LA QUATRIESME PARTIE
DE
L'ASTREE
DE MESSIRE
HONORÉ D'URFÉ.
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LIVRE SECOND.
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PHILLIS presque hors d'elle mesme, s'en alloit courant η toute effrayee le long de cette grande allee η pour trouver quelqu'un qui vint assister Sylvandre, mais la trouppe qui y
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estoit un peu auparavant, ayant pris un autre chemin, s'estoit tellement esloignee, que cette Bergere eust longuement couru en vain, si de fortune elle n'eust rencontré Astrée, Alexis et Diane, qui s'en venoient au petit pas comme nous avons dit η, pour ouyr la dispute de Sylvandre, et de Hylas. Aussi tost qu'elle les apperceut, elle commença de leur faire signe de la main pour les haster, estant de sorte estonnee, et hors d'haleine, qu'elle ne pouvoit crier. Astrée qui fut la premiere à la recognoistre, craignant qu'il ne luy fust arrivé quelque facheux accident : - Allons je vous supplie dit-elle, au secours de Phillis, je la voy qui court, et nous fait signe, il faut qu'elle ait besoin de nous. Toutes alors redoublerent le pas, et Diane à mesme
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temps, comme si quelque Demon eust parlé dans son cœur, sentit une certaine émotion non accoustumee qui luy fit presque deviner ce qui estoit advenu. Lors que Phillis fut plus pres d'elles, et qu'elle peut se servir de la parole : - Ô Dieu s'écria elle η, enjoignant les mains ! ô Dieu, Diane, le pauvre Sylvandre est mort : reprit ρ incontinent Diane, et qui l'a tué ? - Vous et moy, repliqua Phillis, vous, par le commandement que vous m'avez fait, et moy, en vous obeyssant. A ce mot Diane saisie de douceur ε, ne peut luy répondre, ny faire un pas plus avant, donnant bien cognoissance que quand elle avoit dit du mal de Sylvandre, son cœur n'y avoit jamais consenty : mais que c'estoient seulement des vaines paroles qu'une
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amour offensee prestoit à sa jalousie. Astree et Alexis au contraire qui estimoient la vertu et le merite de ce Berger, - Est il bien vray, dirent elles, qu'il soit mort ? - Il n'est pas ε trop vray, adjouta Phillis le visage tout couvert de larmes, et pour peu que vous me suiviez je le vous feray voir en l'estat que je dis. Alors se mettans toutes deux au grand pas après elle, elles ne marcherent guiere sans l'appercevoir étendu de son long, et en la mesme façon que Phillis l'avoit laissé, Diane qui venoit lentement après pour ne découvrir la passion qu'elle vouloit tenir cachee, ne jetta pas si tost les yeux sur le Berger qu'elle ne se sentit le visage tout moüillé de pleurs, pleurs qu'elle n'avoit peu retenir soubs la paupiere ny renvoyer, comme elle eust bien
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desiré à ce cœur qui pour témoinage de son ennui leur avoit par force ouvert le passage. Et par ce que la modestie de cette Bergere, et la façon de vivre qu'elle avoit tousjours continuee ne luy pouvoit permettre de donner cognaissance à personne de cette passion, elle s'arresta à dix ou douze pas de ses compagnes, et se tournant du costé d'où elle venoit, faisoit semblant de ne guiere se soucier de cet accident. Au contraire Alexis, Astree et Phillis pleines de compassion, estoient toutes empeschees au tour de luy, l'une luy levoit le bras, l'autre la teste, l'autre luy mettoit la main à l'endroit du cœur, mais ne luy remarquant aucun signe de vie elles ne faisoient que dire l'une à l'autre qu'il estoit mort. Ces paroles qui venoient
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jusques aux oreilles de Dinae ε n'estoient que des glaives cruels qui perçoient de nouvelle douleur le cœur de la Bergere. Cela fut cause qu'après s'estre bien essuyé les yeux et se faisant un tres-grand effort elle s'approcha de Phillis, et luy dit à l'oreille, - Je vous supplie, ma sœur, cherchez à son bras le brasselet η que vous sçavez, afin que quand on le dépouïllera
quelqu'un ne le trouve. A ce mot elle s'en alla tellement outree de déplaisir, que pour peu qu'elle eust parlé davantage, il luy eut esté impossible de ne découvrir tout ouvertement l'affection qu'elle portoit à ce Berger.
Phillis pour satisfaire à la volonté de sa compagne, et mesme jugeant bien qu'elle avoit raison de ne vouloir point que personne le η peut recognoistre, prit les bras du
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Berger et chercha quelque temps par dessus la manche pour sentir où ce brasselet η grossiroit, et l'ayant rencontré luy dépoüilla ce bras, mais non pas sans larmes : et ce pendant qu'elle le dénoüoit elle vid, et ses compagnes aussi, qu'il avoit aupres de l'épaule une marque η qu'il y avoit apparence qu'il a apportee du ventre de sa mere. C'estoit un rameau de Guy si bien representé qu'il n'y eut personne qui ne le recogneust incontinent, car les feüilles longuettes et les nœuds de la branche estoient si bien representees, et encore que la couleur ne fust pas entierement verte η on ne laissoit pas de juger que c'estoit de Guy, tant à ce que j'ay dit η qu'aux petites bacques ou fruicts qui blanchissoient entre les feüilles d'une plus éclatante blancheur η que le reste de la peau.
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Cependant qu'elles s'amusoient à considerer cette marque et à dénoüer le brasselet η, et que Diane s'estoit desja bien fort éloignee d'elles, Sylvandre tout à coup revint de son évanoüissement, mais de telle sorte étonné de se voir en cet estat, et mesme entre les mains de ces Bergeres, qu'il ne sçavoit s'il dormoit ou s'il veilloït. La joye de toutes trois ne fut pas petite le voyant plein de vie après l'avoir pleuré mort, parce que la vertu du Berger se faisoit aymer de chacun, et toutefois Phillis qui eut crainte qu'il ne retombast au mesme accident une autre fois, se hasta le plus qu'il luy fut possible de prendre le brasselet η de Diane, et quoy que le Berger sentit bient ε que l'on luy remettoit la manche de sa chemise et de sa juppe, si ne pensa-il η point
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au larcin que l'on luy avoit fait, ayant seulement opinion que l'on l'avoit des-habillé pour luy donner quelque secours. En fin Alexis voyant que sans leur dire un seul mot il leur laissoit faire tout ce qu'elles voulaient afin de luy faire reprendre entierement ses esprits, - Et quoy Berger, luy dit-elle, quel est cet accident ? et perdrez vous ansi le courage Sylvandre ? Ce Berger alors prenant Alexis pour une Bergere, par ce qu'elle en avoit l'habit, après l'avoir remerciee, et ses compagnes aussi, de la peine qu'elles avoient toutes voulu prendre pour luy, il continua : - C'est plustost signe, dit-il, de faute de courage de pouvoir supporter sans mourir le mal que je ressens. - Vous vous trompez, reprit Astre ε, le courage est de surmonter toute
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sorte d'accitents ε, et croyez moy que pour peu que vous veüillez faire paroistre que vous estes homme, ce mal n'est pas si grand qu'aisément vous ne le surmontiez. Phillis qui craignoit que le ressouvenir ne peust luy renouveller l'ennui qui l'affligeoit, - Ne parlons plus du mal, adjouta elle η, mais seulement de la guerison. Sylvandre alors repondit à Astree, la prenant pour une Druyde η, parce qu'elle estoit ainsi vestuë. - Cette Bergere, Madame, sçait mieux la grandeur de ma maladie que tout autre, et c'est pourquoy la jugeant incurable, elle a raison de ne vouloir point que l'on en parle, mais continua-il η en se relevant, quoy qu'avec peine, ce bon Genie qui jusques icy a eu soing de ma déplorable vie, me conduira, bien tost au lieu où
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j'espere de la trouver, cette guerison qu'elle pense estre impossible. A ce mot, après les avoir remerciees du secours qu'elles luy avoient rendu, il s'en voulut aller, mais considerant toute ε combien il avoit l'œil farouche et hagard, elles eurent peur qu'il eust dessein de se meffaire, et Astrée comme bien experimentée à un semblable accident η, le retenant par le bras, et ayant bien cogneu aux paroles qu'il luy avoit réponduës qu'il la prenoit pour une Druyde estrangere : - Sçachez Berger, luy dit-elle, que ce Genie duquel vous parlez, m'a ce matin ordonné de me trouver icy à l'heure que j'y suis venue, tant pour vous secourir que pour vous dire de sa part, que vous viviez avec asseurance, que son ayde ne vous deffaillira non
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plus en cette occasion qu'elle ne nous ε a pas manqué en toutes les autres où vous en avez eu besoing, et que trois jours η ne s'écouleront point, sans que vous le η ressentiez favorable η, pourveu toutefois que la foiblesse de vostre courage ne luy oste et la volonté et le loisir de le pouvoir faire. Et souvenez vous que je le vous η ay dit en la presence de ces Bergeres que je prends pour témoins que j'ay satisfait à ce que ce grand Demon m'a ordonné. A ce mot Astree qui avoit déguisé sa voix, au mieux qu'il luy avoit esté possible, de peur d'estre recogneuë, s'en alla faisant semblant de ne cognoistre pas une de ces Bergeres qui estoient autour de luy, et de n'estre veuë ε en ce lieu que pour le seul sujet qu'elle luy avoit dit. Et voyez η combien,
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l'opinion de la divine assistance a de pouvoir sur l'esprit des hommes ! Astrée n'eust pas plustost proferé ces paroles, que Sylvandre receut comme venant d'un oracle, que commençant d'esperer il changea le farouche regard que le desespoir luy avoit mis dans les yeux, et montrant un visage plus serain et plus ouvert, il mit les genoux en terre haussa les yeux et les mains au ciel ; et la teste nuë, - C'est bien, dit-il, veritablement de vous seul, ô souverain Tautates, Tharamis que j'attends le secours que je ne puis esperer d'ailleurs, puis que vous sçavez asseurement que mon supplice est injuste et que je ne suis point coulpable de la faute pour laquelle j'y suis condamné, Alexis qui veid partir Astrée, et qui ne pouvait souffrir d'estre en quelque
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lieu sans elle, fit dessein de la suivre et ne demeurer là plus longuement, tant pour ce sujet que par ce qu'elle eut peur que ce Berger ne la recogneut revestuë des habits d'Astrée, et que par ce moyen il ne se prit garde aussi, qu'Astrée avoit pris les siens, ce qui eust peu faire un contraire effet à leur dessein. Ces considerations furent cause qu'elle fit signe à Phillis de demeurer là encore quelque temps, de peur qu'il ne les suivit, et en partant elle dit, - Souvenez vous Berger, que si ayant eu l'advis que vostre bon Genie vous a donné, vous vous rendez incapable du secours qu'il vous promet, vous serez beaucoup plus coulpable estant Sylvandre, que si vous estiez un Berger qui eut moins de cognoissance des Dieux. Le Berger la vouloit
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remercier lors que (sans attendre sa réponse) elle s'achemina au grand pas vers Astrée, qu'elle atteignit bien tost, parce que de temps en temps elle η tournoit la teste pour voir si Alexis ne venoit point encore, et sembla η qu'en ce point le ciel voulut qu'Astrée rendist le mesme office à Sylvandre, qu'autrefois Celadon avoit fait en une semblable occasion η à Ursace. Phillis alors, qui se vid seule avec Sylvandre, émeuë à pitié du mal qu'elle luy avoit fait, qui veritablement avoit esté plus grand qu'elle n'avoit pensé : - Puis que le ciel, luy dit-elle, prend le soing de vostre conduitte, j'espere, Berger, de vous voir bien tost aussi content que vous l'avez jamais esté. Mais dites moy, je vous supplie, et dites le moy franchement, et avec
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asseurance que vous parlez à une de vos meilleures amies et qui pourra bien taire tout ce qui vous sçauroit importer. Est-il vray, Sylvandre, que vous aymez Madonthe, car ce n'est pas un crime irremissible d'aymer une belle fille, comme elle est, n'y ayant personne de nous qui ne sçache que la gageure η qui estoit entre nous a donné commencement à l'affection que vous avez portée à Diane, chose qui ne pouvoit point davantage vous obliger qu'à la continuer autant que dureroit la cause de sa naissance. Cependant que Phillis tenoit ces propos à Sylvandre, Diane encore qu'elle s'en fust allee avant que le Berger revint de son évanouïssement, l'avoit bien veu relever, parce que de temps en temps elle alloit tournant η la teste
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vers luy pour voir ce qu'il deviendroit, et quand elle cogneut qu'il n'estoit pas mort, comme elle avoit eu opinion, il luy fut impossible, quoy qu'en colere contre luy, de n'en ressentir un aussi grand contentement η, que l'apprehension de sa perte luy avoit donné de douleur, la jalousie et le dépit ayans bien eu le pouvoir de luy faire ressentir l'offence qu'elle pensoit avoir receuë, mais non pas d'effacer l'amitié η que veritablement elle portoit à ce Berger, et en cette occasion elle en rendit une preuve bien asseuree, puis que voyant partir Astrée et peu après Alexis, elle prit une plus grande curiosité qu'elle n'avoit jamais euë d'ouyr les discours, sans toutefois estre apperceuë, que Phillis et luy tiendroient ensemble, s'asseurant qu'ils ne seroient
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point d'autre chose que de ce qui la touchoit : et en ce dessein s'estant enfoncee promptement dans le bois, elle revint aupres du lieu où ils estoient, si doucement qu'elle ne fut apperceuë de personne, et y arriva assez à temps pour entr'ouyr la demande que la Bergere luy avoit faite, et pour entendre ce que le Berger luy répondoit ainsi ; - Phillis si les Dieux ont jamais puny quelque parjure η, je les supplie de faire paroistre la rigueur de leur colere sur moy, en cas que je ne vous die la verité de ce que vous me demandez : Je veux que nos Druydes η, non seulement me deffendent η d'assister aux communs sacrifices, et qu'ils refusent de me faire justice, quand je la leur demanderay, et bref je veux que tous les hommes non seulement me
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bannissent de leur compagnie, mais me mettent hors de leur communion ? le feu et l'eau η me soient interdits, si j'ay jamais aymé que Diane : Je sçay bien que ce mot est trop temeraire pour moy, et que la declaration que je vous en fais est outrecuidee, veu le merite de cette Bergere, et le peu que je vaux : Mais discrette Phillis, puis que je voy la pitoyable compassion que vous avez de mon malheur, et la bonne volonté que vous portez à la belle Diane, je penserois de faire une offense qui ne me devroit jamais estre pardonnee, si me demandant la verité je la vous déguisois, m'asseurant qu'en cecy vostre discretion sera telle que je l'ay tousjours recogneuë en toute autre chose. Phillis luy répondit, - Vous avez raison,
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Sylvandre, de vous fier en moy, et mesme de ce qui concerne cette belle et sage Bergere, puis que l'amitié η que je luy porte ne cede point à l'amour que vous avez pour elle, et que recognoissant ses merites et vostre jugement, je veux croire ce que vous me dites de vostre affection envers elle. Mais Berger encore faut-il que vous m'eclaircissiez et me disiez les raisons pour lesquelles vous avez traitté Madonthe comme vous avez fait ; vous sçavez, Sylvandre, car vous n'ignorez que ce qu'il vous plaist de ne point sçavoir, que l'Amour est comme un petit enfant qui s'offence de peu de chose, qui se dépite et qui devient jaloux aisément, comment n'avez vous pensé que les soings extraordinaires η que vous avez fait paroistre de tout ce
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qui touchouchoit ε à Madonthe, les pleurs que vous avez répandus à son départ, et les presentes ε supplications η avec lesquelles vous l'avez conjuree de vous permettre de l'accompagner jusques en Aquitaine, et mesme d'estre allé le plus avant que vous avez peu avec elle : comment avez vous pensé, dis-je, que toutes ces choses venans à la cognoissance de Diane, ne la deussent rendre grandement offensee contre vous ? Ne deviez vous pas considerer que tout ainsi que Madonthe ne vous a voulu permettre de la suivre plus outre, pour ne faire déplaisir à Thersandre qu'elle ayme ; de mesme vous n'en deviez point avoir fait la demande pour ne point donner de jalousie à Diane que vous aymez ? Et pouviez vous esperer à vostre retour un
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moins mauvais visage d'elle que celuy que vous en recevez maintenant ? Je trouve, quant à moy, qu'elle vous oblige en vous traitant de cette sorte, puis que si elle avoit fait autrement, vous auriez occasion de croire que vous estes aupres d'elle en une indifference qui est un tres-certain témoignage de fort peu de bonne volonté.
Cependant que Phillis parloit de cette sorte, Diane qui n'en perdoit un seul mot, approuvoit tellement ce qu'elle disoit, que si quelqu'un l'eust apperceuë il eust eu aisément cognoissance du mal qui la pressoit,
parce que, quand Phillis parloit des points qui la touchoient le plus, elle faisoit des actions de la teste, des mains, et du reste du corps, qui montroient
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bien ce qu'elle vouloit cacher, Mais lors que Sylvandre reprit la parole, elle demeura ammobile ε, les yeux tendus η sur luy, la main advancee, et la bouche entr'ouverte, comme si elle l'eut voulu convaincre de mensonge à la premiere excuse qu'il apporteroit. Elle ouyt donc qu'il parloit ainsi. - Discrette et sage Bergere, pleut à Dieu que le peu de vie qui me reste, me donnast les moyens de m'acquiter de cette extreme obligation, afin que vous peussiez recognoistre combien me lie la compassion que vous avez de moy, comme du plus affligé Berger de l'Univers, mais en ce que le ciel dénira à mon impuissance, il supleera sans doubte par sa bonté, pour montrer qu'il ne laisse jamais sans recompense une œuvre si juste et si loüable. Vous
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m'accusez, Bergere, d'une faute de laquelle je me sens tant innocent que je suis contraint de vous supplier par la chose du monde que vous avez la plus chere, de me dire plus clairement ce que vous venez de me reprocher, afin que je vous puisse répondre avec la verité que je dois. Diane qui l'écoutoit, - Voyez le cauteleux, disoit elle en elle mesme, et sans oser seulement prononcer la parole de peur d'estre ouye, il ne sçait que répondre, et il veut le luy faire redire pour avoir le loisir d'inventer quelque mauvaise excuse. Elle ouyt alors, que Phillis répondoit, - Advoüez librement, Sylvandre, que vous avez esté trompé et que vous ne pensiez pas qu'il y eust personne en la compagnie qui deust remarquer vos actions, ou qui les
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ayant remarquees les vint redire à Diane. Aussi croy je bien que celle η par qui elle les a sceuës ne pensoit pas mal faire, car elle parloit trop naïfvement. - Mais encore, reprit Sylvandre, que dit-elle ? - Elle dit, adjusta ε Phillis, que vous mesme vous estiez fait mal η, duquel depuis vous ne vous estiez peu guerir, car ayant rencontré Madonthe vous l'aviez advertie de la venuë de quelque étranger qui la cherchoit avec un mauvais dessein. - Il est vray, répondit le Berger, je l'ay fait, mais pensant y estre obligé par les loix de la courtoisie et de l'humanité. - Les loix de l'humanité, repliqua Phillis, ne vous ordonnoient η pas de l'accompagner jusques en Aquitaine, ny moins lors qu'elle ne l'a pas voulu, de vous mettre à ses genoux les luy embrasser,
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et avec des torrents de larmes luy noyer les mains pour la presser, et enfin forcer par les plus extraordinaires conjurations que vous avez peu imaginer, de vous permettre pour le moins de la suivre une partie du jour, luy disant, après qu'elle y a esté contrainte par vos pleurs, qu'elle vous pouvoit bien permettre le contentement η d'estre un peu de temps aupres d'elle, au lieu de l'eternel déplaisir que son éloignement vous laisseroit : mais et voicy ce que je trouve de meilleur, lors qu'elle vous a répondu en sousriant, que si son absence vous donnoit de l'ennui, la presence de Diane vous consoleroit : Diane, avez vous repondu, merite beaucoup mieux que mon service, aussi ne luy en ay-je jamais rendu que par gageure η,
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et pleust à Dieu qu'elle eust à faire le voyage pour vous, et vous à demeurer icy pour elle. Vous semble-il η, Berger, que les loix de l'humanité vous peussent commander de tenir ces discours à Madonthe ? et de parler avec un tel mépris de Diane ? et trouvez vous estrange qu'en estant advertie elle s'en soit offensee ? et en mesme temps se soit resoluë de vous oster toute occasion de la pouvoir plus traitter tant indignement ? - O Dieu ! s'écria Sylvandre alors, ô Dieu ! et quelle trahison est celle que vous me racontez ? - Trahison, dit Phillis, et pouvez vous nier, s'il y en a, que ce ne soit de vous qu'elle vienne ? - Comment, reprit incontinent le Berger, que j'aye fait ny dit ce que vous me reprochez, j'aymerois mieux que ma
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houlette m'eut esté mise à travers du cœur que si une telle pensee y avoit jamais eu place. - Et me nierez vous, repliqua Phillis, que vous n'ayez
accompagné cette Madonthe tant avant qu'elle vous l'a voulu permettre ? - J'advouëray, répondit Sylvandre, qu'il est vray que je l'ay accompagnee, mais pour des raisons que si j'eusse fait autrement j'eusse esté blasmé par tous ceux qui les eussent entenduës : et afin que vous en sçachiez la verité, ayez agreable que je vous la η raconte briefvement.
