Édition de 1607, 122 recto.
Édition de Vaganay, p. 153.
[ 122 recto ] 1607 fonctionnelle
Livre cinquième
LE
CINQUIESME LIVRE
DE LA PREMIERE
Partie d'Astrée.
Le bruit que ces Bergeres firent lors qu'Astrée faillit d'Ξévanouïr evanouyr, fut si grand, que Leonide s'en
esveilla, et les oyant parler aupres d'elle, la
curiosité luy donna volonté de sçavoir qui elles
estoient. Et parce qu'apres estre un peu Ξremises remise, ces
trois Bergeres se leverent pour s'en aller, tout ce
qu'elle peut faire, ce fut d'Ξesveiller éveiller ΞSilvie Sylvie pour les
luy Ξmontrer monstrer. Aussi tost qu'elle les Ξapperceut apperceust, elle
Ξrecognut reconneust Astrée, quoy qu'elle fust fort changee, pour
le desplaisir qu'elle avoit Ξen l'ame de la perte de Celadon.
- Et les autres deux, dit Leonide, qui sont elles ?
- L'une, dit-elle, qui est à main gauche, c'est Phillis sa chere compagne, et l'autre c'est Diane
fille de la sage Bellinde, et de Celion, et suis bien
marrie que nous ayons si longuement dormy, car je
m'Ξassure asseure que nous
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eussions bien appris de leurs
nouvelles, y ayant Ξapparance apparence que l'occasion qui les a
esloignées des autres, n'a esté que pour parler plus
librement. - Vrayement, respondit Leonide, j'advouë
n'avoir jamais rien veu de plus beau qu'Astrée, et
faisant comparaison d'elle Ξà toutes a toute les autres, je la
trouve du tout Ξavantagée advantagee. - Considerez, repliqua Silvie, Ξquelle qu'elle η esperance doit avoir Galathée de
divertir l'affection du Berger.
ΞCette Ceste consideration toucha bien aussi vivement Leonide pour son sujet propre, que pour celuy de Galathée. Toutefois Amour qui ne vit jamais aux
Ξ(Guillemets de "despens" à "avarement".) despens de personne, sans luy donner pour payement
quelque espece d'esperance, ne
" voulut point traitter
ceste Nymphe plus avarement
" que les autres, et ainsi,
quoy qu'il n'y eust
" pas grande Ξapparance apparence, ne laissa de
luy promettre
" que peut-estre l'absence d'Astrée, et
l'amitié qu'elle luy η feroit paroistre, luy η pourroient
faire changer de volonté. Et apres quelques autres
semblables discours, ces Nymphes se separerent, Leonide prenant
le chemin de Feurs, et Silvie celuy d'Isoure,
cependant que les trois belles Bergeres, ayant ramassé leurs Ξtroupeaux, s'alloient trouppeaux, s'alloyent peu
à peu retirant dans leurs cabanes.
A peine avoient-elles mis le pied dans le grand pré, où
sur le tard on avoit accoustumé de s'assembler, qu'elles
apperceurent Lycidas parlant avec Silvandre ; mais
aussi tost que le Berger Ξrecognut reconnut Astrée, il devint
pasle, et si changé que pour n'en donner Ξcognoissance connoissance à Silvandre, il luy rompit compagnie, avec
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quelque
mauvaise excuse ; mais, voulant éviter leur rencontre, Phillis luy alla couper chemin avec Diane, apres
avoir dit à Astrée la mauvaise satisfaction que ce
Berger avoit d'elle. Et parce Ξqu'elle que Phillis ne vouloit
point le perdre, l'ayant jusques là trop cherement η conservé, quoy qu'il essayast de l'Ξoutrepasser outrep-asser promptement, si l'atteignit-elle, et luy dit en
sousriant : - Si vous fuyez de ceste sorte vos amies,
que ferez vous de vos ennemies ? Il respondit : - La
compagnie que vous cherissez tant, ne vous permet pas
de retenir ce nom. - Celle repliqua la Bergere, de
qui vous vous
" plaignez, souffre plus de peine de Ξ(Guillemets de "vous avoir " à "que de".) vous avoir
" offensé que vous mesme. - Ce n'est pas,
" respondit le Berger, guerir la Ξblessure blesseure que de rompre
le glaive qui l'a faite. En mesme temps Astrée arriva, qui s'adressant à
Lycidas, luy dit : - Tant s'en faut Berger, que je die
la Ξhaine hayne que vous me portez estre injuste que
j'advouë que vous ne me sçauriez autant haïr que vous
en avez Ξ*de juste d'occasion. ΞToutefois Toutesfois si la memoire de celuy
qui est cause de ceste mauvaise satisfaction, vous est
Ξencore encor aussi vive en l'ame qu'elle Ξle sera à jamais en
la mienne, vous vous ressouviendrez que je suis la
chose du monde, qu'il a Ξla plus Ξaimée aymée, et qu'il vous
sieroit mal de me Ξhaïr hayr, puis qu'encore il n'y a rien
qu'il Ξaime ayme davantage que moy. Lycidas vouloit
respondre, et peut-estre selon sa passion trop
aigrement, mais Diane luy mettant la main devant la
bouche, luy dit : - Lycidas, Lycidas, si vous ne
recevez ceste satisfaction, autant que jusques icy vous
avez eu de
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raison, autant serez vous blasmé pour estre
Ξirraisonnable deraisonnable. Astrée sans s'arrester à ce que Diane disoit, luy osta la main du visage, et luy dit : - Non,
non, sage Bergere ne contraignez point Lycidas,
laissez luy user de toutes les rigoureuses paroles
qu'il luy plaira. Je sçay que ce sont des Ξeffets effects de sa
juste douleur : toutefois je sçay bien aussi qu'en
cela il n'a pas fait plus de perte que moy. Lycidas oyant Ξces paroles ses parolles, et la façon dont Astrée les
proferoit, donna tesmoignage avec ses larmes qu'elle
lavoit η attendry, et ne pouvant se commander si Ξpromptement, quelle deffense promptemens, quelque deffence que Phillis et Diane fissent, il se deffit de leurs
mains, et s'en alla d'un autre costé ; dequoy Phillis s'appercevant, afin d'en avoir entiere victoire le
suivit, et luy sçeut si bien representer le Ξdesplaisir deplaisir
d'Astrée et la meschanceté de Semire qu'Ξen fin enfin elle
le remit bien avec sa compagne.
Mais cependant Leonide suivoit son chemin à Feurs, et
quoy qu'elle se hastast, elle ne peut Ξoutrepasser outre-passer
Ponsins, parce qu'elle avoit Ξdormy d'ormy η trop long temps.
Cela fut cause qu'elle s'esveilla beaucoup avant le
jour, desireuse de retourner de bonne heure, afin de
pouvoir demeurer quelque temps à son retour, avec les
Bergeres qu'elle venoit de laisser, Ξtoutefois toutesfois elle
n'osa partir avant que la clarté Ξne luy Ξmontrast monstrast le
chemin, de peur de se perdre, quoy qu'il Ξlui luy fust
impossible de fermer l'œil le reste de la nuit.
Cependant qu'elle alloit entretenant ses pensees, et
Ξqu'elle quelle η y estoit le plus attentive, elle Ξouït ouyt que
quelqu'un
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parloit assez pres d'elle, car il n'y avoit
qu'un entre-deux d'Ξaiz aix fort Ξdelié deslié, qui separoit une
chambre en deux, Ξdautant d'autant que le maistre du logis
estoit un fort honneste pasteur, qui par courtoisie,
et pour les loix de l'hospitalité recevoit librement ceux qui faisoient chemin, sans s'enquerir quels ils
estoient ; et parce que son logis estoit assez Ξestroit estroict il avoit esté contraint de faire des entre-deux d'aiz pour avoir plus de chambres. Or quand la Nymphe y
arriva, il y avoit deux estrangers logez ; mais parce
qu'il estoit fort tard, ils estoient Ξdes-ja desja retirez et
endormis, et de fortune la chambre Ξ*de la Nymphe fut tout aupres de la leur, sans luy en rien dire. Or elle oyant où la Nymphe fut logee estoit faitte de ceste sorte, et tout au prez de la leur, sans qu'en s'y couchant elle s'en prit garde. Oyant donc murmurer quelqu'un aupres de son Ξlit lict, car
le chevet estoit tourné de ce costé-la, afin de les
mieux entendre, elle Ξpresta approcha l'oreille Ξà la fente d'une aix , et par hazard l'un d'eux relevant la voix un peu
Ξdavantage plus, elle ouyt qu'il Ξrespondoit respondit ainsi à l'autre :
- Que voulez vous que je vous die davantage, sinon
qu'Amour vous rend ainsi impatient ? Et bien, elle se
sera trouvée Ξlasse l'asse η, ou malade ou incommodée de
quelque survenant qui l'aura fait retarder, et faut-il
se desesperer pour cela ?
Leonide pensoit bien Ξrecognoistre reconnoistre ceste voix, mais elle
ne pouvoit s'en Ξbien ressouvenir ressouvenir entierement, si fit bien de
l'autre η aussi tost qu'il respondit : - Mais voyez vous Climanthe, ce n'est pas cela qui me met en peine, car
l'attente ne m'ennuyera jamais tant que j'espereray
quelque bonne issuë Ξà de nostre entreprise ;
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ce que je crains, et qui me met sur les espines où vous me voyez, c'est que vous ne luy ayez pas bien fait entendre ce que nous avions deliberé, ou qu'elle n'Ξait ayt pas adjousté foy à vos paroles. Leonide oyant ce discours, et Ξrecognoissant reconnoissant fort bien celuy qui parloit, estonnée, et desireuse d'en sçavoir davantage, s'approcha si pres des aiz, qu'elle n'en perdoit une seule parole, et lors elle oüyt que Climanthe η Ξrespondoit respondit : - Dieu me soit en ayde avec Ξcet cét homme. Je vous ay desja dit plusieurs fois que cela estoit impossible. - Oüy bien, dit l'autre, à vostre jugement. - Vrayement, respondit Climanthe, pour le vous faire Ξadvoüer avouër, et pour vous faire sortir de ceste peine, je vous veux encor une fois redire le tout par le menu.
Histoire de la
tromperie de
Climanthe
Apres que nous nous fusmes separez, et que vous
m'eustes Ξfait faict cognoistre Galathée, Sylvie, Leonide,
et les autres Nymphes d'Amasis, aussi bien de veuë que
je les cognoissois desja par les discours que vous m'en
aviez tenus, je creus qu'une des principales choses
qui pouvoient servir à nostre dessein, Ξc'estoit estoit de
sçavoir comme seroit vestu Lindamor le jour
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de son départ. Car vous sçavez, que Clidaman et Guyemants s'en estans allez trouver Meroüée, Amasis commanda à Lindamor de le suivre avec tous les jeunes Chevaliers de ceste contree afin Ξqu'il fust recogneu que Clidaman fust reconneu de Meroüée, pour celuy qu'il estoit. Et par malheur, il sembloit que Lindamor eust Ξplus davantage de dessein de faire tenir sa livrée secrette, qu'il n'avoit jamais eu. Si est ce que j'allay si bien Ξespiant épiant l'occasion, qu'un soir qu'il estoit au milieu de la ruë, Ξj'oüis joüis η qu'il commanda à un de ses gens d'aller chez le maistre qui luy faisoit ses habits, pour luy apporter le hoqueton qu'il avoit fait faire pour le jour de la monstre, Ξpar ce parce qu'il le vouloit essayer ; et Ξdautant d'autant qu'il avoit expressement deffendu de ne le laisser voir à personne, il luy donna une bague pour contre-signe. Je suivis d'assez Ξloing cet loin cest homme, pour Ξrecognoistre reconnoistre le logis, et le lendemain à bonne heure, sçachant le nom du maistre, j'entray effrontement en sa maison, et luy dis que je venois de la part de Lindamor, parce qu'Amasis le pressoit de partir, et qu'il craignoit que ses habits ne fussent pas faits à temps, et que je ne m'en fiasse point à ce qu'il m'en diroit, mais que je les visse moy mesme pour luy en rapporter la verité. Et puis continuant, je luy dis : - Il m'eust donné la bague que vous sçavez pour contre-signe, mais il m'a dit, qu'il suffisoit que je vous disse, que hier au soir il avoit envoyé querir le Ξhoqueton hocqueton, et que celuy qui le vint demander vous l'avoit apportee. Ainsi je trompay le maistre,
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et remarquay ses habits le mieux qu'il me
Ξfut fust possible, et lors que je fis semblant de le haster,
il me respondit qu'il avoit assez de temps, puis que ce
jour Ξlà la mesme, il avoit veu une lettre d'Amasis, dans
l'assemblée de la ville, par laquelle elle leur
ordonnoit de se tenir armez dans cinq semaines, Ξparce que le par ce qu'au jour qu'elle leur marquoit, elle vouloit faire
son assemblée dans leur ville, à cause de la monstre Ξgeneralle generale que Lindamor et ses troupes faisoient pour
aller trouver Clidaman, et que le lendemain elle
vouloit que vous fussiez receu pour general de ceste
contree en son absence. Par ce moyen, je sçeus le jour
du depart de Lindamor, et de plus, que vous
Ξdemeureriez demeuriez en ce Ξpaïs pays, qui fut un accident, qui vint
tres à propos pour parachever nostre dessein, quoy que
vous en eussiez Ξbien esté desja esté desja bien adverty.
