.
- Vraiment, dit Phillis en branlant la tête, elle serait bien de fâcheuse humeur si elle se déplaisait avec nous, et même si je veux entreprendre de lui plaire ! Qu'elle vienne seulement, je veux mettre la vie qu'elle pleurera η quand elle sera contrainte de nous laisser. Astrée
sourit de l'ouïr parler si assurément, et après lui dit : - Ma sœur, je vous jure que si voulez avoir quelque plaisir en ma compagnie, il faut que nous l'emmenions, autrement je suis une fille perdue ! - Mais, dit
Phillis, savez-vous bien ce que je prévois ? Je ne crains pas que nous ne l'emmenions par le moyen que Diane
a proposé, ni qu'Alexis
ne se plaise avec nous, quand je voudrais
en prendre la peine, mais je vois déjà, continua-t-elle se tournant vers
Diane, que cette Astrée
nous quittera pour cette nouvelle venue, et qu'elle ne fera non plus d'état de nous que si nous étions étrangers ! Mais, ma sœur, savez-vous ce qu'il faut que nous fassions si cela advient, cette Alexis
ne pourra pas toujours demeurer ici, et un jour elle s'en retournera à Dreux, ou vers les Carnutes, alors il faudra que nous ne fassions non plus de compte d'elle qu'elle en aura fait de nous.
- Ah ! ma sœur, reprit
Astrée en lui mettant
une main sur l'épaule, et de l'autre se frottant les yeux, vous êtes mauvaise de m'aller remettre en mémoire cette séparation. Pour
Dieu, ne prévenons
point par la pensée le mal qui ne viendra "
que trop promptement.
- Non, non, répliqua "
Diane, laissons toutes ces considérations à part, "
et faisons ce que notre amitié nous commande : Puisqu'Astrée depuis si longtemps n'a eu contentement que celui-ci, faisons tout ce que nous pourrons pour le lui continuer, et encore qu'elle fît ce que vous dites, si nous l'aimons, en devons-nous
être marries, puisque toutes choses "
sont communes entre les
personnes qui s'entre-aiment ? "
Et pourquoi, l'aimant comme nous faisons, "
ne participerons-nous à tout le contentement qu'elle en recevra ?
Avec de semblables discours, ces bergères se mirent au lit, et après s'être donné le bonsoir, s'endormirent avec la résolution qu'elles avaient prise. Mais d'autre côté,
Alexis
s'étant retirée dans sa chambre, et
Léonide
avec elle, le Druide y entra incontinent après, qui ayant conduit
Alcidon
et les vieux Pasteurs en leurs chambres, laissant le soin des autres à
Paris η, s'en vint trouver
Céladon
pour savoir ce qui s'était passé entre lui et Astrée. Soudain qu'il le vit, après avoir fermé la porte sur eux, pour n'être ouï de personne ; - Et bien Alexis, lui dit-il en souriant, comme se porte
Céladon ?
- De
Céladon, répondit
Alexis, je n'en ai encore point de nouvelles, mais pour
Alexis, elle m'a juré n'avoir jamais eu plus de contentement depuis qu'elle est votre fille.
- Cela me suffit, dit
Adamas, pourvu qu'il continue. Mais dites-moi en vérité, Céladon, vous repentez-vous à cette heure de m'avoir cru ? - Il est impossible, répondit le berger, que personne se puisse repentir de suivre votre conseil, car vous n'en donnez jamais que de fort bons. Mais je vous dirai, mon père, que celui que j'ai reçu de vous en cette occasion, est bien plus dangereux pour moi que fortune que je puisse jamais courre : car si Astrée venait à me reconnaître, je jure et je proteste qu'il n'y a rien qui me pût jamais retenir en vie, parce que, outre la juste occasion qu'elle aurait de se douloir de moi pour avoir contrevenu au commandement η qu'elle m'a fait, encore aurais-je un si extrême déplaisir d'avoir manqué au respect que je lui dois que s'il n'était suffisant de m'ôter la vie, il n'y aurait invention que je ne recherchasse pour me donner une prompte et cruelle mort. - Et bien, bien, répliqua Adamas, je vois bien que votre mal n'est pas encore en état de recevoir les remèdes que je lui voulais donner. Il faut attendre que le temps l'ait mûri η davantage, et cependant résolvez-vous de ne me point désobéir en ce que je vous ordonnerai, autrement j'aurais un grand sujet de vous accuser d'ingratitude. - Mon père, répondit Céladon, je ne manquerai jamais d'obéissance envers vous, pourvu que vos commandements ne contreviennent à ceux que j'ai déjà reçus, et lesquels il m'est impossible de ne point observer. - Jamais, ajouta le Druide, ce que je vous conseillerai ne contrariera à ce que vous dites. Mais il ne
faut pas aussi que le malade pense de savoir "
mieux les remèdes qu'il faut donner à son mal "
que le Médecin qui en a
pris la cure ! Demain η, je "
m'en veux aller en la compagnie de ces bergers et bergères pour faire le sacrifice de remerciement du Gui salutaire qui a été trouvé en leur hameau, et de fortune, sur le même chêne où vous avez fait le Temple d'Astrée, qui ne me donne pas un petit augure η de bonheur pour vous. Et parce que je suis contraint d'y mener comme de coutume Paris et
Léonide, il faut aussi que vous y veniez avec nous.
- Ah ! mon père, s'écria le berger, qu'est-ce que vous voulez faire de moi ? Et en quel danger me voulez-vous mettre, et vous aussi ? Puisqu'il a plu au bon Taramis
que j'aie eu ce contentement de voir cette bergère, de parler à elle, et de n'en η avoir point été connu de personne de la troupe, ne vous mettez point, ni moi aussi, en un plus grand hasard ! Vous, dis-je, de qui la bonne réputation serait grandement offensée si l'on venait à le savoir, et moi, de qui la mort est très assurée aussitôt que je serai reconnu. Remercions ce grand Dieu de la grâce qu'il m'a faite, et me laissez plutôt retirer en quelque désert pour y achever mes misérables jours. - Vous voici revenu, reprit
Adamas, à votre première leçon η. Le Dieu que vous nommez m'a commandé η de prendre soin de vous ; en lui obéissant, je ne crains point de faillir, car, mon enfant, il faut que vous sachiez qu'il ne commande jamais que ce qui est juste et louable. Et quoique l'ignorance humaine fasse quelquefois
juger le contraire, nous voyons toujours qu'à la fin celui qui ne se départ point de ce qu'il lui ordonne surmonte toutes difficultés, et éclaircit toutes ces petites doutes qui pouvaient obscurcir la gloire de ses actions. De sorte que, pour ce qui me touche, il faut que vous ne vous en mettiez point en peine, non plus que pour ce qui est de vous, parce que
" jamais Taramis n'entreprend une chose qu'il ne conduise
" à une parfaite fin η. C'est lui qui fait par moi ce que vous voyez que je fais pour votre salut, me l'ayant commandé par son Oracle η. Ne doutez donc point que vous et moi n'en devions recevoir du contentement. Céladon
voulait répliquer, mais
Léonide
l'interrompit, lui
" disant : - Voyez-vous, berger, il faut faire bien souvent
" des choses pour autrui que l'on ne ferait pas
" pour soi-même. Si Adamas
vous laisse ici, que pensera-t-on de vous, puisqu'il est contraint de nous y mener
Paris
et moi ? Quelle opinion aura-t-on de vous qui portez le nom de Druide, ne venant point à un si solennel sacrifice ? Puisque vous y êtes si avant, il faut passer plus outre, et quand cette considération n'aurait point de lieu, puisque
Tautatès
vous a remis une fois entre les mains d'Adamas
et que vous y avez consenti, il n'y a pas apparence que vous puissiez vous en retirer sans offenser le Dieu et Adamas
aussi. Et le conseil en cela que vous devez prendre, c'est de fermer les yeux dorénavant à toute sorte de considérations, et les remettre toutes à sa prudence et à sa conduite.
Céladon à ce mot pliant les épaules : - Puis, dit-il, mon père, que les Dieux vous l'ont commandé, et que vous en voulez prendre la peine, je vous remets et ma vie et tout mon contentement. À ce mot, le Druide l'embrassa et baisa au front, et prenant Léonide par la main lui donna le bonsoir, et le laissa reposer. Mais ses pensées n'en firent pas de même, qui toute la nuit ne firent que lui représenter les agréables discours qu'Astrée et lui avaient eus, sans oublier la moindre parole
qu'elle eût dite, ni la moindre action qu'elle eût faite et qui lui pouvait rendre quelque témoignage qu'elle aimât encore la mémoire de Céladon. Et lorsque ce penser l'avait longuement entretenu, il se reprenait et le voulait chasser de son âme, comme le jugeant contraire au dessein η qu'autrefois il avait fait.
- Et comment, misérable berger, disait-il, te laisses-tu si tôt flatter au moindre bon visage que la fortune te fait, ayant si souvent éprouvé qu'elle ne t'a jamais caressé que pour te tromper, ni jamais élevé que pour te faire tomber η de plus haut ?
Souviens-toi du bonheur où tu t'es vu, et si jamais il y a eu berger qui ait eu plus de sujet de se dire bienheureux que toi, et incontinent tourne les yeux sur l'état où cette fortune t'a réduit, et considère si tu pouvais tomber en un précipice plus profond η, et à cette heure, sous prétexte que l'on te croit autre que tu n'es pas, et que sous ce nom emprunté l'on te fait bonne chère, tu prends ces faveurs pour tiennes, et tu ne considères pas que tu dérobes
sous le nom d'autrui ce que non seulement on refuserait au tien, mais que tu ne serais pas même si effronté que de recevoir ni d'oser prétendre.
Cette considération aigrissait de sorte la douceur de ses premières pensées, qu'il retombait presque aux mêmes désespoirs où il vivait autrefois dans sa caverne. Et peu s'en fallut qu'il ne retournât à ses premiers desseins de vivre éloigné de tout le monde, puisqu'il ne pouvait espérer quelque changement en ses misères. Et
faut croire que cette résolution eût bien été assez forte pour lui faire exécuter ce dessein, n'eût été que quelque bon Démon lui remit devant les yeux ce que le sage Adamas venait de lui dire, lui semblant que si le Dieu eût connu que son malheur n'eût point dû changer, il ne l'aurait pas mis entre les mains d'un si grand personnage, et qui était en si bonne estime parmi tous ceux qui le connaissaient. Avec cette consolation, après s'être longuement travaillé dans le lit, et avoir passé la plus grande partie de la nuit, enfin, sur la pointe du jour, il s'endormit, et ne s'éveilla qu'il ne fût fort tard. Astrée, Diane, et Phillis n'en firent pas de même, parce qu'Astrée, désirant passionnément de conduire Alexis en son hameau, s'éveilla de bonne heure, et Diane, craignant que Paris ne la vînt trouver au lit, quoiqu'elle le vît avec beaucoup de discrétion, toutefois ne se voulant mettre en ce danger, après qu'elle eut connu qu'Astrée était éveillée, elle se jeta à bas du lit η, et contraignit Phillis d'en faire de même,
en lui reprochant : - Et quoi, mon serviteur, n'avez-vous point de honte d'être si endormi auprès de votre Maîtresse ?
- Je crois, dit Phillis, fâchée qu'elle lui eût rompu son sommeil, que pour éveillée que vous soyez, vous le seriez encore plus, si Silvandre était en ma place !
- Ô mon serviteur, dit Diane, laissons Silvandre où il est ! Il ne pense pas en nous, et nous ne pensons non plus en lui.
- Quelque Amour que j'aie pour vous, reprit Phillis, si ne voudrais-je pas être obligée d'y penser si souvent qu'il fait !
- Ce sont, répliqua Diane, les mauvaises opinions que vous avez de lui. Mais vous verrez que quand j'aurai donné le jugement qu'il attend, qu'incontinent il retournera à sa première façon de vivre. - Par votre foi, interrompit Astrée, le croyez-vous, ma sœur, comme vous le dites ?
- Quand vous demandez un serment de moi, dit-elle, il faut bien que j'y songe un peu davantage avant que je vous réponde pour lui. Mais si vous voulez savoir de moi ce que j'en voudrais, je vous dirai avec vérité que je l'aime tant, et moi aussi, que pour le repos de tous deux, je souhaiterais ce que j'ai dit.
- Et par ma foi, dit Phillis en souriant, je jure que vous êtes menteuse, et pardonnez-
moi, ma Maîtresse, si cela vous offense : car il n'y "
eut jamais fille qui se fâchât d'être aimée et "
servie d'une personne de mérite. Et j'en ai bien vu plusieurs qui, au contraire, étaient bien marries lorsque ceux qui avaient fait semblant de les aimer changeaient de volonté, encore qu'elles n'y eussent point de dessein ! Et si je dirai bien plus, que je n'en ai jamais vu qui en leur âme
n'aient eu quelque déplaisir de voir ces changements. Et moi-même, qui n'aimais point Hylas, je suis contrainte d'avouer que, lorsqu'il me quitta, j'en eus du déplaisir quelque mine que
" j'en fisse. Et cela est d'autant que tout ainsi que
" les recherches de ceux qui nous aiment, sont des
" témoignages de notre beauté et de notre
" mérite, de même leurs éloignements sont des preuves du contraire.
- Vous aurez, dit Diane, telle opinion de moi qu'il vous plaira, mais si vous jurerai-je que si c'était à mon choix, je ne sais lequel j'élirais plutôt, ou la continuation, ou la fin de sa recherche, prévoyant qu'elles me rapporteront autant de déplaisir l'une que l'autre. Car s'il continue, à quel dessein le souffrirai-je ? puisqu'il n'y a pas grande apparence que mes parents permettent que j'épouse une personne inconnue, et moi-même j'aurais honte que Diane commît cette faute. Et si nous nous séparons d'amitié, je vous assure que je le regretterai longuement, me semblant que ses mérites le rendent digne d'être aimé.