Diane qui à chaque reproche que Phillis faisoit au Berger, eut bien voulu, si elle eust osé, y en adjouster d'autres pour le convaincre entierement, oyant que Sylvandre se preparoit de parler, - Je m'asseure, disoit elle en elle mesme,
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que si en tout son discours on le peut reprendre d'un mot de verité, ce sera bien contre son dessein : mais voyez avec quel visage il va mentir, et lors Sylvandre parla ainsi. - Il y a long-temps, Bergere, que Paris dit que cette ε estranger η estoit venu en cette contree avec un mauvais dessein contre Madonthe, et que le voyant en peine de l'en advertir, je me chargeay de le luy faire sçavoir η. - Il ne dit pas, reprenoit Diane, avec quelle promptitude il s'offrit de le faire de peur que quelqu'autre ne le prevint en ce charitable office. Cependant Sylvandre continuoit : - Or hyer η au matin je la rencontray avec Thersendre, et me semblant que je serois blasme ε de tout le mal qui en pourroit arriver si je ne l'en advertissois, je le luy dis, ainsi que je
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m'en estois chargé, et en mesme temps la voyant fondre toute en pleurs, j'advouë que je fus touché de compassion : - Mais plustost de passion, disoit en elle mesme Diane, - et que pour l'asseurer, continua Sylvandre, de l'outrage de cette personne η incogneuë, je luy offris de l'accompagner avec telle quantité de mes amis qu'elle voudroit. - Il est peut estre son Ambacte ou son soldurier, disoit Diane, qu'il faille que ce soit luy qui la deffende contre ses ennemis. - Ce que j'ay fait, adjousta Sylvandre, mais seulement jusques par de là l'endroit où Paris avoit trouvé cet estranger. - Parce, disoit Diane, qu'elle ne luy a pas voulu permettre de passer plus avant, et dequoy vous luy voyez encore la tristesse peinte sur le visage. - Mais en cela, continua
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Sylvandre, pouvois-je faire moins sans faillir à mon devoir : que s'il est arrivé autre chose que ce que je dis, je veux Bergere, que la seconde vie η que j'attends me soit déniee pour chastiment de ma faute. - Mais, repliqua Phillis, n'est il pas vray que si elle eut voulu vous l'eussiez suivie jusques en Aquitaine ? - Sy j'eusse creu, répondit Sylvandre, qu'elle eust eu affaire de moy, j'advouë que je l'eusse accompagnee plus outre, me semblant que chacun est tenu de deffendre les affligez η. - D'icyà quelque temps, disoit Diane, ce Berger deviendra l'Hercule Gaulois, et nous le verrons aller de Province en Province pour combattre les monstres. - Mais, continuoit-il, que je l'en aye, je ne dis pas pressee, mais priee, seulement c'est
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une chose si fausse, - que disoit Diane, Sylvandre ne l'est pas davantage, - que je m'étonne, adjoustoit le Berger, qu'il y ait eu quelqu'un assez effronté pour l'inventer et pour l'oser dire. - Et toutefois, reprit Phillis, si elle l'eust voulu vous l'eussiez bien accompagnee davantage ? - Elle ne m'en fit jamais refus, dit Sylvandre, il est vray que je luy offris de la conduire en asseurance jusques hors du Forests. - Amasis, disoit Diane, l'a peut estre commis pour la seureté des chemins. - Mais est il possible η, repliqua Phillis, que vous n'ayez point pleuré, que vous ne vous soyez point mis à genoux, que vous ne luy ayez point embrassé les jambes, ny parlé de Diane, ny du regret que vous aviez de son départ ? - C'est à ce coup, disoit Diane,
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qu'il se prepare à bien mentir. - Bergere, répondit Sylvandre, si de toutes ces choses il en est arrivé une seule, ô ciel faites paroistre vostre justice sur moy ! ô terre englutissez ε moy ! et vous Hesus ne souffrez point que je vive parmy les hommes ! Je vous jure, Phillis, par les Dieux bocagers qui nous écoutent, et par tous les Demons qui habitent en ce lieu, que tout ce que vous m'avez dit est faux, et inventé par quelque personne qui veut ma mort, ou qui a dessein sur Diane. - N'a-il η pas bien rencontré, disoit Diane, car Laonice a bien quelque pretention pour ε moy, ou sur sa vie. - Lors Berger, reprit Phillis, que vous sçaurez qui c'est, vous perdrez asseurément cette opinion : mais ne confesserez vous pas que pour le moins vous avez failly d'estre
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party et d'avoir accompagné cette Bergere sans en demander congé η à vostre maistresse ? - Ha ! ma sœur, disoit Diane ne me donnez point ce nom, je vous supplie, je ne veux ce Berger, ny pour serviteur ny pour maistresse, - Puis que vous sçavez, continua Phillis, qu'une personne qui ayme bien, - C'est le mestier, disoit Diane, duquel il ne se mesle pas, - ne doit jamais, adjouta Phillis, disposer de soy-mesme sans le congé η de celle à qui il s'est donné. Pourquoy vous en estes vous allé sans nous en rien dire ? - Il est au bout de ses excuses, disoit Diane, à ce coup il ne sçait que répondre. - Pour certain, dit Sylvandre, si mon voyage η eut esté digne d'estre nommé voyage, j'eusse fait ce que vous dites, mais n'ayant à faire que deux ou trois mille pas η, je
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creus qu'elle et vous vous fussiez mocqué de moy, outre que Madonthe partit si promptement qu'il m'eust esté impossible de le pouvoir faire si je n'eusse voulu manquer à cet office. - Ne voyez vous pas, disoit Diane, comme plustost que de manquer à sa Madonthe, il a mieux aymé faillir au respect qu'il nous devoit. - Mais enfin, continua Sylvandre, est-il possible que le bel esprit de ma maistresse, - Raye ce mot, disoit Diane, si ce n'est que tu veüilles parler de Madonthe, - Est il possible dis-je, reprenoit le triste Sylvandre, que ce jugement de Diane qui ne s'est jamais deceu, - Sinon en toy, adjoustoit Diane, - Et que vous aussi continuoit le Berger, vous vous soyez laissees abuser si aisément par une fausseté qui est si découverte ? - Dites moy, Bergere, s'il
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estoit vray que je fusse amoureux de cette Madonthe, et que j'eusse pris avec tant d'affection la charge que Pâris me donna d'advertir, et Thersandre et elle, de la venuë de cet estranger, est il croyable que cette amour violente m'eust permis de demeurer si long-temps à m'en acquiter ? et toutefois, s'il plaist à Diane de s'en souvenir, je receus cette commission le jour que nous allasmes chez Adamas η : or voyez combien nous y demeurasmes, et combien il y a que nous en sommes revenus, car ce fut seulement hyer η que je les en advertis, et croyez moy, Bergere, que ceux que l'Amour possede ne sont pas si paresseux à rendre de semblables offices, ou pour mieux dire, ne les mettent pas en oubly comme j'avois fait : car je vous jure que seulement
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quand je la vy quand je m'en ressouvins, et je pense qu'autrement je n'en eusse jamais eu memoire. Mais ne vous plaist-il pas de considerer que si en effect je mourois d'amour pour cette fille, comme témoignent les discours que l'on vous a fait de moy, il n'y auroit rien qui me peust empescher de la suivre par tout où elle iroit ? car de quelle consideration η pourrois-je estre retenu en cette contree, puis que si ce n'estoit l'amour de Diane, je ne sçay à quelle occasion je voudrois plustost demeurer icy qu'ailleurs, ma miserable fortune estant telle que l'amour de mes parens, ny les commoditez de mon bien ne m'y peuvent pas arrester, puis que ceux là me sont incogneus, et que je n'ay rien davantage icy que ce que mon
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industrie me peut donner par tout ailleurs où je voudray me tenir. Sy donc je ne pars point de cette contree pour suivre cette Madonthe, pourquoy ma maistresse et vous ne prenez vous asseurance du contraire de ce que l'on vous a voulu faire entendre ? Mais Phillis n'est-il pas vray qu'avant nostre gageure η vous ne m'avez jamais veu rien aymer ? Je m'asseure que vous l'avoüerez, puis que cela fut cause que je fus condamné à servir Diane : que s'il est ainsi, il faut confesser que de mon naturel je ne suis guiere subjet à cette passion : mais comment ne le serois-je plus qu'Hylas, ρ mesme si le peu de praticque que j'ay eu de cette fille m'avoit ravy le cœur, et mesme estant entre les mains de Diane. Je ne sçay quel vous m'avez jugé depuis que
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j'ay l'honneur de vivre parmy vous, et toutefois je pense que vous ne m'avez jamais estimé sans esprit et sans jugement, mais en cette action, de laquelle je suis accusé, le deffaut de l'un et de l'autre y est tel que je ne sçay si le pauvre Adraste en pourroit avoir un plus grand. Seroit-ce pas un deffaut d'esprit de choisir Madonthe pour laisser Diane ? Diane la plus belle, la plus sage, et la plus accomplie fille qui soit en l'Univers, et Madonthe qui n'a rien qui merite d'este estimé,
si ce n'est en ce qu'elle peut avoir quelque chose qui ressemble à Diane, quoy que moins parfaitement.
Vous sçavez, Bergere, que ces paroles ne peuvent estre si advantageuses pour ma maistresse que la
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verité ne le soit encore beaucoup plus, et ne faudroit-il pas estre encore plus privé de jugement que les plus insensez, si sçachant η que Madonthe ayme un Chevalier qu'elle va cherchant η, je pretendois de l'en pouvoir divertir, cette amour ayant esté si forte et si violente qu'elle luy a clos les yeux, et luy a empesché de voir la perte qu'en cette recherche elle faisoit de son honneur et de sa reputation. Ces considerations sont telles que quand je les remets devant mes yeux je ne sçay que penser ny que dire de l'opinion que vous avez conceuë de, moy, sinon que le ciel qui m'a dez ma naissance condamné à tant de mal-heurs, veut que mon destin soit infaillible et que la fin de ma vie ne soit point autre que son commencement.
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Le Berger tint encore plusieurs autres semblables discours, que Diane et Phillis écoutoient avec beaucoup d'attention, car encore que Diane eust l'esprit grandement preocupé, si est-ce que n'ayant pas perdu l'usage de la raison, ces dernieres considerations luy toucherent en quelque sorte le cœur, luy semblant que ce qu'il disoit n'estoit pas du tout sans apparence de verité. Outre que les louanges qui sont dites sans pouvoir estre soupçonnees de flatterie acquiererent ε tousjours quelque grace envers ceux à l'advantage desquels elles sont dites η. De sorte que cette discrette Bergere, tant par les raisons de Sylvandre, que par ce qu'il avoit, dit elle ε, commença de s'adoucir un peu, et mesme lors qu'elle se representoit l'estat auquel elle
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l'avoit veu quelque temps auparavant. Toutefois son courage glorieux ne luy permit pas de condamner entierement la fausse opinion qu'elle avoit euë, mais seulement de mettre en doubte lequel de Laonice ou de Sylvandre avoit dit la verité. Et luy semblant d'en avoir assez appris pour ce coup, et ayant crainte d'estre apperceuë, ou par le Berger, ou par sa compagne, elle se retira le plus doucement qu'elle peut, et s'en alla chercher Astrée et Alexis. Presque en mesme temps Phillis ayant opinion que ce Berger estoit assez bien remis, et que de demeurer davantage pres de luy, ne luy pouvoit porter nul plus grand profit pour ce coup : - Or bien, luy dit-elle, Berger, je suis tres-aise d'avoir apris les choses que vous m'avez dites, consolez
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vous, et croyez que vos discours ne vous seront point inutiles, car il est vray que quand je fay reflexion sur vos raisons, je recognois que c'est à tort, que l'on vous a accusé, et je vous promets que je n'en seray point muette aupres de Diane, et j'espere que bien tost vous en sentirez quelque effect, aydez vous y de vostre costé, et continuez d'aymer cette Bergere, qui veritablement ne peut estre outrepassee de personne, ny en beauté, ny en merite, ny égalee que de fort peu. A ce mot Phillis s'en alla sans attendre les remerciemens que ce Berger luy fit pour ses favorables promesses, ny les protestations de l'inviolable et perpetuelle amour qu'il conserverait tousjours pour Diane, quelque traittement qu'il en peut avoir.
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Mais quand Sylvandre se trouva seul, et qu'il n'eust plus personne qui le divertit, ce fut bien alors que ses déplaisirs luy revindrent devant les yeux, et quoy que les asseurances qu'il avoit receuës de la Druyde qui luy estoit incogneuë, et que les promesses de Phillis luy donnassent quelque allegement, si est-ce que la cognoissance qu'il avoit du mal-heur auquel il fut sousmis dés le berceau, luy ostoit presque toute esperance de salut. Et ce dernier coup l'avoit surpris si inopinément que les armes de la prudense ε et de la raison, avec lesquelles il s'estoit tousjours deffendu, luy furent à cette fois presque entierement inutiles. Pressé donc d'une extreme douleur, il tourna ses pas lentement du costé de la riviere de Lignon, où il s'assit sur le
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rivage, et en fin se laissant aller en terre, il n'y eut une seule parole du cruel message que Phillis luy avoit fait de la part de Diane, que la solitude ne luy remit en la memoire, et comme c'est la coustume η de celuy qui se laisse emporter à la douleur de se plaire à se representer les causes de ses ennuis plus grandes et plus desesperees encore qu'elles ne sont : ce desolé Berger η en faisoit de mesme, trouvant quelque espece de consolation a ne point vonloir ε de consolation η. Apres avoir quelque temps envenimé son mal par ses fascheuses pensees, enfin il souspira tels vers.
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STANCES.
POUR SON MAL, LES
pleurs sont trop peu de chose.
POurquoy pleurer ce desastre ennuyeux
Si tous les pleurs qu'ensemble tous les yeux
Pourroient jetter ne peuvent y suffire,
Ceux qui sçauront quelles sont nos douleurs,
S'étonneront que pour un tel martyre
Nous recourions à l'ayde de nos pleurs.
S'il est permis quelquefois de pleurer,
C'est quand on peut la douleur mesurer,
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Ou que les pleurs égalent nostre peine,
Mais quand le mal provient ε jusqu'à ce point,
Qu'il est plus grand que toute plainte humaine,
A quoy les pleurs qui ne soulagent point ?
Que desormais nous les chassions de nous,
De ce mal-heur trop mortels sont les coups,
Pour se guerir d'un si foible remede,
Mais en leur place appellons le trespas,
Puis qu'en effect le mal qui nous possède
Ne peut guerir sinon en n'estant pas.
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La voix de Sylvandre fut ouye de Dorinde et de ses trois compagnes, et d'autant que cette fille estoit grandement affligee, et que tout ce qui avoit quelque conformité à l'humeur où elle estoit, luy touchoit grandement le cœur, elle demanda qui estoit ce triste Berger, et Florice luy répondant que c'estoit Sylvandre : - Comment, dit Dorinde, ce Berger duquel j'ay tant ouy parler η ? - C'est celuy-là mesme, repliqua-elle η, et si vous avez envie de le cognoistre, allons le trouver maintenant que Diane n'z ε est point, et vous advoüerés que sa presence ne diminuë point sa renommee. - Quant à moy, dit Dorinde, j'en meurs d'envie. Et à ce mot elles s'acheminerent toutes quatre vers le Berger, et en allant Dorinde reprit, - Et pourquoy dites vous, Florice, que
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nous l'allions voir maintenant qu'il n'est pas aupres de Diane ? - Parce, répondit elle, qu'il ayme cette Bergere, et quand il la peut entretenir, il est difficile de l'en distraire, - Et elle adjousta, ρ l'estrangere l'ayme-elle η ? - C'est, repliqua Florice, ce que je ne vous diray point, estant trop malaisé pour moy d'en faire un bon jugement, cette Bergere estant si discrette qu'il faut bien avoir masché du laurier pour le deviner, et vous en jugerez quand vous les aurez veus ensembe ε.
Sylvandre cependant qui n'avoit pas plustost laissé le chanter qu'il avoit repris les plaintes, estoit tellement occupé en la pensee de ce mal-heur qu'il estoit presque comme une personne insensible, si bien que ces Bergeres arriverent au pes ε de luy sans qu'il les apperceut, et y
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demeurerent quelque temps avant qu'il s'en prit garde, et parce que tenant η la teste appuyee sur son coude, ces estrangeres virent couler les larmes qui luy sortoient des yeux tout le long de la main, Dorinde fut la premiere qui reprenant la parole, dit d'une voix assez basse, - Ce Berger n'a il η point encore trompé pas une femme ? - Pourquoy le demandez vous, répondit Palinice : - Parce, reprit Dorinde, que s'il n'en a point encore deceu, sans doute ou il en veut abuser quelqu'une par ses larmes, ou il pleure de déplaisir de ne l'avoir peu faire comme il desiroit. - Vous avez bien mauvaise opinion des hommes, adjousta Florice, - Pire encores, repliqua Dorinde, que je ne vous sçaurois dire, ne croyant pas qu'il y en ait jamais eu un qui ait
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sceu aymer, mais bien plusieurs qui en ont voulu faire semblant. - Vous perdrez cette opinion, dit Cyrceine, quand vous verrez Sylvandre aupres de Diane. - Je ne sçay, répondit Dorinde, ce que je feray, mais si fait bien que jusques icy j'ay veu que toutes celles qui l'ont creu autrement se sont trompees elles-mêmes, ou bien enfin ont esté deceuës par autruy. - Quand vous verrez, repliqua Cyrceine, et ce Berger et les autres aupres de leurs Bergeres, vous changerez de discours, et mesme quand vous entendrez dire que les uns η se sont noyez, les autres se sont bannis et privez de leur propre patrie et de tous leurs parens et amis η, vous serez bien de dure creance si vous n'advoüez que veritablement les hommes en ce pays sçavent aymer η.
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- Ces resolutions desquelles vous parlez, dit-elle, sont grandes ; mais coyes ε moy, mes filles, que la tromperie des hommes n'est pas petite, et qu'ils sont d'un si mauvais naturel qu'ils prennent plaisir à se donner de la peine pour en faire souffrir à celles qui se fient en eux.