Suivant cela, je m'en allay retirer dans ce grand bois
de Savignieu, où sur le bord de la petite riviere qui
passe au travers, je fis une cabane de Ξfeuilles fueilles, mais
si cachée que plusieurs eussent passé aupres sans la
voir, et cela Ξafin affin que l'on creust que j'y avois
demeuré longuement, car comme vous sçavez, personne ne
me cognoissoit en ceste contrée, et pour mieux
monstrer qu'il y avoit long temps que j'y demeurois,
les Ξfeuilles fueilles dont je couvris ceste loge estoient Ξdes-ja desja
toutes seiches, et puis je pris le grand miroir que
j'avois fait faire, que je mis sur un autel, que
j'Ξentornay entournay de houx, et d'espines, y mettant parmy η quelques herbes,
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comme Verveine, Fougere, et autres
semblables. Sur un des costez je mis du Guy, que je
disois estre de chesne η, de l'autre la Serpe d'or dont
je Ξfaignois feignois l'avoir Ξcoupé couppé le Ξ*premier de Mars sixiesme de la premiere lune, et au milieu le linceul, ou je l'avois Ξceuilly cueilly ; et au dessus de tout cela j'attachay le miroir au
lieu le plus obscur, Ξafin affin que mon artifice fust moins
apperceu, et vis à vis par le dessus, j'y accommoday le
papier Ξpaint peint, Ξoù javois ou j'avois tiré si au naturel η le lieu que
je voulois monstrer à Galathée, qu'il n'y avoit
personne qui ne le Ξrecognut reconneut. Et afin que ceux qui
seroient en bas, s'ils tournoient les yeux en haut ne
le vissent, du costé ou l'on entroit, j'entrelassay
des branches, et des Ξfeuilles fueilles de telle sorte ensemble,
qu'il estoit impossible η ; et Ξparce par ce que si l'on eust
approché Ξl'autel l'autre η, se tournant de l'Ξautre austre costé, on
eust sans doute veu mon artifice,
je fis à l'entour un assez grand cerne, Ξoù ou je mis les
encensoirs de rang, et deffendois à chacun de ne Ξpoint les outepasser les outre-passer point. Au devant du miroir, il y avoit une Ξaix aiz, sur laquelle ΞHeccathe Hecathe estoit Ξpainte peinte, ceste Ξaix aiz avoit tout le bas
ferré d'un fusil, et comme vous sçavez, elle ne tenoit
qu'à quelques poils de cheval, si deliez, qu'avec
l'obscurité du lieu, il n'y avoit personne qui les Ξpust peust η appercevoir ; aussi tost que l'on les tiroit, l'Ξaix aiz
tomboit, et de sa pesanteur frappoit du fusil sur une
pierre si à propos, qu'elle ne manquoit presque jamais
de faire feu. J'avois mis au mesme lieu une mixtion de
souffre, et de salpestre qui s'esprend Ξsi promptement de sorte
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au
feu qui le touche, qu'il s'en esleve une Ξflâme flamme, avec
une si grande promptitude, qu'il n'y a celuy qui n'en
demeure en quelque sorte estonné : Ξet cela je l'avois ce que j'avois inventé pour faire croire que Ξce fust c'estoit une espece, ou
de divinité, ou d'enchantement ; tant y a que je
trouvay le tout si bien disposé, qu'il me sembloit qu'il
n'y avoit rien à redire. Apres toutes ces choses, je
commençay Ξquelquefois quelques fois à me laisser voir, mais
rarement, et soudain que je prenois garde que l'on
m'avoit apperçeu, je me retirois en ma loge, où je
faisois semblant de ne me nourrir que de racines, Ξparce par ce que la Ξnuit nuict j'allois acheter à trois, et quatre lieuës de là, avec d'autres habits, tout ce qui m'estoit
necessaire.
Dans peu de jours plusieurs se prirent garde de moy, et
le bruit de ma vie fut si grand, qu'il parvint
jusques aux Ξaureilles oreilles d'Amasis, qui se venoit bien
souvent promener dans ces grands jardins de
Ξvoila comme l'Mont-brison Montbrison. Et entre autres, une fois qu'elle y estoit,
Silaire, Sylvie, Leonide, et plusieurs autres de
Ξleur leurs compagnes, vindrent se Ξpromener pourmener le long de mon
petit ruisseau, où pour lors Ξen me promenant je faisois semblant
d'amasser quelques herbes, aussi tost que je Ξrecogneu reconneu qu'elles m'avoient apperceu, je me retiray au grand pas en ma cabane. Elles qui estoient curieuses de me voir,
et de parler à moy, me suivirent à travers ces grands
arbres. Je m'estois Ξdes-ja desja mis à genoux, mais quand je
les Ξentendis ouys approcher, je m'en vins sur la porte, où la
premiere que je rencontray,
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fut Leonide ; et Ξparce par ce qu'elle estoit preste d'entrer, la repoussant un peu,
je luy dis assez rudement : - Leonide, la divinité que
je sers, vous commande de ne Ξpoint profaner ses autels. A
ces mots elle se recula, un peu surprise, car mon habit
de Druide me faisoit rendre de l'honneur, et le nom η de la divinité donnoit de la crainte. Et apres s'estre Ξrassurée r'asseurée, elle me dit : - Les autels de vostre Dieu,
quel Ξqu'il quil η soit, ne peuvent estre profanez de recevoir
mes vœux, puis que je ne viens que pour luy rendre l'honneur que le Ξciel Ciel demande de
nous. - Le Ξciel Ciel, luy respondis-je, demande à la verité
les vœux, et l'honneur, mais non point differents de
ce qu'il les ordonne ; par ainsi, si le zele de la
divinité que je sers, vous ameine icy, il faut que
vous observiez ce qu'elle commande. - Et quel est son
commandement ? adjousta ΞSylvie Silvie. - ΞSylvie Silvie, luy dis-je,
si vous avez la mesme intention que vostre compagne,
faites toutes deux ce que je vous diray, et puis vos
vœux luy seront agreables. Avant que la Lune commence
à décroistre, Ξlavez vous l'avez η vous avant jour la jambe droitte
jusques au genoüil, et le bras jusques au coude dans ce
ruisseau qui passe devant ceste saincte caverne ; et
puis, la jambe, et le bras nud, venez icy avec un
Ξchapeau chappeau de ΞVerveine Vervaine et une ceinture de Fougere. Apres
je vous diray ce que vous aurez à faire pour participer
aux sacrez mysteres de ce lieu, que je vous ouvriray,
et declareray. Et lors luy prenant la main, je luy dis : - Voulez-vous,
pour
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tesmoignage des graces, dont la divinité que je
sers me favorise, que je vous die une partie de vostre
vie, et de ce qui vous adviendra ? - Non pas moy,
dit-elle, car je n'ay point tant de curiosité ; mais
vous, ma compagne, dit-elle, s'Ξadressant addressant à Leonide,
je vous ay Ξveu veuë Ξautre-fois autresfois desireuse de Ξle la sçavoir,
passez en à ceste heure vostre envie. - Je vous en
supplie, me dit Leonide, en me presentant la main.
Alors me ressouvenant de ce que vous m'aviez dit
de ces Nymphes en particulier, je luy pris la main, et
luy demanday, si elle estoit née de jour ou de Ξnuit nuict,
et sçachant que c'estoit de Ξnuit nuict, je Ξpris prins η la main
gauche, et apres l'avoir quelque temps considerée,
je luy dis : - Leonide, ceste ligne η de vie, nette,
bien marquée, et longue, vous monstre que vous devez
vivre, pour les maladies du corps assez saine, mais
ceste petite croix, qui est sur la mesme ligne,
presque au Ξplus haut de l'angle qui a deux petites lignes
au dessus, et trois au dessus et trois au dessous, et Ξces des η trois aussi qui sont à la fin de celle de la vie, vers la
restrainte, monstrent en vous des maladies que
l'amour vous donnera, qui vous empescheront d'estre
aussi saine de l'esprit que du corps ; et ces cinq
ou six points, qui comme petits grains, sont semez
ça et là de ceste mesme ligne, me font juger que
vous ne hayrez jamais ceux qui vous Ξaimeront aymeront, mais
Ξplutost plustost que vous vous plairez d'estre Ξaimée aymee, et
d'estre servie. Or regardez ceste autre ligne, qui
prend de la racine de celle Ξdont que nous avons Ξdes ja desja parlé, et
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passant par le milieu de la main,
s'esleve vers le mont de la Lune, elle s'appelle
moyenne naturelle, ces coupures que vous y voyez, qui
paroissent peu, signifient que vous vous
courroucez facilement, et mesme contre ceux sur
qui l'Amour vous donne authorité ; et ceste petite
Ξestoile estoille, qui tourne contre l'Ξenflure enfleure du poulce,
monstre que vous estes pleine de bonté, et de
douceur, et que facilement vous perdez vos coleres.
Mais voyez vous ceste ligne que nous nommons
Mensale, qui se joint avec la moyenne naturelle,
en sorte que les deux font un angle, cela monstre
que vous aurez divers troubles en l'entendement
pour l'Amour, qui vous rendront quelquefois la vie
Ξdes-agreable desagreable ; Ξet cela je le juge encor davantage parce que ce que je juge encor mieux, considerant que peu apres la moyenne deffaut, et celle-cy
s'assemble avec celle de la vie, si bien qu'elles
font l'angle de la Mensale, et de l'autre, car cela
m'apprend que tard, ou jamais aurez vous la
conclusion de vos desirs.
Je voulois continuer, quand elle retira la main, et
me dit que ce n'estoit pas ce qu'elle me demandoit,
car je parlois trop en general, mais qu'elle
vouloit clairement sçavoir ce qui adviendroit du
dessein η qu'elle avoit. Alors je luy Ξ(Guillemets de "respondis" à "que vostre".) respondis : - Les
Numes celestes, sçavent eux seuls ce qui est de
l'advenir, sinon en tant que par leur bonté, ils en
donnent cognoissance à leurs serviteurs ; et cela
quelquefois pour le bien public, quelquefois pour
satisfaire aux ardantes supplications de ceux, qui
plusieurs fois en
[ 128 verso ] 1607 fonctionnelle
importunent leurs autels, et bien
souvent
" pour faire paroistre que rien ne leur est
caché.
" Et toutesfois c'est apres au prudent interprete
" de ce Dieu, de n'en dire qu'autant qu'il
Ξcognoist connoist
" estre necessaire, par ce que les secrets
" des Dieux ne veulent point estre divulguez
" sans
occasion. Je vous dy cecy afin que vostre curiosité
se contente de ce que je vous en ay discouru un peu
moins clairement que vous ne desirez, car il n'est
pas necessaire que je le vous die autrement ; et afin que vous Ξcognoissiez connoissiez que le Dieu ne m'est point
chiche de ses graces, et qu'il me parle familierement,
je vous veux dire des choses qui vous sont advenuës,
par lesquelles vous jugerez combien je sçay.
En
premier lieu, belles Nymphes, vous sçavez bien que
je ne vous vy jamais, et toutefois, à l' Ξabort abord, je
vous ay toutes nommées par vos noms : Ξcela je l'ay ce que j'ay fait, parce que je veux bien que vous me croyez plus
sçavant que le commun, non pas Ξafin à fin que la gloire
m'en revienne, ce seroit trop de presomption, mais
Ξbien à la divinité que je sers en ce lieu. Or il faut
que vous croyez que tout ce que je vous diray, je
l'ay appris du mesme Ξmaistre Maistre. Et certes en cela je ne mentois pas, car c'estoit
vous, Polemas,
qui me l'aviez dit. - Mais parce, continuay-je, que
les particularitez rendront peut estre mon discours
plus long, il ne seroit point hors de propos que
nous nous Ξassissions missions sous ces arbres voisins. A ce
mot nous y allasmes, et lors je
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recommençay
ainsi. - Vrayement Ξl' interrompit Polemas, vous ne
pouviez conduire avec plus d'artifice ce
commencement. - Vous jugerez, respondit Climanthe,
que la continuation ne fut point avec moins de
prudence. Je pris donc la parolle de ceste sorte.
- Belle Nymphe, il peut y avoir trois ans, que le
gentil Agis, en pleine assemblée, vous fut donné
pour serviteur, a ce commencement, vous vous fustes
Ξindifferents indifferens, car jusques alors, la jeunesse Ξl'un de l'autre de l'un et de l'autre, estoit cause que vos cœurs n'estoient
capables des passions que l'Amour conçoit, mais
depuis ce temps Ξ*le devoir en luy et la recherche en vous vostre beauté en luy, et sa recherche en vous, commencerent d'esveiller peu à peu Ξces ses η feux,
dont Ξla nature nous allume nature met les premieres estincelles en nous, dés l'heure que nous naissons, de sorte que ce qui
vous estoit indifferent, devint particulier Ξ*voila comme l'Amour bien souvent se joüe, car enfin en tous deux, et l'Amour en fin Ξil se forma, et nasquit en son
ame, avec toutes les passions qui ont accoustumé de
l'accompagner, et en vous une bonne volonté, qui
vous faisoit agréer Ξdavantage d'avantage son affection, et ses
services que de tout autre.
La premiere fois qu'à bon escient il vous en fit ouverture, fut quand Amasis s'allant promener dans ses beaux jardins de Mont-brison il vous prit Ξsoubs les sous le bras, et apres
avoir demeuré quelque temps sans parler, il vous dit
tout à coup : - En fin, belle Nymphe, il ne sert de
rien que je dispute en moy-mesme, si je dois, ou
si je ne dois pas vous declarer ce que j'ay dans
l'ame, car le dissimuler est peut-estre recevable
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en ce qui Ξquelque fois quelquesfois peut estre changé, mais ce
qui me contraint de parler à cet heure
m'accompagnera jusques au delà du tombeau.