- Or celle-ci, dit Phillis, est l'une des plus grandes folies du monde ! Les parents nous veulent choisir des maris, et nous sommes si sottes que nous les laissons faire. Cela serait bon si c'était eux qui les dussent épouser ! Et ne voilà pas la même considération qui a rendu Astrée en l'état où elle est ; si ses parents η
lui eussent laissé la libre disposition de soi-même, elle eût épousé Céladon, il serait plein de vie, et elle contente à jamais, au lieu que, par leurs contrariétés, ils en ont fait mourir l'un, et l'autre n'est en guère meilleur état. Et maintenant,
pour achever de la ruiner du tout, ce vieux rêveur de Phocion lui veut donner Calidon, et s'est tellement persuadé que cela devait être ainsi, qu'il ne lui laisse point de repos ! Ah ! que s'il avait à faire à moi, je l'aurais bientôt résolu :
- Et que feriez-vous, reprit Astrée, si vous étiez en ma place ?
- Je lui dirais en fort peu de mots, dit-elle, Je n'en ferai rien ! - Et quelle opinion aurait-on d'une fille qui parlât ainsi ? interrompit
Diane. - Et qu'est-ce que l'on en dirait, Ma Maîtresse ma mie ? répondit Phillis, les paroles ne sont que des paroles, et le vent les emporte, et les opinions ne sont que des opinions, qui s'effacent aussi aisément qu'elles s'impriment ; mais épouser un mari fâcheux, c'est un effet qui dure le reste de la vie. Et c'est pourquoi j'estime que vous êtes peu avisée, toute Diane que vous êtes, quand vous dites que vous ne voudriez pas avoir épousé
Silvandre, que vous avouez d'avoir beaucoup de mérites, et de l'avoir agréable, et seulement parce que vous ne savez d'où il est. Eh ma Maîtresse, mon cœur, ne voudriez-vous point manger d'une belle pomme, si vous ne saviez quel est
l'arbre qui l'a portée ? Folie, et folie la plus grande "
qui soit entre les
hommes, qui se tuent de "
peine à poursuivre les apparences, et ne se
soucient "
point des choses qui sont réelles, et véritablement bonnes.
Dieu
m'a fait une grande grâce de m'avoir donné des parents qui ne me traitent point ainsi, car je vous assure que s'ils étaient d'une autre humeur, je leur donnerais bien de l'exercice. Diane
alors en souriant :
- Je vois bien, mon serviteur, dit-elle, que votre conseil est bon, mais il n'en faut guère
user. Dites-moi je vous supplie cette opinion que vous méprisez si fort, et ces apparences que
" vous blâmez, que sont-ce autres choses que la
" réputation pour laquelle nous sommes obligées,
" non seulement de mettre ce qui nous peut apporter
" du plaisir et du contentement, mais la propre vie ? Car y a t-il rien de si méprisable qu'une fille sans cette réputation ?
Et y a-t-il condition au monde si misérable que celle de la personne qui l'a perdue ? Je vous avouerai que qui la veut bien considérer trouvera que c'est une folie.
" Mais y a-t-il quelque chose parmi nous qui ne soit
" folie, si l'on la veut bien rechercher ?
" Tout (mon serviteur) n'est qu'une vaine ombre η
" du bien que nous nous figurons. Et toutefois, encore que nous en reconnaissions et vous et moi la vérité, parce que, par le commun consentement de tous, il est jugé autrement, ni vous ni moi ne voulons point être la première à rompre cette glace ! Et cela me fait ressouvenir du conseil des Rats η
qui résolurent que, pour leur sûreté, il fallait attacher au col d'un Chat qui les dévorait une sonnette, afin de l'ouïr quand il marcherait. Mais il ne s'en trouva point d'assez hardi en toute la troupe qui l'osât entreprendre.
Discourant de cette sorte, ces belles bergères s'habillèrent, et
Astrée, sans savoir pour quel dessein, se coiffa et s'habilla avec plus de soin qu'elle n'avait fait depuis la perte de
Céladon. À quoi
Phillis prenant garde, elle ne
peut s'empêcher de sourire, et la montrant à Diane : - Ma maîtresse, lui dit-elle, je ne sais si les bergères de Lignon sont de cette humeur. - Et de laquelle, dit Diane, voulez-vous parler ? - Je vois, continua Phillis, qu'Astrée se donne plus de peine à s'agencer que de coutume. Quant à moi, je n'en puis trouver autre raison sinon la nouvelle amour de cette belle Druide, et qui n'a eu naissance que depuis hier. Dites-moi, je vous supplie, si c'est l'humeur des bergères de Lignon, de s'affectionner si promptement, et plutôt des bergères η que des Bergers ? Astrée répondit : - Il est vrai que j'ai plus de curiosité de me rendre aimable que je n'eus jamais, aussi est-il bien raisonnable : car lorsque j'ai été recherchée par des bergers, j'ai cru d'avoir assez de mérites pour en être aimée, sans que j'y misse plus de peine que de me laisser * voir ; mais à cette heure, si je veux acquérir les bonnes grâces de cette belle Druide, il faut que j'y rapporte les mêmes soins que le serviteur a accoutumé de faire pour obtenir les bonnes grâces de sa Maîtresse. - Ma sœur, reprit Diane, ou nous sommes Phillis et moi de mauvais jugement, ou vous devez être assurée qu'il y aura plutôt défaut de connaissance en celles qui vous verront, si elles ne vous aiment, qu'en vous faute de mérite à vous faire aimer. En parlant de cette sorte, elles finirent de s'habiller, et en même temps qu'elles voulaient sortir de la chambre, elles virent dans la salle voisine Paris qui se promenait avec Léonide, et qui, à ce qu'il semblait, l'entretenait d'une grande affection, parce que ces
belles bergères furent auprès d'eux avant qu'ils les aperçussent. De quoi Paris se trouva honteux quand il s'en prit garde, et après les avoir saluées, en demanda pardon à Diane, qui lui répondit n'y avoir point d'offense en ce qui la touchait ; car étant la moindre des trois, les autres avaient plus d'occasion de s'en plaindre, si toutefois il y avait sujet de plainte. Et sans attendre sa réponse, s'adressa a Léonide, et lui demanda comment elle avait passé la nuit. - Mais vous, dit-elle, qui vous êtes levée si matin, n'avez-vous point trouvé quelque incommodité ou en la chambre ou au lit qui en soit cause ? - J'en ai trouvé sans doute, répondit Diane, et en la chambre et au lit ! Mais c'est à cause de cette belle bergère, dit-elle montrant Astrée, qui nous a éveillées plus tôt que nous n'eussions voulu pour le désir qu'elle a de profiter le temps le mieux qu'il lui sera possible cependant qu'elle demeurera en ce lieu. Je veux dire d'être le plus qu'elle pourra auprès de la belle Alexis, étant demeurée de sorte sa servante dès qu'elle l'a vue que je ne sais comme nous l'en pourrons séparer quand il faudra partir. - Allons voir, dit Léonide, si elle est éveillée, et je vous dirai un secret que η j'ai pensé pour faire en sorte que cette belle bergère ne s'en sépare pas si tôt. Et lors s'acheminant vers la chambre d'Alexis : - Il faut, continua-t-elle, que vous requériez Adamas que, sans plus dilayer, il aille aujourd'hui faire le sacrifice du remerciement du Gui salutaire, et qu'il nous y mène toutes. Je sais qu'il ne vous en dédira point, car
aussi bien faut-il qu'il s'acquitte de ce devoir une fois, et il n'a garde d'aller pour ce soir en autre logis qu'en celui d'Astrée, à cause de Phocion qu'il aime et estime fort, et par ainsi nous serons encore ensemble demain presque tout le jour ! Mais, belle bergère, ne me décelez point : car peut-être si Adamas savait que je vous eusse donné cet avis, il m'en saurait mauvais gré, et cela pourrait être cause qu'il en ferait quelque difficulté. Il n'est pas aussi nécessaire qu'Alexis le sache, parce qu'elle est d'humeur si retirée qu'elle n'a jamais plus de contentement que quand elle est seule. Je ne me soucie guère que Paris l'entende, sachant assez qu'il se plaît si fort en votre compagnie, que ce ne sera jamais lui qui y contrariera. - Je ne démentirai jamais, répondit Paris, l'opinion que vous avez de moi ! Alors Astrée, après avoir un peu souri contre Diane et Phillis : - Pensez-vous, Madame, dit-elle, qu'Adamas ne nous refuse point, ou bien qu'il y laisse venir Alexis ? Car il est très certain que si tout le reste du monde y venait et qu'Alexis seule y défaillît η, je serais de trop mauvaise humeur, et faudrait que je m'allasse cacher pour ne point ennuyer la compagnie ! - Vous voyez, interrompit Phillis, comme les bergères du Lignon ne sont point dissimulées. Je vous jure, Madame, qu'elle ne ment nullement. - Elle et toutes les autres, reprit Léonide, en sont plus estimables. Mais d'où vient cette grande amitié ? - Dieu voulut, ajouta Astrée, que ce fût de sympathie, parce que malaisément pourrait-elle être de mon côté qu'elle ne fût
aussi du sien, et si cela était, je m'estimerais la plus heureuse qui fût jamais.
- S'il ne faut que cela, dit la Nymphe, pour vous rendre contente, vous la η
devez être sur ma parole, car je ne fus de ma vie si étonnée que d'ouïr hier au soir Alexis tenir presque les mêmes discours de vous que vous tenez à cette heure d'elle, étant chose si inaccoutumée à son humeur particulière,
qu'il faut bien croire η ce changement venir de quelque plus forte puissance que n'est pas son naturel !
- Vous la rendrez si glorieuse, dit Phillis, que nous ne pourrons plus vivre auprès d'elle. Et à ce mot, elles arrivèrent dans la chambre d'Alexis, où elles la trouvèrent encore dans le lit, d'autant qu'il était assez matin et que toute la nuit elle n'avait pu trouver
repos parmi ses pensées, qui sans cesse l'avaient entretenue tantôt de ses déplaisirs, et tantôt de l'heureuse journée qu'elle avait eue, et de la félicité qu'elle espérait encore la suivante. De sorte que sur le matin elle s'était endormie, et s'était à peine éveillée lorsque cette belle troupe était entrée dans sa chambre.
Elle fut à la vérité grandement surprise de cette visite inespérée, non pas tant toutefois qu'elle ne se ressouvînt de cacher la bague qu'elle avait prise à
Astrée lorsqu'elle se jeta η
dans Lignon, et que depuis elle avait toujours portée au bras avec le même η ruban duquel elle était attachée, et aussi de serrer bien sa chemise sur son estomac, tant afin qu'on n'aperçût point le défaut de son sein que pour ne laisser voir à la belle Astrée le petit portrait qu'elle
avait accoutumé de porter η au col, et que la bergère ne connaissait que trop bien. Elle mit donc la main à moitié sur son visage, et de l'autre elle prit le linceul et s'en couvrit presque toute, comme si elle eût eu honte de se laisser voir en cet état. Léonide pour mieux jouer son personnage : - Que vous semble, ma sœur, dit-elle, des belles filles que je vous amène pour vous aider à lever ? - Ma sœur, dit Alexis se relevant un peu sur le lit, vous m'avez fait une grande honte en me faisant une si grande faveur ! Car que diront-elles de moi me trouvant encore au lit ? - Et que peuvent-elles dire, reprit la Nymphe, sinon que vous êtes paresseuse, et que les filles Druides des Carnutes ne sont pas si diligentes que les bergères de Forez ? À ce mot, toutes ces belles bergères lui donnèrent le bonjour, et elle, après leur avoir rendu leur salut avec la même courtoisie, se tournant du côté d'Astrée : - Et vous, belle bergère, comment avez-vous passé cette nuit ? - Voulez-vous, ma sœur, interrompit Léonide, que je le vous dise pour elle ? Je vous proteste, continua-t-elle, qu'elle a couché ici auprès de vous ! - Auprès de moi ? reprit incontinent Alexis. - Auprès de vous ! continua Léonide, et si ce n'a été du corps, ç'a été pour le moins de la pensée. - De cette sorte, répondit Alexis, cela pourrait bien être, et je le veux croire, d'autant plus que je vous puis assurer, belle bergère, dit-elle prenant Astrée par la main, que j'ai bien fait pour le moins la moitié du chemin ! Car je ne sais comment j'ai été toute la nuit embrouillée parmi les discours
que nous eûmes au soir, de telle sorte que je ne me suis pu η endormir que quand le jour a paru.
Léonide, pour donner commodité à cette chère sœur d'entretenir plus particulièrement
Astrée, prenant Diane et Phillis par la main les retira vers la fenêtre qui avait la vue du côté de leur hameau, et l'ouvrant, s'y appuyèrent toutes trois, cependant qu'Alexis, faisant asseoir Astrée sur son lit et la tenant toujours par la main, fut presque transportée de l'extrême affection
de la lui baiser ! Enfin, craignant de lui donner connaissance de ce qu'elle voulait cacher, elle se retint, et se contenta de la lui serrer et presser doucement entre les siennes deux. Et après avoir demeuré quelque temps muette : - Je vous jure, lui dit-elle, belle bergère, que toute la nuit j'ai pensé en vous, et aux discours que vous me tîntes. Mais, dites-moi, je vous supplie, est-il bien possible que Phocion (ainsi que Léonide m'assurait au soir) veuille vous contraindre de vous marier contre votre gré ?