Ces Bergeres disputans de cette sorte releverent si fort la voix, sans y penser, que Sylvandre les ouyt, et les recognoissant il eut honte qu'elles l'eussent surpris en cet estat, parce que sa discretion estoit telle qu'il n'eust pas voulu pour la perte de sa vie qu'elles eussent peu sçavoir asseurément l'affection veritable qu'il portoit à Diane, et celà fut cause que s'efforçant de montrer en son visage autant de contentement qu'il en avoit peu dans le cœur, il se releva promptement, et
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après les avoir salüees, - Combien vous suis-je obligé, leur dit-il, Belles Bergeres, d'avoir interrompu les fascheuses pensees qui m'affligeoient, puis que ne pouvant remedier au mal qu'elles me representoient, c'est bien en vain que je m'en tourmente. - Il n'y a une seule de nous, répondit Florice, qui ne soit bien aise de pouvoir rapporter quelque contentement η à Sylvandre, et qui n'estime toute cette journee pour bien employee puis que nous avons ce matin η rendu un si bon office à un si gentil Berger : - Et cela d'autant plus, adjousta Cyrceine que nous avons eu crainte à l'abord d'avoir fait le contraire. - Et comment, répondit le Berger, de si belles et de si aymables Bergeres peuvent elles penser que leur venuë n'apporte par tout du bonheur
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et du contentement ? Il faut que vous fassiez un fort mauvais jugement de moy, si vous avez eu crainte de ce que vous dites. - L'estat où nous vous avons trouvé, reprit Palinice, nous l'a donnee, car je croy que toute chose ennuye quand nous nous faschons nous mesmes : Sylvandre alors jugea bien qu'elles avoient apperceu les larmes qu'il leur voulait cacher, et pour leur oster l'opinion, qu'elles procedassent d'amour. - Il est bien malaisé, leur dit-il, sages Bergeres, de n'avoir les yeux humides quand de si cruelles pensees nous occupent l'ame, comme estoient celles qui me faisoient plaindre : car ne cognoistre point la terre sur laquelle je vins au monde, ne sçavoir qui est le pere ny la mere dont je suis né, ny de qui j'ay succé le premier
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laict, n'avoir aucun bien de la fortune pour me conserver, et voir tout le soustien de mes jours dépendre de ma seule industrie, ne jugez vous point que ce sont des pensees assez puissantes pour tirer des larmes et du cœur et des yeux d'une personne ? - Je disois bien, reprit incontinent Dorinde, que ce n'estoient pas des larmes d'amour, quoy que mes compagnes me voulussent asseurer du contraire. Sylvandre alors tournant les yeux sur elle et ne la cognoissant pas, mais la voyant fort belle et fort agreable : - Et quoy belle estrangere, luy dit-il, sçavez vous bien discerner les larmes d'amour d'avec les autres ? - Il faudroit, répondit Dorinde, avant que me faire cette demande, me dire, Sylvandre, s'il y a des larmes d'amour, - Mais au contraire,
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reprit le Berger, s'il y en η a point d'autres que d'amour. - Vous croyez donc, adjousta Dorinde, que l'on ne pleure jamais que d'amour ? - Je ne le croy pas seulement, dit-il, mais je le sçay si bien que je m'asseure que vous l'advoüerez vous mesme. - Cela, dit-elle, ne feray-je jamais, et au contraire je suis tres-asseuree si l'on ne pleure jamais que d'amour, que Dorinde ne pleurera jamais. - Vostre beauté et vostre aage, répondit le Berger, ne vous exempteront pas fort aysément de ce tribut, si ce n'est que vous vous contentiez de faire pleurer ceux qui vous aymeront. - S'il faut, repliqua elle η, que quelqu'un pleure, j'ayme bien mieux que ce soit quelqu'autre que moy, et toutefois si l'on pleure d'amour, ce que je ne croy pas, ce ne seront jamais
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les hommes, puis que je ne pense point qu'il y en ait jamais eu qui ait sceu aymer η. - Cette derniere opinion, dit Sylvandre, est encore pire que l'autre ; c'est pourquoy (si vous me le permettez) j'essayeray de vous faire sortir d'erreur, et un ε autre fois nous parlerons de vostre premiere doubte. - Vous travaillerez en vain, répondit Dorinde, car l'experience a plus de force en moy que toutes les raisons que l'on me sçauroit alleguer. - Premierement, dit Sylvandre, nous vous payerons de raison, et puis après nous satisferons à vos experiences, et parce qu'elle en faisoit difficulté, et qu'elle vouloit changer de discours, ses compagnes la forcerent presque d'ouyr ce que Sylvandre luy voulait dire, et lors le Berger reprit ainsi la parole.
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- Ceux qui m'ont enseigné dans les écolles des Massiliens, entre les autres preceptes qu'ils mont ε donnez, l'un des premiers a esté de ne disputer jamais contre ceux qui nient les principes η. Dites moy donc, belle Dorinde η, croyez vous qu'en l'Univers il y ait quelque passion qui se nomme amour ? - Je pense, dit-elle, qu'il y en a une, mais pour laquelle toutefois les hommes ne sont point sensibles. - Nous rechercherons, reprit froidement Sylvandre, la verité de cecy, mais pour ce coup je me contente que vous m'advoüez qu'il y a un Amour au monde. Or dites moy je vous supplie, que pensez vous que ce soit que cet Amour ? - C'est, répondit elle, une certaine bonne volonté, ou plustost un desir de posseder la chose que l'on juge bonne ou belle.
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- Il n'y a point de Druyde en toutes les Gaules, reprit Sylvandre, qui peust parler plus doctement que cette belle Bergere : Or dites moy, s'il vous plaist, mettez vous les hommes au rang des raisonnables, ou bien si vous les croyez estre privez de raison ? - Vous me mettez bien en peine, dit la Bergere, car d'un costé je les vois raisonnables en certaines choses, et sans raison en d'autres. - Et toutesfois, adjousta Sylvandre, n'est il pas vray que tousjours les hommes recherchent ce qu'ils pensent les devoir contenter η, et se laissent emporter par toutes les puissances de leur ame à leur plaisir et à contenter η leur volonté ? - De cela, répondit Dorinde, il n'en faut point douter n'y en ayant un seul de tous ceux que j'ay cogneus qui ne delaissast
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plustost le meilleur de ses amis que le moindre de ses plaisirs. - Il me suffit, reprit alors Sylvandre, que vous m'ayez advoüé qu'il y ait un Amour, que l'amour soit un desir de ce qui est jugé beau ou bon, et que les hommes se laissent entierement emporter à leur plaisir et à leur volonté : d'autant qu'il me sera maintenant bien aisé de vous prouver que non seulement les hommes ayment, mais qu'ils ayment mieux que les filles η. - Si ce que je vous ay advoüé, dit incontinent Dorinde, vous faisoit prouver ce que vous dites, dés à cette heure je m'en dedirois, aymant mieux que cela me fut reproché que de voir prouver une si grande fausseté. Toutes les compagnes de Dorinde se mirent à rire, et prierent Sylvandre de continuer sans s'arrester à ses propos,
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et lors il reprit ainsi.
- Il ne faut pas, belle Bergere, beaucoup de paroles pour maintenant resoudre vostre doubte, mais de necessité conclure que le bon et le beau ne pouvant estre veus sans estre desirez, d'autant que la volonté n'a jamais que le bon pour son object, ou pour le moins ce qui est jugé tel : Il s'ensuit que plus on void ce qui est bon et plus on le desire aussi : Or l'amour n'estant autre chose que ce desir η, ainsi que vous mesme le dites, qui ne void que celuy ayme plus qui a plus de ces objects de bonté devant les yeux. Et ainsi nous dirons que la femme estant beaucoup plus belle et meilleure que l'homme, c'est un sujet beaucoup plus capable d'estre aymé, et n'y ayant rien en cet Univers qui puisse juger et recognoistre
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cette beauté que l'homme, il faut dire que l'homme aymera beaucoup mieux que la femme, qui n'a pas devant ses yeux un si digne sujet à desirer, et par ainsi, ou vous nierez la beauté et la bonté des femmes, ou que l'homme soit raisonnable, ou vous advoüerez qu'il ayme, et qu'il ayme mieux que vous toutes. A ce mot Sylvandre faisant une grande reverence à ces belles estrangeres les supplia de pardonner l'incivilité de laquelle il estoit contraint d'user en s'en allant, mais qu'il y estoit forcé par des affaires qui ne luy permettoient pas de demeurer là davantage, et qu'une autrefois il satisferoit au reste qu'il avoit promis, et se retirant de ceste sorte, Dorinde fut contrainte d'advoüer que Sylvandre ne demandoit η point la reputation qu'il avoit, et
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quoy que cette estrangere fut grandement animee contre les hommes, si confessa elle η à ses compagnes que si tous ceux de cette contree estoient faits comme ce Berger, lors qu'elle parleroit en general des hommes, elle excepteroit ceux qui vivent le long des rives de Lignon. Et parce que le midy η commençoit de s'approcher, et que c'estoit l'heure que chacun se retiroit en sa cabane pour éviter la chaleur qui estoit grande, Florice fut d'advis d'emmener Dorinde en leur demeure, et de l'y loger attendant que le ciel leur envoyast à toutes le remede qu'il leur avoit promis, et elle ne pensant pas de pouvoir mieux rencontrer receut l'offre qu'elles luy en firent et s'acheminerent η toutes ensemble en leurs loges : mais elles n'y furent
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pas plustost arrivees qu'elles apperceurent d'assez loing une trouppe de Bergeres qui montroyent de venir vers elles, et qui peu après furent recogneuës pour estre Astree, Diane, Phillis, Daphnis et la Druyde Alexis, non plus avec les habits de Bergere, mais avec les siens propres, parce que Diane et Phillis ayans fait entendre à Alexis et Astree, la rencontre qu'elles avoient faite de Dorinde, et le desir qu'elle avoit montré de la η venir voir, elles creurent estre à propos de la prevenir tant afin d'user de cette civilité envers l'estrangere, que pour n'estre obligees de la retirer en leur logis, qui leur eut esté une grande incommodité pour la liberté avec laquelle elles avoient accoustumé de vivre. Cela fut cause que laissant
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les habillements desquels elles s'estoient déguisees chacune reprit le sien le plus promptement qu'elle peut, et inconainent ε, quoy que la chaleur fut grande, se mirent toutes cinq en chemin, et d'autant plus volontiers que Diane les en pressoit grandement, comme desireuse d'ouyr cette estrangere qui disoit tant de mal des hommes, lesquels ε elle n'avoit pas une moins mauvaise, opinion, quoy qu'elle la sceut couvrir avec plus de discretion. Lors que Florice recogneut ces Bergeres, - Vous verrez, dit-elle, Dorinde, que voicy un effect de la courtoisie d'Astrée, et ne me croyez jamais si ce n'est elle qui vous vient visiter. - Je serois bien marrie, répondit-elle, que ces discrettes Bergeres eussent pris ceste peine à mon occasion, mais je confesse
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que ce ne me sera peu de contentement de les voir. - Puisque cela est, reprit Cyrceine, et si vous ne voulez estre accablee de trop de faveur, je suis d'advis que nous allions à leur rencontre le plus loing que nous pourrons, elles cognoistront par là que si nous eussions sceu leur dessein nous l'eussions devancé. En mesme temps ces quatre estrangeres, s'acheminerent au grand pas vers ces belles Bergeres, qui les receurent avec un visage si ouvert et avec tant de témoignages de bonne volonté, que Dorinde ne sçavoit laquelle elle devoit le plus admirer en elles, la beauté ou la courtoisie. Alexis aussi ne fut pas peu estimee qui sçavoit si bien contrefaire la fille qu'une seule de ses actions n'en démentoit point le nom : et parce que Dorinde s'apperceut,
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que toutes portoient du respect et de l'honneur à cette Druyde, elle eut opinion qu'il falloit qu'elle en fist de mesme : s'addressant η donc à elle : - Voicy, Madame (luy dit-elle) un de mes souhaits accomply, car il y a long temps η que j'ay desiré de voir Lignon, et les belles filles qui demeurent sur ses bords, et il semble que le ciel favorisant mon desir m'ait d'abord voulu faire voir tout ce qui y est de meilleur. - J'advouë quant à moy, répondit la Druyde, que quand vous voyez Astrée, Diane, Phillis et Daphnis, vous n'avez plus rien à rechercher sur les bords de ce Lignon que le ciel a voulu favoriser par dessus tous les autres fleuves de l'Europe, n'y ayant rien qui ne cede à ce que vous avez devant vos yeux. Astrée alors prenant la parole, - Ces
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loüanges, dit-elle, qu'il plaist à cette belle Druyde de nous donner sont des témoignages de l'honneur qu'elle nous fait de nous aymer, et mes compagnes et moy les recevons en cette qualité, quoy qu'elles surpassent de beaucoup, ce que nous pouvons valoir ; mais vous, belle Bergere ne vous y laissez pas tromper de peur que ceste creance ne fut cause de vous faire moins estimer le reste des Bergeres de ces rivages, car ne croyez pas qu'encore que celles qui sont icy n'ayent guiere de beauté les autres en soient de mesme, m'asseurant que pour peu que vostre commodité vous permette d'y sejourner, vous confesserez qu'elles ne doivent point estre méprisees, mais quant à nous vous nous aymerez, s'il vous plaist, non pas en qualité de belles, mais
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de bonnes filles, et qui desirons η estre les premieres en vos bonnes graces, comme aussi à vous offrir les devoirs que nos coustumes η nous obligent de rendre aux estrangeres de vostre merite. - Astrée, dit alors Dorinde, car je cognais bien que vous estes Astree, nulle autre Bergere ne pouvant estre si accomplie, et en beauté et en bonne grace, belle Astrée, dis-je, il est vray que les incommoditez du voyage que j'ay fait me semblent trop petites recevant une si grande recompense que cette-cy, et qu'il n'y a rien qui ne me rende un contentement η parfait, sinon, que quand je considere ce que je dois à vostre courtoisie, j'ay honte de me voir avec si peu de moyens pour m'en pouvoir acquitter. Leurs discours eussent duré davantage, si Florice qui se faschoit
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de demeurer si long temps au soleil qui donnoit tout à plain en ce lieu, ne les eust interrompus, offrant à la Druyde et à ces Bergeres, de se retirer à l'ombre de sa cabane, qui estant posee assez proche de Lignon et couverte de plusieurs grands arbres, avoit la fraischeur de la riviere et de l'ombrage. Se prenans donc toutes par la main, elles s'y acheminerent pour y passer une partie du jour attendans que la chaleur fust un peu abbatuë. Et parce que Diane se ressouvint de la promesse que l'estrangere luy avoit faite de luy dire le sujet qu'elle avoit de hayr les hommes, et qu'en l'humeur où elle se trouvoit il n'y avoit discours qui luy peust estre plus agreable. - Belle Bergere, luy dit-elle, après qu'elles se furent toutes assises, nous avons une coustume η
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parmy nos bois, que nous pensons devoir tout ce que nous avons promis η, et nous tenons ces obligations si asseurees que nous en demandons le payement aussi librement que si nous en avions contracté par écrit. C'est pourquoy vous ne trouverez point estrange si je vous somme en la presence de cette bonne compagnie de me payer ce que vous me devez, me semblant qu'outre vostre promesse, le temps, le lieu, et toutes choses vous y convient. - Encore que je n'y fusse point obligee de parole η, répondit Dorinde, je ne laisserois pas d'obeïr à tout ce que vous desireriez de moy, et en cecy je ne suis marrie, sinon que ce que vous desirez entendre ne merite pas que vous employez le temps à l'écouter, toutesfois puis qu'il vous plaist de le sçavoir,
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j'aime mieux faillir en vous obeïssant, que de ne pas satisfaire à vostre volonté, et alors après s'estre teuë quelque temps elle reprit la parole de cette sorte.
HISTOIRE DE DORINDE,
DE PERIANDRE,
de Merindor, et de
Bellimarte.
C'EST avec beaucoup de raison que les sçavants Myres ont accoustumé de dire que les maux η interieurs sont les plus dangereux et les plus difficiles à guerir, parce que la veuë n'y pouvant penetrer il faut que la seule conjecture serve à recognuistre ε quels ils sonti ε et de plus les passages estans plus libres pour se saisir du cœur et
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des parties plus nobles ils les infectent plus aysément, et s'en saisissent beaucoup plustost que ceux qui sont hors de nous : ce que nous pouvons dire des maux de l'ame, aussi bien que de ceux du corps, parce que ceux qui nous viennent des choses qui sont hors de nous sont beaucoup moins dangereux que ceux qui sont produits par les chose ε qui sont en nous. J'appelle celles qui sont hors de nous les biens, les faveurs d'autruy, la santé, la maladie, et bref tous les accident ε sur lesquels la fortune a souverains ε authorité, et je nomme celles qui sont en nous, tout ce qui dépendi ε de nostre volonte et des puissances de nostre ame : car c'est peu de mal que celuy que la fortune peut faire à une personne resoluë, et qui a fait dessein de ne manquer pour
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chose quelconque à ce qu'elle doit, mais au contraire il n'y peut point avoir de maladie qui soit petite lors que la volonté et l'entendement sont infectez et corrompus, et d'autant plus en sont les accidents à craindre qu'il faut que la guerison en vienne par la partie qui donne naissance au mal. Je dis ces choses, belles et discrettes Bergeres, pour les avoir éprouvees en moy mesme, et recogneu à mes dépens que l'entendement preoccupé trompe la volonté qui est aveugle, et qui se porte à tout ce qu'il juge bon sans jamais s'en départir, que cét entendement ne change le jugement qu'il a fait. Mais, ô Dieu ! de tous les venins qui s'emparent plus aysément de nous et de toute nostre ame, y en a il η quelqu'un plus dangereux et
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moins évitable que celuy de la tromperie ou plustost de la trahison des hommes, car comme s'ils estoient nos ennemis jurez, que ne font ils pour empoisonner nos ames de leurs venins ? Si nous avons un courage grand et relevé, ils mettent les genoux, voire le ventre en terre, nous honorent, nous reverent, et nous adorent, ils sont nos esclaves, ils ne veulent vivre que pour nous obeïr, et ne voudroient changer leur servitude à l'Empire de l'Univers. S'ils rencontrent une ame plus abbaissee et qui veüille vivre plus doucement, quels services ne leur rendent-ils point ? en quoy ne se transforment ils pas ? et qu'est-ce qu'ils n'inventent pour leur donner des plaisirs ? Quelles sortes de bals η ne recherchent-ils ? de quels habits ne s'agencent-ils
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point, et quels soings n'employent-ils pour se rendre agreables à celles qu'ils ont entreprises ? mais pourquoy toutes ces peines et tous ces artifices pour enfin plaire à celles qu'ils veulent gaigner et après les pouvoir tromper, ou plustost les faire mourir de regret et d'ennui de leurs perfidies et de leurs trahisons. Si jusques icy l'on n'avoit point eu de cognoissance de ce que je dis, je m'asseure que l'histoire que vous desirez oüyr de moy n'en rendera ε que trop de témoignage, et que je rediray d'autant plus volontiers que je suis bien aise puis que ce mal-heur m'est advenu, que celles qui m'entendront se puissent rendre à mon exemple, et plus avisees et plus prudentes, par la cognoissance qu'elles auront des insignes trahisons
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des hommes η. Sçachez donc, Madame η, et vous belles et discrettes Bergeres, que je suis née dans l'ancienne ville de Lyon, où mes ayeuls ont tousjours tenu l'un des premiers rangs, mon pere s'appella Arcingentorix, et ma mere Alcinie, celle-cy me laissa que j'estois encore en la garde de ma nourrice, mais mon pere avec un tres-grand soing me fit élever en tous les honnestes exercices qui sont propres aux filles de ma qualité, comme à dancer η, à chanter, et à joüer de divers instrumentss ε, avec lesquels il rendit ma jeunesse si recommandable, que plusieurs enfans de Chevaliers et de Druydes η me rechercherent et me voulurent avoir en mariage, mais mon pere qui avoit dessein de me loger bien avantageusement, et qui me voyoit
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encore fort jeune, alloit retardant η
tousjours de me donner a ceux qui me demandoient, pour voir si quelqu'autre plus relevé ne se presenteroit point, et j'advouë que quelquefois je m'en suis dépitee, blasmant η en ce temps-là la prudence η
de mon pere, que je loüe maintenant, maintenant η, dis-je, que j'ay cogneu combien la fille est miserable qui est mise soubs la servitude η des Tyrans, que les peres nous nomment des maris, mais qui sont en effect les vrays bourreaux η de la tyrannie des hommes.