Icy je m'arrestay, et luy dis : - Voulez-vous Leonide que je redie les mesmes Ξparoles parolles que vous
luy respondites ? - Sans mentir, luy dit alors
Polemas, vous vous mettiez en un grand hazard d'estre Ξdescouvert decouvert. - Nullement, respondit
Climanthe, et pour vous rendre preuve de la
perfection de ma memoire, je vous diray les mesmes
paroles. - Mais, repliqua Polemas, si moy-mesme
m'estois oublié à les vous dire ? - O adjousta
Climanthe, je ne doute pas que cela ne soit ; mais
tant y a que le sujet des Ξparoles parolles estoit celuy que
vous m'avez dit, et elle mesme ne sçauroit se
ressouvenir des mesmes mots, de sorte qu'avec
l'opinion que ce soit un Dieu qui me les ait dits,
sans doute elle eust creu Ξelle mesme , que c'estoient ceux-la mesme. Que si vous n'eussiez esté si
familier avec elle, comme vostre secrette affection
vous avoit rendu, je ne l'eusse pas si Ξaysément aisément entrepris, mais me ressouvenant que vous m'aviez
dit, que vous l'aviez servie fort longuement, et que
ce service avoit esté tousjours bien receu, jusques
à ce que vous aviez changé d'affection, et que vous
estiez devenu serviteur de Galathée, et mesmes que
cela estoit cause que pour vous faire desplaisir
elle tenoit le party de Lindamor contre vous. Je
parlois plus hardiment de tout ce qui Ξc' s'estoit passé
en ce temps-là, sçachant Ξ(Guillemets de "bien" à "personne que".) bien que l'Amour ne permet
pas que l'Ξon un η puisse celer quelque chose à la
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personne que l'on ayme. Mais pour revenir à nostre propos, elle me
respondit : - Je veux bien que vous m'en disiez ce
qu'il vous Ξplairra plaira, mais nous Ξen croirons ce que
nous voudrons. Ξet cela elle le disoit Ce qu'elle disoit comme estant un
peu picquee de ce qu'elle le vouloit peut estre
celer à ses compagnes. Je ne laissay de continuer :
- Or bien Leonide vous en croirez ce que il vous
Ξplairra plaira, car je m'Ξassure asseure que je ne vous diray rien
qu'en vostre ame vous Ξne l'Ξavoüez avoüyez pour vray. Vous
luy respondites, comme Ξfaignant feignant de n'entendre pas
ce qu'il vouloit dire : - Vous avez raison Agis, de
ne point taire par dissimulation ce qui vous doit
accompagner aussi longuement que vous vivrez,
autrement ne pouvant estre qu'il ne se Ξdescouvre découvre,
vous seriez tenu pour personne double, nom qui
n'est Ξhonorable honnorable à nulle sorte de gens, mais moins a
ceux qui font la profession η que vous faites. - Ce
conseil donc, Ξrespondit répondit-il, et ma passion me
contraindront de vous dire, belle Nymphe que ny
l'inégalité de vos merites à moy, ny le peu de
bonne volonté, que j'ay recogneu en vous, n'ont peu
empescher mon affection, ny Ξretarder l'aile de * ma temerité qu'Ξelle elles ne m'Ξait ayent eslevé η jusques à vous, que si Ξ(Guillemets de "toutefois" à "un".) toutefois non point la qualité du don, mais de la volonté
doit estre recevable, je puis dire avec Ξassurance asseurance,
que l'on ne vous sçauroit offrir un plus grand
sacrifice ; car ce cœur que je vous donne, je le
donne avec toutes les affections, et avec toutes les
puissances de mon ame, et tellement tout, que ce qui Ξen moy, apres ceste donation
[ 130 verso ] 1607 fonctionnelle
ne se trouvera vostre en moy, je le desavoüeray et renonceray comme ne m'appartenant pas. La conclusion fut que vous luy respondites : - Agis, je croiray ces paroles quand le temps, et vos services me les auront dittes, aussi bien que vostre bouche. ΞVoyla Voila la premiere declaration d'amitié que vous eustes de luy, de laquelle il vous rendit par apres assez de preuve tant par la recherche qu'il fit Ξde pour vous Ξespouser épouser, que par Ξles querelles qu'il prit contre plusieurs, desquels Ξla jalousie le rendoit offensé il estoit jaloux. Ce fut en ce temps que voulant vous Ξfrizer friser les cheveux, vous vous Ξbrulastes bruslates la jouë, surquoy, il fit tels vers.
Chanson.
D'Agis
sur la bruslure de la
jouë de
Leonide.
Ξ*Pendant qu'à votre poil se joüe,
Amour attentif à son jeu,
Un'étincelle de son feu
Vous est tombée sur la joüe.
Cependant que l'Amour se joue
Dedans l'or η de vos beaux cheveux,
Une estincelle de ses feux
Par mal-heur vous touche la jouë.
Par Ξ*là vous jugerez la belle la jugez Nymphe cruelle,
Combien en est le feu cuisant,
[ 131 recto ] 1607 fonctionnelle
Puis que ceste seule estincelle
Tant de douleur va-produisant.
Cependant que vostre œil eslance,
Encores qu'il en Ξfust vaincueur fut vainqueur,
Tant de Ξflâmes flames contre mon cœur,
L'une η la joüe vous offence,
Par Ξ*là vous jugerez, la belle la jugez Nymphe cruelle,
Combien en est le feu cuisant,
Puis que ceste seule estincelle,
Tant de douleur va produisant.
ΞEt lors que mon cœur tout en flâme Cependant que mon cœur en flame
ΞVouloit Voulant son ardeur vous lancer,
Son feu qui ne pût y passer,
Brusla la joue au lieu de l'ame.
Par Ξ*là vous jugerez, la belle la jugez Nymphe cruelle,
Combien en est le feu cuisant,
Puis que ceste seule Ξétincelle estincelle,
Tant de douleur va produisant.
Et pour vous faire paroistre que veritablement je sçay ces choses, par une divinité qui ne peut mentir et de qui la veuë, et l'ouye penetrent jusques dans le profond des cœurs, je vous veux dire une chose sur ce sujet, que personne ne peut sçavoir que vous et Agis. Elle eut peur que je ne Ξdescouvrisse découvrisse quelque secret
[ 131 verso ] 1607 fonctionnelle
qui la Ξpûst peust η fascher, aussi estoit-ce mon dessein
de luy donner ceste apprehension. Cela fut cause
qu'elle me dit toute troublée : - Homme de Dieu, encor
que je ne craigne pas que Ξchose que vous ou autre sur ce sujet puissiez dire, vous ou autre puissiez dire chose sur ce sujet, qui me doive importer,
toutefois Ξle sujet que vous traittez est si vif, qu'il est bien mal aisé ce discours est si sensible, qu'il est bien mal-aisé d'y toucher d'une main si douce, que
la Ξblessure blesseure n'en cuise, Ξ*Cessons doncques ce discours, je vous supplie : et cela elle le disoit avec un cetain changement de visage, qu'elle monstra une tres-grande alteration. Alors je luy respondis : c'est pourquoy je vous supplie de le finir. Elle profera ces parolles avec un tel changement de visage et d'une voix interditte, que pour la r'asseurer, je fus contraint de luy dire : - Vous ne
devez me croire avec si peu de consideration, que
je ne sçache celer ce qui pourroit vous Ξoffenser offencer,
ny que j'Ξygnore ignore que les moindres blessures sont
bien fort sensibles en la partie où je vous Ξvas touchant touche,
car Ξil n'y a rien de plus sensible que le cœur, et c'est à luy c'est au cœur à qui toutes ces playes
s'Ξadressent addressent. Mais puis que vous ne voulez pas en
sçavoir Ξdavantage d'avantage, je m'en tairay, aussi bien il
est temps que je r'entre vers la divinité Ξqui me r'appelle que je η me
rappelle. Et en Ξcet cest instant, je me levay, et leur donnay le
bon jour, puis apres avoir fait Ξquelques apparences quelque apparence de ceremonies sur la riviere, je dy assez haut : - O
souveraine Deité, qui presides en ce lieu, voicy
que dans ceste eau, je me nettoye, et despoüille
de tout le profane que la pratique des hommes me
peut avoir laissé depuis que je suis Ξsorti sorty hors
de ton sainct Temple. A ce mot je donnay trois fois
des mains dans l'eau, et puis en puisant au creux
de l'une, j'en pris trois fois dans la bouche,
[ 132 recto ] 1607 fonctionnelle
et
les yeux, et les mains tournées au Ξciel Ciel, j'entray
en ma cabane sans Ξleur parler parler à elle Ξet η Ξparce par ce que je
me doutay bien qu'elles auroient assez de curiosité
pour venir voir ce que je ferois, je m'Ξallay mettre en allay devant l'autel, où η faisant semblant η de me mettre en
terre, je tiray les poils de cheval, qui faisant
leur Ξeffet effect laisserent tomber la petite aiz serrée
qui estoit devant le miroir, Ξlaquelle qui donna si à propos
sur le caillou, qu'il fit feu, et en mesme temps
se prit à la composition, qui estoit au dessous, si
bien que la Ξflâme flamme en sortit avec tant de
promptitude, que ces Nymphes qui estoient à la
porte, voyant au commencement Ξesclairer éclairer le miroir,
puis tout à coup le feu si prompt, et violent,
prirent une telle frayeur, qu'elles s'en retournerent
avec beaucoup d'opinion, et de ma saincteté, et du
respect envers Ξ*le Nume la Divinité que je servois. Ce commencement pouvoit-il estre mieux
conduit que cela ? - Non certes respondit Polemas,
et je juge bien quant à moy que toute personne
qui n'en eust point esté advertie, s'y Ξfust laissé aysément tromper fut aisément trompée.
Cependant que
Climanthe parloit ainsi,
Leonide
l'escoutoit, si ravie hors d'elle-mesme, qu'elle ne
sçavoit si elle dormoit ou veilloit car elle
voyoit bien que tout ce qu'il racontoit, estoit
tres-veritable, et toutefois elle ne pouvoit
bonnement croire que cela Ξfut fust ainsi. Et, cependant
qu'elle disputoit Ξavec sa pensée en elle mesme,
[ 132 verso ] 1607 fonctionnelle
elle Ξouït ouyt que
Climanthe recommençoit : - Or ces Nymphes s'en
allerent, et ne puis sçavoir Ξassurément asseurement quel
rapport elles firent de moy, si est-ce que par
conjecture, il y a Ξapparance apparence qu'elles Ξrapporterent dirent à chacun
les choses admirables qu'elles avoient veuës. Et
comme la renommée augmente tousjours, Ξ(Guillemets de "la" à "continuer".) la ΞCourt Cour n'estoit pleine que de moy ; et certes en ce
temps-là j'euz de la peine à continuer mon
entreprise, car une infinité de personnes vindrent
me voir, les unes par curiosité, les autres pour
estre instruites, et plusieurs, pour sçavoir si ce
Ξqu'on que l'on disoit de moy estoit point controuvé,
et fallut que j'usasse de grandes ruses,
Ξquelquefois par eschapatoires quelques fois pour eschapper, je disois que ce jour
la estoit un jour muet pour la deité que je servois,
une autre fois que quelqu'un Ξl'avoit offensée avoit l'offensee, et
qu'elle ne vouloit point respondre, que je ne
l'eusse appaisee par Ξjeusnes jeunes ; d'Ξautrefois autres-fois je
mettois des conditions aux Ξcerimonies ceremonies que je leur
faisois faire, qu'ils ne pouvoient parachever
qu'avec beaucoup de temps, et quelques fois quand
le tout estoit finy, j'y trouvois a dire, ou
qu'ils n'avoient pas bien observé tout, ou qu'ils en
avoient trop ou trop peu fait ; et par ainsi je les
faisois recommencer, et allois gaignant le temps.
ΞDe ceux desquels Pour le regard de ceux dont quelque chose m'estoit
Ξcognuë cogneuë, je les despeschois assez promptement, et
cela estoit cause que les autres desireux d'en
sçavoir autant que les premiers, se sousmettoient
[ 133 recto ] 1607 fonctionnelle
à tout ce que je voulois.
Or durant ce temps Amasis me vint voir, et avec
elle Galathée. Apres que j'eus Ξsatisfait satisfaict à Amasis
sur ce Ξquelle qu'elle η me demandoit, qui fut en somme de
sçavoir quel seroit le voyage que Clidaman avoit
entrepris, et que je luy eus dis qu'il courroit
beaucoup de fortune, qu'il seroit blessé, et qu'il
se trouveroit en trois batailles, avec le Prince des
Francs η, mais qu'en fin il s'en reviendroit avec
toute sorte d'honneur et de gloire, elle se retira
de moy fort contente, et me pria que je recommandasse
son fils à la Deité, que je servois. Mais Galathée Ξplus encores beaucoup plus curieuse que sa mere,
me tirant à part, me dit : - Mon pere, obligez moy
de me dire ce que vous sçavez de ma fortune. Alors
je luy dis, qu'elle me monstrast la main, je la
regarday quelque temps, Ξpuis je la fis cracher trois
fois en terre, et Ξj'y mis le pied gauche ayant mis le pied gauche dessus, Ξet je la tournay du costé du Soleil Levant, et la fis
regarder quelque temps en haut. Je luy pris la mesure
du visage, et de la main puis la grosseur du col,
et avec ceste mesure je mesuray η depuis la ceinture en
haut, et en fin luy regardant Ξencor encore un coup les
deux mains, je luy dis : - Galathee, vous estes
heureuse si vous sçavez prendre vostre heur, et tres
mal-heureuse, si vous le laissez eschapper, ou par
nonchalance, ou par Amour, ou par faute de courage.
Mais à la verité, si vous ne vous rendez incapable
du bien, à quoy le Ciel vous a destinee, vous ne
sçauriez Ξpar pas η le desir attaindre
[ 133 verso ] 1607 fonctionnelle
à plus de felicité,
et tout ce bien, ou tout ce mal, vous est preparé
par l'Amour. Advisez donc de prendre une belle et
ferme resolution en vous mesme, de ne vous laisser
esbranler à persuasion d'Amour, Ξny n'y η à conseil d'amie,
Ξny n'y η à Ξcommandements commandemens de parents. Que si vous ne le
faites, je ne croy point qu'il y ait sous le Ciel
rien de plus miserable que vous serez. - Mon Dieu,
dit alors Galathée, vous m'estonnez. - Ne vous en
estonnez point, luy dis-je, car ce que je vous en
dis n'est que pour vostre bien. Et afin que vous
vous y puissiez conduire avec toute prudence, je vous
en veux descouvrir tout ce que la divinité qui me Ξl'a la η appris me permet, mais ressouvenez-vous de le tenir
si secret, que vous ne le Ξfiez disiez à personne.