- Madame, répondit
Astrée, il est vrai qu'il a cette humeur. Mais il est vrai aussi qu'il n'y parviendra * jamais ! Non pas que j'aie la hardiesse de lui contredire
tout ouvertement, mais je traiterai bien de sorte Calidon
que je lui en ferai perdre la fantaisie.
Ce n'est pas que je ne reconnaisse que ce berger a beaucoup plus de mérites que je ne vaux, mais c'est que mon Génie ne saurait se bien accommoder avec le sien. Jugez, Madame, quelle apparence il y a que je croie Calidon être Amoureux de moi, que η je
sais avoir aimé Célidée plus que sa propre vie, et en avoir fait les excès de désobéissance que chacun sait, et contre un oncle qui lui tient lieu de père, soit pour le soin qu'il a eu de lui depuis le berceau, soit pour les biens qu'il en peut espérer. - Mais, dit Alexis, j'ai ouï dire que depuis qu'elle s'est blessée de la sorte que nous la voyons, il a perdu cette humeur, et qu'il ne l'aime plus. - Je crois, répondit Astrée, qu'il est vrai. Mais s'il est ainsi, que puis-je espérer de son amitié qui n'est née que d'autant qu'il pense me devoir aimer par le commandement de Thamire, puisque celle qu'il a portée à Célidée, que chacun a reconnue si ardente, s'est éteinte lorsqu'elle est devenue moins belle ? Donc aussitôt que mon visage changera, son affection en fera de même. Qu'est-ce que je deviendrais si je reconnaissais, non pas ce changement, mais la moindre diminution de la bonne volonté qu'il m'aurait fait paraître ? Mais, Madame, continua-t-elle, avec un grand soupir, celle-là n'est pas la principale difficulté. Car peut-être pourrais-je bien espérer de retenir cet esprit en l'amitié qu'il me devrait, n'ayant pas si mauvaise opinion de moi-même que, pour peu que je m'y voulusse étudier, je ne me pusse assurer de lui. Il y a bien une chose qui m'en retire davantage : Mais, Madame, vous l'oserais-je bien dire, ou si je la vous dis, quelle opinion aurez-vous de voir que je vous parle si familièrement de mes petites affaires ? Alexis alors en lui resserrant la main : - Si vous saviez, dit-elle, quelle est l'amitié que je vous porte, vous n'useriez
point de ces paroles avec moi, qui ne désire de savoir vos affaires et vos intentions que pour essayer de vous servir, soit par mon propre moyen, soit par celui d'Adamas, si vous le trouvez à propos.
- L'honneur que vous me faites de m'aimer, reprit Astrée, est véritablement, Madame, le bonheur que j'ai reconnu pour moi depuis quatre ou cinq η Lunes, aussi le tiens-je si cher que j'aimerais mieux perdre la vie que d'en être privée. Mais pour l'offre que vous me faites d'Adamas, je vous supplie de ne lui en point parler, parce que je ne le veux employer en chose de si peu d'importance, et de laquelle je viendrai bien à bout, m'assurant de faire que Calidon même s'en déportera !
- Dieu
le veuille, dit Alexis, mais je le crois difficilement, voyant la beauté de votre visage, et ayant ouï dire η
combien il a souffert de mépris
" de Célidée sans changer. La beauté, belle Astrée,
" est une glu,
de laquelle il est bien malaisé de se
" dépêtrer quand une fois l'on a donné de l'aile dedans.
- Madame, répliqua la bergère, cette beauté n'est pas en moi, mais quand elle y serait, j'espère que ma résolution sera encore plus forte que toutes les violences, ni les opiniâtretés de l'Amour. Et c'est ce que je voulais vous dire, car sachez que plutôt je me donnerai mille fois la mort, si autant de fois je pouvais revivre, que de me marier jamais, puisque le Ciel ou plutôt, ma mauvaise fortune, l'a voulu. À ce mot, elle s'arrêta pour prendre son mouchoir pour s'essuyer les yeux, parce qu'elle ne put retenir ses larmes. Et voulant reprendre
son discours, la survenue d'Adamas l'en empêcha, qui de fortune entrant dans la chambre et y trouvant cette bonne compagnie, fut bien marri de l'avoir interrompue, n'y ayant rien qu'il désirât plus que de voir Alexis et Astrée ensemble, pour l'espérance qu'il avait que cette pratique remettrait Alexis en son premier état, et que par ainsi, suivant la parole de l'Oracle η, il verrait sa vieillesse contente et bienheureuse. Toutefois, feignant de l'avoir fait exprès, il dit à Alexis, après avoir salué toutes ces bergères : - Et quoi, ma fille, vous voilà encore au lit, et que diront ces belles filles de vous voir si paresseuse ? - Mon père, répondit Alexis, la faute en est à ma sœur qui les a amenées ici sans m'en avertir. - La faute, répliqua Adamas, en est vôtre, qui êtes encore dans la plume ! mais si elles me voulaient croire, elles vous fouetteraient η de sorte qu'une autre fois vous vous lèveriez plus matin ! Alors Astrée qui s'était levée de dessus le lit pour saluer Adamas : - Mon père, dit-elle, il est raisonnable que nous nous levions matin pour avoir le soin des troupeaux que nous avons en garde, et il l'est encore plus que la belle Alexis conserve son beau visage sans se donner tant de peine ! - Vous en direz, répondit Adamas, ce qu'il vous plaira, mais je suis bien d'avis si elle veut être belle qu'elle fasse comme vous ; car votre beauté lui apprend que votre recette doit être fort bonne. Astrée rougit un peu, et voulait lui répondre lorsqu'on le vint avertir que Daphnide et Alcidon étaient dans la salle qui l'attendaient. Cela fut cause que prenant
ces bergères par la main, il laissa Alexis seule pour lui donner
loisir de s'habiller, cependant qu'il allait montrant à toute cette belle troupe les raretés de sa maison, qui se pouvait dire très belle et très curieusement enjolivée.
Après que toute la compagnie fut assemblée, et que pour le contentement d'Hylas, Alexis fut arrivée, Adamas crut que pour attendre l'heure du dîner, il était à propos de leur faire voir les promenoirs, et cela d'autant plus que ce jour-là le Soleil était un peu couvert des nues. Chacun s'accompagna de celle qu'il lui plut, hormis Silvandre, Hylas, et Calidon : Car Diane fut prise de Paris, auquel Silvandre par respect était contraint de la quitter, et Astrée était toujours avec Alexis, qui empêchait que la nouvelle affection d'Hylas
et de Calidon ne pouvait recevoir le contentement de parler à cette feinte Druide et à la belle bergère. Quant à
Calidon et à
Silvandre, ils n'en osaient point faire de semblant,
mais Hylas qui n'avait pas accoutumé de se contraindre : - Ma Maîtresse, dit-il aussitôt qu'ils furent hors du logis, permettez que Calidon entretienne Astrée !
- Et qui sera celui, dit
Astrée en souriant, qui tiendra compagnie à Alexis ?
- Ne vous en mettez point en peine bergère, dit froidement
Hylas, celui qui pourvoit η l'Hiver de grains aux oiseaux ne la laissera pas sans secours, et attendant qu'il lui en envoie un meilleur, je m'y offre. Et en même temps, sans attendre davantage, prit Alexis de l'autre bras. - Vraiment, dit
Astrée à moitié en
colère de se voir ôter la commodité d'être seule auprès d'Alexis : - Il est aisé à connaître, Hylas, que vous n'êtes pas des bergers de Lignon, car ils n'ont guère accoutumé d'être si hardis.
- Je le crois, dit Hylas, mais il y a bien apparence aussi que des bergers soient si courageux que moi !
- Il me semble, répliqua Astrée, que puisque vous en portez l'habit vous en devez avoir le courage.
- Non, non,
répondit-il, bergère, DESSOUS η
UN FER ROUILLÉ N'EST "
MOINS PREUX
UN ACHILLE ! Au contraire, "
si l'exemple de la vertu avait quelque force "
en ces bergers, Calidon, que je vois là sans parti, et vous regarder avec un œil qui vous demande l'aumône, en ferait autant que moi. Astrée baissa les yeux en terre, craignant que pour peu que ce discours continuât, ce jeune berger pourrait bien imiter Hylas, et qu'ainsi, d'une faute, elle en aurait fait deux. Mais Hylas qui prit
garde à cette mine, et qui eut opinion que si quelque chose divertissait Astrée, il pourrait plus aisément entretenir Alexis, il fit η signe à Calidon, qui rendu plus hardi que de coutume, après avoir fait une grande révérence à la bergère, la prit de l'autre côté sous les bras, feignant que c'était pour lui aider à marcher. La bergère qui vit bien qu'il n'y avait plus de moyen de s'en dédire, se tournant vers
Alexis : "
- Je confesse que
les mauvais exemples, dit-elle, "
s'imitent plutôt que les bons, et qu'il faut
que je me dédise de l'avantage que j'ai donné aux bergers de
Lignon. - Que voulez-vous y faire ? dit
Alexis
en pliant les épaules, si notre vie n'était "
" mêlée de ces amertumes, * ne serions-nous
" point trop heureuses ? Elle répondit cela si bas que ni Hylas,
ni Calidon n'en entendirent rien, et toutefois, la froideur de laquelle la bergère reçut Calidon, lui donna bien quelque opinion qu'elle eût eu plus agréable d'être seule avec cette Druide. Mais feignant de ne le point reconnaître, il ne laissa de continuer son dessein, de sorte qu'il n'y avait plus personne sans parti que Silvandre. Mais Laonice qui avait toujours nourri un esprit de vengeance contre lui, et qui ne cherchait que l'occasion de lui pouvoir rendre un signalé déplaisir depuis le jour
que par son jugement η elle perdit Tircis, le voyant seul, pensa que peut-être elle pourrait en trouver quelque moyen. Elle savait déjà l'affection qu'il portait à
Diane, et celle de Diane
envers lui ne lui était pas du tout inconnue, parce qu'ayant tant aimé, il était impossible qu'elle ne se prît garde de leurs actions, et même en ayant appris ce qu'en diverses fois elle en avait ouï de leur bouche même, c'est pourquoi le voyant seul et pensif η, elle s'approcha de lui,
et feignant
un visage tout autre qu'elle n'avait le cœur. - Que veut dire, berger, cette tristesse, dit-elle, qui est peinte en votre visage, êtes-vous peut-être amoureux ?
- Bergère, répondit Silvandre, j'ai tant d'occasion d'être triste qu'il ne faut point me demander si l'amour en est la cause.
- Je crois, ajouta-t-elle, que ce ne sont pas de nouvelles occasions, et toutefois ces jours passés vous viviez plus content. Mais voulez-vous que je vous dise ce
que j'en pense ? Le sujet de votre mélancolie vient ou du mal présent ou du bien η absent.
- Si vous ne m'expliquez d'autre sorte cet Énigme,
dit le berger, je ne sais que vous répondre.
- Je veux dire, reprit Laonice, puisque vous voulez que je vous parle plus clairement, que le mal présent vous tourmente, voyant qu'un autre a votre place auprès de votre maîtresse, ou le bien absent, car je sais que vous aimez Madonthe.
- Vous êtes, dit Silvandre, sage bergère, une grande devineuse, car l'une des deux choses que vous me dites véritablement me tourmente. Mais toutefois, dit-il en souriant, non pas peut-être tant que vous penseriez bien.
- Quelquefois, répondit Laonice, en semblable mal "
l'on ne pense pas être si malade que l'on est ! "
Mais à bon escient, Silvandre, lequel de ces "
deux maux vous presse le plus ?
- Lequel, dit le berger, pensez-vous que ce soit ?
- Je ne sais, dit Laonice, si je vous en dois dire mon opinion, car peut-être ne l'avouerez-vous pas.
- Si c'était une faute que d'aimer, je confesse que difficilement j'en avouerais la dette, mais puisque pour ne
faire tort à tous les hommes (car je crois "
qu'il n'y en a point qui n'ait aimé quelquefois η) "
il faut plutôt dire que c'est une vertu, ou pour le "
moins une action qui de soi-même peut être ni bonne ni mauvaise. Pourquoi pensez-vous que je fasse difficulté de dire la vérité, puisqu'en la niant je commettrais une plus grande erreur ?