Le premier qui jetta les yeux sur moy, ou duquel pour le moins je me pris garde, ce fut un nommé Teombre, qui depuis épousa Florice. J'estois alors en un aage si innocent, que quand j'eusse creu tout ce qu'il eut peu me dire, je ne pense
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pas que j'eusse esté punissable, mais la mauvaise grace de cet homme (et cela soit dit sans vous offenser Florice) le bas aage que j'avois encore qui me rendoit insensible à semblables recherches, et bref le peu de temps qu'il s'y arresta, me deffendirent des mauvais desseins qu'il pouvoit avoir sur moy, car fust qu'auparavant il eust desja servy η cette belle Florice, qu'il épousa depuis, fut que bien tost après il vint à l'aymer, tant y a que sa recherche ne servit à autre chose qu'à m'apprendre, si j'en eusse bien sceu faire mon profit, que tous les hommes sont des trompeurs, et que le plus constant ressemble au Cameleon η qui change de couleur selon les objects, sur lesquels il passe. Presque en mesme temps Periandre jeune Chevalier et fort aymable
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pour les bonnes qualitez qui estoient en luy, et qui couvroient les mauvaises conditions qui sont en tous les hommes, me voulut faire croire qu'il avoit de l'amour pour moy, et parce que la maison de son pere n'estoit guiere éloignee de celle où je demeurois, il avoit beaucoup de commodité de me voir et de me rendre tous les témoignages de bonne volonté qu'il luy plaisoit. J'estois veritablement bien jeune et peu capable de sçavoir η que c'estoit que d'aymer, toutesfois le soing qu'il y mist, le temps qu'il y employa, et ce que tous nos domestiques m'en disoient me firent croire qu'il me vouloit du bien sans que ma capacité, pour lors, me peust faire rien entendre ny soupçonner davantage, et voyez combien les enfans sont obligez à leurs
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peres, et combien ils doivent remercier le ciel quand il leur en donne de sages et bien avisez. Sy Arcingentorix eut voulu precipiter mon mariage, comme font plusieurs peres qui ne desirent que de se décharger de leurs filles, c'est sans doubte qu'il m'eut donnee par l'adveu de chacun à ce Periandre, que plustost que d'avoir épousé, j'aymerois mieux maintenant avoir éleu un glaive pour m'oster avec la vie le cœur de l'estomac.
Le sage dessein donc que mon pere avoit fut cause de dilayer ce mariage, que plusieurs jugeoient fort à propos tant pour l'aage que pour la noblesse et la valeur de la propre personne de Periandre, mais plus encore pour les biens qu'il avoit, qui est la chose que presque tous les Peres considerent le plus,
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et cette affaire allant en longueur, il avint que quelque temps après Hylas, je ne sçay comme je le dois nommer, Chevalier ou Pastre η de l'Isle de Camargue en la Province des Romains, ou Galloligures, arriva de fortune à Lyon.
- Il n'y a personne, interrompit Astree, en cette compagnie qui ne le cognoisse fort bien, estant depuis quelque temps devenu Berger sur nos rives de Lignon. Dorinde alors en sousriant, - Puis que vous le cognoissez toutes, reprit elle, et qu'il demeure le long de ces heureux rivages, je pense estre exempte de vous raconter les tromperies η et les malices η qu'il m'a faites. - Nous sçavons, adjousta Diane, l'amour qu'il vous a portee, la tromperie qu'il fit du miroir η où il avoit fait mettre sa peinture, et bref tout
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ce qu'il a eu a démesler et avec vous, et avec Periandre, jusques à son depart de Lyon. - Je sçay, répondit Dorinde, qu'il n'est guiere avare de raconter ses faits heroïques, mais je ne sçay s'il aura dit la verité, - N'en doutez point ma parente, reprit Florice, j'ay sceu η tout ce qu'il en a dit, et il est certain qu'avec le don d'inconstance, il n'a point celuy du mensonge. - Pour n'estre donc point ennuyeuse, continua Dorinde, et pour n'user de redite, je tairay ce qui m'avint avec luy, et seulement je remarqueray qu'en ordre Hylas a esté le deuxiesme qui m'a trompee, parce que Periandre qui avoit esté le second à m'aymer, n'avoit pas encore achevé sa trahison. Mais j'advouë que de tous ceux desquels j'ay esté deceuë, il n'y en a point de qui η je me plaigne
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moins que de Hylas, parce que librement il me protestoit qu'il m'aymeroit fidellement tant que cette humeur luy continueroit, mais qu'estant passee le ciel ny la terre n'avoient point d'assez forts liens pour le retenir ; si bien que ce libre adveu qu'il m'en a fait m'empesche de le blasmer, et quand je me souviens de son divertissement, j'en accuse le deffaut general de tous les hommes, entre lesquels je mets Hylas pour le moins trompeur de tous, mais puis que vous avez sceu ce qui s'est passé entre luy, Periandre, Florice et moy, je reprendray le discours où je m'asseure qu'il l'a laissé : je veux dire lors que Theombre emmena Florice hors de la ville, et que Cryseide la belle estrangere, s'échappa des prisons du Roy Gondebaut, m'asseurant, Madame,
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qu'il ne vous peut avoir rien dit davantage, puis que dés lors il laissa les rives de l'Arar pour suivre la belle Transalpine Chryseide, ainsi que plusieurs disoient.
Sçachez donc que Periandre se voyant seul aupres de moy, et luy semblant d'avoir le champ plus libre ayant perdu ce rival qu'il avoit tousjours grandement redouté, il se donna tellement à moy, pour le moins en apparence, que son amour n'estoit incogneuë qu'à ceux qui ne la vouloient pas sçavoir. Des que j'estois éveillee quelqu'un des siens ne failloit jamais de me venir donner le bon jour de sa part, et m'apportoit tantost des fleurs, tantost des fruicts les plus rares et les plus nouveaux de la saison, soudain que je sortois du logis pour aller au temple il estoit si soigneux
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de se trouver à ma porte que jamais je n'y allois sans estre accompagnee de luy, l'apresdinee il n'y avoit jardin où il n'essayast de faire assemblee pour m'y conduire, et jamais le soir le bal ne manquoit, ou en mon logis, ou en la maison de celles de mes amies que je luy disois, et la nuict estoit bien fascheuse, je veux dire bien pluvieuse ou accompagnee de vents et d'orages, s'il ne venoit faire la musique ou de voix ou de divers instruments au bas de mes fenestres, tous ses domestiques ne portoient couleurs que les miennes, et luy mesme n'entra jamais en tournois ny en behours que chargé de mes faveurs, c'est ainsi qu'il nommoit les écharpes et autres semblables choses, qu'en ces occasions il avoit de moy. Bref, Madame, figurez vous
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que ce n'estoit plus à cachette, mais à camp ouvert,
comme on dit, qu'il se disoit mon serviteur, et je confesse que ces devoirs flattoyent de sorte ma jeunesse peu experte, que je me donnay tellement à luy que je ne sçay ce que je n'eusse pas fait pour luy complaire,
et cela d'autant plus que mon pere considerant le merite de ce jeune Chevalier, et l'affection qu'il me faisoit paroistre, se laissoit peu à peu emporter contre son dessein à me le faire épouser.
Ce fut en ce temps que deux Chevaliers tournerent les yeux sur moy, l'un estoit estranger et s'appelloit Bellimarte, l'autre des rives de l'Arar et notre voisin, et se nommoit Merindor. Le premier estoit venu avec le Roy Gondebaut de delà les Alpes, et estoit Goth, pour me
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témoigner, je croy, qu'en quelque region qu'un homme naisse il ne peut estre exempt du deffaut de son sexe, je veux dire d'estre volage, inconstant et trompeur. Ce Bellimarte estoit celuy η qui avoit tenu prisonnier Arimant le serviteur, et depuis le mary de l'infortunee et bien heureuse η Chryseide, je l'ay nommee telle pour les mal-heureux, et heureux évenements qu'elle ressentit tant que leur amour dura, et si ce n'estoit que le discours en seroit trop long, je vous les raconterois, et je m'asseure que vous en feriez un mesme jugement. - Il ne faut pas, interrompit Astree, que vous en preniez la peine, nous les avons desja ouys, une partie par Hylas, et le reste par la belle et discrette Florice. - J'en suis bien aise, dit Dorinde, car cela sera cause que
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vous entendrez mieux, ce que j'ay à vous dire.
Ce Bellimarte, donc après qu'il eut esté debouté de toutes les pretentions qu'il avoit sur Arimant, ainsi que Florice vous aura peu dire, il η s'addressa en particulier au Roy, et luy sceut si bien representer les longs
services qu'il luy avoit rendus, les signalez exploits où il s'estoit trouvé, les dangers qu'il avoit passez, les blessures qu'il en avoit rapportees, et desquelles il luy montsra en son estomach plusieurs grandes cicatrices, et puis le supplia de considerer que de toutes ces choses il n'en avoit eu autre avantage que l'honneur d'avoir employé tout son aage
le peu de bien que ses parens luy avoient laissé, au service du plus grand Roy des Gaules, qu'il tenoit cet honneur
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bien cher, et qu'il ne le voudroit pas changer à quelque autre recompense qu'on luy peut donner, mais que si cela estoit honorable pour Bellimarte, il η ne l'estoit pas à la grandeur ny à la Majesté de Gondebaut, parce que c'estoit une marque et un témoignage qu'il n'estoit pas bon maistre, puis que l'ayant servy si longuement et si fidellement, il n'en avoit autre gratification, sinon d'estre tenu pour son serviteur. Il adjousta à ces considerations plusieurs autres discours, qui toucherent de sorte le cœur genereux de ce Roy, qu'après avoir rejetté la faute de cette tardive recompense sur luy mesme, qui n'avoit jamais rien demandé pour luy faire paroistre quelque effect de sa bonne volonté, il luy donna la charge des solduriers estrangers
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que pour la garde de la ville, il entretenoient ε dans Lyon, charge à la verité, et si honorable et si profitable, qu'il le recompensa tout en un coup, outre toutes ses esperances, et avec laquelle, luy qui estoit homme bien avisé pour ses affaires, il η se releva de sorte par dessus ce qu'il souloit estre, et se rendit si riche et si accomodé qu'il pouvoit sans outrecuidance aspirer aux meilleures alliances de toute la contree.
Toutes ces choses advindrent cependant que j'estois si soigneusement recherchee par Periandre, et parce que Bellimarte se vouloit appuyer
dans la Province où il avoit une charge si avantageuse, il fit dessein de prendre quelque alliance, qui fut telle qu'il en retirast plustost de l'assistance des parens que de l'argent du mariage. Cela fut
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cause qu'il jetta l'œil sur moy, et à telle heure η que depuis j'en receurs ε tant de peines et d'ennuis, que je ne sçay comment j'en puis souffrir la memoire. En mesme temps Merindor revenant d'un long voyage me vid par mal-heur dans une assemblee qui se faisoit pour les nopces de Parthenopé, et deslors commença aussi de me rechercher, de sorte que Periandre qui avoit esté seul quelque temps en ce dessein, se vid tout à un coup mieux accompagné qu'il n'eust pas voulu : Il est vray que Merindor y alloit avec plus de discretion que Bellimarte, qui s'appuyant sur l'authorité qu'il avoit aupres du Roy et en la ville, me rechercha d'abord tout ouvertement, luy semblant encore que Periandre se fust declaré devant luy, que toutesfois les
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advantages que la fortune luy donnait par dessus ce jeune homme, pourroient tant sur Arcingentorix qu'il le choisiroit plustost que Periandre.
Au contraire, comme, si par cette recherche Periandre eust de beaucoup augmenté son affection, il me fit depuis paroistre plus d'amour que de coustume, fust que veritablement les difficultez η augmentent le desir, fust que ce qu'il faisoit au commencement seulement par amour, il y fut depuis poussé, et par l'amour, et par la honte qu'un autre luy ravit la proye qu'il avoit chassee si long temps, de sorte qu'avec mon consentement il se resolut de me faire demander à mon pere. J'y consentis, je l'advouë, parce que la recherche de Bellimarte ne m'estoit pas
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fort agreable, le grand aage qu'il avoit plus que moy, et sa rude façon ne ressentant que le fer et le sang, me faisoient presque avoir frayeur de luy, et celle de Merindor ne m'estoit encore bien cogneuë, car la discretion, dont cetuy-cy usoit au commencement, estoit telle qu'il estoit malaisé de recognoistre si c'estoit à bon escient ou pour passe-temps. Periandre donc ne perdant point de temps, fait parler à Arcingentorix, de nostre mariage, et à la premiere ouverture propose la carte blanche η à mon pere ; et tasche, à ce qu'il sembloit, d'en tirer une favorable réponse. Mon pere le remercie de cette bonne volonté, et après luy fait réponse que quand il voudra marier sa fille il la traittera en fille, et non pas en personne de laquelle il se
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veüille seulement desfaire, qu'à la verité il n'a pas encore pensé à me marier, luy semblant que mon aage ne le pressoit point, que toutesfois pour faire paroistre combien il estimoit son alliance, il luy promettoit que dans un mois il luy en donneroit toute resolution. Toutes ces choses ne se peurent faire si secrettement que Bellimarte et Merindor n'en fussent advertis, et cela fut cause que l'un et l'autre se resolut η de traverser ce traicté par toutes les voyes qui leur seroient possibles, et ne jugeant pas qu'il y en eust une meilleure que de me gaigner, croyant bien qu'Arcingentorix ne me marieroit jamais contre mon gré, ils se déclarerent encore plus ouvertement qu'ils n'avoient point fait.
Il me souvient qu'en cette resolution,
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Merindor me rencontrant un matin dans le temple, où Periandre m'avoit conduitte, et d'où il ne faisoit que de sortir, se mettant à genoux aupres de moy, - Est-ce, me dit-il, belle Dorinde, pour prier les Dieux ou pour les remercier, que vous estes icy ? Je ne sceus au commencement que luy répondre, comme celle qui n'entendoit point ce qu'il vouloit dire, et parce qu'après l'avoir quelque temps regardé sans luy dire mot, je retournay à mes prieres, il repliqua, - Que veut dire ce silence, est-ce un témoignage de mépris, ou d'estre importunee η ? - Ny l'un, ny l'autre, luy dis-je, j'estime trop Merindor, mais c'est que veritablement je ne vous entends pas, car que me dites vous de priere et de remerciement ? - Je vous demande, adjousta-il η, si vous venez
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prier les Dieux qu'ils vous fassent épouser Periandre, ou si vous les remerciez de ce qu'ils l'ont desja fait ? - Ny l'un, ny l'autre, luy répondis-je en sousriant, ne sera jamais cause de me les faire beaucoup importuner : - Que vous estes dissimulee, me dit-il, de parler de cette sorte, - Mais que vous estes incredule, repliquay-je, si vous ne me croyez pas, - Et pourquoy, reprit-il, me niez vous une chose qui n'est plus cachee à personne ? - Pourquoy, luy répondis-je, en tournant la teste de l'autre costé, me la demandez vous si vous la sçavez, et si vous ne me voulez pas croire ? - Je sçay, me dit-il, ce que tous sçavent, mais je vous demande ce que vous seule me pouvez dire. Dites moy donc de quelle façon vous recevez ce mary ? - Comme une fille, luy dis-je, reçoit
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celuy que son pere luy donne, - Pleust à Dieu, adjousta il η, avec un grand souspir, que ce fust seulement par obeïssance, et non pas de volonté ? - Ma volonté, luy répondis-je, sera tousjours toute telle que celle d'Arcingentorix : mais dites moy Merindor, quel interest y avez vous qui vous puisse faire souspirer ? - Je puis bien souspirer, me dit-il, de ce que je ne cesseray jamais de pleurer, et à ce mot je vy que les yeux luy rougissoient, et qu'il sembloit qu'ils nageassent dans des larmes η, et parce qu'il ne vouloit, comme je croy, que pour ce coup j'en sceusse davantage il s'en alla hors du temple sans me rien dire, me laissant toutesfois avec asseurance qu'il m'aymoit, et que ce mariage luy touchoit au cœur, mais cela ne fit guiere d'effect
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en moy, d'autant que je m'estois du tout dediee à Periandre, me semblant que ses merites et son affection m'y obligeoient.
Le peu de conte
que je fis du déplaisir que Merindor avoit fait paroistre en s'en allant le toucha si vivement, qu'à demy desesperé d'estre jamais aymé de moy, tant que Periandre viveroit, il fut deux ou trois fois en volonté de s'en prendre à luy, pour voir, ce ε disoit-il, auquel des deux le sort
me donneroit, et lors qu'il estoit plus avant en ceste pensee, il fut rencontré par l'un de ses amis, auquel il avoit le plus de confiance, fust pour l'amitié qu'il luy portoit, de laquelle il luy avoit rendu plusieurs témoignages, fust pour la sagesse et prudence η, dont il usoit en toutes ses actions, son aage luy ayant
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acquis cette reputation envers tous ceux qui le cognoissoint ε, Euphrosias donc, car c'estoit ainsi que ce sage amy se nommoit, voyant Merindor le chappeau enfoncé, les yeux contre terre, le manteau troussé soubs le bras en confusion, et marcher à grands pas le long de la ruë sans se prendre garde de personne, cogneut bien qu'il avoit quelque affaire qui le tenoit en peine, et parce qu'il sçavoient ε assez que sa jeunesse et son courage le portoient bien souvent à des trop violentes resolutions, desquelles le repentir venoit ordinairement trop tard, il s'approcha de luy, et après l'avoir salüé et qu'il vid η qu'il ne luy répondoit rien, - Et quoy Merindor, luy dit-il, le tirant par le bras ? estes vous resolu aujourd'huy de ne parler point à vos
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amis ? Merindor à cette voix et se sentant retenir, s'arresta tout court, et comme s'il fut revenu d'une extase, regarda froidement Euphrosias, et après avoir demeuré quelque temps muet ? - Je vous supplie, luy dit-il, enfin pardonnez η cette faute à la mauvaise humeur qui me tient. - Je le veux, répondit son amy, mais à condition que vous m'en direz la cause. - Quand vous ne la voudriez pas sçavoir, adjousta Merindor, je vous supplierois de l'entendre, ayant autant de besoin de vostre sage conseil que j'eus de ma vie, mais retirons nous à part de peur que quelqu'un n'entende nos discours. A ce mot estans entrez dans une grande place qui est au devant de l'Athenee, il le prit par le bras et commença de luy dire la naissance de son amour, le progrez
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et l'estat où alors elle estoit, puis luy fit entendre celle de Periandre, et de Bellimarte, mais quand il vint aux discours qu'il m'avoit tenus dans le Temple, et ceux que je luy avois répondus, en faveur de Periandre, il entra en une telle passion que le sage et prudent Euphrosias cogneut bien que l'affection qu'il me portoit estoit trop grande pour en divertir son amy, ny par les raisons ny par les prieres, et cela fut cause que pour éviter des deux maux qu'il en prevoyoit, celuy qui estoit le plus dangereux η, il jugea qu'il le falloit seulement retirer de la hayne qu'il portoit à Periandre, et remettre au temps η la guerison entiere du mal ; c'est pourquoy au lieu de le reprendre avec un visage severe, comme il avoit accoustumé, il luy répondit en sousriant,
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- Par vostre foy, Merindor, est-ce là tout le sujet que vous avez d'estre hors de vous ? - Comment, dit Merindor, ne vous semble-il η point que j'en aye occasion, puis que l'affection que je porte à Dorinde est telle, qu'il m'est impossible de m'en retirer ; et toutesfois je voy devant mes yeux ce voleur qui me vient ravir mon bien. - Et ne sçavez vous point, répondit Euphrosias, de remede à cela ? - Je n'y en voy point d'autre, adjousta Merindor, que de ravir la vie à celuy qui me veut oster le bon-heur, sans lequel aussi bien je ne puis vivre. - O Merindor ! s'écria Euphrosias, que vous prenez bien cette affaire à rebours ? dites moy, je vous prie, avez-vous opinion que Dorinde ayme Periandre ? - Comment, dit incontinent Merindor, si j'en ay η
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opinion ? Mais serois-je pas le plus incredule du monde, si je ne le tenois pour tout assuré ? - Or reprit le sage amy, ne prenez-vous pas bien à rebours cette affaire, puis que vous pensez pour acquerir la bonne volonté de Dorinde, qu'il faille que vous fassiez mourir la personne du monde qu'elle ayme le plus, ne voyez vous que la passion vous deçoit, et que tant s'en faut, c'est un moyen pour vous faire haïr autant que la mort ? - Et quel remede y a il η adjousta Merindor, si cetui-cy n'est pas bon ? - Il n'est pas bon sans doute, répondit Euphrosias, mais dite ε moy, je vous supplie, pourquoy pensez vous qu'il fust necessaire de faire mourir Periandre ? - Parce, dit-il, que l'amitié η qu'elle luy porte est cause qu'elle ne maymera ε point. - Or reprit incontinent
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Euphrosias, faisons que cette raison soit pour vous aussi bien que vous la croyez pour luy, je veux dire que vous fassiez en sorte que Periandre ne soit point aymé d'elle, parce qu'elle aymera Merindor. - O, s'écria Merindor, que vous estes gratieux ! Mais c'est-là la peine, comment faut il faire pour parvenir à ce bon-heur ? - Faites répondit Euphrosias, comme Periandre a fait, et mieux encore, avez vous opinion que le Ciel vous doive moins favoriser que quelque autre chevalier de vostre aage ? - Mais dit Merindor, elle ayme Periandre : - Tant mieux, répondit Euphrosias, c'est signe qu'elle n'est pas insensible aux coups d'Amour η, et pourquoy penserez vous que vos services ne doivent estre aussi heureux que les siens ? Voyez vous, Merindor, puis
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que vous aymez Dorinde et que vous ne pouvez vous en retenir, resolvez vous à la tant aymer que cette amour la convie, ou plustost la contraigne à vous aymer aussi. - O mon cher amy ! dit Merindor en souspirant, qu'il est difficile de parvenir à la fin de cette entreprise, car quoy que je vous aye dit de Periandre, il est certain qu'en mon ame je ne pense pas qu'elle l'ayme, mais tout ce qu'elle en fait n'est que pour rendre l'obeïssance qu'elle doit à son pere : - Tant mieux, adjousta Euphrosias, car si elle ne l'ayme point vous la gagnerez beaucoup plustost n'estant encore engagee à personne. - Mais ! ô Dieux, dit Merindor, si Periandre n'y a rien peu avancer, quelle esperance dois-je avoir ? - Et quoy, repliqua Euphrosias, est-ce à dire que
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ce qu'une personne mal-heureuse ou mal-faite, ne peut pas faire, une autre plus heureuse, ou de plus de merite ne le puisse obtenir ? Non, non Merindor, l'amour des femmes est une de ces choses où il ne faut jamais chercher raison η, ny de laquelle il ne faut jamais desesperer, et soyez tres asseuré qu'il y a une certaine heure η au jour en laquelle elles ne peuvent rien refuser, et c'est pourquoy l'Oracle est tres-veritable, qui fut répondu à un amant qui demandoit ce qu'il avoit à faire pour vaincre la cruauté de sa Dame.