Apres qu'elle me l'eust promis η, je le η continuay de ceste
sorte : - Ξ*Belle Galathée Ma fille, car l'office auquel les Dieux m'ont
appellé me permet de vous nommer ainsi η, vous estes
et serez servie de plusieurs grands Chevaliers, dont
les vertus et les merites peuvent diversement vous
esmouvoir, mais si vous mesurez vostre affection, ou
à leurs merites, ou au jugement que vous ferez de
leur Amour, et non point à ce que je vous en diray,
vous vous rendrez autant pleine de Ξmalheur mal-heur qu'une
personne hors de la grace des Dieux le sçauroit
estre. Car moy qui suis l'Ξinterprette interprete de leur volonté,
en la vous disant je vous oste toute excuse de
l'ignorer, si bien que d'or en là vous serez
Ξdesobeïssante desobeyssante envers eux Ξ(Guillemets de "si" à "sousmission".) si vous y contrevenez,
et
[ 134 recto ] 1607 fonctionnelle
vous sçavez que le Ciel demande plus l'obeissance
et la sousmission que tout autre sacrifice, par ainsi ressouvenez-vous bien de ce que je vous vay dire.
Le jour que les Baccanales vont par les ruës
Ξhurlant heurlant η et tempestant pleines de l'enthousiasme de leur Dieu η, vous serez
en la Ξgrande grand ville de Marcilly, où plusieurs Chevaliers vous verront : mais prenez bien garde
à celuy qui sera vestu de toile d'or verte, et Ξde qui qui de η toute la Ξsuitte suite portera la mesme couleur ; si
vous l'Ξaimez aymez, je plains dés icy vostre Ξmalheur mal-heur,
et ne puis assez vous dire, que vous serez la butte de tous desastres, et de toutes infortunes, car
vous en ressentirez Ξdavantage plus encores, que je ne Ξ*puis vous en menacer vous en puis dire. - Mon pere me Ξdit-elle respondit-elle, un peu
estonnée, à cela je sçay un bon remede, qui est de
ne rien Ξaimer aymer du tout. - Mon enfant, luy
repliquay-je, ce remede est fort dangereux, Ξdautant d'autant que non seulement vous pouvez Ξoffenser offencer les Dieux,
en faisant ce qu'ils ne veulent pas, mais aussi en
ne faisant pas ce qu'ils veulent ; par ainsi prenez
garde à vous. - Et comment, adjousta-t'elle, faut-il
que je m'y conduise ? - Je vous ay des-ja dit, luy
respondis-je, ce que vous ne devez pas faire, à
ceste heure je vous diray ce qu'il faut que vous
fassiez.
Il faut en premier lieu, que vous sçachiez "
que toutes
les choses corporelles ou spirituelles "
ont chacune
leurs contraires, et leurs Ξsimpathisantes sympathisantes ; "
des plus
petites nous pourrions venir à la preuve des plus
grandes. Mais pour la cognoissance qu'il faut que
vous ayez, ce
[ 134 verso ] 1607 fonctionnelle
discours seroit inutile ; aussi ce que
je vous en dis n'est que pour faire entendre, que
tout ainsi que vous avez ce mal-heur contraire à vostre bon-heur, aussi avez vous un Ξ*objet destin si
capable de vous rendre heureuse, que vostre heur ne
se peut representer, et en cela les Dieux ont voulu
recompenser Ξ*le fascheux destin, auquel celuy, ausquels η ils vous ont sousmise. - Puis qu'il est ainsi, me respondit-elle, je vous
conjure mon pere par la divinité que vous servez,
de me dire quel il est. - C'est, luy dis-je, une
autre personne, que si vous l'espousez, vous vivrez
avec toute la felicité qu'une mortelle peut avoir.
- Et qui est-il ? respondit Ξincontinant incontinent Galathee.
- Belle Nymphe, luy dis-je, ce que je vous dy ne
vient pas de moy, c'est Ξde d'Hecathe que je sers. De
sorte que si je ne vous en dy Ξdavantage d'avantage, ne croyez
pas que ce soit faute de volonté, mais c'est qu'elle
ne me l'a point encor Ξdescouvert découvert, et cela Ξdautant d'autant que je n'en ay pas eu la curiosité, mais si vous en
avez envie, observez les choses que je vous diray,
et vous en sçaurez tout Ξ(Guillemets de "ce" à "receus".) ce qui sera necessaire ; car
encor que liberalement les Dieux fassent les biens
aux hommes qu'Ξil ils η leur plaist, si veulent
" ils estre
Ξrecognus recogneus pour Dieux, et les sacrifices
" des mortels
leur agreent, comme
" Ξcognoissances connnoissances qu'ils donnent
de n'estre point
" ingrats des biens receus. Apres quelques
" autres propos, ceste Nymphe fort
interditte
" me dit, qu'elle ne desiroit rien
Ξdavantage d'avantage, et qu'elle observeroit tout ce que
j'ordonnerois. - Il est temps, à ceste heure, luy
dis-je,
[ 135 recto ] 1607 fonctionnelle
car la Lune est en son Ξplein plain, ou peu s'en
faut, et si vous la laissez Ξdescroistre décroistre, vous ne le
pourrez plus ; et puis je luy fis le mesme
commandement que j'avois fait à Silvie et à
Leonide, de se laver avant jour dans le ruisseau
voisin, la jambe et le bras, et venir de ceste
sorte avec un chappeau de Verveine, et une ceinture
de Fougiere devant ceste caverne, et que j'y tiendrois
preparé ce qui seroit necessaire pour le sacrifice ;
mais qu'il ne falloit pas que ceux qui y
assisteroient fussent en autre estat qu'elle. - Et
bien, me dit-elle, j'y viendray avec deux de mes
Nymphes, et si secrettement que personne n'en sçaura
rien ; mais advisez à ne me Ξpoint parler devant elles en
sorte qu'elles sçachent Ξassurément asseurement cét affaire,
car elles tascheroient de m'en divertir.
Je fus extremement aise de cét advertissement, ayant
moy mesme ceste mesme crainte, outre que la voyant
avec ceste prevoyance je jugeay qu'elle faisoit
dessein de Ξsuivre suyvre mon Ξadvis avis, autrement elle ne s'en
fust pas souciée. Ainsi donc elle s'en alla avec Ξassurance asseurance de revenir le troisiesme jour d'apres. Or
ce qui m'avoit fait dire qu'il falloit, que ce Ξfust fut avant que la Lune descreust, fut afin que si
quelqu'autre me venoit importuner Ξd'une de semblable
chose, je Ξpusse peusse trouver excuse sur le deffaut de
la Lune, et aussi j'avois dit qu'il falloit que ce Ξfust fut avant jour, afin d'y avoir moins de
personnes. Et quant au jour des Baccanales, j'avois
conté que c'estoit ce jour-la que Lyndamor devoit
[ 135 verso ] 1607 fonctionnelle
prendre congé d'Amasis à Marcilly, et d'elle par
Ξconsequant consequent, et aussi qu'il seroit habillé de vert.
Or toutes ces choses ainsi resoluës et preparees,
je donnay ordre à trouver ce qu'il falloit, pour le
sacrifice que nous avions à faire le troisiesme jour :
car encore que je ne sceusse Ξguiere guere bien ce Ξmettier mestier,
Ξsi η falloit-il que je me monstrasse expert en cela,
afin qu'elles, qui y estoient accoustumées, n'y
trouvassent rien à Ξredire dire. Vous sçavez que dés le
commencement Ξnous nous η y estions preparez, et que nous
avions donné ordre pour recouvrer tout ce qui
estoit necessaire.
Le matin venu, a peine le jour commençoit à poindre
que je la trouvay en l'estat que je luy avois
ordonné avec Silvie et Leonide, et sans mentir
je desiray alors que vous y fussiez, pour avoir le
contentement de voir Ξceste cette belle, dont les cheveux
au gré du vent s'alloient recrespants en ondes
n'Ξestant couvers estans couverts que d'un chappeau de Verveine. Vous eussiez veu ce bras nud,
et ceste jambe blanche comme albastre, le tout gras
et poly, en sorte qu'il n'y avoit point d'Ξapparance des apparence d'os, la greve longue et droite, et le pïed petit
et mignard, qui faisoit honte à ceux de Tetis.
Il faut que j'advoue la verité, je voulus un peu
passer le temps, et voir Ξdavantage de ces d'avantage des beautez,
Ξde sorte que que η je leur dis qu'il falloit qu'elles se
parfumassent tout le corps d'Ξancens masle encens masle, et de
souffre, Ξet cela leur dis-je afin que les visions des Deitez de Stix
ne les Ξpussent peussent η offenser, et leur monstray
[ 136 recto ] 1607 fonctionnelle
à cet
effet un lieu un peu plus reculé où elles ne
pouvoient estre veuës que Ξmalaisément mal-aisément.
Sur le panchant du vallon voisin duquel ce petit
ruisseau arrouse le pied, il s'esleve un boccage
espaissi branche sur branche de diverses Ξfeuilles fueille,
dont les cheveux n'ayant jamais esté tondus par le
fer, a cause que le bois est dedié à Diane,
s'entre-ombrageoient espandus l'un sur l'autre, de
sorte que mal-aisément pouvoient ils estre percez du
Soleil Ξny n'y η a son lever, Ξny n'y η a son coucher, et par
ainsi au plus haut du midy mesme une chiche lumiere
d'un jour blafard y pallissoit d'ordinaire. Ce lieu
ainsi commode leur donna courage, mais plus encore
la curiosité de Ξ*parachever mon ordonnance sçavoir ce qu'elles desiroient. La
donc apres avoir pris les parfums necessaires, elles
vont se deshabiller toutes trois ; et moy qui sçavois
quel estoit le lieu, m'esgarant η à travers les
halliers revins par un autre costé où elles estoient,
et eus commodité de les voir nuës. Sans mentir, je
ne vy de ma vie rien de si beau, mais sur toutes je
trouvay Leonide admirable, Ξfust fut en la proportion de
son corps, Ξfust à fut en la blancheur de la peau, fust
Ξà en l'embonpoinct, elle les surpassoit de beaucoup, si
bien qu'alors je vous condamnay pour homme peu expert
aux beautez cachées, puis que vous l'aviez quittée
pour Galathée, qui à la verité Ξa à bien quelque chose
de beau au visage, mais le reste si peu accompagnant
ce Ξqui qu'il η se
[ 136 verso ] 1607 fonctionnelle
voit, qu'il se peut avec raison nommer
un abuseur. - Mon Dieu Climanthe, dit alors Polemas, qui ne pouvoit ouyr parler de ceste sorte
de ce qu'il Ξaimoit aymoit, si vous me voulez plaire laissez
ces termes, et continuez vostre discours, car il y a
bien de la comparaison du visage de Leonide à celuy
de Galathée. - En cela, respondit Climanthe, vous
pourriez, avoir quelque raison ; mais croyez moy,
qui le sçay pour l'avoir veu, le visage de Leonide est ce qui est de moins beau en son corps. - Or je
luy conseille donc, dit Polemas tout en colere,
qu'elle cache le visage, et qu'elle Ξmonstre montre ce
qu'elle a de plus beau ; mais voyez vous, vous aviez
les yeux troublez, tant pour l'obscurité du lieu, que pour avoir tout l'entendement à vostre
entreprise, de sorte qu'en ce temps-là Ξmalaisément mal aisement en pouviez vous faire quelque bon jugement. Mais
laissons cela à part et continuez vostre discours,
je vous supplie.
Leonide qui escoutoit tous ces propos, voyant Ξle mespris dont avec quel mespris Polemas parloit d'elle, se ressentit de sorte offensée contre luy, que jamais depuis elle
ne luy Ξpût peut η pardonner, et au contraire quoy qu'elle
voulust mal à la ruse de Climanthe, si l'aimoit elle
en quelque Ξ(Guillemets de "sorte" à "hors".) s'oyant louer, car il n'y a rien
qui chatoüille Ξdavantage d'avantage une fille que la louange
de sa beauté, et mesme quand elle est hors de
soupçon de flatterie. Cependant qu'elle estoit en
ces pensers, elle ouyt qu'il continuoit ainsi : - Or ces trois belles Nymphes
[ 137 recto ] 1607 fonctionnelle
s'en revindrent vers
moy, et me trouverent au devant de ma caverne, où
je faisois une fosse pour le sacrifice η, Ξdautant d'autant que soudain qu'elles avoient commencé de se
Ξrabiller r'abiller, je Ξm'en men η estois revenu, et avois eu le
loisir d'en faire une partie. Je la creusay d'une
coudée et de quatre pieds en rond, puis j'allumay
trois feux à l'entour, d'encens, d'ache, Ξet η de pavot,
et avec un encensoir, je parfumay le lieu trois
fois en rond, et autant ma cabane, et puis je leur
entournay le corps de Verveine, et leur fis à chacune
une couronne de pavot, et mis dans leur bouche du
sel, que je leur fis Ξmâcher mascher.