- Vous avez raison, berger, répondit
Laonice :
car toute personne qui veut être estimé "
homme de bien, doit sur tout être soigneuse η de "
" ne blesser jamais la vérité. Mais dites-moi en votre foi, Silvandre, le bien absent ne vous tourmente-t-il pas davantage que le mal présent ? Le berger qui ne voulait point donner connaissance de son affection à cette étrangère η, ni à personne, s'il lui était possible, voyant que d'elle-même elle bâtissait la tromperie qu'il eût été en peine de controuver, pensa être à propos de la continuer, et ainsi faisant un petit souris, lui répondit : - C'est une chose étrange que la vivacité de votre vue η. Je vous jure, discrète Laonice, que je ne croyais pas y avoir personne qui s'en fût pris garde ! Mais comment l'avez-vous pu reconnaître ? - Silvandre, lui dit-elle, contentez-vous que toutes ces feintes que vous faites pour Diane peuvent bien amuser Tersandre, mais non pas ceux qui, avec mes yeux, remarquent vos actions. Presque tous ceux qui sont le long de la douce rivière de Lignon ont tellement le cœur occupé en leurs propres affections qu'ils ne prennent garde à celles d'autrui, n'ayant des yeux que pour voir ce qu'ils aiment ; mais moi qui n'ai rien à faire qu'a considérer vos actions de tous, j'ai fort bien aperçu que Madonthe vous plaît davantage que Diane. Mais ne soyez marri que je l'aie reconnu, puisque peut-être ne vous serai-je point inutile. Madonthe m'aime, et je pense qu'elle croira aisément ce que je lui persuaderai. Je sais η que c'est que d'aimer, et quels ressorts il faut toucher pour en avoir le contentement η que l'on en désire ; je vous promets de vous y aider et servir en tout ce que je pourrai. Silvandre
ne se pouvait presque empêcher de rire de l'ouïr parler de cette sorte, et pour lui en assurer encore plus l'opinion qu'elle en avait conçue la supplia de n'en vouloir point faire de semblant, de peur que quelque autre ne s'en prît garde et surtout n'en rien dire à Madonthe, parce qu'elle s'en sentirait offensée, et cela pourrait être cause de ruiner tout son dessein ; qu'il la remerciait grandement des offres qu'elle lui faisait, lesquelles il ne refusait point, mais qu'il ne voulait accepter encore pour plusieurs raisons que bientôt il lui ferait savoir. Silvandre pensait ainsi faire le fin, mais Laonice, qui feignait de le croire, commençait d'ourdir par là la méchanceté qu'elle lui voulait faire, et que depuis η elle lui vendit si chèrement. Cependant Paris et Diane étaient entrés bien avant en propos : car ce jeune homme brûlait d'une si violente amour pour cette bergère qu'il ne pouvait vivre avec aucun repos que lorsqu'il était auprès d'elle. Et il est certain que si cette bergère eût eu dessein d'aimer quelque chose, elle eût pu s'en embrouiller ; mais, depuis la mort η de Filandre, elle ne voulait que l'Amour prît place parmi ses affections, lui semblant que rien n'était digne d'être mis au lieu où un berger si parfait que Filandre avait été si longtemps. Que si elle aima depuis Silvandre, ce ne fut pas par dessein, mais par une surprise que lui firent les mérites et les recherches de ce berger. De sorte que jamais la bonne volonté qu'elle eut pour Paris n'outrepassa celle qu'une sœur η pourrait avoir pour
un frère, lui semblant d'être obligée à celle-là par l'amitié qu'elle lui portait, et empêchée par une η vertu inconnue de l'aimer davantage que comme son frère η, * et qu'en son cœur elle attribuait à l'amour qu'elle avait portée au gentil Filandre. Lui toutefois, de qui l'affection n'avait point de limites, après lui avoir rendu tous les témoignages de son amour qui lui avaient été possibles, il se résolut η de tenter enfin quelle serait sa fortune, et trouvant cette occasion bonne, il pensa qu'il ne la fallait point perdre. La tenant donc sous les bras, il la sépara un peu d'auprès des autres. * Et cependant que chacun s'amusait à diverses occupations, il lui parla de cette sorte : - Est-il possible, belle Diane, que quelque service que j'aie essayé de vous rendre n'ait pu vous donner connaissance de l'affection que je vous porte, ou, si vous l'avez reconnue, est-il possible que cette Amour soit demeurée jusques ici stérile, et sans avoir pu donner naissance à un peu de bonne volonté en votre âme ? Si l'offense fait naître la haine, pourquoi mes services, encore que bien petits, ne produisent-ils en vous, non pas de l'Amour, car ce serait trop de bonheur, mais quelque peu de bienveillance qui vous les rende pour le moins agréables ? J'éprouve, et en cela je n'accuse que mon peu de mérite, et mon malheur trop grand, j'éprouve, dis-je, que tout ce qui est profitable à tous les autres qui aiment m'est entièrement inutile. Mon extrême affection vous outrage, mes services vous déplaisent, ma patience se rend méprisable,
ma constance ennuyeuse, et l'âge que je passe en vous aimant, servant et adorant, tellement infructueuse que peut-être encore n'avez-vous pas pris garde que je sois à vous ! Dieux !
cette cruauté, ou plutôt cette méconnaissance pour ne dire ingratitude, accompagnera-t-elle toujours cette belle âme, et jamais ne permettrez-vous que ce cœur de diamant s'amollisse à mon sang que je verse par les yeux en forme de larmes ?
À ce mot,
Paris se tut, tant parce qu'il eut peur que ses yeux ne fussent assez forts pour retenir dans la paupière les pleurs que ces paroles lui arrachaient du cœur s'il continuait son discours, que pour donner loisir à
Diane de lui dire quelque parole qui le pût consoler. Elle qui l'aimait, * comme nous avons dit η, ne pensant pas qu'il fût réduit aux termes que ces propos faisaient paraître, et ne voulant, s'il lui était possible, qu'il partît mal satisfait, après avoir tourné les yeux doucement vers lui : - Je ne pensais, lui dit-elle, gentil
Paris, que vous me tinssiez jamais un tel langage, qui est autant éloigné de mon intention que le Ciel l'est de la terre ! Vous me blâmez d'être insensible, et de ne reconnaître l'affection que vous me portez. Et quelle me pensez-vous être
si, ne vous aimant point, je vis toutefois de cette sorte avec vous ? Comment voulez-vous que je vous rende plus de preuve de ma bonne volonté qu'en vous rendant
toutes les fois que vous venez vers moi tout le bon visage que je suis capable de faire, si je reçois tout ce que vous me
dites tout ainsi qu'il vous plaît, si je vous réponds avec toute la courtoisie et toute la civilité que je puis penser m'être permise et vous être agréable ? Qu'est-ce que vous désirez davantage de moi, ou que pensez-vous que je puisse de plus ? Voyez-vous que je caresse quelqu'un plus que vous ? Voyez-vous que je vous laisse pour aller entretenir quelqu'autre, ou plutôt, ne voyez-vous point qu'il n'y a personne que je ne laisse pour avoir le bien de parler à vous ? - Ah ! belle bergère, dit Paris en soupirant, j'avoue ce que vous me dites, et que vous faites plus pour moi que pour tout autre. Mais que me vaut cela, si enfin vous ne faites rien pour personne ? Si mon affection n'était point telle qu'elle η est, je veux dire, si elle n'était point extrême, je ne demanderais pas peut-être avec tant d'importunité des témoignages de votre bonne volonté. Mais de tout ce que vous me dites que vous faites pour moi, qu'est-ce que vous ne feriez pas pour le fils d'Adamas la première fois que vous le verriez, encore qu'il ne vous eût jamais témoigné aucune affection ? Toutes vos actions envers moi sont véritablement pleines de civilité et de courtoisie. Mais à cela n'y êtes-vous pas obligée envers tous ceux qui vous voient, et qui sont de ma qualité η ? Et pensez-vous que ces devoirs que vous rendez à mon nom et à ma condition puissent satisfaire pour ceux que mon extrême affection pense que vous lui devez ? Nullement, belle Diane, souvenez-vous qu'au fils d'Adamas, il faut ces courtoisies et ces civilités. Mais à l'amour de Paris,
il faut quelque correspondance de bonne volonté, si vous ne voulez que je continue à me plaindre, et de vous, comme insensible, et de moi, comme le plus malheureux qui aima jamais tant de beauté. Diane alors, après être demeurée muette quelque temps, lui répondit froidement : - Jusques ici j'ai toujours cru qu'il n'y avait rien en mes actions qui ne vous dût contenter, me semblant que je les avais disposées selon les règles que les filles doivent observer même lorsqu'elles veulent honnêtement plaire et s'obliger quelqu'un. Mais à ce que je vois, je n'y suis pas parvenue, et puisque je me suis faillie de cette sorte, pour vous montrer combien je vis franchement avec vous, je vous veux dire ouvertement ma pensée : Je vous honore, Paris, autant qu'homme du monde, et je vous aime comme si vous étiez mon frère η. Si cela ne vous contente, je ne sais que vous pouvez désirer de moi. - Belle Diane, dit Paris, il est vrai que cette déclaration m'est extrêmement agréable, et que je demeure plus que satisfait en qualité η de fils d'Adamas, mais nullement en celle de Paris, parce que mon affection vous demande quelque chose davantage : c'est-à-dire, non pas amitié η, mais Amour pour Amour. - Or en ceci, reprit incontinent la bergère, si vous n'êtes content et satisfait, prenez-vous en à vous-même qui laissez aller vos désirs plus outre que vous ne devez ; et j'aurais sujet de justement me douloir de vous, si je le voulais prendre η, de prétendre de moi plus que je ne dois ! - Il est vrai, répliqua Paris, que vous auriez le sujet
que vous dites si je recherchais de vous, belle bergère, quelque chose qui fût outre votre devoir. Mais tous mes desseins étant fondés sur l'honneur et sur la vertu, il me semble qu'avec raison vous ne pouvez vous plaindre de mes désirs. Et afin que je parle à cœur ouvert à celle à qui est ce même cœur, sachez, belle bergère, que je me suis tellement donné à vous que je ne puis avoir ni repos ni contentement, que de même η vous ne soyez mienne. Mais avec la condition que je le dois et puis désirer, qui est en vous épousant. - Vous me faites de l'honneur, répondit alors Diane froidement, d'avoir cette volonté. J'ai des parents η qui peuvent disposer de moi, c'est à eux à qui je remets semblable affaire. Et toutefois, si vous voulez savoir ce que j'en ai dans l'âme, je vous jure, Paris, que ni vous ni personne vivante ne me donne, ni donnera jamais, à ce que je crois, cette volonté ! Je vous aime bien comme mon frère η, mais non pas pour mari. Et ne trouvez cela étrange, puisque je suis toute telle envers le reste des hommes. - Ô Dieux ! dit alors Paris, est-il possible que je ne reçoive jamais un parfait contentement ? Donc vous me voulez aimer pour votre frère ? Mais vous ordonnez que le reste de ma vie, cette Amour demeure infructueuse ! - Que voulez-vous, Paris, dit-elle, que je vous dise ? Avez-vous envie que je vous trompe, ou qu'avec des discours dissimulés je vous donne des espérances qui n'auront jamais effet ? Il me semble qu'en cela je vous oblige en vous découvrant franchement ma résolution. - Ô bergère ! la désobligeante η
obligation qu'est celle-ci, dit Paris en soupirant, et que de larmes et de peines η pour m'en acquitter faudra-t-il que je paye à votre cruauté !
Ils voulaient continuer lorsque, se rencontrant à la croisée de plusieurs allées, ils en furent empêchés par le reste de la troupe qui s'en retournait à la maison. Adamas les ayant avertis qu'il était heure de dîner, et même Alexis, qui, ennuyée et des discours d'Hylas et d'être si longtemps séparée d'Astrée, allait recherchant l'occasion de se remettre près d'elle, de laquelle η Calidon l'avait séparée aussitôt qu'elle vit Diane. - Je vous supplie, lui dit-elle, belle bergère, aidez-moi à répondre aux beaux discours d'Hylas , car je vous assure que je ne sais plus m'en
défendre.
- Ma maîtresse, dit Hylas, "
quand on ne se peut
plus défendre, il se faut "
rendre afin d'éprouver autant la courtoisie "
que l'on a ressenti la force et la valeur de son ennemi !
- J'aime mieux mourir, dit Alexis en souriant, que me mettre à la merci d'un tel vainqueur.
- Et moi, répondit-il, j'aime mieux non seulement vous céder la victoire, mais me donner pour vaincu, que si, pour me trop opiniâtrer à ce combat, vous y mouriez !
- Véritablement, répliqua Alexis, vous êtes courtois. Mais voyez-vous,
Hylas, je suis si glorieuse et désire si peu de m'obliger que je ne sais si je dois recevoir
l'offre que vous me faites.
- Et pourquoi en feriez-vous difficulté ? dit
Hylas, est-ce peut-être pour la mépriser ?
- Nullement, répondit
Alexis, mais c'est que j'ai peur que
d'être victorieuse de cette façon ne soit être
" vaincue.
- Ô Dieux ! s'écria alors
Hylas, que j'ai
" toujours bien dit qu'il était dangereux η
d'aimer
" une femme Clergesse, et qui eût été nourrie parmi ces Druides des
Carnutes ! Je vous jure par la foi η
et par l'amour que je vous porte n'y avoir rien eu qui m'ait tant donné d'appréhension quand je commençai de vous aimer que cette considération que vous n'étiez pas bête. - Et quoi, interrompit
Diane, qui était bien aise de s'entremettre en leur discours
pour ôter le moyen à
Paris de continuer les siens. Et quoi, Hylas, voudriez-vous aimer une personne qui le fût η ?
- Je ne voudrais pas, dit-il, qu'elle le fût du tout, mais oui bien un peu, et pourvu qu'elle eût assez d'esprit pour croire tout ce que je lui dirais, je ne me soucierais point qu'elle pût expliquer les profondes sciences de nos savants Druides.
- Mais, reprit
Diane, si elle n'avait d'esprit η que pour vous croire, vous auriez trop
de peine au soin qu'il vous faudrait avoir de sa conduite.
- Vous vous trompez,
dit-il,
" bergère, car ce qui se
fait pour
plaisir ne donne
" jamais
peine.
- Quelques-uns le disent bien ainsi, ajouta Diane,
" mais je pense qu'ils sont menteurs,
" car je crois bien que le plaisir les empêche
" de penser à la peine ; mais qu'ils n'en aient point, c'est un
erreur η,
puisque, si l'exercice est violent, on les voit suer et haleter comme s'ils étaient Pantois ! - Voyez-vous pas, dit alors Hylas, et vous aussi Diane, vous êtes une de celles que je ne voudrais point aimer, vous avez trop d'esprit, et vous me mettez en peine de vous répondre,
et c'est ce que je ne voudrais pas ! Car au contraire, je serais au comble de mes contentements, si celle que j'aimerais admirait tout ce que je ferais
et tout ce que je dirais, car de l'admiration "
vient la bonne opinion, et de
cette bonne "
opinion l'amour que je demande.