Ayme, ose et continuë η.
Avec de semblables discours Euphrosias divertit son amy du dessein qu'il avoit de rendre du déplaisir à Periandre, et le remplit tellement d'esperance qu'il recommença
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de me rechercher avec tant de soing, que Periandre et Bellimarte ne se purent empescher d'en entrer en quelque jalousie, parce que jusques là il ne s'estoit point declaré si ouvertement que l'on peust juger que sa recherche outrepassast les limites de la bienveüillance, mais certes depuis il leur fit bien paroistre que son dessein estoit different de ce qu'ils l'avoient estimé, et cela fut cause que de leur costé ils s'efforcerent de le tenir le plus éloigné qu'ils pourroient, mais sur tous Periandre qui avoit eu la réponse de mon pere, que je vous ay dite, pretendoit avoir desja quelque part en moy, plus grande que celle de serviteur ; et sans mentir il avoit raison, car en ayant depuis plusieurs fois ouy parler à mon pere, qui inclinoit grandement à
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me donner à luy, je me laissay peu à peu lier de telle sorte à l'opinion de devoir estre bien tost sa femme, que je l'estois desja entierement de volonté.
Cependant que ces trois personnes se debattoient de cette sorte à qui me gaigneroit, le terme que mon pere avoit pris pour répondre à Periandre s'écoula, et luy qui montroit d'attendre avec une impatience extreme ce jour qu'il nommoit bien-heureux, le soir mesme ne manqua point de venir trouver mon pere avec trois de ses plus proches parens, et d'abord se jettant à ses genoux le supplia, comme s'il y fust allé de sa vie, de vouloir luy rendre réponse, ainsi qu'il leur avoit promis ; - Mais, disoit-il, Seigneur, si elle n'est pas telle que demande le desir que j'ay
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de vous faire service, il suffit que vous m'en fassiez signe, car à mesme temps je ne vous osteray pas seulement la veuë de ce mal-heureux, mais je luy osteray à luy-mesme celle de tout le monde, le precipitant luy et tous ses desseins dans le profond de l'Arar. Il accompagna ces paroles avec de telles actions, qu'il n'y avoit personne qui ne creut qu'elles sortoient d'un cœur tres-veritable, et mon pere, comme les autres, deceu de cette opinion, luy tendant la main pour le relever, - Mon fils, luy dit-il, car pour tel vous veux-je tenir dorenavant, levez vous et croyez que si j'avois quelque chose de plus cher que Dorinde, je la η donnerois à vostre merite, aussi bien que dez icy je la η vous donne, et prie les Dieux qu'ils vous rendent tous deux heureux
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et contents η à jamais. Periandre ravy de ce contentement ε,
baisa la main d'Arcingentoris
plus de cent fois, avec de si grandes demonstrations d'amour, qu'il n'y avoit personne en la compagnie qui ne jugeast son affection extreme. En mesme temps mon pere me fit appeller, et me prenant par la main me mena où estoit Periandre, - Ma fille, me dit-il, je veux que tu aymes ce Chevalier comme celuy qui doit estre ton mary, et à qui dés à cette heure
je te donne, et d'aujourd'huy en huict jours je veux que le mariage s'en fasse. A ce mot Periandre s'avançant me vint salüer, - Et moy, dit-il, je reçoy, vous pour mon pere et Seigneur, et elle pour mon épouse et ma Dame.
Jugez, Madame,
et vous sages et belles Bergeres ? s'il se pouvoit
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croire que des promesses faites si solemnellement, et avec tant de démonstrations de contentement, ne deussent estre à jamais inviolables : mais (ô honte du genre humain !) oyez la perfidie de tous les hommes soubs la personne de cetui-cy. Ces huict jours que Arcingentorix avoit pris pour la conclusion de mes nopces furent diversement employez : car mon pere ne cessa de preparer tout ce qui estoit necessaire pour mon mariage, ceux de la ville pour montrer combien nostre famille y estoit aymee et honoree, firent divers desseins de danses η, de tournois et de behours, Bellimarte estoit à toutes heures aux oreilles de Gondebaut pour destourner l'effect de ce mariage, mais Merindor les passa, une partie en regrets et en pleurs, une partie
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à maudire moy et mon pere, et l'autre partie à me predire plusieurs choses de l'inconstance de Periandre, de sa dissimulation et de sa perfidie, que depuis je n'ay trouvees que trop vrayes, et ausquelles je ne voulois alors prester l'oreille, me semblant que ce seroit offencer l'amour qu'il me portoit, et que j'avois pour ce trompeur. Quant à Periandre il estoit tant empesché autour de moy, à me caresser, à me conduire en divers lieux autour de la ville pour me faire passer le temps qu'il ne pensoit à autre chose pour le moins en apparence. Pour moy j'advouë que la façon dont il vivoit, m'obligeoit de sorte que je n'avois plus d'autres pensees qu'à luy estre agreable. Or voyez, sage Druyde, comme le ciel se mocque de nos desseins, et comme il les change
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en peu d'heure quand il luy plaist.
Durant ce temps, ou fust que je prisse
mal η pour trop danser, ou pour manger des fruicts, ou plustost, comme je croy, que j'eusse esté en quelque maison qui ne fut pas bien nette, ou pour mieux dire que le ciel le voulut ainsi, pour moster ε avec si peu de mal, l'eternelle misere ou j'eusse passé le reste de ma vie si cet accident ne me fust arrivé, ne voila pas que le sixiesme jour estant écoulé, sur la minuict je prends un grand mal de teste, avec une fievre si ardente qu'elle me mit toute en feu, et qui me continua plusieurs jours, et tousjours avec un tel assoupissement η que l'on ne me pouvoit éveiller, et après m'avoir tourmentee quelque temps de cette sorte, un matyn ε que les Myres me venoient
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visiter, ils me trouverent le visage tout couvert de taches rouges, et qui peu à peu se grossissants η s'empoullerent
de telle sorte que veritablement elles me rendirent affreuse : c'est un mal que les petits enfans ont accoustumé d'avoir, et de fortune en ce temps là plusieurs filles de mon aage, dans la ville, en estoient affligees, parce que c'estoit environ le temps que l'on va cueillir le Guy, le sixiesme de la lune de juillet η, que ε cette annee se rencontra bien avant dans le mois d'Aoust.
Cette maladie survenuë ainsi inopinement rompit tous les desseins qui avoient esté faits, car j'en fus de sorte tourmentee, que plusieurs pensoient que j'en mourrois. Periandre au commencement me vint voir deux ou trois fois, et montroit d'avoir un tres-grand déplaisir
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de mon mal pour le retardement, disoit-il, de nostre mariage, mais deslors que la petite verolle η
parut, c'est ainsi que l'on nomme ce mal, il ne rentra jamais plus dans mon logis. Il envoyoit quelquefois sçavoir comme je me portois, mais pour luy il n'approcha pas seulement ma porte tant il avoit d'horreur de moy, ou de peur de prendre mon mal.
Tant que la grande furie me dura, j'advouë que je ressentis fort peu la façon dont il usoit, quoy qu'il n'y eust personne qui l'entendit qui ne le trouva estrange, mais j'estois tellement occupee de la douleur, que je n'avois le loisir de demander ce que Periandre faisoit, lors que je commencay un peu à respirer, et que la grande violence s'alla assoupissant η,
il est vray que je
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demanday de ses nouvelles, et que sçachant le peu de souvenir qu'il avoit de moy, je creus incontinent que Merindor m'avoit dit vray quand il m'avoit predit l'inconstance de Periandre, et toutesfois je ne pouvois, tant j'estois faite à la bonne foy, m'empescher de chercher des raisons pour l'excuser. Quelquesfois je me figurois que quelques affaires l'avoient emmené hors de Lyon, et qu'il souffriroit autant de déplaisir que moy de ne sçavoir point de mes nouvelles : d'autresfois j'entrois en opinion que mon pere eust changé de volonté, et qu'il luy eust fait deffendre de me voir : quelquefois je disois qu'il estoit malade, et que le peu de soing de ceux de ma maison estoit cause que nous n'en estions point advertis, bref je me
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tournois de tous les costez pour essayer de me tromper moy mesme. Mais enfin ma maladie allant en longueur, et ce perfide continuant tousjours de vivre de cette sorte, je ne fus que trop asseuree du changement de sa volonté. Pensez, Madame, et vous belles Bergeres, que c'est que le ressentiment de cette offence ne me fit point dire, au commencement je pleuray sans en parler à personne, et cachois mes larmes à chacun, mais quand je vis que tous en parloient et blasmoient sa tromperie, il me fut impossible de n'en donner plus de témoignages que je n'eusse pas voulu : la foiblesse où le mal m'avoit reduite, avec celle qu'ont naturellement celles de nostre sexe η, et plus encore de mon aage, ne me permit pas de le mieux cacher.
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Au contraire, Merindor, comme s'il eust augmenté son affection par la grandeur de mon mal, estoit continuellement à la porte de ma chambre pour essayer de me voir, si on le luy eut voulu permettre, et dés qu'il sceut que j'estois hors de danger, à y amener la musique, tantost des voix, et tantost des instruments, afin de me faire passer des heures plus doucement, et par ce qu'il sçavoit le changement de Periandre, je me souviens qu'un jour il fit chanter η à la porte de ma chambre ces vers, sur ce sujet.
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Un amant inconstant.
I.
CE jeune amant, ô Dieu η, pourra il η bien
Rompre le nœud qu'il disoit Gordien,
Pour se rendre infidelle ?
S'il peut le faire, Amour, jamais son cœur
Digne ne fut d'une flame si belle,
Ny d'un si beau vainqueur.
II.
Pourra-il η bien le quitter ce bel œil,
Sans que mourant incontinant de deüil
Il en paye l'amande η ?
Ah ! pour certains ε s'il en a le pouvoir
Jamais ses yeux une beauté si grande
N'ont merité de voir.
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III.
Pourra-il η bien, après l'avoir aymé η,
S'en éloigner sans en estre blasmé
Comme un perfide insigne ?
Amour dy moy, s'il en esteint les feux
Ce cœur changeant n'estoit-il il pas indigne
D'estre bruslé par eux ?
IV.
Des le moment qu'un cœur en η est atteint
Jamais depuis le feu ne s'en η esteint,
Il va brûlant η sans cesse.
Combien en η sont incurables les coups,
Vous le sçavez quand ce bel œil vous blesse
O grands Dieux, comme nous.
V.
Que pleust au ciel que cet extreme bien
Fut destiné quelquefois d'estre mien,
Par quelque Astre propice :
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Ah ! je voudrois jusqu'à l'eternité
Faire égaler l'amour et le service
De ma fidelité.
Et parce qu'il eut opinion que je ne les avois peu assez bien ouyr à cause de la quantité des voix η, il me les fit presenter par une fille des miennes qui estoit venuë sur la porte de ma chambre pour écouter la musique : et toutefois j'avois esté si attentive que je n'en avois pas presque perdu une parole. Je ne fis pour lors semblant de cognoistre ce qu'il vouloit dire, quoy que j'en eusse de tres grands ressentiments, mais lors que je fus seule, j'advoüe que considerant le peu de soing que Periandre avoit eu de moy, et l'oubly où il sembloit de m'avoir mise, je creus que je devois grandement mépriser une telle humeur, et plus
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encore lors qu'estant hors du lict, et que je n'osois sortir de la chambre pour avoir le visage tout changé, comme ce mal accoustumé ε de le laisser ordinairement, il n'envoya pas seulement, sçavoir comme je me portois : ce fut bien alors que je me resolus de n'estre jamais à luy plus que j'avois esté, et si de fortune je luy avois donné quelque place en mon ame l'en éloigner de sorte que la pensee mesme ne m'en peust jamais revenir. Ce seroit perdre le temps de vous dire de quelles reproches j'usois contre luy, ny quelque resolution que je peusse prendre des déplaisirs que je ressentis de cette separation η, car il est vray que je m'estois de sorte asseuree sur l'affection qu'il m'avoit promise, que je ne pensois devoir jamais finir mes jours qu'en
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sa compagnie, et maintenant me voyant deceuë et delaissee pour une maladie je ne pouvois assez me plaindre, d'avoir esté tant indignement trompee, ny assez admirer en luy l'inconstance, ou plustost la trahison de tous les hommes.
Et toutefois, quoy que j'eusse cent et cent autres fois juré et protesté de ne me soucier jamais de luy, et que
quand il reviendroit je ne daignerois le regarder, si est-ce que je ne me pus empescher de luy faire demander quelle estoit la cause de cette si prompte separation, et celle qui la luy demanda fut une fille qui me servoit, et en laquelle nous nous estions fiez, et luy et moy, durant toute la recherche qu'il m'avoit faite, mais sa réponse fut bien gracieuse. - D'où vient, Periandre, luy dit cette fille, que vous ne
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voyez plus Dorinde, ny ne demandez point de ses nouvelles ? - Et quoy, répondit il, Dorinde vit elle encore ? - Comment adjousta la fille, si elle vit, mais n'est elle pas guerie, ou pour le moins bien tost en estat de sortir de la chambre. - Eh ! ma fille, repliqua Periandre, tu te trompes, ou tu te mocques de moy, elle est morte pour certain, mais on m'a bien dit que mourant η elle a laissé en sa place une certaine laide fille que pour l'amour d'elle l'on a nommee Dorinde, mais la belle Dorinde que j'aymois est asseurément morte, et j'en ay eu tant de regret que je ne veux point aller voir cette-cy pour n'avoir occasion de pleurer encore l'autre, pour laquelle j'ay jetté tant de larmes. - Et quoy Periandre, reprit la fille toute étonnee de cette réponse, vous ne vous
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contentez pas de vous separer d'amitié, mais encore vous vous mocquez du mal de Dorinde. - Dorinde, reprit-il incontinent, comme je te dis, n'est plus au monde, et que
voudrois tu que je l'allasse aymer dans le cercueil ? Et quant à celle qui est en sa place, ha ! ma fille, elle est si laide que je la quite à qui la voudra ; et à ce mot, sans attendre autre réponse, il s'en alla d'un autre costé.
Jugez, Madame, si ce discours me fut difficile à supporter, et toutefois il fallut boire cette amertume
sans faire presque semblant de la trouver de mauvais goust, mais n'estoit il pas le plus cruel du monde de donner des coups si sensibles
sur de si profondes blessures, car le regret estoit bien en moy assez grand d'avoir perdu η par cette maladie
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ce que l'on m'avoit persuadé qu'il y avoit d'aymable en mon visage, sans y adjouster celuy de me voir trompee par la personne de qui je l'attendois le moins. Delà à quelque temps mon pere me vint voir, et non pas à la verité sans avoir les larmes aux yeux, me voyant si changee, et parce que je m'en apperceus, - Mon pere, luy dis-je, ne vous affligez point de la perte η de ce qui ne se pouvoit conserver guiere longuement, et au contraire resjoüissez vous, je vous supplie, avec moy de ce que par une chose de si peu de prix, je me suis rachetee de la plus mal-heureuse fortune que miserable fille eust peu jamais avoir : et là dessus je luy racontay ce que Periandre avoit fait et dit, et adjoustay-je après, me jettant à ses genoux, - Mais mon père si j'ay jamais
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fait chose par mon obeïssance qui vous ait esté agreable, je vous supplie de me promettre que vous ne me commanderez jamais d'estre plus proche à ce perfide que je l'ay esté jusques icy, - Comment Dorinde, me dit-il en me relevant, et me baisant η au front, si je te le promets, mais de plus je te le η commande de ne me jamais nommer son nom que comme celuy du plus indigne Chevalier qui vive.
A ce mot mon pere s'en alla et me laissa avec une satisfaction extreme de la promesse qu'il m'avoit faite, et deslors je commençay de faire plus d'estat de Merindor, que je n'avois jamais fait, me semblant que la façon, dont il avoit vescu, m'obligeoit de le preferer à tout autre : parce qu'encore que Bellimarte n'eut point manqué de m'envoyer
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visiter, ny d'estre soigneux de tous les remedes qu'il pouvoit apprendre pour le soulagement de mon mal, si est-ce que son humeur estoit si contraire à la mienne qu'il m'estoit impossible de me contraindre à l'aymer.