Apres je pris trois genices noires, et les plus
belles que j'eusse Ξ*sceu peu choisir, et neuf brebis qui
n'avoient point esté Ξcognuës cogneuës du bellier, dont la
Ξlaine leine noire et longue ressembloit à de la soye, tant
elle estoit douce et deliée ; je Ξconduy conduisis ces
animaux sans les frapper sur la fosse, où m'estant
tourné du costé de l'Occident, je les poussay sur le
bord, de la main gauche, et de l'autre je prins le
poil qui estoit entre les cornes, et le jettay
dedans le creux, y Ξrespanchant respandant ensemble du Ξlait laict,
Ξet de la farine, du vin, et du miel, et apres avoir
appellé Ξ*trois quatre fois Hecathe, je mis le Ξcouteau cousteau dans
le cœur des animaux, l'un apres l'autre, et en
receus le sang dans une tasse, et puis Ξrappellant r'appellant encore Hecathe, je Ξl'espanchay le laissay tomber peu à peu
dedans. Lors me semblant qu'il ne restoit plus rien à faire je me relevay sur le bout des pieds, et
faisant comme le transporté, je dis aux
[ 137 verso ] 1607 fonctionnelle
Nymphes : - Voicy le Dieu, il est temps. Et prenant Galathée par la main, nous entrasmes tous Ξquatre quatres dedans. Je
m'estois rendu farouche, j'avois les yeux ouverts,
et roüans dans la teste, la bouche entr'ouverte,
l'estomach pantelant, et le corps comme tremoussant
par le sainct Enthousiasme. Estant pres de l'autel, je dis : - O saincte Deité, qui Ξpresides preside en ce lieu, donne moy que je puisse respondre à ceste
Nymphe, avec verité sur ce qu'elle m'a demandé. Le
lieu estoit fort obscur, et n'y avoit clarté que
celle que deux petits flambeaux donnoient, qui
estoient allumez sur l'autel, et le jour qui estoit
des-ja assez grand donnoit un peu de clarté à
l'endroit où estoit le papier Ξpaint peint, afin qu'il se
peust mieux representer dans le miroir.
Apres avoir dit ces mots, je me laissay choir en
terre, et ayant tenu quelque temps la teste en bas,
je me relevay, et m'Ξadressant addressant à Galathée, je luy
dis : - Nymphe Ξaimée aymé du Ciel, tes Ξveux vœux et tes
sacrifices ont esté receus, Ξ*le Nume que je sers la Deité que nous avons reclamée, veut que par la veuë, et non Ξpoint seulement par l'oüye η, tu sçaches où tu dois trouver ton bien.
Approche toy de cét autel, et dy apres moy : O
grande Hecathe qui Ξpresides aux preside au Palus Stigieux,
ainsi jamais le Ξchien Troitestu chien à trois testes ne t'aboye quand
tu y descendras, ainsi tes autels fument tousjours
d'agreables sacrifices, comme je te promets tous
les ans de les charger d'un semblable à cestuy-cy,
pourveu, grande Deesse, que par toy je voye ce que
je te requiers.
A ceste
[ 138 recto ] 1607 fonctionnelle
derniere parole, je touchay les poils de cheval Ξqui laisserent tomber la petite aix, elle ausquels la petite aix estoit souspenduë, qui estant laschée tomba, et sans manquer donnant sur le caillou, fit le feu accoustumé, avec une flame si prompte, que Galathée fut Ξsurprinse surprise de frayeur ; mais je la retins et luy dis : - Nymphe, n'ayez peur, c'est Hecathe qui vous monstre ce que vous demandez. Lors la fumée peu à peu se perdant, le miroir se vid, mais un peu Ξtroublé trouble de la fumee de ce feu qui fut cause que prenant une esponge moüillée, que je tenois expressément au bout d'une cane, je passay deux ou trois fois sur la glace qui la rendit fort claire, et de fortune le Soleil leva en mesme temps, donnant si à propos sur le papier Ξpaint peint, qu'il paroissoit si bien dans le miroir, que je ne l'eusse sçeu desirer mieux. Apres qu'elles y eurent regardé quelque temps, je dis à Galathée : - Ressouviens toy Nymphe, qu'Hecathe te fait sçavoir par moy, qu'en ce lieu que tu vois representé dans ce miroir, tu trouveras un diamant à demy perdu qu'une belle et trop desdaigneuse a mesprisé, croyant qu'il η fust faux, et Ξtoutesfois toutefois il est d'inestimable valeur, Ξprends prens le et le Ξconserves conserve curieusement. Or ceste riviere, c'est Lignon, ceste Saulaye qui est deça, c'est le costé de Mont-Verdun, au dessous de ceste colline, où il semble qu'autrefois la riviere Ξait ayt eu son cours : remarque bien le lieu et t'en ressouviens. Puis tirant la Nymphe à part, je luy dis : - Ξ*Belle Galathée Mon enfant vous avez comme je vous ay dit, une
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influence infiniment mauvaise, et une autre la plus
heureuse qu'on puisse desirer. La mauvaise je la
vous ay ditte, gardez vous en si vous Ξaimez aymez vostre
contentement ; la bonne, c'est celle-cy, que vous
voyez dans ce miroir. Remarquez donc bien le lieu
que je vous y ay fait voir, et afin de vous en mieux
ressouvenir, apres que Ξje vous auray parlé j'auray parlé à vous,
retournez le voir, Ξcar en ce lieu-là vous trouverez celuy que vous devez aimer, et cela le jour que la Lune sera au mesme estat qu'elle est aujourd'huy, environ ceste mesme heure, ou deux ou trois plus tard et le remarquez bien, car le jour que la Lune sera au mesme estat qu'elle est aujourd'huy, environ ceste mesme heure, un peu plus tost ou un peu plus tard, vous trouverez celuy que vous devez aymer ; s'il vous void avant que vous
luy, il vous Ξaimera aymera, mais difficilement le Ξpourrez vous aimer pourez vous aymer ; au contraire si vous le voyez la
premiere, il aura de la peine à vous Ξaimer aymer, et vous
l'aimerez Ξincontinant incontinent. Si faut il, comme que ce
soit que par vostre prudence vous surmontiez Ξcette ceste contrarieté : resolvez-vous donc, et de vous vaincre,
et de le vaincre, s'il est de besoin, car sans doute
avec le temps vous y parviendrez. Que si vous ne le
rencontrez la premiere fois, retournez y la Lune
d'apres au mesme jour, et environ ceste mesme heure,
et continuez ainsi jusques à la troisiesme, si à la
seconde vous ne l'y rencontrez : Ξ(Guillemets de "Hecathe" à "estimons".) Hecathe ne veut pas
bien m'Ξassurer asseurer du jour. Les Dieux se plaisent de
mettre
" de la peine en ce qu'ils veulent nous donner,
"afin que l'obeissance qu'en cela nous leur
" rendons,
soit tesmoignage Ξen nous combien nous les
" estimons.
Lors, prenant une petite Ξhoussin houssine, je
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m'approchay
du miroir, et luy monstray avec le bout tous les
lieux. - Voyez-vous, luy disois-je, voila la ΞMontagne montagne
d'Isoure, voila Mont-verdun, voilà la riviere
de Lignon. Or voyez vous la Cala à ce bord de
deçà, et un peu plus bas la Pra : allant à la
chasse vous y avez passé souvent, vous pourrez bien
le recognoistre. Or ΞNimphe Nymphe, Hecathe te mande encor
par moy, que si tu n'Ξobserves observe ce qu'elle t'a
declaré, et ce que tu luy as promis, elle augmentera
le Ξmalheur mal-heur dont le destin te menasse. Et puis
changeant un peu de voix, je luy dis : - Et je suis
tres-aise qu'avant mon depart j'aye esté si heureux que de vous avoir Ξ*advertie de vostre influence donné cét advis, car encor que je
ne sois point de ceste contree, si est ce que vostre
vertu et vostre pieté envers les Dieux m'obligent
a vous Ξaimer aymer, et à prier Hecathe qu'elle vous
conserve et rende heureuse, et par Ξlà la vous voyez
que je suis du tout à ceste Deesse, Ξpuis que puisque m'ayant
commandé de partir dans demain, sans luy contredire,
je m'y Ξresous resolus et vous dis à Dieu. A
ce mot je les mis hors de la cabane, et leur
ostant les herbes que je leur avois Ξmises mis autour,
je les bruslay dans le feu qui estoit encor allumé,
et puis je me retiray.
Je vous veux dire à ceste heure, pourquoy je luy
dis que ce fust à la pleine Lune, car vous vous
estes fasché que je luy Ξeusse ay donné si long terme, je
l'ay fait, afin que Lindamor fust party avant
qu'elle y allast, n'y ayant pas apparence
qu'Amasis
le luy eust permis auparavant.
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Et puis
encor falloit-il que vous, qui deviez prendre la
charge de toute la Ξprovince Province, eussiez un peu de
loisir de demeurer pres d'Amasis apres le depart
de tous ces Chevaliers, pour y commencer à donner
quelque ordre ; puis que
" d'aller si promptement à
la chasse, chacun en
" eust murmuré : Ξdautant d'autant que
Ξ(Guillemets de "vous" à "apres".) vous sçavez combien une personne qui se mesle de
l'Ξestat Estat, est sujette aux envies et calomnies. Je
luy donnay les trois Lunes apres, afin que si vous
y failliez un jour, vous y puissiez estre l'autre.
Je luy dy, que si elle vous voyoit la premiere,
qu'elle vous Ξaimeroit aymeroit facilement, que si c'estoit
vous, ce seroit au contraire, et cela seulement
pource que je sçavois fort bien que vous seriez le premier
à la voir, si bien qu'elle trouveroit veritable en
elle mesme ceste difficulté d'Amour ; car comme vous
sçavez elle Ξaime ayme Lindamor. Je luy dis que je
devois partir le lendemain, afin qu'elle ne
trouvast pas estrange mon depart, si de fortune elle
revenoit me chercher pour quelque autre curiosité.
Car ayant fait envers elle ce que nous avions resolu,
ma plus grande haste estoit de m'en aller pour
n'estre Ξrecognu recogneu de quelque Druide qui m'eust fait
chastier, et vous sçavez bien que ç'a tousjours esté
la toute ma crainte : vous semble-t'il que j'y aye
oublié quelque chose ? - Non certes, dit alors
Polemas, mais que peut estre ce qui l'a des-ja
retardée si long-temps ? - Quant à moy, dit
Climanthe, je ne le puis sçavoir, si ce n'est
qu'elle n'ait
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pas bien conté les jours de la Lune.
Mais puis que rien ne vous presse, et que vous
pouvez encor vous retrouver icy au temps que je luy
ay donné, je suis d'advis que vous le fassiez, et
que tous les matins deux jours avant et apres,
vous ne manquiez point d'aller là à bonne heure ;
car il est tout vray, que le premier jour nous y
fusmes un peu trop tard. - Et que voulez-vous,
respondit Polemas, que j'y fasse ? Ce fut la perte
de ce Berger qui se noya, qui en fut cause, et vous
sçavez bien que le bord de Ξl'eau la riviere estoit si
plein de personnes, que je n'eusse Ξpû peu demeurer là
seul η sans soupçon, mais si ne retardasmes nous pas
beaucoup, et n'y a pas Ξapparance apparence qu'elle y fust ce jour-la, car je
m'Ξassure asseure que la mesme occasion qui m'en empescha l'aura aussi fait retarder, pour n'estre point
veuë. - Ne vous persuadez point cela, repliqua
Climanthe, elle estoit trop desireuse d'observer
ce que je luy avois ordonné. Mais il me semble qu'il
seroit temps de se lever, afin que vous partissiez.
Et lors ouvrant les fenestres il vid poindre le
jour. - Sans doute, luy dit-il, avant que vous soyez
au lieu où vous devez estre, l'heure sera passée ;
hastez vous, car il Ξ(Guillemets de "vaut" à "Et".) vaut mieux en toutes choses
avoir plusieurs heures de reste, qu'un moment de
moins. - Et voulez-vous, luy dit Polemas, que nous
y allions encore ? Pensez-vous qu'elle y vienne, y
ayant plus de quinze η jours que le temps est
passé ? - Peut estre, respondit-il, aura-t'elle
mal conté, ne laissons pas de nous y trouver.
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Leonide qui craignoit d'estre veuë ou par Polemas,
ou par Climanthe, n'osa se lever qu'ils ne fussent partis, et afin de Ξrecognoistre reconnoistre le visage de Climanthe, lors qu'il fut jour, elle le considera
de sorte, qu'il luy sembla impossible qu'il se Ξpûst peust η
dissimuler à elle. Et soudain qu'elle les vid sortir
hors de la maison, elle Ξdespecha dépescha de s'Ξabiller habiller, et
apres avoir pris congé de son hoste, continua son
Ξvoiage voyage, si confuse en elle mesme du malicieux artifice de ces deux personnes, qu'il luy sembloit
que Ξtoute tout autre y eust esté Ξdeceuë deceu aussi bien
qu'elle. Si est ce que le mespris que Polemas
avoit fait de sa beauté la Ξpiquoit picquoit si vivement,
qu'elle resolut de remedier par sa prudence à sa
malice, et de faire en sorte que Lindamor en
son absence ne ressentist les Ξeffets effects de ceste
trahison, ce qu'elle jugea ne se pouvoir faire
mieux que par le moyen de son oncle Adamas,
auquel
elle fit dessein de declarer tout ce qu'elle en
sçavoit.
Et en ceste resolution, elle se hastoit pour aller
à ΞFeurs Fleurs η, où
elle pensoit le trouver ; mais elle
Ξy arriva trop tard, car dés le matin il estoit party
pour s'en retourner chez luy, ayant le jour
auparavant parachevé ce qui estoit du sacrifice η. Et
des-ja le Soleil commençoit à eschauffer bien fort,
quand il se trouva dans la grande plaine de
Mont verdun ;
et Ξparce par ce qu'à main gauche il
remarqua une touffe d'arbres qui faisoient ce luy
sembloit, un assez Ξgratieux gracieux ombrage, il y tourna
ses pas en volonté de s'y reposer quelque temps.