Silvandre qui était là auprès, et qui ne cherchait que l'occasion de s'entremettre aux
discours de Diane : - L'admiration, interrompit-il, ferait le contraire effet de ce que tu désires.
- Et pourquoi cela ? dit
Hylas, puisque si elle m'admirait, elle croirait en moi toutes choses grandes et parfaites, et lorsque je lui parlerais, je lui serais un Oracle, mes prières lui seraient des lois, et mes volontés des commandements ?
- L'admiration, reprit alors
Silvandre, ferait un effet tout contraire, parce que les plus
savants disent, que l'admiration η
est la mère de la vérité, et cela "
d'autant
qu'admirant quelque chose, l'esprit de l'homme est naturellement
poussé à rechercher d'en avoir la connaissance, et cette recherche fait trouver la vérité. Et ainsi, Hylas, quand tu dis qu'elle t'admirerait, tu dis de même qu'elle essayerait de te connaître, et te connaissant, elle trouverait que si elle avait * estimé quelque chose en toi, elle s'était trompée, et alors, en te méprisant elle admirerait de t'avoir admiré !
- Et toi aussi, berger, répondit Hylas, tu es un de ces esprits que, si tu étais fille je n'aimerais jamais ! Mais quoi que tu saches dire, si suis-je encore en la même opinion : car celui qui admire, cependant qu'il est en cette admiration, n'est-il pas vrai qu'il estime infiniment ce qui la lui
donne ?
- Il est vrai, dit Silvandre, mais incontinent après il change quand il vient à la connaissance de la vérité.
- Or, reprit Hylas, cela me suffit. Car de dire qu'elle changera incontinent après, mon ami, Silvandre, lui dit-il en lui donnant d'une main sur l'épaule, qu'elle se hâte tant qu'elle pourra, je lui pardonne si elle change plutôt que moi, et si de fortune elle me devance, sois assuré que je l'aurai bientôt attrapée ! Plusieurs ouïrent cette réponse parce que Hylas parlait fort haut, et cela fut cause que chacun en rit. De sorte que ce discours les entretint jusques dans la maison où les tables se trouvant couvertes d'abondance
de vivres, chacun s'y assit comme le soir auparavant.
Durant tout le repas l'on ne parla presque que de l'humeur de Hylas, et pour lui donner sujet de parler, il y en
avait toujours quelqu'un qui soutenait son parti. Et Stelle entre les autres, qui encore qu'elle le fît en apparence pour plaire à la compagnie, toutefois aussi ce n'était pas aussi η contre son humeur, ayant toute sa vie suivi les règles de cette doctrine ; et Corilas qui en avait autrefois ressenti les effets, l'oyant de telle sorte fortifier le parti de Hylas : - Je voudrais bien, dit-il, s'adressant à Silvandre, te faire une demande si tu l'avais agréable. Et puis continua : - Dis-moi, berger, je te supplie, est-il vrai que l'amour naisse de la sympathie ?
- Tous ceux, répondit Silvandre, qui en ont parlé, disent que oui.
- Or, reprit
Corilas, je suis donc le seul qui croit le contraire ; et s'ils sont fondés sur quelque raison, je m'en remets, tant y a que j'ai
l'expérience pour moi. Car y peut-il avoir deux humeurs plus semblables que celles de Hylas et de Stelle ?
et toutefois je ne vois point qu'il y ait de l'amour entre eux. Il n'y eut celui en toute la table
qui ne se mit à rire oyant la proposition de Corilas. Et lorsque Silvandre voulait répondre, Stelle l'interrompit, en disant : - Je ne t'en dédis point, berger, ni je ne rougirai jamais d'une chose qui m'a redonné tout le repos duquel je jouis. Car si je n'eusse point changé lorsque je commençai de t'aimer, que chacun considère combien j'eusse eu peu de contentement en cette amour ! Mais de ce changement, il faut que tu en accuses la raison que
Silvandre disait tantôt, qui est que l'admiration est la mère de la vérité : car d'abord, ne te connaissant point, je t'admirai, et t'ayant reconnu, je te méprisai, de sorte qu'avec raison l'on te peut donner pour
ta devise ce mot : DE LOIN, QU'EST-CE ? DE PRÈS, "
RIEN.
- Mais, dit-elle
après en souriant, s'il est "
vrai que je sois inconstante pour t'avoir
aimé quelque temps, et ne t'aimer plus maintenant, pourquoi ne me dis-tu beaucoup plus constante, puisque, n'ayant changé qu'une fois et qu'un seul moment, maintenant je demeurerai ferme et résolue tout le reste de ma vie à ne t'aimer point.
- La demande que j'ai faite, interrompit Corilas, n'est pas si vous êtes volage ou non. Mais pourquoi, l'étant et Hylas aussi, vous ne vous entre-aimez, s'il est vrai que la sympathie soit cause de l'amour ?
- À cela, dit-elle incontinent, je te le dirai sans que tu
en mettes en peine personne, la sympathie peut "
" faire effet lorsqu'il n'y a point une plus grande
" force qui s'y oppose. Et celle qui peut être entre Hylas et moi pourrait avoir la force de faire naître cette Amour, si ce n'était que, t'ayant connu si peu digne d'être aimé, tu m'as fait concevoir une si mauvaise opinion de tous les autres bergers, que je ne sais quand je la perdrai jamais.
- Je pense, dit Corilas froidement, que vous avez raison, bergère, car, depuis que je vous éprouvai telle que vous savez, je n'ai pu me figurer que celles qui étaient vêtues comme vous ne cachassent sous les mêmes habits les mêmes imperfections.
- Ah ! s'écrièrent tous les bergers, Corilas, c'est trop de blâmer toutes les autres.
- Non, dit Corilas, ce n'est pas mon intention de les blâmer, je ne dis pas qu'elles aient ces imperfections, mais seulement je dis que je ne me suis pu figurer qu'elles ne les eussent ; et en cela je ne fais tort qu'à moi-même, qui n'ai le jugement de savoir reconnaître la vérité. Mais de tout ce mal j'accuse cette trompeuse, laquelle
toutefois ne se peut guère glorifier de cette victoire, puisqu'elle lui a coûté si cher qu'elle avoue elle-même.
Daphnide et Alcidon écoutaient avec beaucoup de plaisir les petites disputes de ces gentils bergers et belles bergères, et admiraient que ces esprits nourris et élevés parmi les bois et les lieux champêtres fussent si polis η et si civilisés. Mais parce que Daphnide avait un esprit curieux, et qui désirait toujours d'apprendre quelque chose, s'adressant
au sage Adamas : - Il me semble, mon père, lui dit-elle, que pour séparer ces deux amis ennemis (elle avait su qu'on leur donnait ce nom)
et pour m'ôter d'une ignorance et satisfaire à une curiosité où j'ai vécu il y a longtemps, vous pourriez bien nous dire que c'est que cette sympathie de laquelle ils ont parlé, et si véritablement il y en a une qui fasse aimer, et par ainsi vous nous donneriez tout à coup
deux sortes de viandes : L'une pour le corps, l'autre pour l'esprit.
- Madame, répondit Adamas, votre curiosité est louable, et si je n'y satisfaisais je serais à blâmer, tant pour n'obéir à ce qu'il vous plaît de me commander, que pour ne vouloir instruire ceux qui le désirent ainsi que ma charge m'y oblige. Et cela d'autant plus que je le puis faire aisément et en peu de paroles : Sachez donc, Madame, que Tautatès, le suprême créateur de toutes choses, a établi là-haut où est sa principale demeure, le lieu où il crée toutes les âmes. Et parce qu'il n'y a pas apparence que rien parte de la main d'un si bon ouvrier qui ne soit en sa perfection, et celle de l'âme étant l'entendement, il la rend outre que par sa forme elle est raisonnable, par participation intellectuelle. Or cette participation, elle la prend de cette pure intelligence de la Planète η
qui domine alors qu'elle est créée. Et cette perfection qu'elle reçoit lui est tellement agréable qu'elle brûle toute d'Amour, de l'intelligence qui la lui participe η. "
Et tout ainsi que l'Amant se forme une "
Idée en sa fantaisie de la chose aimée le plus "
" parfaitement qu'il lui est possible, afin d'y replier
" les yeux de son âme et se plaire en cette
" contemplation lorsqu'il est privé de la vue du
" visage bien aimé. De même, cette âme amoureuse de la suprême beauté de cette intelligence et de cette Planète η, lorsqu'elle entre dans ce corps à qui elle donne la forme η, elle imprime non seulement ses sens et le corps Éthéré dans lequel les plus savants disent qu'elle est enveloppée pour après se joindre comme par un milieu
à celui que nous voyons, mais aussi sa fantaisie de ce caractère, de la beauté de laquelle elle a été ardemment éprise dans le Ciel. Et d'autant plus qu'elle en peut rendre la figure et la ressemblance parfaite, d'autant plus aussi se plaît-elle à la considérer et à la revoir ; et se plaisant en cette contemplation, elle se forme une certaine naturelle disposition d'estimer bon et beau tout ce qui lui ressemble, et à réprouver généralement tout ce qui lui est dissemblable, accoutumant de telle sorte son jugement à y porter la volonté, qu'enfin ce décret se donne non point par discours de raison η,
mais tout ainsi que toutes les autres choses qui se font en nous naturellement, voire même cette coutume se rend enfin une habitude, à laquelle nous ne pouvons contrevenir sans nous faire un très grand effort. De là il advient qu'aussitôt que nous jetons les yeux sur quelqu'un, s'ils rapportent à notre âme, comme de fidèles miroirs η, qu'il y ait en cette personne quelque chose qui ressemble à cette image que nous nous sommes faites de la Planète η et η de l'intelligence
tant aimée, nous l'aimons tout incontinent, sans faire en nous-mêmes autre discours, ni autre recherche de l'occasion de cette bonne volonté, y étant portés par un instinct qui se peut η dire aveugle. Et au contraire nous le haïssons si nous trouvons qu'il en soit différent, et c'est ce que l'on nomme sympathie, qui est cette conformité que nous rencontrons d'avoir
les uns avec les autres, et laquelle est la véritable source de l'Amour, et non pas comme plusieurs ont
cru que ce fût toute beauté η. Car si la "
beauté était la source de
l'Amour, il s'ensuivrait "
que toutes les belles personnes seraient "
aimées
de tous. Et au contraire nous voyons "
que non point les plus beaux et les plus dignes, "
mais ceux-là seulement qui reviennent le plus "
à notre humeur, et avec lesquels nous avons le "
plus de conformité, sont ceux
que nous aimons le plus. "
À ce mot, le Druide s'étant tu, Daphnide reprit ainsi : - J'avoue, mon père, que tout à un coup vous m'avez éclairci plusieurs doutes ! Mais si en ai-je encore un sur ce que vous venez de dire, qui n'est pas petit, et duquel je voudrais bien avoir la résolution. S'il est vrai que l'Amour vienne de cette ressemblance que je rencontre en celui que j'aime, d'où vient que de même, par cette même ressemblance, il ne m'aime pas ? Car si je l'aime pour cette sympathie, et si cette sympathie vient comme vous dites, il est impossible que j'en aie pour lui qu'il n'en ait pour moi. Je veux dire que si je suis née sous sa Planète η qu'il ne soit né aussi sous la
mienne. Et toutefois nous en voyons tant qui n'aiment point ceux qui meurent d'Amour pour elles. - Votre doute, répondit Adamas, mérite d'être éclaircie, et montre bien qu'* elle
part d'un esprit tel que celui de Daphnide.
Sachez donc, Madame, que, comme je vous ai dit, l'âme se fait une image la plus parfaite qu'elle peut de cette Planète η et de cette intelligence qu'elle aime. Mais d'autant que pour représenter un visage si beau et si parfait, la matière est de telle sorte inférieure qu'elle ne le peut faire que fort imparfaitement, il s'ensuit que cette représentation n'est pas également parfaite en chacun, parce que la matière du corps est quelquefois mieux disposée aux
uns qu'aux autres, et selon que l'âme la rencontre, elle y travaille plus ou
moins parfaitement. Et
" il advient de là que tout ainsi que les couleurs, le
" pinceau et la toile étant mal propres, le Peintre
" n'en peut faire quelquefois que des portraits
" aussi fort grossiers et fort peu ressemblants à ce qu'il veut représenter. De même, l'âme rencontrant le corps mal disposé à recevoir la figure et les linéaments qu'elle lui veut donner de cette beauté qu'elle aime, la ressemblance demeure si imparfaite qu'à peine y en a-t-il quelques traits grossiers et si mal faits
qu'ils ne sont pas presque reconnaissables en chose quelconque. Et quand cela se η rencontre ainsi, sans doute celui qui a la représentation plus parfaite de l'intelligence et de la Planète η sera aimé par sympathie de celui qui l'a aussi, encore que plus mal faite. Car l'âme de celui-ci, quoiqu'elle
n'ait pu représenter en son corps bien au naturel ce visage qu'elle aime, ne laisse d'en aimer le portrait qu'elle en voit bien fait en quelque lieu qu'il soit, comme l'Amant celui qu'un étranger aura de sa maîtresse, encore que le sien propre ne soit pas bien bon. Mais au contraire l'âme qui aura rencontré une matière bien disposée, et qui par conséquent aura l'Idée et le patron η bien représenté, ne daignera pas seulement tourner les yeux sur l'autre, soit qu'elle le méprise pour le voir si mal fait, ou soit qu'elle le méconnaisse pour en avoir si peu de ressemblance, et de là procède cette Amour par sympathie qui n'est pas mutuelle.