Cependant je m'allois guerissant η, non pas que je n'eusse le visage si gasté, que veritablement je n'estois plus cognoissable, et quelquefois me regardant moy-mesme dans un miroir, je demeurois estonnee de me voir, et cela estoit cause que l'on tenoit curieusement serree la porte de ma chambre, de peur que personne n'y peust entrer que ceux qui me servoient, esperant tousjours que peut estre le temps y apporteroit quelque amendement. Mais Merindor qui sembloit avoir en mon mal augmenté l'affection
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qu'il avoit auparavant pour moy, et qui ne bougeoit de mon anti-chambre, avec diverse sorte de musique, ainsi que je vous ay dit, un jour que j'estois seule avec cette fille qui avoit parlé à Periandre, et que la porte estoit mal fermee, il entra si promptement où nous estions qu'il fust plustost à genoux devant moy que je n'y eus pris garde. De fortune j'avois le masque sur le visage, mais je ne me pouvois cacher les yeux sinon avec les mains, et les mains estoient si gastees que j'avois honte de les montrer, n'ayant eu le loisir de mettre les grands ε. Si je fus surprise, vous le pouvez penser, je fis tout ce qui me fut possible pour me sauver dans un cabinet qui touchoit mon lict, mais il m'embrassa de telle sorte les jambes, qu'il me fut
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impossible de me bouger du siege où il m'avoit trouvee. - Mon Dieu, Merindor, que vostre curiosité m'importune, et que vous m'eussiez fait de plaisir de ne vous souvenir non plus de moy que Periandre. - Comment, me répondit-il, voudriez vous bien limiter les effets de mon affection à la foible amitié de celuy que vous nommez ? Ah ! Madame, pardonnez moy, s'il vous plaist, cette offense n'est guiere moindre envers moy, que la sienne envers vous. - Envers moy, repris-je incontinent, je vous asseure, Merindor, que si cette-cy ne vous touche pas davantage que celle de Periandre me peut donner d'ennui, vous n'en ressentirez guiere de mal, car quant à moy à peine me souviens-je de son nom, tant s'en faut que quelque action des
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siennes me puisse offencer. Mais parlons d'autre chose, je vous supplie, et me dites qui vous a donné l'envie de me voir en l'estat où je suis, puis que plustost si vous m'avez aymee vous en deviez fuir l'occasion : et en disant ces paroles je le relevay de terre, et luy fis apporter une chaire ne le voulant souffrir devant moy à genoux. - Madame, me répondit-il, mon affection est celle-là qui ne m'a jamais laissé en repos que je n'aye satisfait à la curiosité que tout homme qui ayme bien a de voir ce qu'il ayme et qu'il adore ; et ne vous figurez, je vous supplie, que je vous aime avec cette condition de ne vous plus aymer quand vous ne serez pas aussi belle que vous souliez estre : cette sorte d'amour, que j'estime plustost devoir estre nommee trahison
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n'est pas recevable dans le cœur qui ayme bien, puis que la vraye affection n'a point d'autre terme que l'eternité, n'y ε d'autre condition que d'aymer Dorinde, telle qu'elle est, et telle qu'elle puisse jamais devenir. Voyez, sage et belle Druyde, combien aisément on juge autruy par soy-mesme, l'on dit coutumierement qu'un chien η qui a esté bruslé craint l'eau froide, et toutefeis ε moins sage que ces animaux, je venois d'estre trompee par les belles paroles de Periandre, et je ne peus m'empescher d'adjouster foy aux flatteries de Merindor, me semblant qu'un homme bien né, et mesme un Chevalier qui doit plus que les autres hommes avoir soing d'estre veritable, parloit avec le cœur en la bouche η. Je l'advouë donc, je creus en partie ce
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que je ne devois point croire du tout : et je commencay de me figurer que je pourrois vivre heureusement avec luy, mais pour dire la verité je m'y resolus beaucoup plus promptement par dépit
de Periandre, croyant bien que je prenois une grande vengeance de luy en me donnant si tost à un autre, mal advisee que j'estois de vouloir me vanger en me faisant une plus grande offense, mais l'imprudence qui suit ordinairement le peu d'experience, me donna ce conseil si peu judicieux, et que depuis je payay de tant de peines et de tant de larmes,
Je luy répondis donc en cette sorte : - Pensez vous, Merindor, que ceux qui veulent se faire aymer en disent moins que vous ? - Je pense bien, dit-il, que ceux que vous dites peuvent se servir des mesmes
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termes puis que moy qui en ay la volonté j'en use, comme vous voyez. - Mais, adjoustay-je, si tous ceux qui ont ce mesme desir parlent comme vous, et si presque tous ceux là trompent les personnes qui se fient en eux, quelle asseurance dois-je prendre en vos paroles, si elles ne m'en donnent point davantage que celles qu'autrefois Periandre m'a dites et redites si souvent, et par lesquelles il a mis tant de peine d'ourdir η son insine ε trahison ? - Sy mes paroles, repliqua Merindor, n'estoient point accompagnees de quelque témoignage plus asseuré, j'advouë qu'après la tromperie de Periandre ce seroit une espece d'imprudence d'adjouster foy à ce que je vous dis, mais est-il possible, Dorinde, que je sois si mal-heureux que vous n'ayez pris garde à mes actions, depuis
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le premier jour que je vous vis qui fut le mesme que le ciel me donna à vous ? - Vous avez raison, luy répondis-je incontinent, et je serois trop mécognoissante si je niois que vostre proceder ne m'eust obligee autant que celuy que je vous ay dit a fait le contraire, mais voulez vous que je vous confesse la verité, j'ay opinion que les hommes font gloire de tromper celles qui se fient en eux, - Sy cela est, dit Merindor, je proteste, Madame, que dés icy je ne suis ny ne veux plus estre homme η, et que d'orénavant ce tiltre me sera odieux autant que celuy de meschant et de traistre. - Est-ce à bon escient, luy dis-je, que vous proferez ces paroles ? - Mais, Madame, me répondit-il, est-ce à bon escient que vous me faites cette demande ? Est-il possible, continua-il η, qu'encore vous
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soyez en doute de l'affection de Merindor ? Non, non Dorinde ne démentez point vos yeux, vos oreilles ny vostre jugement, et je m'asseure que tous ensemble ils vous diront que Merindor vous ayme, et que s'il eust deu changer il l'eut fait plus raisonnablement que Periandre, n'ayant jamais eu la moindre faveur des infinies, dont vous avez comblé ce perfide amant. - Je le confesse, luy dis-je, Merindor, et prenant garde à l'amitié η que vous m'avez fait paroistre dés le commencement que η vous m'avez veuë, et que depuis vous avez continuee durant mon mal, j'ay dit bien souvent en moy-mesme, que n'eut il point fait s'il eut recogneu autant de bonne volonté en moy que j'en ay fait paroistre à ce trompeur de Periandre, mais cela ne suffit pas à m'asseurer
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que vous ne changerez point, car tous les hommes par un seul, m'ont appris que c'est la beauté qu'ils ayment, et non pas la personne où est cette beauté, de sorte que quand par quelque accident cette beauté se perd, leur amour incontinent en fait de mesme. - 0 Dieu ! Dorinde, s'écria-il η, que vous estes injuste juge de prononcer pour un seul cette sentence contre tous les hommes, ne voyez vous point en quelque estat de ε vostre mal vous ait reduite, si je ne vous ayme ou plustost si je ne vous adore pas ? - Peust-estre, luy dy-je, vous m'aymez encore parce que vous n'avez point veu mon visage, et que vous ne croyés pas qu'il soit si difforme que le mal me l'a laissé, mais pour vous guerir de cette maladie η je veux bien vous le faire voir, à condition que
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vous plaindrés ma perte avec moy, et qu'après vous me laisserez en repos souffrir toute seule mon mal. A ce mot je détachay l'épingle qui tenoit mon masque, et luy fis voir le visage qui ne retenoit rien de celuy que je soulais avoir, que le nom de visage seulement : Ce que je fis avec ce dessein que me voyant telle que j'estois il perdroit l'amour qu'il avoit pour moy, et par ainsi je n'en serois plus importunee ny trompee, ou bien s'il continuoit à m'aymer je pourrois avoir asseurance que jamais ma laideur ne le feroit changer, estant impossible que je peusse empirer. Je pris garde qu'aussi tost qu'il me vid il demeura muet et grandement estonné, et incontinent les larmes luy vindrent aux yeux, ne s'en pouvant empescher, quelque contrainte qu'il
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se fit, mais peu après il reprit la parole de cette sorte. - J'advouë, Madame, que le mal veritablement vous a plus mal traittee, que personne sans vous avoir veuë ne sçauroit imaginer, mais que ce changement puisse me divertir de l'affection que je vous porte, si vous le croyez, Madame, vous ne me faites pas une petite offence, outre qu'il sembleroit qu'en cette opinion vous voulussiez approuver l'action de Periandre, ou pour le moins l'excuser. Soyez desormais asseuree je vous supplie que la mort seule, et non pas les accidents de la fortune a le pouvoir d'amortir cette flame que vos vertus et vos merites ont allumee en Merindor. Je ne nieray pas que vostre beauté ne m'ait appellé à vous, et qu'elle ne m'ait donné la volonté de vous servir, mais depuis
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que je m'en suis approché et que j'ay eu le bon-heur de recognoistre ce que vous valez ! ô Dorinde qu'il y a bien eu d'autres liens plus forts que ceux de vostre visage qui m'ont retenu en vostre service, et que ceux là sont foibles au prix de ceux que je dis.
Je serois trop longue si je vous racontois, Madame, tous les discours que nous eusmes sur ce sujet, et vaut η beaucoup mieux que je les couvre du silence, puis qu'aussi bien faut η tost après les couvrit il d'oubly, tant y a qu'à ce coup encore je creus qu'il se pouvoit trouver quelque homme qui ne fut point trompeur, et avec cette croyance je me liay veritablement avec luy d'amitié η, de sorte qu'avant qu'il partit de ma chambre je luy en donnay d'assez grandes asseurances,
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si les paroles pour le moins en avoient le pouvoir : - La façon, luy dis-je, de laquelle vous avez vescu avec moy dés que vous m'avez veuë, et l'asseurance que vous me donnez que mon visage ne vous fait point de peur, ny ne diminuë point l'affection que vous avez euë pour moy, m'oblige η à vous estimer et à vous aymer plus que je n'eusse pas creu de pouvoir faire après une si grande tromperie que celle de Periandre, et si vous continuez comme vous avés fait jusques icy, asseurez vous, Merindor, que je vous aymeray et estimeray autant que vostre merite m'y oblige. - Ah ! Dorinde, reprit-il incontinent, cette promesse ne me contente guiere puisque si vous ne m'aymez qu'autant que j'auray de merite j'ay peur que vostre amitié ne sera guiere
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grande. - Vous sçavez bien, luy dis-je en sousriant, qu'au contraire elle seroit infinie, mais pour vous contenter, je vous diray que si vous ne Periandrisez η
point je vous aymeray autant que vous le sçauriez desirer.
Oyant cette asseurance, Merindor se jetta à mes genoux, me prit par force la main, et quoy que toute marquee encore des tasches de mon mal, me la baisa diverses fois avec tant de remerciements, que par cette action il me donna plus de cognoissance de son amour, que mes paroles ne luy en avoient peu rendre de ma bonne volonté, et je ne croy pas que sans la survenuë
de mon pere, il eust encore
cessé de me remercier ; mais la crainte que nous eusmes qu'il ne le trouvast mauvais, fut cause que l'oyant venir
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il se remit en sa place, et avec plus de respect et de froideur que je ne vous sçaurois dire, faisoit semblant presque de ne me cognoistre pas. Mon pere sousrit en entrant, parce, comme je croy, qu'il l'avoit entreveu à mes genoux, ou peut estre quelqu'un de nos domestiques le luy avoit dit, qui me convia de luy dire tout ce qui estoit passé entre nous, le luy racontant encore plus avantageusement pour Merindor qu'il n'estoit pas, et mon discours et ma franchise furent tant agreables à mon pere, que me tirant à part il me demanda si veritablement j'aymois ce Chevalier, et si je croyois qu'il m'aymast, et luy ayant répondu que la façon, dont il avoit traitté envers moy, si differente de celle de Periandre, m'avoit grandement
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obligee, et que pour ce qui estoit de luy, je pensois qu'il m'aymoit puis qu'il n'y avoit plus rien en moy qui le peut convier d'en faire le semblant, s'il n'estoit pas vray, ayant pour le moins rapporté ce bien de ma maladie que je ne serois plus trompee de personne pour ma beauté. - Sy cela est, me répondit-il, j'aymerois mieux ce party que celuy de Periandre, encore qu'il n'eut pas esté traistre. - Seigneur, luy dis-je, vous pouvez disposer de moy comme il vous plaira, car je n'auray jamais volonté que la vostre. - Il ne faut, me dit-il, rien precipiter, mais aussi il ne faut rien mépriser, voyons à quoy il se portera, et puis nous prendrons la résolution telle que nous jugerons estre à propos, et à ce mot se tournant vers Merindor il luy fit
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tout le bon visage qu'il peut, le remerciant, pour moy, du soing qu'il avoit eu de mon mal, et me commandant de l'aymer et honorer comme il m'y obligeoit.
Depuis ce jour la porte ne fut plus deffenduë à Merindor, pouvant des que j'estois vestuë y entrer sans difficulté à toutes heures,
et luy qui ne perdoit point d'occasion, estoit presque du matin jusques à la nuict dans ma chambre, avec tant d'apparence d'affection qu'il sembloit que ma laideur la luy eut fait accroistre. D'autre costé Bellimarte
qui sceust que ce Chevalier me voyoit, pensant qu'il luy en devoit bien estre permis autant, quelques jours après fit demander s'il y pouvoit venir, et mon pere ne le luy osa refuser puis qu'il l'avoit permis à Merindor, et de
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cette sorte une après disnee il me vint voir, mais estant advertie de sa venuë, je pris et mon masque et mes gands, avec protestation de ne les point oster tant qu'il demeureroit en ma chambre.
Les discours de Bellimarte furent plustost d'homme d'Estat que d'amoureux, et quoy qu'il vid bien que le mal m'avoit grandement changee, si ne fit il pas semblant
de s'en soucier, au contraire quelques jours après il sollicita de sorte le Roy Gondebaut, qu'il parla à mon pere de nous marier ensemble, et parce que Bellimarte estoit d'une nation estrangere, et qui n'estoit guiere aymee parmy nous, et que mon pere ne desiroit point faire alliance avec ce barbare η, mais plustost avec, Merindor, qu'il jugeoit avoir beaucoup de merite, et de qui les
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biens ny les parens ne luy estoient point incogneus. Il supplia le Roy de luy pardonner s'il ne consentoit à ce mariage, parce que je luy estois restee comme support de sa vieillesse, et que de me marier à un estranger qui n'avoit rien dans ses Estats, ce n'estoit pas pour en avoir jamais du soulagement. Que si je luy avois desobey en quelque chose il ne me voudroit point chastier plus rudement que de m'allier à cet homme, puis qu'il vaudroit autant que je fusse à jamais bannie de sa presence, qu'outre cela j'estois en aage d'avoir un choix et une volonté, et qu'encore qu'en toute autre occasion il ne permettroit pas que j'en fisse paroistre, toutefois en cette-cy il ne me le pouvoit dényer puis que c'est pour toute la vie, et pour estre à
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jamais, ou heureuse, ou mal-heureuse, que de m'y forcer contre ma volonté, il ne l'entreprendroit jamais, d'autant que ce seroit abuser de l'authaurité ε que Tautates luy avoit donnee sur moy, et dont le ciel le puniroit sans doute, faisant tomber sur luy et sur sa maison, le juste chastiment de cette faute. Que pour conclusion il supplioit le Roy de se souvenir des services que luy et ses ancestres luy avoient rendus si fidellement, et pour recompense de tous η qu'il luy fist cette grace de ne vouloir point me contraindre en cecy. Le Roy qui aymoit Bellimarte, et qui pensoit de se l'obliger encore davantage en le rendant son sujet, répondit à tous les points que mon pere luy avoit opposez, et à chacun il trouvoit d'assez bonnes raisons pour couvrir
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l'authorité absoluë de laquelle il vouloit user en cette affaire, et quant à ce que Bellimarte n'avoit rien dans ses Estats, et que estant estranger cela seroit cause qu'il η ne me verroit jamais, il respondit qu'il luy donneroit tant de biens dans son Royaume qu'il ne prendroit point envie d'en sortir jamais, et que Bellimarte montroit assez d'avoir ce dessein par la recherche qu'il faisoit de moy, de qui η la beauté n'estoit pas maintenant telle, qu'elle luy peust donner la volonté de mépouser ε par amour, mais seulement par raison d'Estat, et pour avoir une alliance en une contree où il estoit estranger, que cette resolution seroit cause qu'il se rendroit le plus traitable envers moy, et le plus obeïssant envers luy, et serviable envers tous nos parents
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qu'autre qui se peut presenter. Que quant au choix et à la libre volonté qu'il me vouloit laisser en cette occasion, c'estoit une grande imprudence de le faire, d'autant que la jeunesse et la sagesse ne pouvoient jamais estre ensemble, et qu'estant encore si jeune que j'estois il feroit une grande faute de me laisser faire un choix que je ne pourrois faire η qu'avec imprudence, qu'au contraire il estoit obligé par le tiltre de pere de me donner un mary tel qu'il doit estre, et non pas me le laisser élire à yeux clos, et sans jugement. Que si j'y faillois ce seroit de cette faute qu'il devoit attendre les justes chastiments desquels il parloit, comme complice de ma perte et de mon eternel mal-heur. Que si les loix ordonnent des tuteurs et personnes
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qui ont le soing du bien et de ceux qui sont en bas aage, et pouvoit-il croire que pour faire un contract qui doit durer toute la vie, il ne faille point de personne sage et prudente pour conduire cette jeunesse mal advisee et imprudente ? Qu'à cette occasion, l'on void si peu de mariages η faits par amour estre à la fin heureux, et presque tous ceux qui sont faits par le conseil d'autruy, et de l'authorité des sages peres estre ordinairement comblez de toute sorte de bon-heur et de felicité. Et quant aux services que luy η et les siens luy avoient rendus, il luy faisoit bien paroistre d'en avoir bonne memoire, puis qu'il prenoit la peine de me vouloir m'arier ε à une personne qu'il aymoit et estimoit, et que s'il ne s'en fut
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souvenu, il n'eust pas fait le choix de moy plustost que de tant d'autres qui estoient dans ses Estats, et aussi riches, et aussi bien alliees, mais qu'en cette action il avoit creu de s'acquitter d'une partie des services qu'il avoit receus de luy et de sa maison. Bref que puis qu'il s'en estoit meslé si avant, je desirois ε que le mariage s'en ensuivit,
ou autrement il auroit occasion de se douloir de luy : et à ce mot il laissa mon pere si étonné, qu'il ne peut ny n'osa luy répondre une seule parole.
L'authorité d'un Prince souverain
donne un grand coup dans l'esprit d'un fidelle subjet, quelque courage et quelque resolution qu'il ait faite au contraire, et mesme quand ce qu'il demande a quelque apparence de raison :
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car il est certain que naturellement le subjet doit obeïr à son Prince, et il faut que les choses, ausquelles il le peut desobeïr, soient entierement, ou contre l'honneur η, ou contre le grand Tautates, en tout je croy qu'il n'y peut point avoir de bonnes excuses, et qui ne soient rejettees par les personnes de jugement. Mais en cette-cy mon pere ne pouvoit se prevaloir de pas une de ces deux raisons pour fortifier la volonté qu'il avoit de ne me point donner à cet estranger, et toutesfois il aymoit autant la mort que de me voir entre ses mains. Quelquesfois il faisoit dessein de dire qu'il m'avoit desja donnee à Merindor, mais incontinent il le changeoit parce que lors que le Roy luy en
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avoit parlé il ne luy avoit pas dit ε. D'autresfois il prenoit resolution d'en faire le mariage secrettement, s'asseurant que quand il seroit fait Gondebaut ne le sçauroit rompre, mais soudain il en prevoyoit tant de mal-heurs, et pour luy et pour nous, qu'il changeoit d'opinion : car il sçavoit bien que la colere du Roy ne se laisseroit ε jamais de se vanger à nos dépends, quelquesfois il luy prenoit envie de me mettre parmy les Vestales, mais quand il se representoit de me voir ainsi recluse et desja ensevelie avant qu'estre morte, il ne pouvoit s'y resoudre, outre qu'en le faisant, il voyoit le courroux du Roy aussi animé contre luy que si tout ouvertement il luy desobeïsesoit ε. En fin ne sçachant η quel
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party prendre il
alla plusieurs jours flottant η incertain et irresolu,
mais si travaillé qu'il en faisoit pitié à tous ceux
qui le voyent ε.