A peine y estoit-il
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arrivé, qu'il vid venir d'assez
loing un Berger, qui sembloit Ξde chercher ce mesme
lieu, pour la mesme occasion qui l'y avoit conduit ; et Ξparce par ce qu'il monstroit
d'estre fort pensif en soy mesme, lors qu'il arriva, Adamas
pour ne le distraire de ses pensées, ne le voulut
point saluer, mais sans se faire voir à luy, voulut Ξescouter écouter ce qu'il alloit disant. Et peu apres
qu'il se fut assis de l'autre costé du buisson, il
Ξouït ouyt qu'il reprit la parole ainsi. - Et pourquoy
aymerois-je ceste Ξvollage volage ? En premier lieu sa
beauté ne m'y peut contraindre, car elle n'en a
pas assez pour avoir le nom de belle. Et puis ses
merites ne sont point tels, que s'ils ne sont
Ξaydez aidez d'autres considerations, ils puissent retenir
un honneste homme à son service ; et en fin son
amitié qui estoit tout ce qui m'obligeoit à elle,
est si muable, que Ξsi en son cœur il y a quelque impression d'Amour s'il y a quelque impression d'Amour en son cœur, je croy qu'il est non
seulement de cire, mais de cire presque fondüe,
tant il reçoit Ξaysément aisement les figures de toutes
nouveautez, et Ξ*si son Amour demeure en son ame, son ame en cela ressemble à Ξses ces yeux, qui
reçoivent les figures de tout ce qu'on leur
presente, mais aussi qui les perdent aussi tost que
l'object n'en est plus devant eux. Que si je l'ay
Ξaymée aimée, il faut que j'advoüe, que c'est parce que je
pensois qu'elle m'aimast, mais si cela n'estoit
pas, je l'excuse, car je sçay bien qu'elle mesme
pensoit de m'aimer. Ce Berger eust continué davantage, n'eust esté
qu'une Bergere, de fortune y survint, qui sembloit
l'Ξestre allé suivant avoir suivy de loing ; et quoy qu'elle eust ouy
quelques paroles des
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siennes, si n'en fit elle semblant, et au contraire s'asseant aupres de luy, elle luy dit : - Et bien, Corilas, quel nouveau soucy est celuy qui vous retient si pensif ? Le Berger luy respondit le plus Ξdesdaigneusement qu'il pût dédaigneusement qu'il peut η, et sans tourner la teste de son costé : - C'est celuy qui me fait Ξpenser rechercher avec quelle nouvelle tromperie vous Ξlairrez laisserez ceux qu'à ceste heure vous commencez d'aymer. - Et quoy, dit la Bergere, pourriez-vous croire que j'affectionne autre que vous ? - Et vous, dit le Berger, pourriez-vous croire que je pense que vous m'Ξ*affectionniez affectionnez η ? - Que croyez-vous donc de moy ? dit-elle. - Tout le pire, respondit Corilas, que vous pouvez croire d'une personne que vous haïssez. - Vous avez, adjousta-t'elle, Ξdes d'estranges opinions de moy. - Et vous, dit Corilas, d'estranges effets en vous. - O ΞDieux dieux ! dit la Bergere, quel homme ay-je trouvé en vous ? - C'est moy, respondit le Berger, qui puis dire avec beaucoup plus de raison, en vous rencontrant, Stelle, Quelle femme ay-je trouvee ? Car y a-t'il rien qui soit plus incapable Ξd'une d'amitié que vous ? Vous, dis je, qui ne vous plaisez qu'à tromper ceux qui se fient en vous, et qui imitez le chasseur η, qui poursuit avec tant de soing la beste dont apres il donne curée à ses chiens. - Vous avez, dit-elle, si peu de raison en ce que vous dittes, que celuy en auroit encore moins, qui s'arresteroit à vous respondre. - ΞPlust Pleust à Dieu, dit le Berger, que j'en eusse tousjours eu autant en mon ame, qu'à ceste heure j'en ay en mes paroles, je n'aurois
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pas le regret qui m'afflige. Et apres s'estre l'un et l'autre teus pour quelque temps, elle Ξreleva reléva sa voix, et chantant luy parla de ceste sorte ; et luy de mesme, pour ne demeurer sans Ξresponse réponse, luy alloit repliquant.
Dialogue
de Stelle
et Corilas η.
Stel.
Ξ*Et quoy voudriez vous bien Berger,
Faute de cœur estre infidele ? Voudriez vous estre (mon Berger,)
A faute d'Amour infidelle ?
Cor.
Pour suivre vostre esprit leger,
Il faut plustost une bonne ayle,
Que non pas un courage haut,
Mais vous suivre, c'est un deffaut.
Stel.
Vous n'avez pas tousjours pensé,
Que m'aimer fust erreur si grande.
Cor.
Ne parlons plus du temps passé,
Celuy Ξmal vit vit mal qui ne s'Ξamande amende,
ΞJamais le passé ne revient
Et à grand peine il m'en souvient. Le passé ne peut revenir,
Ny moy non plus m'en souvenir.
Stel.
Que c'est de ne sçavoir aymer,
Et se figurer le contraire ?
[ 142 verso ] 1607 fonctionnelle
Cor.
Pourquoy me voulez vous blasmer,
De ce que vous ne sçavez faire ?
Vous Ξaymez aimez par opinion,
Et non pas par Ξ*affection élection.
Stel.
Je vous ayme et vous Ξaymeray aimeray,
Quoy que vostre Amour soit changee.
Cor.
Moy, jamais je ne changeray,
Celle où mon ame est engagee :
Ne Ξcroyez croiez point qu'à chasque jour,
Je change comme vous d'Amour.
Stel.
Vous estes Ξdonques donc resolu
De suivre une amitié nouvelle ?
Cor.
Si quelquefois vous m'avez pleu,
Je vous jugeois estre plus belle ;
J'ay depuis veu la verité,
Vous avez trop peu de beauté.
Stel.
ΞInfidele Infidelle ! Vous destruisez
Une amitié qui fut si grande ?
Cor.
De vostre erreur vous m'accusez,
Le battu paye ainsi l'amende ;
Mais dittes ce qu'il vous plaira,
Ce qui fut jamais ne sera.
[ 143 recto ] 1607 fonctionnelle
Stel.
Mais quoy, vous m'aimiez en effet,
Qui vous fait estre si volage ?
Cor.
Quand on voit l'erreur qu'on a fait,
Changer d'advis, c'est estre sage :
Il vaut mieux tard se repentir,
Que jamais d'erreur ne sortir.
Stel.
Le change oste donc d'entre nous
Ceste amitié que je desire.
Cor.
Le change m'a fait estre à vous,
De vous le change me retire ;
Mais si je plains changeant ainsi,
C'est d'avoir tardé jusqu'icy.
St.
Et quoy, l'honneur ny le devoir
Ne sçauroient vaincre une humeur telle ?
Cor.
Qu'est-ce qu'en vous je puis plus voir,
Qui ceste amitié renouvelle,
Dont vos Ξfaintes feintes m'avoient espris,
Puis qu'en son lieu j'ay le mespris ?
St.
Je vous verray pour me venger,
Sans estre aymé, servir quelqu'autre.
[ 143 verso ] 1607 fonctionnelle
Cor.
Ξ*De tel accident Bien tost d'un tel mal le changer
Me guerira comme du vostre :
Et si je Ξfaits fais onc autrement,
J'auray perdu l'entendement.
St.
Et n'aurez vous point de regret
D'une infidelité si grande ?
Cor.
J'en ay prononcé le decret,
Celuy me doit η qui me demande :
Mais demandez, et plaignez vous,
Toute Amour est morte entre nous.
La Bergere voyant bien qu'il ne demeureroit jamais
sans replique à ses demandes, laissant le chanter,
luy dit : - Et quoy, Corilas,
il n'y a donc plus
d'esperance en vous ? - Non plus, dit-il, qu'en vous
de fidelité, et ne croyez point que vos Ξfaintes feintes, ny
vos belles paroles me puissent faire changer de
resolution, je suis trop Ξrafermi affermy en ceste
opiniastreté, de sorte que c'est en vain que vous
essayez vos armes contre moy, elles sont trop
faibles, je n'en crains plus les coups, je vous
conseille de les esprouver contre d'autres, à qui
leur cognoissance ne les fasse pas Ξmespriser mépriser comme
à moy ; il ne peut estre que vous n'en trouviez à
qui le Ξciel Ciel pour punir quelque secrette faute,
ordonne de vous aymer, et ils vous seront d'autant
plus agreables, que la nouveauté Ξsur toutes choses vous plaist vous plaist sur toute chose. A ce coup la Bergere fut à bon escient piquee,
toutefois Ξfaignant feignant de tourner ceste offense en
risée, elle luy dit en
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s'en allant : - Que je me
Ξmoque mocque de vous Corilas, et de vostre colere, nous vous reverrons bien tost en vostre bonne humeur !
Cependant contentez-vous que je patiente vostre
faute sans que vous la Ξrejettiez rejettiés sur moy. - Je sçay,
repliqua le Berger, que c'est vostre coustume de
vous moquer de ceux qui vous ayment, mais si
l'humeur que j'ay me dure, je vous Ξassure asseure que vous
pourrez Ξlong temps longtemps vous moquer de moy, avant que ce
soit d'une personne qui vous ayme.
Ainsi se separerent ces deux ennemis, et Adamas
qui les avoit escoutez, ayant cognoissance par
leurs noms de la famille dont ils estoient, eut
envie de sçavoir davantage de Ξ*leur affaire leurs affaires, et
Ξappellant appelant Corilas par son nom le fit venir à luy.
Et parce que le Berger se monstroit estonné de
ceste surprise η, pour le respect qu'on portoit à
l'habit, et à la qualité de Druide, Ξafin de le rassurer à fin de le r'asseurer, il le fit Ξassoir asseoir aupres de luy, et puis
luy parla ainsi : - Mon enfant, car tel Ξvous puis-je je vous puis nommer pour l'amitié que j'ay tousjours portée à
tous ceux de vostre famille, il ne faut que vous
soyez marry d'avoir parlé si franchement à Stelle
devant moy. Je suis tres-aise d'avoir sçeu vostre
prudence, mais je desirerois d'en sçavoir Ξdavantage, afin d'avantage, à fin de vous conseiller si bien en Ξcet cest affaire,
que vous n'y fissiez point d'erreur, et pour moy
je ne croy pas y avoir peu de difficulté, puis que
les loix de la civilité et de la courtoisie
obligent η peut estre Ξdavantage d'avantage qu'on ne pense pas.
Aussi tost que Corilas avoit veu le Druide il
l'avoit bien Ξrecognu reconneu pour l'avoir veu
[ 144 verso ] 1607 fonctionnelle
plusieurs
fois en divers sacrifices. Mais Ξne luy ayant jamais parlé n'ayant jamais parlé à luy, il n'avoit la hardiesse de luy
raconter par le menu ce qui s'estoit passé entre
Stelle et luy, quoy qu'il desirast fort que
chacun sceust la justice de sa cause, et la
perfidie de la Bergere ; Ξdequoy s'apercevant de quoy s'appercevant
Adamas, Ξafin à fin de luy en donner courage, il luy fit
entendre qu'il en sçavoit Ξdes-ja desja une partie, et
que plusieurs le racontoient à son Ξdes-advantage desavantage, ce
qu'il oyoit avec Ξdesplaisir déplaisir, pour l'amitié qu'il
avoit tousjours portée aux siens. - Je crains,
respondit Corilas, que ce ne vous soit
importunité d'oüïr les particularitez de nos
villages. - Tant s'en faut, repliqua-t'il, ce me
sera beaucoup de satisfaction de sçavoir que vous
n'avez point de tort, aussi bien veux-je passer icy
une partie de la chaleur, et ce sera autant de
temps employé.
[ 145 recto ] 1607 fonctionnelle
Puis que vous le commandez ainsi, dit le Berger,
il faut que je prenne ce discours d'un peu plus
haut. Il y a fort long temps que Stelle demeura
vefve d'un mary que le Ξciel Ciel luy avoit donné,
Ξplutost plustost pour en avoir le nom que l'Ξeffet effect : car
outre qu'il estoit maladif, sa vieillesse qui
approchoit de soixante et quinze ans, luy diminua
tellement les forces, qu'elle le Ξcontraint contraignit de
laisser ceste jeune vefve avant presque qu'elle
fust vrayement mariée. L'amitié qu'elle luy
portoit ne luy fit pas beaucoup ressentir
ceste perte, ny son humeur aussi, qui n'a jamais
esté de prendre fort à cœur les Ξaccidens accidents qui
luy surviennent. Demeurant donc fort Ξsatisfaitte satisfaite en soy-mesme, de se voir Ξdeslivrée delivrée tout à coup de
deux si pesants fardeaux, Ξque à sçavoir de l'importunité d'un fascheux mary, et de l'authorité que ses parents avoient accoustumé
d'avoir sur elle, Ξincontinant incontinent elle se mit à bon
escient au monde, et quoy que sa beauté, ainsi
que vous avez veu, ne soit pas de celles qui
peuvent contraindre à se faire aymer, si est-ce
que Ξses ces affetteries ne Ξdesplaisoient déplaisoient point à la
Ξpluspart plus-part de ceux qui la Ξvoioient voyoient.