- Mais, interrompit
Hylas, me permettez-vous, mon père, de vous faire une demande ?
- Vous le pouvez, répondit
Adamas η. Si ces
amours viennent par sympathie, d'où vient, dit
Hylas, qu'après avoir aimé quelque chose, l'on cesse quelquefois de l'aimer, et que même on la méprise, et que bien souvent on la hait ?
- Cette demande, répondit le Druide en souriant, est propre à
Hylas. Et vous voyez qu'il est vrai que cette sympathie est un instinct aveugle, puisqu'Hylas, aimant et cessant d'aimer un même sujet, toutefois il ne sait pourquoi il le fait ainsi. Or je le vous
dirai, Hylas, afin qu'à l'avenir vous sachiez la raison des choses que vous pratiquez si bien.
Figurez-vous,
Hylas que les impressions que l'âme fait en son corps, par lesquelles elle se représente cette beauté supérieure de son intelligence et de sa Planète η, sont véritablement corporelles.
Car en la fantaisie elle met les linéaments, comme un Amant en son imagination ceux de la chose bien-aimée, et les représente de telle sorte en ses sens et en sa complexion qu'elle rendra son humeur ou mélancolique, si elle tient η de Saturne, ou joyeuse, si c'est de Jupiter, et ainsi des autres. Et après, comme nous avons déjà dit, elle prend une si grande coutume de contempler et d'approuver ces choses qu'elle en fait une habitude, laquelle, encore qu'il soit difficile de changer ou de perdre, toutefois ainsi que toutes les autres peut être et changée et perdue. Ce que l'on voit ordinairement advenir en la cire par la force du cachet. Car encore qu'on y ait imprimé une figure, toutefois si l'on veut, en y mettant un autre cachet, elle perd la marque du premier, tant parce que l'âme n'ayant imprimé ce caractère en ses sens et en son corps que parce que cette beauté céleste lui plaisait. Il est certain que si, par nonchalance, elle vient à ne s'y plaire plus, ou bien que quelque nouvel objet, auquel sa volonté se laisse aller, marque sa fantaisie d'une autre figure, elle perd la première ressemblance et n'en retient rien du tout. Et alors celui qui aura été aimé de lui, ou qui l'aura aimé par sympathie, perdant cette ressemblance qu'il avait, perd η aussi l'amour qui en était causée, car tout ainsi que les habitudes, la sympathie aussi se peut perdre et acquérir. Mais, Hylas, si, toutes les fois que vous avez changé, vous avez imprimé en vous une nouvelle idée de quelque autre chose, il n'y en doit guère plus avoir en tout le monde,
qui n'ait été quelquefois imprimée en vous, de sorte que ma fille peut espérer que vous serez plus constant pour elle que pour les autres, non pas pour mériter plus que celles qui l'ont devancée, mais pour avoir été la dernière. Chacun se mit a rire oyant cette conclusion, et peut-être Hylas eût répondu quelque chose, n'eût été qu'Astrée prit la parole :
- Mais, dit-elle, mon père, s'il est vrai que l'Amour vienne de cette sympathie, que veut dire que l'on aura vu fort longtemps une personne sans l'aimer, et qu'après l'on l'aime ?
- La réponse, dit Adamas, que j'ai faite à
Hylas, peut servir à cette demande : au commencement, cette personne n'avait pas encore le caractère de la beauté de cette intelligence, et depuis, par une nouvelle marque, comme d'un cachet nouveau il le peut avoir imprimé. Mais en voici encore une raison assez claire :
Depuis que l'âme est enveloppée de ce corps η que nous avons, tant qu'elle y est enfermée comme dans une prison,
elle n'entend ni ne comprend chose quelconque que par les sens, par lesquels, comme par des portes, lui vient la connaissance de tout ce qui est en l'Univers. Et non seulement elle n'entend ni ne comprend que par eux, mais encore ne peut ni entendre ni comprendre que par des représentations corporelles
quoiqu'elle contemple les substances incorporelles. Il advient "
de là qu'elle ne
peut avoir sa connaissance qu'autant "
parfaite que ses sens la lui peuvent
représenter, et que, "
s'ils sont faux et trompeurs, ils la déçoivent et lui
font faire un jugement "
faux, comme nous voyons en ceux qui sont malades, qui trouvent les viandes, pour bonnes qu'elles soient, de très mauvais goût parce que le leur est dépravé. De même, ceux qui ont mal aux yeux η verront quelquefois les choses doubles, ou une couleur pour autre, ou bien, encore que l'œil ne soit pas mal disposé, les milieux par lesquels la vision se fait quelquefois ne laissent de les tromper, comme à travers un verre bleu tout ce qu'il verra lui semblera de même couleur, dedans l'eau un bâton bien droit lui semblera tortu, et toutes choses plus grandes ou plus petites, selon la qualité des lunettes par lesquelles il regarde. Or ces faussetés étant représentées par les sens pour vraies, l'âme, qui leur ajoute toute créance, en fait incontinent le jugement, qui ne peut-être que faux, parce que les choses présupposées η et desquelles elle tire ses conséquences sont telles. Le
" jugement étant fait, la volonté incontinent s'y
" porte et y consent, la volonté, dis-je, qui a pour
" son * sujet le bon, et ce qui est jugé tel, ou qui
" au contraire fuit de ce qu'elle pense être mauvais.
Et par là vous pouvez entendre, belle bergère, que la raison qui est cause que nous voyons quelque temps sans aimer une personne qu'après nous aimons, c'est ou que nos yeux et nos sens, qui doivent représenter ces choses à l'âme, ne font pas soigneusement leur office, ou les milieux par lesquels ils agissent ont quelque imperfection qui les empêche de les pouvoir fidèlement représenter, lesquelles étant ôtées, ils viennent à découvrir la vérité et à la redire
à notre âme, qui alors reconnaissant cette ressemblance se met à aimer ardemment ce qu'auparavant elle avait vu sans aimer et sans s'en soucier.
Diane qui écoutait fort attentivement Adamas : - Mon père, lui dit-elle, et moi aussi, si ce ne vous était importunité, je voudrais bien vous faire une demande.
- Jamais, répondit Adamas, ce qui procède d'une si gracieuse bergère ne peut avoir ce nom. Mais je crains que je ne pourrais peut-être vous répondre assez bien.
- Je ne suis, répliqua-telle en souriant, plus difficile que ma compagne, et puis la profonde connaissance que le sage Adamas a de toutes choses n'a garde de manquer η au doute d'une ignorante bergère comme je suis. Dites-moi donc je vous supplie, mon père, puisque l'Amour procède de cette sympathie, qui est une image représentée en nous de l'intelligence et de la planète η sous laquelle nous naissons, que veut dire que les personnes belles sont aimées presque ordinairement de chacun ? Car il faudrait donc que tous ceux qui les aiment fussent nés sous même planète η, ce que l'on voit bien n'être pas par le temps de leur naissance.
- Je me suis bien douté, répondit Adamas, que cette subtile bergère me ferait une demande qui ne serait pas commune ! Mais il faut essayer de lui répondre. Toutes les choses qui sont belles, encore qu'elles soient diverses, ne laissent pas d'avoir entre elles quelque conformité, comme aussi toutes les bonnes. Et c'est pourquoi quelques-uns ont dit qu'il n'y avait qu'un bon
et un beau, à la similitude duquel toutes les choses bonnes et belles sont jugées être telles. Or ces planètes η et ces intelligences qui leur président ne sont bonnes ni belles, sinon qu'en tant qu'elles ressemblent le plus à ce
suprême Bon et Beau. Et quoiqu'elles soient entre elles séparées et diverses, si est-ce que, comme que ce soit, elles ne sont aimables ni estimables qu'en tant qu'elles sont bonnes et belles. Et cette bonté et beauté ayant toujours de la conformité, encore qu'elles soient en divers sujets, il ne faut trouver étrange si plusieurs aiment les personnes qui sont belles, encore qu'elles ne soient pas nées sous même Planète η, puisque chacun remarque en leur beauté quelque chose qui est conforme à celle de la sienne propre.
- Me voilà, interrompit
Hylas, le plus content homme du monde, car je viens d'apprendre une chose qui m'est grandement avantageuse ! Et toi, Silvandre, dit-il se tournant vers le berger, tu as raison de demeurer muet, car ce discours ne fait rien pour toi.
- Je ne sais, répondit froidement
Silvandre, en quoi il t'avantage si fort. - Ignorant berger, reprit Hylas, n'as-tu pas oui que le sage
Adamas
a dit que l'occasion pour laquelle les belles personnes étaient aimées de tant de gens était parce que leur beauté participait avec quelque conformité à celle de toutes les autres planètes η et intelligences ?
- Je l'ai fort bien ouï, répondit
Silvandre, mais en quoi est-ce que cela t'est avantageux ?
- En ce que, répliqua
Hylas, si j'aime tant de diverses beautés, il faut que j'aie de la conformité avec
toutes ; et ainsi je me puis dire plus beau que toi qui n'en regardes qu'une seule.
- Je pense, reprit Silvandre en souriant, que si ta raison est bonne, tu n'es pas seulement plus beau que moi mais plus que tous ceux de cette contrée, quand ils seraient joints tous ensemble ! Mais il ne faut pas entendre le discours du sage Adamas de cette sorte. Au contraire, si tu te souviens η
de ce qu'il a répondu à
Daphnide, tu connaîtras que c'est signe d'un grand défaut en toi, qui as ce portrait de ton intelligence et de ta Planète η si mal fait qu'il n'y a pas une de ces belles qui ne dédaigne de voir en toi une si grande imperfection d'une chose si parfaite.
Chacun se mit fort à rire, et Hylas eût bien répliqué quelque chose pour sa défense, n'eût été qu'on se leva de table étant déjà assez tard. Et parce qu'Astrée avait fort bonne mémoire du conseil η
que Léonide lui avait donné
de prier Adamas de vouloir venir en leur hameau faire le sacrifice qu'il avait promis pour l'action de grâce du Gui salutaire, elle tira à part
Diane,
Phillis,
Célidée,
Stelle et les autres bergères, et leur proposa qu'il lui semblait qu'ayant eu cette grâce de
Tautatès d'avoir en leur hameau le Gui sacré, il ne fallait pas être paresseuses de l'en remercier, parce que cela les rendrait indignes de la continuation de ses grâces. Et puisque leurs bergers en étaient déjà venus prier le Druide, elles se montreraient trop nonchalantes si, avant que de partir pour s'en retourner, elles ne joignaient leurs supplications aux prières qu'ils avaient faites, et que même,
afin de ne point différer davantage une si bonne œuvre, il fallait essayer de l'emmener avec elles en s'en retournant. Il n'y en eut une seule qui n'approuvât ce qu'Astrée avait dit. Et après avoir considéré qui d'entre elles serait bonne à faire la prière pour toutes, elles furent d'avis que Diane, accompagnée de toutes, lui en porterait la parole, ce qu'elle accepta, encore qu'elle en fît au commencement quelque difficulté. Et sans dilayer davantage, s'approchant d'Alexis, elles lui firent entendre qu'elles désiraient de parler au sage Adamas, et qu'elles la suppliaient que ce fût par son moyen. Alexis qui ne savait ce que c'était, s'approchant d'Adamas, lui fit savoir le désir de ces discrètes bergères, et en même temps Diane lui fit la supplication de laquelle ses compagnes l'avaient chargée. Et y ajouta qu'elles s'estimeraient grandement favorisées de lui si sans plus dilayer elles pouvaient l'emmener à leur retour pour cet effet. Et ensemble le suppliaient d'ordonner à la belle Druide, sa fille, et à la Nymphe Léonide de vouloir honorer ce sacrifice de leur présence. Le Druide lui répondit : - Belles et discrètes bergères, votre requête est si juste, et moi tellement obligé de procurer que le grand Tautatès soit honoré et servi en cette contrée, que, pourvu que vous m'accordiez une chose que je vous demanderai, je suis tout prêt de faire tout ce que vous voulez de moi. - Je ne crois pas, répondit Diane, qu'il y ait entre nous bergère qui ait la hardiesse ni la volonté de refuser ce qu'il vous plaira de nous
ordonner.
- Je vous demande donc, reprit
Adamas, que vous demeuriez encore aujourd'hui en cette maison, tant afin que j'aie plus longuement le contentement de vous y voir que pour avoir le loisir de donner ordre à
toutes les choses nécessaires au sacrifice. Et je vous promets que demain η je vous reconduirai en votre hameau, et qu'encore je supplierai cette belle Dame, dit-il, se tournant vers
Daphnide, de vouloir prendre la peine d'assister à cette action de grâce, tant pour rendre cet honneur à notre grand
Tautatès
que pour vous obliger toutes, et ne point rompre si tôt cette bonne compagnie.
- Nous n'avons garde, dit Diane, de contrevenir à ce que vous voulez de nous, étant de toute sorte si fort à notre avantage.
Ainsi fut résolu le voyage d'Adamas,
qui en même temps, pour s'acquitter de sa promesse, supplia Daphnide
d'y vouloir assister, laquelle s'y accorda librement, tant pour lui complaire que pour être bien aise de voir un peu la façon de vivre de ces bergers et bergères de Forez, desquelles elle avait tant ouï parler.