Cependant Bellimarte qui avoit esté adverty par le Roy
de toutes les difficultez que mon pere faisoit, prit
conseil de quelque sage et prudent amy de me gaigner
avec de la pluye d'or, comme on dit que Danaë le fut
par Jupiter, je veux dire, encore que son naturel ne
fut pas d'estre fort liberal, que toutesfois en cette
occasion il se vainquit soy-mesme, et ε me faisant des
presens et à mon pere, d'autant que c'est la coustume
des vieux d'estre avares, et le naturel des jeunes
filles d'estre desireuses d'avoir ce qui est de nouveau pour s'en parer, et en
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faire montre et ostentation parmy leurs compagnes, et il y a apparence que le Roy fut de cet advis, car nous sçavions bien que Bellimarte ne pouvoit pas de soy-mesme me donner les petites curiositez qu'il m'envoyoit, ny les grands et riches presents qu'il fit plusieurs fois à mon pere. O qu'il est vray ce que l'on dit, que les prieres arrachent la foudre des mains de Jupiter, et que les dons η ravissent la liberté de celuy qui les reçoit. Bellimarte n'eust pas continué douze ou quinze jours de cette sorte, que ses presens eurent plus d'éloquence et plus d'authorité que le Roy. Il n'y avoit ny fille aupres de moy, ny serviteur aupres de mon pere qui ne fussent tellement gaignez qu'ils ne parloient plus que de son merite
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et de sa valeur, tous les autres n'estoient dignes de le regarder, et quoy qu'auparavant il fut si des-agreable, ceux-là mesme qui l'avoient jugé tel estoient les premiers à dire le contraire et à prescher
ses loüanges, mais ce qui m'étonna davantage fut de voir mon pere peu à peu se porter à ce qu'il avoit tant des-approuvé.
- Ma fille, me disoit-il, cet homme n'est pas si estrange
que nous nous l'estions figuré, ceux qui ont dit qu'il ne faut jamais faire jugement d'une personne avant que de le η bien cognoistre η, l'ont dit avec beaucoup de raison : car qui est-ce qui n'eut esté trompé en cetui-cy, de qui η la naissance a esté parmy les barbares, la nourriture dans le sang et les cruautez,
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la façon tant sauvage, et la rencontre presque effroyable, et toutesfois sa conservation ε et son humeur sont toutes autres qu'à l'abord on ne les jugeroit pas. Il me semble, quant à moy, après que je l'ay longuement consideré que nous ne ferions point mal de contenter le Roy, puis qu'il desire cette alliance, elle ne nous peut estre qu'avantageuse, il peut en un jour nous relever par dessus tous nos predecesseurs, et en un jour aussi quand il luy plaira nous rabaisser par dessous tous ses serviteurs, il fait mauvais resister à la volonté de celuy auquel le ciel nous commande d'obeïr, la ruyne de celuy qui en fait la faute en est infaillible : quant à moy j'y ay resisté ne croyant pas cet homme tel qu'il est, mais maintenant
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que j'ay cogneu que c'est avec raison que le Roy le favorise, je voy bien que j'ay eu tort de ne luy point obeïr et de mécognoistre le bien que par sa bonté il nous pourchassoit.
O Dieux ! que l'enfence ε a peu de fermeté en son propre jugement, et qu'aysément elle se laisse emporter aux raisons de ceux qui les leur sçavent representer avec quelque artifice, comme la medecine
dans le vase duquel les bords sont couverts de miel η : j'aymois Merindor, et je n'avois nulle bonne volonté pour Bellimarte, et toutesfois les discours de mon pere me firent remettre
entierement à ce qu'il luy plaisoit : il est vray qu'estant seule et me souvenant de l'amitié de Merindor, et avec quelle fermeté il
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m'avoit recherchee durant l'horreur de ma maladie, je ne me peus empescher de le plaindre et de le regretter. Et soudain que cette resolution fut prise mon pere me commanda de ne me laisser plus voir à luy si ordinairement que de coustume. Il η creut que l'obeïssance que je rendois à celuy qui m'avoit mise au monde fut un changement de bonne volonté, et je me souviens que sur se sujet venant un soir soubs mes fenestres il chanta ces vers.
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Pourquoy elle le traitte si mal.
I.
QU'ay je commis, dites la belle η,
Qui me rende tant odieux
Que vous ne tournez plus cruelle.
Sur moy les rais de vos beaux yeux η ?
II.
Si vous voulez de quelque outrage
Vous vanger avec mes douleurs,
Jettez vos yeux sur mon visage
Et vous n'y verrez que des pleurs.
III.
Ay-je bien commis quelque offense
Qui soit digne de ce dépit ?
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Ah ! pour certain je ne le pense,
Ou j'aurois bien perdu l'esprit,
IV.
Helas ! comment pourroit-il estre,
Dorinde, que je l'eusse fait,
Mon penser seroit bien un traistre
S'il avoit commis ce forfaict.
V.
Je n'eus jamais autre pensee
Que d'adorer vostre beauté,
Que si je l'avois offencee
J'aurois failly sans volonté.
VI.
Ne croyez qu'il se soit peu faire
Que mon vouloir y soit panché,
Le peché qui n'est volontaire
Ne se doit pas dire peché η.
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VII.
Tournez donc dessus moy, Madame,
Vos yeux, mais faites qu'ils soyent tels
Que quand ils firent dans mon ame
Des coups si profonds et mortels.
VIII.
Nous voyons les guerriers se plaire
Aux coups témoins de leur valeur,
Pourquoy n'en veulent autant faire
Vos yeux η pour ε en moy les leurs η ?
IX.
Je sçay bien qu'ainsi je demande
D'estre blessé de nouveaux coups,
Mais ceste peine m'est moins grande
Que de supporter leur courroux.
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Dés qu'il commença à chanter je cogneus facilement sa voix, et cela fut cause que me mettant à la fenestre, et prestant attentivement l'oreille à ce qu'il disoit, je n'en perdis une parole, et faut η
que j'advouë la verité, je regrettay la perte de ce Chevalier en qui j'avois recogneu tant d'amitié : mais Bellimarte qui par ses presents avoit aveuglé les yeux de mon pere, fut cause que je me resolus d'obeyr à celuy qui devoit avoir tout pouvoir sur moy. Il est vray que touchee de quelque compassion je fis dessein d'en advertir Merindor, afin que de bonne heure il se retirast de ma recherche et essayast de se divertir ailleurs.
Le landemain ε donc qu'il
vint l'apresdisnee essayer de me voir comme de coustume, soudain que je sceus qu'il estoit à la porte de
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ma chambre, je suppliay mon pere de trouver bon que je le fisse entrer, et que je peusse luy faire entendre la resolution que nous avions faite, afin qu'il ne fust pas plus long temps abusé ; que l'honneste recherche qu'il η m'avoit faite, les esperances qu'il η luy avoit donnees, les merites et la qualité de ce Chevalier meritoient bien que l'on luy donnast quelque sorte de contentement η. Mon pere loua grandement mon dessein, et pour nous donner plus de commodité, après l'avoir fait entrer dans ma chambre il se retira dans la sienne, et nous laissa avec mes filles dire tout ce que nous voudrions. Merindor au commencement voyant ce renouvellement de faveurs, r'entra en de grandes esperances, croyant que puis que mon pere
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mesme estoit celuy qui luy donnoit cette entree, il devoit avoir fait quelque resolution pour son contentement : mais le voyant sortir, et puis remarquant en mon visage et en mes façons une grande froideur, il perdit bien tost cette nouvelle opinion ; et mesme lors que l'ayant fait asseoir auprés de moy, je commençay de luy parler de cette sorte.
- Vostre merite et la bonne volonté que vous m'avez fait paroistre m'obligent, Merindor, de vous honorer et estimer autant que Chevalier de cette contree, et voudrois η par quelque bon service vous pouvoir rendre tesmoignage que j'en ay du ressentiment, hyer j'ouys les Vers
que vous vintes chanter sous ma fenestre, qui m'ont conviee de vous mettre
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hors de la doute ou peut estre vous estes entré pour m'avoir veuë un peu retiree de vous : Sçachez donc, Merindor, que tant que j'ay eu quelque opinion de faire approuver nostre mariage à mon pere, j'ay vescu avec vous ainsi qu'une honneste liberté me l'a peu permettre ; mais maintenant que l'esperance m'en est du tout ostee, je croirois de commettre une tres-grande erreur, et qui pourroit avoir le tiltre de perfidie, si je vous abusois plus longuement par ces petites caresses qui amusent et trompent les jeunes personnes qui ayment : Ne croyez pas, je vous supplie, que si c'eust esté à mon choix, je n'eusse plustost esleu Melindor ε pour passer le reste de ma vie avec luy que tout autre que mon bon-heur
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m'eust jamais peu presenter, et ayez la mesme creance d'Arcingentorix ; car l'eslection luy eust esté η remise de me choisir un mary : soyez certain qu'il n'eust jamais jetté les yeux que sur vous. Cent et cent fois qu'il est venu à propos d'en parler, je l'ay tousjours veu tant disposé à vous aymer et honorer, que je ne sçay ce qu'il n'eust pas faict pour donner cognoissance à chacun de l'estime qu'il fait de vostre merite, ô Merindor ! et il eust esté trop content η et moy trop heureuse, s'il eust esté ainsi destiné que j'eusse deu passer mes jours avec une personne telle que vous estes. Le Ciel en a autrement disposé, et s'est servy en la tyrannie qu'il a voulu exercer sur moy, de celuy à qui il ne nous est pas permis de resister. Car sçachez, continuay-je
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les larmes aux yeux, que Gondebaut me force d'espouser Bellimarte. - O Dieux ! Dorinde, s'escria Merindor, frappant des mains l'une contre l'autre η, Gondebaut veut que vous espousiez Bellimarte ? - Il le veut, luy dis-je froidement, et je vous asseure que Arcingentorix et moy avons faict tout ce que nous avons peu pour rompre ce ruineux dessein, et qu'il n'y a point d'autre moyen que la mort. - Puis, respond-il incontinent, qu'il y a encore ce remede tout n'est pas desesperé ; et sans me dire autre chose, ny me vouloir escouter, il sortit si promptement de ma chambre, qu'il donna bien cognoissance de quelque violente resolution. Je l'appellay plusieurs fois et courus après luy jusques à la porte, craignant
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qu'en cette furie il ne fist quelque chose de mal à propos, mais tout fut inutile ; car il s'en alla si promptement qu'il sembloit qu'il eust des aisles η. Mon pere qui n'estoit pas loing de là m'oyant parler si haut, vint vers moy, et sçachant comme ce jeune Chevalier estoit party, craignit qu'il ne s'en prist à Bellimarte : et qu'après le Roy n'en rejettast toute la coulpe sur nous : Et cette consideration fut cause qu'allant au logis de Bellimarte, il luy fist entendre le plus discrettement qu'il peut ce qui s'estoit passé entre Merindor et moy, afin d'en estre deschargé s'il en advenoit du mal. Bellimarte qui estoit homme de courage et qui avoit toute l'authorité et la force en la main, luy respondit qu'il ne s'en
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mit point en peine, et que si Merindor sortoit de son devoir il sçauroit bien l'y remettre.
Cependant ce jeune Chevalier transporté d'extréme passion, s'alla mettre dans son logis où s'enfermant dans sa chambre, il se mit à se promener à grands pas, tant hors de soy-mesme, qu'il ne sçavoit ny ce qu'il faisoit, ny où il estoit ; et après avoir fait plusieurs tours sans dire mot, en fin ne pensant pas d'estre ouy de personne, il commença de parler fort haut de cette sorte : - Doncques
Dorinde sera possedee par un autre, et Merindor le verra et le supportera ? Doncques l'authorité d'un Tyran prevaudra par dessus mes services, et par la force m'enlevera ce qui m'est justement deu ? Il y aura un remede à mon mal-heur,
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et je ne mettray pas le sang et la vie pour empescher que cet outrage ne
me soit faict ? Et là s'arrestant un peu, tout à coup il recommençoit à marcher et à dire : - Il ne sera pas vray que ce voleur de mon bien en jouysse sans l'achepter au prix de son sang et de ma vie, il faut si je dois vivre qu'il meure ; et fort à propos, m'a dit Dorinde, que la mort seule en estoit l'unique remede. Mais, disoit-il, encore plus transporté qu'au commencement, s'il est ainsi, à quoy retardons nous davantage, et pourquoy ne mettons nous la main à l'œuvre qui m'est inévitable, si je n'ayme mieux tourner le fer contre moy-mesme.
Merindor pensoit estre seul dans sa chambre et de n'estre ouy que des murailles, mais de bonne fortune
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Euphrosias, son sage et tres-cher amy, un peu auparavant l'estant venu chercher, s'estoit endormy en l'attendant sur son lict, et ne s'estoit esveillé que quand il avoit commencé de parler si haut : Et d'autant qu'il cognoissoit bien la prompte colere de ce Chevalier, l'oyant parler avec tant de passion, il fut bien aise d'apprendre de cette sorte le suject de son courroux : et aussi de luy laisser un peu descharger le cœur par les paroles qu'il proferoit ; sçachant bien que de s'opposer aux premiers mouvements de nostre ame, ne sert quelquefois que d'allumer davantage le feu de la colere : mais lors qu'il vid qu'après quelques autres paroles semblables à celles que je vous ay dites : il vouloit sortir pour les executer avec la mesme impetuosité
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qu'il les avoit proferees : Il se leva promptement et le courut retenir par le bras, le priant d'ouyr ce qu'il vouloit dire. Merindor ne sçachant si c'estoit un homme ou quelque esprit, surpris de frayeur faillit à tomber de sa hauteur : mais reprenant incontinent ses esprits et recognoissant son cher amy : - Eh ! mon Dieu, luy dit-il, d'où sortez vous Euphrosias, et comment vous voy je icy où je pensois estre seul ? - Promenons nous un peu ensemble, luy respondit le prudent amy, et lors que vous m'aurez respondu à ce que j'ay à vous dire, je satisferay après à vostre curiosité, et lors il continua : Est-il possible, Merindor, que l'amitié que je vous ay tousjours portee et celle que vous m'avez promise, vous permette de faire des extrémes resolutions sans
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m'en parler, et sans vous y servir de moy ? Pensez-vous que je vous ayme si peu ou me tenez vous pour tant inutile, qu'aux affaires de telle importance, ou je ne vueille ou je ne puisse point vous servir ? - Pourquoy, interrompit Merindor, me tenez vous ce langage ? - Parce, dit-il, que j'ay ouy tout ce que vous venez de dire, pensant n'estre entendu de personne, et la dangereuse et honteuse resolution que vous avez prise sans m'en parler, ny seulement vous donner le loisir d'y bien penser : Avez vous opinion que je ne sçache pas que le Roy veut que Dorinde soit à Bellimarte, et que le pere mesme y consent, et peut-estre d'autres η encore que vous ne croyez pas : Toute la ville n'est pleine que de ce bruit,
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et j'estois venu vous trouver exprez pour le vous η dire si vous n'en estiez point encore adverty, afin que vous vous resolussiez, non seulement à la volonté du Roy, mais à celle du Ciel, contre laquelle aussi bien ne sçauriez vous resister : car, Merindor, il faut que vous sçachiez que les mariages sont faicts au Ciel et s'accomplissent en terre. - Les mariages dictes vous, reprit incontinent Merindor, sont faicts au Ciel ? - N'en doutez point, repliqua Euphrosias, et c'est pour cela que nous en voyons de tant inesperez. - Je vous asseure, dit alors Merindor, que si cela est, l'on peut dire qu'il se faict d'aussi mauvais marchez au Ciel qu'en terre : mais pour tout cela, si ne conclurray-je pas qu'il faille que Bellimarte
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possede Dorinde et que Merindor vive. - Il faut, reprit Euphrosias, que ce que les Dieux veulent ordonner de nous soit faict : Mais dictes moy Merindor, quel seroit vostre dessein ? - D'oster la vie, dict-il, à qui me veut ravir mon contentement. - Mais, adjousta Euphrosias, quel profit vous en reviendra-t'il η ? - O ! s'escria le jeune Chevalier, que la vengeance η est douce. - La vengeance η, reprit le sage amy, est veritablement douce lors qu'elle n'augmente pas l'offence que nous avons receuë : mais si vous tuez Bellimarte, n'est-il pas vray que le moindre chastiment que vous en devez attendre, c'est de ne demeurer jamais en lieu où Gondebaut ait quelque pouvoir, et si cela est que deviendra l'amour
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que vous portez à Dorinde ? Et n'est-ce pas par la vengeance η que vous voulez prendre, aggrandir l'offense que vous avez receuë ? Je n'estimeray jamais celuy-là sage qui se creve les deux yeux pour en oster un à son ennemy. - Et quoy donc, dit Merindor, je verray sans ressentiment, Bellimarte, posseder celle qui par raison ne doit estre qu'à moy ? - Je ne dis pas cela, respondit-il, au contraire, si vous me voulez croire j'espere que nous la pourrons avoir, cette tant desiree Dorinde. Pourquoy pensez-vous que le Roy porte avec tant de passion Bellimarte, croyez-vous que ce soit pour vous faire du mal ? Nullement, c'est pour gratifier Bellimarte en une affaire où il ne pense que personne ait interest sinon
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Arcingentorix, et de luy le Roy n'en η fait pas grand estat, encore qu'il soit des principaux de cette contree, parce qu'il n'est plus en aage de le pouvoir servir, et qu'au contraire Bellimarte le peut faire ; car il faut que vous sçachiez que la pluspart des Princes font de leurs sujects comme nous faisons des chevaux η qui sont devenus vieux en nous servant, le plus de faveur que nous leur faisons, c'est de les mettre au coing d'une escuyerie sans nous en plus soucier, au lieu que des autres nous sommes soigneux de les faire bien traitter et bien penser. Croyez, Merindor, que les Princes font la mesme difference de ceux qui ne leur peuvent plus faire service, et de ceux qui sont en aage et en estat de leur en pouvoir rendre :
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Et c'est ce qui me fait dire que si vous faites entendre au Roy l'interest que vous avez en cecy il y fera consideration, et vous verrez que s'il ne fait rien pour vous, pour le moins il ne vous nuira plus.
Le sage Euphrosias luy representoit toutes ces choses, non pas qu'il les creust et qu'il ne pensast bien que le Roy y estant engagé de parole difficilement s'en departiroit-il ; mais seulement pour refroidir un peu l'ardente colere qui estoit allumee en l'ame de Merindor, esperant que si ceste premiere impetuosité pouvoit estre un peu allantie, il pourroit puis après le remettre
plus aysément à la raison ; et de fait, il advint que Merindor considerant ce qu'il luy disoit, et voyant qu'il y avoit
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quelque apparence, commença de donner un peu de lieu à la raison ? et en fin ils ne partirent point d'ensemble qu'il ne fust resolu de suivre entierement ce qu'Euphrosias luy diroit ε, jusques à ce que toutes les esperances η fussent perduës estant lors resolu d'effectuer le premier dessein, et à mesme temps adviserent entr'eux d'employer prés du Roy ceux qu'ils pensoient y avoir plus de credit. Et le sage amy luy faisoit toute chose plus facile, et luy promettoit diverses assistances de plusieurs personnes desquelles il se faisoit fort encore que cela ne fust pas, sçachant assez qu'il n'y a rien qui soit meilleur pour persuader ce que nous voulons, que de donner des grandes esperances η à ceux qui desirent quelque chose grandement.