Elle pouvoit avoir Ξdixsept ou dixhuit dix-sept ou dix-huict ans, Ξâge aage tout propre à commettre beaucoup d'Ξimprudence imprudences
[ 145 verso ] 1607 fonctionnelle
quand on Ξen a la liberté. Cela fut cause que ΞSaliam Salian,
son frere, tres-honneste, et tres-advisé Berger,
et des plus grands amis que j'eusse, ne pouvant
supporter Ξces ses libres et coustumieres recherches,
afin de luy en oster les commoditez en quelque
sorte, se resolut de l'esloigner de son hameau,
et la mettre en telle compagnie qu'elle Ξpûst peut η passer son Ξâge aage plus dangereux sans reproche. Pour
cet Ξeffet effect, il pria Cleanthe de trouver bon qu'elle
fist compagnie à sa petite fille η Aminthe, parce
qu'elles estoient presque d'un Ξâge aage, encore que Stelle en eust quelque peu Ξdavantage d'avantage. Et Ξdautant d'autant que Cleanthe le trouva bon, elles commencerent
ensemble une vie si privée, et si familiere, que
jamais ces deux Bergeres n'estoient l'une sans
l'autre. Plusieurs s'estonnoient qu'Ξestant estans si
differentes d'Ξhumeur humeurs, elles peussent se lier
si estroittement ; mais la douce pratique d'Aminthe, et le souple naturel de Stelle en
furent cause, et ainsi jamais Aminthe ne Ξdesdisoit deduisoit η
les deliberations de sa compagne, et Stelle ne
trouvoit jamais rien de mauvais de tout ce
que Aminthe vouloit. De ceste sorte elles vesquirent si privément, qu'il n'y
avoit rien de caché entre-elles.
Mais en fin Lysis fils du Berger Genetian,
laissant les Ξvallons gellez valons gelez de Mont-Lune,
descendit Ξà en nostre plaine, où ayant veu
Stelle Ξà en une assemblée generalle qui se faisoit
au Temple de Venus, vis à vis de Mont-Suc, lors
mesme η qu'Astrée eut le prix de beauté, il en
devint de sorte amoureux, que je ne croy pas qu'il
ne le soit encores au tombeau, et elle
[ 146 recto ] 1607 fonctionnelle
le trouva
tant à son gré, qu'apres plusieurs voyages, et
plusieurs messages, ses affections passerent
si avant que Lysis fit parler de mariage, à
quoy elle fit toute telle Ξresponse responce qu'il eust
sçeu desirer. En ce temps-là ΞSaliam Salian fut
contraint de faire un voyage si lointain qu'il
ne Ξsceut sçeust rien de tout ce traitté, outre qu'elle
s'estoit Ξdes-ja desja prise une si grande authorité
sur soy-mesme qu'elle ne luy communiquoit pas
beaucoup de ses affaires. D'autre costé, Aminthe la voyant si tost resoluë à ce mariage, plusieurs
fois luy demanda si c'estoit à bon escient, et
qu'il luy sembloit qu'en chose de si grande
importance, il Ξy failloit falloit bien regarder. - Ne vous
en mettez point en peine, luy dit-elle, je
sortiray Ξbien de cet affaire aysément aisement de cest affaire.
Sur cela Lysis, qui poursuivoit fort vivement,
prit jour assigné η pour faire l'assemblée, et se
met aux Ξdespenses dépenses accoustumées en semblable
occasion, tenant son mariage pour Ξassuré asseuré. Mais
l'humeur Ξ(Guillemets de "coustumiere" à "empescha".) coustumiere de plusieurs femmes η, de ne
faire personne maistre de leur liberté, l'empescha
de continuer Ξà son premier dessein, qu'elle tascha
de rompre par des demandes, tant Ξdesraisonnables déraisonnables,
qu'elle croyoit que les parents et amis de Lysis n'y consentiroient jamais ; mais l'Amour qu'il luy
portoit, estant plus fort que toutes ces difficultez,
elle fut en fin contrainte de le rompre sans autre
couverture que de son peu de bonne volonté. Si
Lysis fut offensé, vous le pouvez juger, recevant
un si grand outrage, Ξtoutefois toutesfois il ne Ξpût peust η chasser
cet Amour qu'il ne fust encor vainqueur. Et me
souvient
[ 146 verso ] 1607 fonctionnelle
que sur ce discours il fit ces vers, que depuis, lors que nous fusmes amis, il me donna.
SONNET.
Sur un despit d'Amour.
Despit foible guerrier η, parrain audacieux,
Qui me Ξconduits conduis au camp sous de si foibles armes,
Contre un Amour Ξcouvert, et d'armes armé de fléches et de charmes,
Amour si coustumier d'estre victorieux.
Ξ*Helas, c'est fait de nous, nos glaçons desdaigneux,
Au seul vent de son ayle, aux premieres alarmes,
Se dégellent d'abort en des ardantes larmes ;
Et que feront les feux qui consument les Dieux ? Si le vent de son aisle aux premieres alarmes
Fait fondre tes glaçons, qui coulent de mes yeux ;
Et que feront les feux, qui consument les Dieux,
Et qui vont s'irritant par les torrens de larmes ?
Je Ξte crie viens crier mercy, vaincu je Ξtends tens la main,
Ξ*Fleschissant le genoüil, et descouvrant le sein,
Si tu veux le combat, que pour moy pitié s'arme Fléchissant sous le joug d'un vainqueur inhumain,
Qui de ta resistance augmentera sa gloire :
Ξ*Le vaincre, et le mourir je mets en son effort,
Que s'il tombe en ton sein seulement une larme, Je veux pour mon salut faire armer la pitié,
Et si de la Bergere, elle émeut l'amitié,
Mon sang soit mon triomphe, et Ξvictoire ma mort ma mort ma victoire.
Ce qui fut cause de ce changement en Stelle, fut
une nouvelle affection, que la recherche d'un
Berger nommé Semire, fit naistre dans son ame,
dequoy Lysis s'apperceut le dernier, Ξparce par ce qu'elle se cachoit Ξdavantage plus de luy que de tout autre.
Ce Berger est entre tous ceux que je Ξvis vids jamais,
[ 147 recto ] 1607 fonctionnelle
le plus dissimulé et cauteleux, du reste
tres-honneste homme, et personne qui a beaucoup
d'Ξaymables aimables parties, qui donnerent occasion à la
Bergere de refuser, contre sa promesse, l'alliance
de Lysis mettant ce refus en ligne de faveur à son nouvel Amant, qui toutefois ne triompha
pas longuement de ceste victoire, car il advint que Lupeandre faisant une assemblee η pour le mariage
de sa fille Olimpe, Lysis et Stelle y furent
Ξappellez appelez, et Ξparce par ce que nous sommes fort proches
parents Olimpe et moy, je ne vouluz faillir de m'y trouver. Je ne sçay si ce fut vengeance
d'Amour, ou que le naturel inconstant de la
Bergere par son bransle incertain, la rapportast
d'où elle estoit partie, tant y a qu'elle ne revit
pas si tost Lysis, qu'il luy reprit fantasie
de le Ξrappeller à soy r'appeler, et pour Ξcet cest effet n'oublia
nulles de ses affetteries, dont la nature luy
a esté imprudemment prodigue. Mais le courage offensé du Berger, luy donnoit d'assez bonnes
armes, non pas pour ne l'Ξaimer aymer, mais pour cacher
seulement son affection. En fin sur le soir que
chacun estoit attentif, qui à dancer, et qui
à entretenir la personne plus à son gré, elle le
poursuivit de sorte, que le serrant contre une
fenestre, d'où il ne pouvoit honnestement Ξeschapper échapper,
il fut contraint de soustenir les efforts
de son ennemie.
D'autre costé Semire qui avoit tousjours l'œil
sur elle, Ξayant aiant remarqué les poursuittes qu'elle
avoit Ξfaittes faites tout le Ξ(Guillemets de "soir" à "quelque".) soir à ce Berger,
suivant le
naturel de tout Amant, commença "
à laisser naistre
quelque jalousie en son ame "
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sçachant bien que la
mesche nouvellement estainte se Ξrallume r'allume Ξ(Guillemets de "fort" à "disoit".) fort Ξaysément aisement, et voyant
" qu'elle avoit serré Lysis
contre la fenestre,
" afin d'Ξoüir oüyr ce qu'elle luy
disoit, faignant de parler à quelqu'autre, il se mit
si pres d'eux, qu'il Ξoüit oüyt qu'elle luy demandoit
pourquoy il la fuyoit si fort. - Vrayement,
respondit Lysis, c'est me poursuivre à outrance,
et avec trop d'effronterie. - Mais encore reprit
Stelle, que je sçache d'où procedent ces injures ;
peut-estre que m'ayant Ξouïe oüye, et jugeant sans
passion, tout le mal ne sera du costé de celuy que
vous pensez. - Pour Dieu, Ξrespondit répondit Lysis,
Bergere, laissez moy en paix, et qu'il vous suffise
que ces injures procedent de la haine que je vous
porte, et l'occasion de ma haine, de vostre legereté,
qui Ξest la rend si juste, que Ξplust au ciel pleust au Ciel que celuy
qui en a tout le tort, en ressentist aussi tout le
Ξdesplaisir déplaisir ; mais mettons toutes ces choses sous les
pieds, et en perdez aussi bien la memoire que j'ay
perdu toute volonté de vous Ξaimer aymer. - J'entens,
Ξrespondit répondit Stelle, d'où procede vostre courroux, et
certes vous avez bien raison de vous en formaliser
de ceste sorte. Voyez je vous supplie le grand
tort qu'on luy a fait de ne l'avoir reçeu pour
mary Ξaussi tost aussitost qu'il s'est presenté ! N'est-ce
pas la coustume de ne le faire jamais demander
deux fois ? A la verité, si je ne vous ay pris au
mot, je vous ay fait une grande Ξoffense offense ; mais
quelle Ξapparance apparence y a-t'il aussi de refuser une
personne si constante, qui m'a aymee presque trois
mois ?
Lysis voyant devant luy celle que son outrage ne
luy permettoit
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d'aimer, et que son amitié ne
souffroit qu'il haïst, ne sçavoit avec quels mots
luy respondre, Ξtoutefois toutesfois pour interrompre ce torrent
de paroles, il luy dit : - Stelle, c'est assez, nous
avons esprouvé il y a long temps, que vous sçavez
mieux dire que faire, et que les Ξparoles parolles vous
croissent Ξà en la bouche davantage, quand la raison η vous deffaut le plus. Mais tenez ce que je vous Ξvas vay dire pour inviolable : autant que je vous ay
Ξautrefois autresfois aymee, autant vous hay-je à ceste heure,
et ne sera jour de ma vie, que je ne vous publie
pour la plus Ξingrate ingratte, et plus trompeuse femme qui
soit sous le Ciel. A ce mot, Ξforçant forceant son affection,
et le bras de Stelle, qu'elle appuyoit à la
muraille pour le clorre contre la fenestre, il la
laissa seule, et s'en alla entre les autres Bergeres,
qui pour l'heure le Ξgarentirent garantirent de ceste ennemie.
Semire, qui comme je vous ay dit, escoutoit tous
ces discours, demeura si estonné, et si mal Ξsatisfait satisfaict d'elle, que dés lors il se resolut de ne faire jamais
estat d'un esprit si Ξvollage volage, et ce qui luy en donna
encore plus de volonté, fut que par hazard, ayant
longuement recherché l'occasion de Ξluy parler parler à elle, et
voyant que Lysis l'avoit laissée seule, je m'en
allay l'accoster ; car il faut que j'advouë que ses
attraits, et mignardises avaient Ξplus eu eu plus de force Ξsur sus η mon ame, que les outrages qu'elle avoit Ξfaits fait à
Lysis ne m'avoient Ξpû peu donner de Ξcognoissance connoissance de
l'imperfection de son esprit. Et comme chacun va
tousjours flattant son desir je m'allois figurant,
que ce que les merites de Lysis n'avoient Ξpû peu obtenir sur elle, ma
[ 148 verso ] 1607 fonctionnelle
bonne fortune me le pourroit
acquerir. Tant y a que tant que sa recherche dura, je ne voulus
point faire paroistre mon affection, car outre le
Ξparantage parentage qui estoit entre luy et moy, encore y
avoit-il une tres-Ξestroite estroitte amitié η ; mais lors que
je vis qu'il s'en departoit, croyant que la place
fust vacante (je n'avois pris garde à la recherche de
Semire) je creus qu'il estoit plus à Ξpropos props η de luy
en Ξdescouvrir decouvrir quelque chose, que non pas d'attendre
qu'elle eust quelque autre dessein. Ainsi donc
m'adressant à elle, et la voyant toute pensive, je luy
dis, qu'il Ξfailloit falloit bien que ce fust quelque grande
occasion qui la rendoit ainsi changée, car ceste
tristesse n'estoit pas coustumiere à sa belle
humeur. - C'est ce Ξ*facheux de Lisis fascheux Lysis, me
respondit-elle, qui se ressouvient tousjours du
passé, et me va reprochant le refus que j'ay fait
de luy. - Et cela, luy dis-je, vous Ξennuie-il ennuye-t'il ?
- Il ne peut estre autrement, me respondit elle
" car
on Ξ(Guillemets de "ne" à "retardement".) ne Ξse devestit pas d'une affection, comme d'une despoüille pas une affection comme
" une
chemise η, et il prit si mal mon retardement qu'il l'a
tousjours nommé un congé. - Vrayement, luy dis-je,
Lysis ne meritoit pas l'honneur de vos bonnes graces,
puis que, ne les pouvant acheter par ses merites,
il Ξle devoit pour le moins Ξessaïer de essayer de le faire par ses
longs services accompagnez d'une forte patience ;
mais son humeur boüillante, et peut estre son peu
d'amitié ne le luy permirent pas. Si ce bon-heur Ξne me
fust arrivé comme à luy, avec quelle affection
l'Ξeussay eusse-je receu, et avec quelle patience l'Ξeussai eusse-je
attendu ! Vous trouverez peut-estre estrange, mon pere,
[ 149 recto ] 1607 fonctionnelle
de
m'Ξoüir ouyr dire le prompt changement de ceste Bergere,
et Ξtoutefois toutesfois je vous jure qu'elle receut l'ouverture de mon amitié, aussi tost que je la luy fis, et de
telle sorte, qu'avant que nous Ξnous separissions separer, elle Ξeut eust agreable l'offre du service que je luy fis, et me
permit de me dire son serviteur. Vous pouvez croire
que Semire qui estoit aux escoutes, ne demeura Ξguiere guere plus satisfait de moy, qu'il l'avoit
esté de Lysis. Et de Ξfait faict, depuis ce temps il se
departit de ceste recherche, si discrettement
Ξtoutefois toutesfois, que plusieurs creurent que Stelle par
ses refus en avoit esté la cause ; car elle ne
monstra pas de s'en soucier beaucoup, parce que la
place de son amitié estoit Ξoccuppée occupée du nouveau
dessein qu'elle avoit en moy ; qui estoit cause que
je recevois plus de faveur d'elle que je n'eusse
pas Ξfait faict, de quoy Ξ(Guillemets de "Lysis" à "empeschoit".) Lysis s'Ξaperceut apperçeut bien tost.