Alexis
fut un peu étonnée de voir qu'il fallait retourner en son hameau, craignant toujours infiniment d'être reconnue. Toutefois, voyant que la chose était résolue, elle dissimula le mieux qu'elle put cette crainte. Et parce qu'Astrée, après qu'elles eurent remercié le Druide de cette grande faveur, s'en vint réjouir avec elle de ce qu'elles posséderaient plus longtemps le bonheur de sa présence, - C'est moi, dit Alexis, belle bergère, qui dois
faire cette réjouissance, et qui puis dire avec vérité n'avoir jamais eu rien qui m'ait plu, depuis que je suis partie du lieu où j'ai été élevée, que le contentement de vous voir. - Madame, dit Astrée, Dieu me garde de douter jamais de chose que vous me disiez ! Mais j'avoue bien que s'il y en avait quelqu'une qui me pût mettre en doute, ce serait celle-ci, parce que malaisément me puis-je persuader qu'une personne qui vaut si peu, et qui est si malheureuse, ait quelque chose qui mérite, ou qui soit capable de recevoir, une si grande faveur. - Belle bergère, répondit Alexis, outre que je ne mens jamais η, croyez que j'élirais plutôt la mort que d'être menteuse à vous que j'aime si fort, et qu'avant que je vous éloigne, vous connaîtrez la vérité de mes paroles ! - Vous plaît-il, Madame, que je le croie de cette sorte ? - Non seulement, dit Alexis, il me plaît, mais je vous en supplie de tout mon cœur. - Promettez-moi donc, dit Astrée, que vous aurez agréable que je demeure le reste de ma vie auprès de vous. Et si vous le faites, vous me rendrez la plus heureuse et contente fille de l'Univers ! - Astrée, dit Alexis en lui mettant une main sur la sienne, j'ai peur que vous ne vous repentiez bientôt de cette résolution. - Si vous connaissiez η, dit la bergère, l'humeur d'Astrée, vous ne croiriez pas, Madame, que cela pût arriver, car j'ai ce naturel η de jamais ne changer une résolution quand je l'ai prise. Alexis alors demeura sans parler, et se retirant d'un pas la η regardait avec le même œil qu'elle avait lorsqu'elle lui commanda η
de ne se faire jamais voir à elle. Et cette pensée lui remit si vivement devant les yeux tout ce qui s'y était passé, qu'il lui fut impossible de n'en donner quelque connaissance par les larmes qui lui vinrent aux yeux, et que, toutefois, elle eut encore assez de force pour retenir. Astrée, qui remarqua en elle un si grand changement, demeura de son côté fort étonnée ne s'en pouvant imaginer le sujet, et ne lui semblant pas que ce qu'elle lui avait dit lui pût déplaire. Et en cette peine ayant demeuré toutes deux quelque temps sans parler, enfin la bergère fut la première à reprendre ainsi la parole : - Je vous vois, Madame, tout à coup si fort changée qu'il m'est impossible de n'en être en peine, car si j'en étais la cause, ou par mes discours ou autrement, je vous jure la foi que je vous dois, comme à la chose du monde que j'aime et que j'honore le plus, que je vous en vengerais η bientôt. Que si aussi je ne la suis η pas, dites-moi je vous supplie si ma vie y peut remédier, et vous verrez que je n'ai rien de si cher que votre service. Alexis, qui reconnut la faute qu'elle avait faite, se reprenant, essaya de la cacher au mieux qu'il lui fut possible, et pource elle lui dit en soupirant : - Il est vrai, belle bergère, que le changement que vous avez remarqué en mon visage est procédé de vous, et toutefois vous n'en avez point de coulpe ; mais seulement mon âme trop sensible au souvenir que vous lui avez donné par vos paroles. Et afin que vous sortiez de peine, il faut que vous sachiez qu'étant nourrie parmi les vierges
Druides des Carnutes, dans tout le grand nombre qu'il y en a, je fis élection d'une qui entre toutes me sembla la plus aimable. Et je suis bien assurée que je ne me trompais point en mon choix, étant estimée telle de toutes nos compagnes, et ayant toutes les conditions qui se peuvent désirer pour se faire aimer. Elle était belle, et née de l'une des principales maisons de la contrée, elle avait l'esprit semblable à la perfection du corps, accomplie en toutes ses actions de toute sorte de courtoisie et de civilité. Mais il faut que j'avoue qu'après avoir commencé d'aimer cette fille, ce qui me lia par après si étroitement avec elle fut l'opinion que j'eus qu'elle m'aimait. Et il est vrai que cette connaissance vraie ou fausse redoubla de telle façon l'* amitié η que je lui portais que je me donnais entièrement à elle. Je dis de telle sorte que je ne pouvais vivre sans elle, ni elle, à ce qu'elle me disait, sans moi. Nous vécûmes ainsi plusieurs années avec tant de contentements et tant de satisfactions l'une de l'autre que jamais l'on ne put remarquer dans l'enfance où nous étions que la plus parfaite amitié de l'âge le plus parfait. Mais cependant que, plus satisfaite de cette fortune que les plus grands Monarques ne sont de posséder toute la terre, j'allais jouissant de mon bonheur, ne voilà pas que cette belle et tant aimable fille me quitte, et se sépare de telle sorte d'amitié d'avec moi qu'elle ne me veut plus voir ; et sans m'en dire le sujet me hait et me chasse d'auprès d'elle ! Le sursaut que je reçus de ce changement
fut si grand, et le coup si sensible, que me donnant du tout à la douleur, je tombai en la maladie que vous avez sue, et de laquelle je ne suis pas encore ni n'espère jamais être bien guérie. Et lorsque vous m'avez tenu ce langage de votre humeur ferme et arrêtée, je me suis ressouvenue η
de semblables discours que si souvent cette belle et sage fille m'a tenus, et depuis si mal observés, et cette pensée a été cause du changement que vous avez reconnu en mon visage. - Madame, dit Astrée, je suis marrie d'avoir été cause de votre ennui ! Je m'assure que vous m'en jugerez bien innocente, et que si j'en eusse su quelque chose, je n'eusse pas commis cette faute.
Mais qui eût jamais pensé, vous voyant si belle et si "
remplie
de ces
perfections qui peuvent convier et retenir "
la bienveillance de tout le
monde, que vous eussiez "
rencontré une fille de l'humeur dont vous la dépeignez, et si peu avisée que de laisser volontairement échapper de ses mains un bonheur que chacun doit désirer et rechercher si soigneusement ! Mon Dieu ! Madame, combien me semble-t-il que j'eusse été plus curieuse de la conservation d'un si grand bien, si le Ciel outre mon mérite m'eût élevée à une si grande fortune ! Et avec combien de soin la rechercherais-je, si je pensais qu'avec peine et travail je la pusse quelquefois obtenir ! Mais le Ciel qui m'a regardée d'un mauvais œil à ma naissance ne me veut pas être si favorable au cours de ma vie.
- Belle bergère, dit alors Alexis, je vous supplie, si vous ne voulez me désobliger
grandement, n'accusez jamais de défaut cette belle et très sage fille pour m'avoir traitée de cette sorte. Car je ne puis souffrir sans un extrême déplaisir qu'elle reçoive du blâme η de ce qu'il faut seulement accuser mon défaut, et le mauvais astre η sous lequel je suis née. Et quant au désir qu'il semble que vous ayez d'entrer en sa place, c'est moi, belle Astrée, qui le devrais souhaiter et rechercher avec toute sorte d'artifice, mais une seule chose m'en empêche. Et croyez-moi, que si ce n'était cette considération, mes désirs surpasseraient les vôtres. Mais, belle bergère, je crains qu'encore que d'abord vous me fassiez le bien de me juger digne de votre amitié, lorsque vous m'aurez plus particulièrement reconnue vous n'en fassiez un jugement tout contraire, et qu'il ne vous convie à me traiter de la même sorte que cette belle et sage fille de qui je regrette la perte avec tant de déplaisir ! Et si cela m'arrivait, je ne sais ce que je deviendrais, pouvant dire avec vérité que je suis si faible à semblables coups que je ne sais comme la vie m'est demeurée après les avoir reçus. Et puisqu'il a plu au grand Tautatès que je les aie supportés, j'avoue que la crainte de retomber en un semblable inconvénient me fait toute frémir et me glace le cœur. - Il ne vous plaît pas, Madame, reprit Astrée, que je dise que cette belle fille a eu tort de vous traiter ainsi, et moi qui ne veux vous déplaire pour quelque considération que ce soit, je ne veux pas le dire. Mais si ferai bien, avec votre permission, que jamais elle n'acquerra chose de si grande valeur
que celle qu'elle a perdue ; et que, si Bélénus
par une particulière faveur me mettait en sa place, tout le reste du monde ne me serait rien au prix de cette faveur, laquelle j'essayerais de conserver, non seulement avec le soin et la peine, mais avec le sang et la vie.
- Ah ! belle bergère, dit Alexis en soupirant, ce serait à moi, quand ce bonheur m'arriverait à qui ce soin devrait être réservé ! Mais croyez η, ma belle fille, que vous ne savez ce que vous demandez quand vous désirez mon amitié.
- J'avoue, Madame, ce que vous dites, répondit
Astrée, mais cela d'autant que le bien que je recherche est si grand qu'il ne peut être compris de la faiblesse de mon entendement ! Mais si ce n'est mon peu de mérite, qu'est-ce qui vous peut empêcher de me faire cette grâce, puisque j'appelle Bélénus pour témoin que si je l'obtiens de vous, je la conserverai plus chèrement que ma vie ? Je dis cette vie qui ne me peut-être que très désagréable si je suis refusée, et que très heureuse si vous m'en jugez digne. Alexis
alors toute pleine de contentement, lui prenant la main et la lui serrant un peu : - Belle bergère, lui dit-elle, souvenez-vous où nous laissons ce discours, nous le finirons demain en nous en allant en votre hameau, et cependant soyez assurée que j'ai plus de volonté de vous aimer et servir que vous ne le sauriez désirer.
Ce qui fut cause qu'Alexis
remit ce discours à une autre fois, ce fut pour ne le pouvoir continuer plus longtemps sans donner quelque soupçon à ceux qui les regardaient, et qui voyant
les changements de son visage eussent pu s'en étonner, et lesquels elle espérait pouvoir mieux couvrir par les chemins, où la plupart, attentifs à marcher, n'attendent qu'à choisir les plus commodes passages. Mais outre cela, elle faisait dessein de se conseiller avec Adamas et avec Léonide de ce qu'elle avait à faire en cette occasion. Et de fortune, Hylas, qui ne pouvait supporter de si longs entretiens sans qu'il en eût sa part, comme s'il y eût été envoyé exprès, vint interrompre leur propos. - Ma maîtresse, lui dit-il, vous entretenez si longuement et si soigneusement cette bergère que, si vous continuez, vous me ferez croire que vous trouvez les bergères de cette contrée plus aimables que les
" bergers.
- De cela, dit Alexis, n'en soyez point en
" doute et n'en accusez que la nature η
qui veut que chacun aime son semblable. Mais, mon serviteur, ne vous en fâchez point, car il me restera encore assez d'amour pour vous.
- Je croyais, reprit froidement Hylas, que pour avoir été nourrie parmi les savantes filles Druides, vous sussiez mieux les ordonnances de la nature que vous ne faites. Mais puisque vous en êtes sortie si ignorante, il faut, ma maîtresse, que je vous instruise mieux qu'elles n'ont pas fait.
- Peut-être, mon serviteur, répondit-elle en souriant, y perdriez-vous et le temps et la peine aussi bien qu'elles ! C'est pourquoi je ne vous conseille pas de l'entreprendre.
- Toutefois, répliqua Hylas, je ne puis supporter l'outrage que vous me faites sans m'en plaindre, puis même que vous ne voulez pas être instruite de vos erreurs.
- Je serais bien marrie, dit Alexis, si Hylas se plaignait de moi à bon escient, mais je crois qu'il se joue.
- Et comment ? reprit Hylas, penseriez-vous que je ne fusse en colère quand je vous ois dire que vous aurez encore de l'amour de reste pour moi, après que vous aurez aimé ces bergères, puisqu'il semble que vous me vouliez donner ce de quoi elles n'auront pas affaire, et seulement le reste des autres ! J'entends, ma maîtresse, que ce seront elles qui auront ce reste après moi, puisque toutes les raisons le veulent ainsi.
- S'il n'y a que cela qui vous fâche, mon serviteur, répondit Alexis en souriant, nous y mettrons ordre : nous séparerons mon amitié η
en deux, une des parties
sera pour aimer ces bergères, et l'autre les bergers, et parmi les bergers vous serez le premier que j'aimerai.
- Mais de ces deux parties, ajouta Hylas, laquelle sera la première et la plus grande ?
- Il ne faut point douter, répondit Alexis, que ce ne soit celle qui doit être employée pour les bergères, et avec raison, parce que des bergers vous êtes le seul que vous voulez que j'aime, et des bergères, il n'y en a point que je ne veuille aimer et servir.
- Vraiment, dit alors Hylas, j'avoue que vous avez raison, et que j'ai eu tort de vous accuser d'ignorance puisque vous en savez même plus que Silvandre.