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Mais, Madame, oyez je vous supplie comme le Ciel se joüe des hommes, et comme la fortune en fait comme il luy plaist, lors que Merindor fit parler au Roy Gondebaut pour le supplier de ne vouloir point forcer Arcingentorix à donner sa fille à Bellimarte à cause de l'interest qu'il y avoit, il respondit qu'il n'avoit point creu d'interesser Merindor quand il en avoit parlé, et que s'il ne l'avoit point fait encore, il ne le feroit pas l'advenir ε à sa consideration, mais qu'y estant obligé de parole, il ne s'en pouvoit plus retirer sans qu'il y allast beaucoup de son authorité, Voila Merindor entierement desesperé de ce costé là, et Bellimarte tellement asseuré d'estre mon mary, que les articles du mariage estoient desja accordez,
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et ne faloit η plus que nous presenter au Temple. Qui n'eust creu que cette affaire ne pouvoit plus se rompre ! Mais voyez quelle est la noire η malice de l'extréme perfidie des hommes ? Et vous belle Druyde, et sages discrettes bergeres, apprenez jusqu'où peuvent aller les tromperies qu'ils nous font ? Ne voila pas lors que toutes choses estoient prestes, et que desja chacun s'estoit mis en ordre pour aller au Temple, qu'une honorable matrone, accompagnee de deux filles et de trois Escuyers, vient à la porte de nostre logis, quoy qu'avec beaucoup de peine pour la grande foule du peuple qui y estoit accouru, et faisant demander mon pere, après l'avoir salué avec beaucoup de civilité : - Seigneur, luy dit-elle en
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haussant la voix, en sorte que ceux qui estoient autour d'elle la pouvoient ouyr ; - Je viens vous advertir que ma fille que je tiens icy par la main, et qui s'appelle Alderine, est femme et legitime espouse de Bellimarte le Visigoth, et que quatre ans sont passez qu'il l'espousa publiquement dans Gergovie, ainsi que font foy les attestations des Druydes η et Comtes de la Province, que je vous feray voir en la presence du Roy, aux pieds duquel je me vay jetter afin qu'il me soit fait justice, et que le commun droit des gens me soit maintenu : Et à ce mot, après luy avoir fait une grande reverence elle s'en alla droict à la maison Royale, non point sans grand cry que le peuple fit oyant cette nouvelle.
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Sy Arcingentorix fut estonné, vous le pouvez juger, puis que demeurant comme en extase il ne peut jamais luy respondre un mot, mais remontant dans la sale où nous estions presque tous prests à sortir, et appellant Bellimarte : - Seigneur, luy dit-il tout haut, cognoissez-vous une Dame qui se momme ε Alderine ? A ce mot, d'Alderine, nous prismes bien garde qu'il changea de couleur. - Pourquoy, respondit-il, me le demandez-vous ? - Parce, repliqua mon pere, qu'elle et sa mere sont venus ε à cette porte, et vous font sçavoir qu'elles s'en vont aux pieds du Roy pour luy demander justice contre vous. - Contre moy, dit-il, et pourquoy ? - Parce, respondit mon pere, que cette Alderine est vostre femme, et que vous n'en pouvez point
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espouser d'autre tant qu'elle vivra. A ce mot on ouyt dans la sale une voix d'estonnement de tous ceux qui y estoient : et quoy que Bellimarte voulust mettre le tout en risee, et dit que cela n'estoit point vray, et que c'estoit une coureuse à laquelle il ne se falloit pas arrester, ny pour elle retarder nostre mariage, si est-ce que nul de mes parens n'en fut d'advis, et moins encore mon pere, qui luy dit franchement qu'il η auroit bien telle creance de cette femme qu'il η voudroit ; mais que quant à luy il ne consentiroit jamais que sa fille fust mariee, que cette imposture ne fust esclaircie. Bellimarte qui estoit grandement orgueilleux de son naturel, et qui outre cela se voyoit fort supporté par la faveur du Roy : - Et moy, dit-il, Arcingentorix,
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je vous dis que je me soucie ny de vous ny de vostre fille, et que je cognois bien que je m'estois grandement deceu en l'alliance que je voulois faire avec vous. Mon pere qui estoit genereux et encore que chargé d'aage, se ressentoit des Ancestres desquels il estoit descendu : - J'ayme mieux, Bellimarte, luy dit-il, que vous ayez esté deceu que si j'avois esté trompé en la vostre η, de laquelle η je fais encore moins d'estat que vous ne sçauriez faire ny de ma fille ny de moy. Dieu voulut que Bellimarte, comme je croy, n'ouyst point ces dernieres paroles estant desja sorty tout en colere ; et Dieu sçait en quelle confusion il laissa toute la compagnie : mais de son costé il n'estoit pas moins empesché, parce que la
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conscience η qui vaut mille tesmoins le convainquoit de la mauvaise action qu'il vouloit faire : Et Dieu sçait si cette heure ne fut pas la plus heureuse de toute ma vie, puis que si cette Dame eust retardé un moment davantage, il n'y a point de doute que j'eusse esté mariee avec luy : car il estoit tres-certain que ce perfide avoit une femme, et comme nous apprismes depuis il l'avoit quittee pour n'estre pas assez riche, voyez qu'elle ε est la foy des hommes et combien mal-heureuse est la fille qui se fie en eux, puis que cette Alderine avoit auparavant esté longuement recherchee par luy, et avec tant de passion et d'affection, que mal-aysément eust-on peu penser qu'il l'eust deuë quitter, et l'avarice η toutefois plus forte en chassa depuis
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honteusement l'amour. Tant y a, Madame, qu'à ce coup je fus delivree de ce mal'heur presque miraculeusement, comme je vous ay dit : car depuis, Alderine, s'estant jettee aux pieds du Roy, et ayant convaincu Bellimarte qui nioit toute chose, il fust ordonné qu'elle seroit tenuë de luy pour sa femme legitime, et deffense luy fust faicte sur peine de chastiment de n'en espouser point d'autre, tant qu'elle vivroit. Plusieurs s'estonnoient qu'Alderine estant une fort belle fille eust esté delaissee de Bellimarte, pour moy de qui η le visage estoit un peu moins qu'affreux, et quand on leur disoit que c'estoit par avarice η, ils ne le pouvoient croire que difficilement, ayant sceu les grands presents qu'il nous avoit faicts depuis peu, et que nous avions rendus.
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Mais ils ne consideroient pas que les dons qui le faisoient estimer liberal, n'estoyent pas veritablement des dons, mais des choses prestes ε seulement, et lesquelles η il sçavoit bien luy devoir estre renduës, lors qu'il m'auroit espousee, puis que non seulement ce bien là, mais tout le nostre aussi seroit sien. Sy bien que cette feinte liberalité, estoit mesme une tres grande et tres-certaine avarice. Merindor qui estoit aux escoutes, resolu quand il n'y auroit plus d'esperance η de se perdre, mais avec la perte de Bellimarte, ne fust pas des derniers a ε estre adverty de ceste tromperie, et comme si la vie luy eust esté redonnee, il joignit les mains et remercia les Dieux de ceste grace avec autant d'affection que d'autre qu'il eust jamais receuë d'eux, et
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puis sortant de son logis s'en vint le plus hastivement qu'il luy fut possible au mien, où il me dit des paroles les plus plaisantes qu'on se sçauroit imaginer, quelquefois me demandant comme je me trouvois de mes nopces, et s'il faisoit bon estre deux à un mary, et par ce que je ne sçavois si j'en devois rire ou pleurer, je luy dis ; - Et bien, bien, Merindor, ne vous mocquez pas tant de ce qui m'est advenu, peut estre quand vous vous marierez, trouverez vous que vostre femme aura desja un autre mary ? - Sy cela est me respondit-il, le plus fort chassera l'autre de la maison, mais je vous asseure bien toutefois que je ne crains pas que cet accident m'arrive si ce n'est par vous : - Par moy, repliquay-je, et comment l'entendez vous ? la resolution que j'ay faitte, vous deffendra bien de
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ce mal : car dans peu de jours si mon pere me le permet, je seray l'une de ces filles, qui n'ont autre soing que de garder que le feu ne meure ; - Comment, reprit-il incontinent, vous voulez estre Vestale ? - Je la η veux estre asseurément, luy dis-je, pour m'oster d'entre les hommes, parmy lesquels je n'ay jamais recontré que de la perfidie, - Vous avez tort, respondit-il froidement, de ne me point oster du nombre de tous, puisque je ne croy pas avoir jamais faict action, et méme en l'affection que je vous ay vouee, qui puisse me mettre en ce rang. - Un, dis-je incontinent, ne faict pas nombre η, mais que direz-vous de Teombre, d'Hylas, de Periandre et de Bellimarte ? - Je diray me respondit-il, que ceux là doivent estre rayez, non seulement du rang des hommes, mais aussi du nombre
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des vivants, mais que pour cela tous les hommes en doivent estre blasmez, et moins encore Merindor, ah ! Madame, permettez moy que je η vous die que c'est une tres-grande injustice, de chastier un nombre infiny d'innocents, pour fort peu de coulpables, et que puisque les fautes sont personnelles, ceux-là seuls qui ont failly doivent en souffrir le chastiment ρ ; - J'advouë, Merindor, luy dis-je, que vous avez raison, mais que je n'ay pas tort, puis qu'ayant trouvé perfides et trompeurs, tous les hommes qui m'ont recherchee, n'ay-je pas raison d'en craindre tous les autres ? - Voila encore une seconde offence, me dit-il, Dorinde, qui n'est pas moindre pour moy, que la premiere, me mettant du nombre de ceux qui vous ont trompee ; Puisque vous ne me sçauriez oster du rang
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de ceux qui vous ont servie jusques icy ; repris-je ρ froidement, je ne puis pas dire que j'aye esté deceuë de vous, mais aussi ce
n'a esté qu'à la fin que les autres ont esté trompeurs : Et que sçay je quel vous serez en semblable occasion.
Cependant que nous parlions de ceste sorte, mon pere entra dans ma chambre, encore tout esmeu de ce qui nous estoit arrivé, et d'abord qu'il vid le jeune Chevalier ; - Et bien, luy dit-il, Merindor, en sousriant, ne vous estes vous point mocqué de ma fille et de moy ! ayant sceu l'erreur que l'authorité du Roy a failly de nous faire commettre ? - Seigneur, luy respondit-il, je suis trop vostre serviteur, pour faire ce que vous dittes, mais au contraire je vous diray bien que j'ay remercié les Dieux qu'ils nous ayent faict cognoistre
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la meschanceté de cest homme, assez à temps pour n'en avoir pas reçeu le desplaisir que sa perfidie vous preparoit, encore que si ce mal-heur nous fut arrivé, et je dis nous, parce que je prendray tousjours part à vos desplaisirs, et à vos contentements. Sy ce desastre, dis-je, nous fust advenu, je jure Hesus, le Dieu fort, que ce meschant n'eust jamais survescu d'une heure, le moment que sa trahison eut esté descouverte, car ceste espee eust lavé sa faute avec son propre sang sans qu'une seule goutte en eust esté reservee, mais, seigneur, loüons Dieu qu'il n'a point esté necessaire d'en venir à ces extremitez, et vous souvenez s'il vous plaist à l'advenir, que nos vieux peres ont eu raison quand ils ont dit, que nul ne se doit frotter η à l'herbe qu'il ne cognoist
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pas. Et, seigneur, il y en tant ε de ceste Province desquels vous cognoissez et les ancestres et les biens, et qui s'estimeroient heureux d'avoir vostre alliance, pourquoy ne vous plaist il pas de nous en honorer, et si le Ciel me faisoit assez heureux pour obtenir ceste grace, dit-il, se jettant à ses genoux, quels services ne vous rendrois-je pas le reste de ma vie, et quelle amour quel devoir, et quelle affection ne recevroit Dorinde de moy ; Dorinde, dis-je, que vous sçavez bien que j'ay tousjours aymee et honoree quoy qu'il luy soit peu advenir. Ce bon vieillard qui sçavoit combien veritablement ce jeune Chevalier m'avoit tousjours faict paroistre d'amitié, et avant, et durant, et après mon mal, à ε le voyant à ceste heure parler avec tant d'affection, creut Mai- ε
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ô Dieux ! qui n'y eust aussi esté trompé ? qu'il parloit avec la méme franchise que ses actions passees, et ses paroles presentes luy η tesmoignoient, et pour ce le relevant, et luy tenant une main sur l'espaule ; - Merindor, luy dit-il, parlez vous en Chevalier tel que vous estes, ou bien si ce n'est que par civilité η, et en façon de Courtisan ? - Je jure, seigneur, luy respondit-il, que jamais je ne pensay à commettre une action, indigne du nom que je porte, et les paroles que je vous dis me partent du cœur, avec tant de sincerité que je prie Bellenus de m'oster d'entre les hommes, toutesfois et quant que j'y contreviendray ; - Sy cela est, reprit Arcingentorix, et que veritablement Bellimarte ait une autre femme, et que vostre mere consente à ce que vous desirez, je vous
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promets dés à cete heure, Dorinde, pour vostre espouse, et je prends les Dieux Pennates, qui nous escoutent pour tesmoings de la parole que je vous donne. - Et moy, adjousta Merindor, après vous avoir baisé
les mains, de
ceste grace que j'estime, la plus grande que je puisse jamais recevoir, devant ces mesmes Dieux Pennates, je reçoy vostre promesse avec les conditions qu'il vous plaist de me la η faire, et dés icy je me donne à vous comme à mon pere et seigneur, et à Dorinde, comme à Madame et maistresse, et vous jure à tous deux, une affection sans fin, et une obeissance perpetuelle.
Qui est ce, Madame, et vous belles et discrettes bergeres, qui oyant ces protestations avec tant d'apparence, de franchise n'eust pensé
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qu'elles sortoient du cœur ? Mais, helas ! aussi faisoient elles, elles sortoient bien veritablement du cœur, mais d'un cœur le plus meschant, et le plus perfide que jamais ait eu homme traistre et parjure, et et ε certes il suffisoit de dire homme, sans y adjouster traistre et parjure, puisque je croy n'y en avoir point d'autres sur la terre. Or donc cettuy-cy suivant le naturel, et la coustume de tous les autres, part d'aupres de nous avec les asseurances que je vous ay dites, et en apparance plein de tant de contentement, qu'il sembloit que jamais homme ne l'avoit tant esté, et s'en va au Palais pour apprendre les asseuree ε nouvelles d'Alderine, et de son mariage, il s'en revint le soir mesme nous trouver, et nous en donner les asseurances, nous disant
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que le Roy ayant veu les attestations des Druides η, et Comtes de Gergovie, avoit faict paroistre d'estre grandement offensé contre Bellimarte, et luy avoit commandé de sortir de ses Estats, et ne se presenter jamais devant ses yeux η, que toutefois quelques uns de ses amis qui estoient des principaux, et des plus authorisez
pres de Gondebaut esperoient d'avoir sa grace lors que la colere du Roy seroit un peu passee, Et il advint de ceste sorte, car quelque temps après ils firent sa paix, par le moyen mesme d'Alderine, qui se jetta aux pieds de Gondebaut, et à laquelle il remit la faute η de son mary à condition qu'il vivroit avec elle comme il devoit.
Cependant que ces choses advinrent il sembla que Dieu se
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voulut mocquer de Periandre, car le Printemps où nous entrasmes et quelques remedes qu'un vieux Myre me donna, me remirent le teint et le reste du visage en meilleur estat que je ne l'avois jamais eu ; et de fait, mes compagnes, dit-elle se tournant vers les trois estrangeres, voyez vous pas qu'au lieu d'estre empiré il semble d'estre en meilleur estat que vous ne l'avez jamais veu, Et il advint que tout ainsi que ma laideur avoit chassé loing de moy Periandre, mon visage s'estant remis le r'appella bien-tost après. Vous pourrois-je dire la joye et le contentement η de Merindor, voyant que de jour en jour j'allois reprenant ce que j'avois perdu, et ne pouvant à ce qu'il disoit souffrir un plus long dilayement à la conclusion de nostre
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mariage, il pressa de sorte mon pere, qu'il luy donna congé d'aller trouver sa mere pour avoir son consentement, n'y ayant plus rien que cela qui le peust retarder. O Dieux ! quand je pense aux nouvelles protestations, qu'en s'en allant il fist, et à mon pere et à moy, je ne sçay comment depuis la terre, ne s'est ouverte cent fois pour l'engloutir.
Je ne ferois que vous ennuyer, Madame, de redire icy par le menu tout ce qu'il fist ; tant y a que comme si en m'esloignant il eust perdu la memoire, et de moy, et de tous ses sermens, trois Lunes après son départ, il m'envoya un de ses freres avec la lettre que je vous vay lire ; car je l'ay tousjours gardee soigneusement pour le convaincre de sa perfidie, et lors mettant
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la main dans sa pannetiere elle en tira un papier où elle leut telles paroles :
PLeust à Dieu, belle Dorinde, que je ne fusse plus au monde, ou bien que je ne fusse point fils de celle qui est ma mere η, ou pour le moins que je fusse mon frere mesme, afin que comme vostre tres-humble serviteur je peusse obtenir le bon heur que je luy desire, puis qu'il ne me peut estre permis estant celuy que je suis, l'offre que tant à regret je vous fay de luy, tesmoignera bien à chacun que veritablement les mariages sont ordonnez dans le Ciel.
N'estes vous point estonnes ε, reprit Dorinde, discrettes et belles bergeres, d'ouyr que Merindor
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m'ait escrit cette lettre, lors que par raison il le devoit mains ε faire ; car s'il avoit à me quitter il me semble que ce devoit estre lors que je devins laide, et que Periandre en fit de mesme : mais à quelle raison mespriser l'horreur de mon mal, ne se soucier point de la difformité de mon visage, et me rechercher en ce temps-là avec tant d'ardeur et de violence, pour après me quitter en une saison où ce que l'on appelloit beauté en moy m'avoit esté rendu, et qu'il sembloit que rien ne peut plus nous separer que sa seule volonté ou plustost legereté. J'avouë la verité, je fus tellement touchee de cette action que deslors je juray au grand Tautates de jamais ne me fier en homme quelconque et de fuyr d'oresnavant de telle sorte
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tous ceux qui en porteroient le nom, que je n'aurois jamais ny amitié, ny practique avec eux ; Mon pere qui sceut ces nouvelles s'en offença autant que moy, et cela fut cause que sans mettre en grande deliberation la demande que le frere de Merindor luy fist de moy, il le renvoya avec une fort prompte resolution, à sçavoir, que sa fille n'estoit ny pour Merindor, ny pour son frere, et qu'il en avoit disposé ailleurs, et parce que ce jeune homme me demanda la responce de la lettre, que son frere m'avoit escrit ε, par le congé de mon pere, je la luy fis, elle estoit telle :
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RESPONSE
De Dorinde à Merindor.
PLeust à Dieu, infidelle Merindor, que vous ne fussiez point en terre, ou que je n'eusse jamais eu des yeux pour vous voir, ou pour le moins que je fusse homme pour quelque temps, et non pas une fille, afin que comme vostre mortel ennemy, je puisse tirer de vostre perfidie la vengeance que je puis bien desirer, mais qui ne m'est permis estant telle que je suis. L'offre que vous me faictes, de vostre frere, et que je refuse, tesmoignera à chacun, que le mariage de luy, et de moy, n'a point esté faict dans le Ciel, pour le moins, je vous asseure qu'il ne s'accomplira jamais en terre.
Or Madame, ne voila pas, continuat η-elle, trois des plus insignes infidelitez, sans que je parle des autres,
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qui ayent jamais esté faictes contre une fille, et quand je n'eusse jamais eu autre subject de cognoistre la perfidie des hommes ; n'est-il pas vray que celles que je vous ay racontees sont telles qu'il faudroit estre du tout sans yeux, et sans cognoissance pour se fier jamais en personne, qui ait le nom ou la figure. Et toutesfois ce seroit peu de chose si seulement ces trois ennemis ne m'avoient donné que ce subject de les hayr, mais oyez encore je vous supplie, ce que la fortune me prepara, et je m'asseure que vous advouërez, que la hayne que je porte à ce perfide animal que l'on appelle homme, est fondee sur une tres-juste raison.
Fin du second Livre.