Cependant qu'ils parlaient ainsi, le reste de la compagnie s'entretenait diversement dans la salle, et Phillis,
qui avait continuellement l'œil sur
Astrée, voyant que
Calidon
s'approchait d'elle, et sachant assez combien ce lui
était une pesante charge que
celle de parler à lui en particulier, elle s'avança pour les interrompre, et laissa Silvandre seul auprès de Diane. Car de fortune, Paris, désirant de se conseiller avec Léonide, s'était retiré avec elle dans une chambre, de sorte que Silvandre avait eu le loisir de s'approcher de cette bergère auprès de laquelle Phillis avait aussi toujours demeuré, jusques à ce que Calidon l'en fît partir. Et parce qu'ils se faisaient continuellement la guerre : - Je ne veux pas, ma Maîtresse, dit-elle en s'en allant, que vous me jugiez si jalouse que je ne veuille laisser quelquefois ce berger seul auprès de vous. Je suis si assurée de ma bonne fortune et de son peu de mérite que je ne le craindrai jamais. Et pour vous montrer que je dis vrai, je vous laisse tous deux pour assister Astrée en ce grand combat que je vois lui être préparé par cet ennemi qui l'approche. Et sans attendre leur réponse, s'alla joindre aux côtés d'Astrée, qui, jugeant bien à quelle occasion elle y venait, la prit par une main, et passant l'autre bras sur le sien la tenait la plus près d'elle qu'elle pouvait pour donner sujet à Calidon de ne la point accoster. Mais ce jeune berger, qui était véritablement touché de la beauté d'Astrée, ne se put empêcher de s'y en venir. Et parce que la recherche qu'il lui faisait était au su de Phocion qui l'avait pour très agréable, et par l'avis de Thamire qui la lui avait conseillée, il lui sembla qu'il n'importait point de parler à la bergère en la présence de quelqu'autre, qu'au contraire, peut-être Phillis lui aiderait à lui déclarer son affection, puisqu'elle devait
croire que c'était l'avantage de sa compagne, Phocion en ayant déjà fait le même jugement, lui qui était tenu pour le plus sage Pasteur de son temps, et Oncle de la bergère, et qui, depuis la mort de ses père et mère, en avait toujours eu le même soin que si elle eût été sa fille.
S'approchant donc avec cette assurance de cette belle bergère : - Ne serai-je point importun, lui dit-il après l'avoir saluée, si sans être appelé, je viens être le troisième en votre conseil ?
- Jamais Calidon, répondit Astrée, ne saurait avoir ce nom η,
en quelque lieu qu'il aille, et même venant vers des personnes qui l'estiment tant que nous faisons.
- Je voudrais, répondit le berger, que cette estime fût changée en amour.
- Quelquefois, ajouta la bergère, nous désirons "
des choses
au dommage d'autrui, et qui ne nous "
sont point avantageuses.
- Je crois,
ajouta Calidon, "
ce que vous dites pouvoir advenir en toute "
autre occasion qu'en celle qui se présente ; car, que mon désir soit à votre désavantage, permettez-moi de dire, belle bergère, que vous ne le devez point penser puisque le sage Phocion
le juge d'autre sorte.
Phocion,
qui en prudence et en sagesse, est tenu pour l'Oracle de tous les plus sages bergers de cette contrée, et qui m'a fait l'honneur de m'accorder la requête que je lui en ai fait faire par Thamire. De dire aussi que ce que je souhaite soit à mon dommage, tant s'en faut qu'il puisse être ainsi, qu'au contraire, je n'aurai jamais bien ni contentement que ce bonheur ne m'arrive.
- Je ne sais, répliqua Astrée avec un visage un peu plus rude,
quelle peut-être la requête dont vous parlez ; mais si fais bien que si c'est chose qui me touche, il n'y a personne qui vous doive ni puisse promettre rien contre ma volonté, puis même que mon père et ma mère, pour mon malheur, m'ont été ôtés. Et quant à ce que vous dites de Phocion, vous ne sauriez me raconter tant de choses de sa prudence que je n'en croie encore davantage, mais cela ne conclut pas que nous fassions lui et moi un même jugement. Et quoique le sien puisse être le meilleur, il y faudra bien du temps à m'y faire consentir ! Et pour dire le vrai, je crois que si ce sage Pasteur savait les choses que j'ai dans l'âme, il laisserait bientôt cette opinion. Et c'est ce qui me fait vous supplier de vouloir changer la vôtre, car si vous la continuez, outre que vous n'y avancerez rien, encore n'en retirerez-vous que
" du mécontentement et pour vous et pour moi.
- Les belles,
" reprit Calidon, sont comme les Dieux, elles veulent être vaincues par supplications.
- Je ne sais, dit-elle incontinent, quelles sont les belles, mais si fais bien
que vos paroles, ni vos prières envers moi ne vous acquerront jamais chose qui vous soit agréable pour ce sujet.
- Peut-être, ajouta-t-il,
quand vous me verrez mourir devant vos yeux, vous n'aurez pas tant de cruauté que la pitié ne puisse trouver place parmi tant de beautés.
- Si vous continuez, répondit Astrée, vous me ferez croire que vous pensez encore parler à la belle Célidée ! Mais voyez-vous,
Calidon, et vous et moi méritons mieux, car il n'est pas raisonnable que nous ayons le reste de quelque
autre ; et plutôt que cela fût, je vous dis franchement que, pour vous en divertir, je prendrais la résolution η de Célidée. Puisque la mort m'a ôté ce que je désirais, je ne veux plus qu'elle η puisse avoir cet avantage sur moi. Et ne pensez pas que je n'estime et n'honore votre mérite autant que de berger de cette contrée, et que je ne me reconnaisse votre obligée en la recherche que vous faites de moi, et même avec l'intention que je sais que vous avez. Mais ne vous persuadez pas aussi que toutes ces considérations me fassent jamais changer de volonté. Et tenez ceci pour un Arrêt écrit des Dieux dans l'immuable Destin. PUISQU'ASTRÉE A PERDU LA PREMIÈRE CHOSE QU'ELLE A AIMÉE, ELLE N'A PLUS D'AMOUR QUE POUR TAUTATÈS, AU SERVICE DUQUEL ELLE PASSERA LE RESTE DE SES JOURS, AINSI QU'ELLE LUI A PROMIS. Et vous souvenez, Calidon, que si vous ne croyez cette prophétie, le temps vous la fera trouver si véritable que vous vous repentirez d'avoir été trop incrédule.
Cette réponse si résolue qu'Astrée
fit étonna de sorte le berger qu'il demeura sans réplique ; et la bergère, le voyant ainsi confus, se levant d'auprès de lui, laissa
Phillis
en sa place, et s'en alla trouver
Alexis,
qui, la voyant approcher et connaissant à ses actions qu'elle était troublée, laissa
Hylas
pour savoir d'elle ce qu'il y avait de nouveau. - Madame, lui dit-elle avec un souris mêlé de dédain, vous diriez η que je n'ai pas assez affaire à supporter mon fardeau, si ces Amants sans parti ne me venaient encore surcharger
de leurs importunités ! Je vous assure que Calidon a fort bien su choisir son temps, c'est bien à cette heure que les discours d'amour me plaisent, je le conseille
de continuer s'il ne veut que perdre sa peine. Il pense peut-être parler à Célidée, ou que je ne sois ici que pour payer le temps qu'il a perdu en la servant ! Et sur ce propos raconta à la Druide tous les discours qu'il lui avait tenus, et la réponse qu'elle lui avait faite avec une si grande passion qu'Alexis connut bien que malaisément recevrait-elle jamais du mal de ce rival.
Cependant Silvandre était auprès de Diane, elle assise, et lui à genoux, mais si plein de contentement de se voir près d'elle sans y être empêché de Paris ni de Phillis qu'il ne pouvait assez remercier Amour d'une si grande faveur. - Ma belle maîtresse, lui dit-il, par où commencerai-je à vous remercier de la grâce que vous me faites de vous arrêter ici, où la compagnie que vous y avez ne peut que vous être importune, au lieu que vous pourriez passer beaucoup mieux ces heures avec les doux entretiens de ces gentils bergers et de ces discrètes et belles bergères ?
- Silvandre, lui répondit-elle, encore que je veuille bien que vous me soyez obligé, si est-ce que vous ne devez pas croire qu'en ceci je fasse pour vous tant que vous dites, puisque je m'assure n'y avoir une seule de la troupe qui ne voulût avoir changé avec moi ; et je vous jure, berger, que je ne les envie point toutes ensemble.
- Si je pensais, reprit Silvandre, que votre
cœur consentît à ce que votre langue profère, je me dirais le plus heureux berger de l'Univers ! - S'il ne vous faut que cela, répliqua Diane, pour être heureux, assurez-vous sur ma parole que vous avez tout l'heur que vous sauriez souhaiter. - Et quel témoignage en puis-je avoir ? dit Silvandre. - Vous êtes personne de tant de jugement, répondit la bergère, que vous reconnaîtrez assez la vérité quand il vous plaira de la rechercher. Outre que si cela n'était pas vrai, qu'est-ce qui me pourrait obliger de demeurer ici, puisque je pourrais trouver autant d'excuses que j'en voudrais pour aller ailleurs chercher l'entretien qui me serait plus agréable que le vôtre ? Mais j'ai bien plus à craindre que Silvandre ne s'ennuie auprès de moi, n'y ayant rien qui le η puisse arrêter que sa seule civilité. - Ma belle maîtresse, ajouta incontinent Silvandre, cet excès de courtoisie dont il vous plaît user envers moi à ce coup m'offense plus que vous ne sauriez croire, puisque si vous avez cette opinion de moi, ou vous me tenez pour personne de peu de jugement, ou vous faites un grand tort au vôtre et à mon affection ! Car il faudrait bien que je fusse sans connaissance si je ne voyais les Perfections de la belle Diane, puisque chacun les voit, les avoue et les admire. Serait-il possible que Silvandre fût le seul entre les hommes qui demeurât aveugle pour ne voir point un soleil si éclatant ? ou le voyant, si je ne l'admirais ? Aussi faut-il que je confesse que véritablement je suis tellement ébloui par une si grande lumière quand je suis
auprès de vous que je n'ai plus des yeux que pour voir, ni esprit que pour adorer cette Diane en terre, que je tiens bien plus avantagée que celle qui est dans les Cieux η, puisque celle-là y est surmontée par la beauté de son frère η, et celle-ci surpasse tout ce qui est en * l'Univers. - Silvandre, répondit la bergère en souriant, je vous promets de dire tout ce que vous voudrez de moi qui me reconnais assez pour telle que je suis, mais qui ne veux point trouver étrange que la feinte que vous avez entreprise vous fasse tenir ces discours. Mais à propos de votre gageure η avec Phillis, jusques à quand ordonnez-vous, berger, que je sois votre Maîtresse ? et quand voulez-vous que je change ce nom avec celui de votre Juge ? - Les discours que je vous tiens, répondit incontinent le berger, sont si véritables qu'ils n'ont rien de commun avec cette gageure η, et quant à ce nom de maîtresse duquel vous parlez, croyez, belle Diane, que vous pouvez prendre celui de Juge quand il vous plaira, mais non pas vous dépouiller jamais de celui de maîtresse, que non pas la gageure η ni la feinte, mais vos perfections et mon affection vous ont si justement acquis sur mon âme. - Je vous ai déjà dit, reprit la bergère, que je trouve bon que vous parliez de cette sorte jusques à ce que cette feinte soit achevée, Mais enfin quand voulez-vous que nous sortions de cette affaire tous trois ? car il me semble qu'il a tantôt assez continué, et que le terme η des trois Lunes est presque doublé ! - Quant à moi, dit Silvandre, je n'avancerai ni ne reculerai
le temps qu'il vous plaira, étant très assuré que, quoi qui en arrive, je ne changerai point de condition ! - Ne parlons jamais, dit Diane, de l'avenir, sinon avec doute η, puisqu'il n'y a que les Dieux qui le puissent savoir. Et dites-moi, Silvandre, voulez-vous que nous employions cette après-dîner à * terminer ce différend ? Il me semble que la commodité y est bonne, et l'assistance telle que nous la saurions désirer. Silvandre qui craignait, quelque mine qu'il fît, l'humeur de Diane, et qui savait bien qu'il ne fallait plus espérer de vivre avec elle de cette sorte quand cette feinte serait ôtée, demeura un peu surpris, et ne répondit pas si tôt à la bergère qu'elle ne connût bien la peine en laquelle il était ; et cela ne faisait que l'assurer davantage de la vérité de son affection. Et toutefois, feignant comme de coutume : - Vous ne répondez point, berger, dit-elle, voulez-vous que nous prenions cette commodité, ou bien que nous retardions jusques à demain que nous serons dans notre hameau ? Voyez comme je suis Juge traitable, je m'en remets à votre volonté. - Mon Juge, dit alors Silvandre en souriant, avant que je vous réponde, passons quelques articles entre nous : promettez-moi que votre jugement ne me sera point désavantageux, et que la chose du monde qui m'est la plus agréable ne me sera point défendue, et avant que de partir de ce lieu, je veux bien recevoir votre jugement. - Mon jugement, dit froidement Diane, sera juste. Et quant à la défense que vous craignez, si vous me faites entendre de quoi vous
voulez parler, je vous y répondrai. Silvandre alors prenant un visage plus posé : - Je ne suis jamais entré en doute, mon Juge, lui dit-il,
" que vous ne fussiez très juste. Mais n'avez-vous
" pas ouï dire que la justice extrême est une extrême injustice ?
Et parce que je vous vois désirer une explication sur ma seconde requête, je suis d'opinion, ma maîtresse, continua-t-il en souriant, que nous remettions cette affaire à une autre fois, afin que j'aie un peu plus de temps pour mieux instruire mon Juge.
À ce mot, ils furent interrompus par
Adamas qui convia
Daphnide
et le reste de la compagnie
d'aller au promenoir, puisque la chaleur du jour étant abattue, l'on aurait plus de plaisir dehors que dedans la maison. Et parce que la plus grande partie était bien aise de prendre un peu d'air, et que la beauté du lieu les y conviait, toute la troupe s'y achemina, les uns chantant, et les autres discourant de ce qui leur était le plus agréable.
Fin du cinquième livre.