Mais Amour qui veut Ξtoujours tousjours triompher de l'amitié η,
m'empeschoit de Ξlui luy en parler, craignant de Ξdesplaire déplaire à la Bergere ; et quoy qu'il s'offençast bien fort
de ce que je me cachois de luy, si ne luy en
eusse-je jamais parlé sans la permission de Stelle,
qui mesme me fit paroistre de desirer η
que cét
affaire passast par ses mains. Et depuis, "
comme j'ay
remarqué, elle le faisoit en dessein "
de le
Ξrembarquer remarquer η encor une fois Ξà avec elle ; mais moy qui
pour lors ne prenois pas garde à toutes ses ruses,
et qui ne cherchois que le moyen de la contenter,
une Ξnuit nuict que Lysis et moy estions couchez
ensemble, je luy tins un tel langage : - Il faut que
je vous advoue Lysis, qu'en
[ 149 verso ] 1607 fonctionnelle
fin Amour s'est mocqué
de moy, et de plus qu'il n'y a point de delay à ma
mort, s'il ne vient de vous. - De moy, respondit
Lysis, vous devez estre Ξassuré que je ne faudray asseuré que je ne failliray jamais à nostre amitié, Ξencor encore que vostre meffiance vous
y fasse faire de si grandes fautes ; et ne croyez
pas que je n'aye Ξrecognu reconneu vostre Amour, mais vostre
silence qui m'Ξoffensoit offençoit, m'a fait taire. - Puis,
repliquay-je, que vous l'avez Ξcognu cogneu, et que vous ne
m'en avez point parlé, je suis le plus Ξoffensé offencé, car
j'advouë bien
" d'avoir failly en quelque chose contre
nostre
" amitié en me Ξ(Guillemets de "taisant" à "erreurs". taisant, mais il faut considerer
" qu'un Amant n'est pas à soy mesme, et que de toutes
ses erreurs il en faut accuser la violence de son
mal ; mais vous qui n'Ξaviez avez point de passion, vous
n'avez point d'excuse Ξaussi que le deffaut d'amitié.
Lysis se mit à sousrire, oyant mes raisons, et me
respondit : - Vous estes Ξ*gratieux plaisant, Corilas, de me
payer en me demandant η, si ne veux-je toutesfois vous contredire, et puis que vous avez ceste
opinion, voyez en quoy je puis Ξamander amender ceste faute.
- En faisant pour moy, respondis-je, ce que vous
n'avez peu faire pour vous. ΞC'est qu' il C'est (il faut en fin le
dire) que si je ne parviens à l'amitié de Stelle,
il n'y a plus d'espoir en moy. - O Dieux ! s'escria
alors Lysis, à quel Ξdangereux passage vous Ξa conduit vostre
desastre ? Fuyez, Corilas, ce dangereux rivage,
où en verité il n'y a que des rochers, et des bancs qui ne sont remarquez que par les naufrages
de ceux qui ont pris Ξceste cest mesme Ξroutte route. Je vous en
parle comme experimenté, vous le sçavez.
[ 150 recto ] 1607 fonctionnelle
Je croy
bien qu'ailleurs vos merites vous acquerront
meilleure fortune qu'à moy, mais avec ceste perfide,
c'est Ξ*errer erreur que d'esperer que la vertu ny la raison
le puissent faire.
Je luy respondis : - Ce ne m'est peu de contentement
de vous ouyr tenir Ξces langages ce langage, car jusques icy
j'ay esté en doute que vous n'en eussiez Ξencore encores quelque ressentiment, et cela m'a fait aller plus
retenu. Mais puis que, Dieu mercy cela n'est pas,
je Ξ(Guillemets de "veux" à "succède".) veux en cet Amour tirer une extreme preuve de
vostre amitié. Je sçay que la Ξhayne haine qui succede à
l'Amour, se mesure à la grandeur de son devancier,
et qu'ayant tant Ξaimé aymé ceste belle Bergere, venant à
la Ξhaïr hayr, la haine en doit estre d'autant plus grande.
Toutefois ayant sceu par Stelle mesme, que je ne
puis parvenir à ce que je desire que par vostre
moyen, je vous adjure par nostre amitié de m'y
vouloir Ξaider ayder, soit en le luy conseillant, soit en
la priant, ou de Ξquelle quelque sorte que ce puisse estre
et je nomme celle-cy une extréme preuve ; car je ne
doute point que la Ξhaïssant hayssant, il ne vous ennuye de
Ξluy parler parler à elle, mais c'est mon amitié qui veut faire
paroistre qu'elle est plus forte que la haine.
Lysis fut bien surpris, attendant de moy toute
autre priere que celle cy, par laquelle, outre le
Ξdesplaisir deplaisir qu'il auroit de parler a Stelle, encor se
voyoit il a jamais privé de la personne qu'il Ξaimoit aymoit
le plus. ΞToutefois Toutesfois, il respondit : - Je feray tout ce
que vous voudrez, vous ne vous sçauriez promettre
davantage de moy que j'en ay de volonté. Mais
ressouvenez-vous
[ 150 verso ] 1607 fonctionnelle
de ce qui s'est passé entre nous,
et que j'ay Ξ(Guillemets de "tousjours" à "point".) tousjours ouy dire, qu'aux messages
d'Amour, il se faut servir de personnes qui ne sont
point Ξhaïes hayes. Il est vray qu'il ne faut Ξpoint
" pour Stelle
y regarder de si pres,
" puis que je vous Ξassure asseure, que
vous y ferez aussi bien vos affaires de ceste sorte
que d'une autre. ΞAinsi voila Voyla donc le pauvre Lysis au lieu d'Amant devenu
messager d'Amour, mestier que son amitié luy
commanda de faire pour moy, non point par acquit,
mais en intention de m'y servir en amy, quoy que
peut estre depuis l'Amour luy fist en quelque sorte
changer ce dessein, comme je vous diray. Mais en
cela il faut accuser la violence d'Amour, et le
pouvoir trop absolu qu'il a sur les hommes, et
admirer l'amitié qu'il me portoit, qui luy
permit de consentir à se priver à jamais de ce qu'il
Ξaimoit aymoit, pour me le faire posseder. Quelques jours apres, recherchant la commodité de
Ξluy parler parler à elle, il la trouva si à propos chez-elle,
qu'il n'y avoit personne qui Ξpûst peust η interrompre son
discours, pour long qu'il le Ξvoulut voulu faire, et lors,
renouvellant le souvenir de l'injure qu'il en
avoit euë, il s'arma tellement contre ses Ξattraits attrais,
qu'Amour n'Ξeut guiere eust guere d'espoir pour ce coup de le
pouvoir vaincre. Ce ne fut pas que la Bergere ne
mist autant d'estude pour le surmonter, que luy
pour trouver Ξdes les seuretez pour sa liberté ; mais
parce que contre Amour il opposa le despit et
l'amitié, le premier armé de l'offense, et l'autre
du devoir, il demeura invaincu en ce
[ 151 recto ] 1607 fonctionnelle
combat.
Avant qu'il commençast de parler, elle le voyant
approcher, luy alla au devant, avec les paroles de
la mesme η affetterie : - Quel nouveau bon-heur dit
elle, est celuy qui me rameine ce desiré Lysis ?
Quelle faveur inesperee est celle-cy ? Je Ξtourne retourne Ξà a bien esperer de moy, puis que vous revenez : car
je puis avec verité jurer Ξn'avoir depuis que vous me laissastes jamais eu entier que depuis que vous me laissastes je n'ay jamais eu un entier contentement.
A quoy le Berger respondit : - Plus Ξ*belle affettée que
fidelle Bergere, je suis plus satisfait de la
confession que vous faites, que je n'ay esté offensé
par vostre infidelité. Mais laissons ce discours,
et oublions-le pour jamais, et respondez moy à ce
que je veux vous demander. Estes vous encor resoluë
de tromper tous ceux qui vous Ξaimeront aymeront ? Pour moy je
sçay bien qu'en croire, nulle de vos humeurs à mes
despens ne m'estant Ξincognuë inconüe. Mais ce qui me Ξ*fait le convie à les vous demander, c'est pour cognoistre à vostre
mine, si l'on en sera quitte à meilleur marché ; car
si vous Ξdittes dites avec affection, serment, ou autre sorte
d'asseurance, que nul ne sera déceu de vous, pour
certain ils sont de mon rang.
La Bergere n'attendoit pas ces reproches, Ξtoutefois toutesfois elle ne laissa de luy respondre : - Si vous n'estes
venu que pour m'injurier, je vous remercie de ceste
visite ; mais aussi vous avez bien occasion de vous
plaindre de moy. - Me plaindre, respondit le Berger,
je vous prie laissons cela à part, je ne me plains
non plus que je vous injurie, et tant s'en faut
que j'use de plainte, que
[ 151 verso ] 1607 fonctionnelle
je me louë de vostre
humeur ; car si vous eussiez plus longuement fait
paroistre de m'aimer, j'eusse plus long temps vescu
en tromperie. Et Ξplust pleust à Dieu que la perte de
vostre amitié ne m'eust Ξrapporté r'apporté plus de regret
" que de dommage ; vous n'auriez pas occasion
" de dire
que je Ξ(Guillemets de "me" à "ensemble".) me plains, [ v Ξet c'est pourquoy je ne me plains, ny vous injurie non plus que je ne vous injurie pas, puis que l'injure et la verité ne peuvent non
plus estre ensemble, que vous et la fidelité, mais
il est tres-veritable que vous estes la plus trompeuse et la plus ingratte Bergere de Forests. - Il me
semble, luy respondit Stelle, peu courtois Berger,
que ces discours Ξ*sieroient seroient mieux en la bouche de
quelqu'autre que de vous.
Alors Lysis changeant un peu de façon : - Jusques
icy, dit-il, j'ay presté ma langue au juste despit
de Lysis, à ceste heure je Ξla preste l'ay presté η à un qui a
bien plus affaire de vous : c'est un Ξpeu prudent η Berger qui vous Ξaime ayme, et qui n'a rien de cher au
prix de vos bonnes graces. Elle croyant qu'il se
mocquast, luy respondit : - Laissons ce discours,
et qu'il vous suffise, Lysis, que vous m'avez
Ξaimée aymée, sans à ceste heure vouloir renouveller le
souvenir de vos erreurs. - A la verité, repliqua
soudain le Berger, c'estoient bien erreurs celles
qui me Ξfaisoient poussoient à vous Ξaimer aymer. Mais vous n'errez pas moins, si vous avez opinion que je parle de
moy : c'est du pauvre Corilas, qui s'est tellement
laissé surprendre à ce qui se void de vous, que
pour chose que je luy aye sceu dire de vostre
humeur, il m'a esté impossible de l'en tirer. Je
luy ay dit ce que j'avois
[ 152 recto ] 1607 fonctionnelle
Ξespreuvé esprouvé de vous, le peu d'amitié, et le peu d'Ξassurance asseurance, qu'il y a en vostre ame, et en vos paroles. Je luy ay juré que vous le tromperiez, et je sçay que vous m'empescherez d'estre parjure, mais le pauvre miserable est tant aveuglé, qu'il a opinion que où je n'ay Ξpû peu attaindre, ses merites le feront parvenir, et Ξtoutesfois toutesfois pour le Ξdestromper detromper je luy ay bien dit, que le plus grand empeschement d'obtenir quelque chose de vous estoit le merite. Et afin que vous en croyez ce que je vous en dis, voicy une lettre qu'il vous escrit ; j'ay opinion que s'il a failly, vous luy en ferez bien faire la penitence. Et Ξparce par ce que Stelle ne vouloit lire ma lettre, Lysis l'ouvrant la luy leut tout haut.
Il est bien impossible de vous voir sans vous Ξaimer aymer,
mais plus encore de vous Ξaimer aymer sans estre extréme
en telle affection ; que si pour ma Ξdeffense deffence il vous
plaist de considerer ceste verité, quand ce papier
se presentera devant vos yeux, je m'Ξassure asseure que la
grandeur de mon mal obtiendra par pitié autant de
pardon envers vous, que l'outrecuidance qui
m'esleve Ξen lieu si haut à tant de merites, pourroit meriter de
juste
[ 152 verso ] 1607 fonctionnelle
punition Ξ*et vous fera recevoir mon service avec autant de douceur, que de flames vos perfections allument en ce cœur, duquel . Attendant le jugement que vous en ferez, permettez que je baise mille et mille fois
vos belles mains, sans pouvoir par tel nombre
Ξégaler esgaler celuy des morts, que le Ξrefuz refus de ceste
supplication me donnera, ny des felicitez qui m'accompagneront,
si vous me recevez comme veritablement je suis,
pour vostre tres-affectionné et Ξfidele fidelle serviteur η.
Soudain que Lysis eut Ξfiny achevé de lire, il continua :
- Et bien Stelle, de quelle mort mourra-t'il ? Pour
combien en sera-t'il quitte ? Pour moy, je commence
à le plaindre, et vous à penser par quel moyen vous
l'entretiendrez en Ξl' opinion où il est, et puis comme
vous luy ferez trouver vos refus plus amers.
Ces discours touchoient à bon escient ceste Bergere,
Ξ*et eust bien voulu estre hors de là, toutefois voyant combien il estoit esloigné de l'aymer, de sorte que pour l'interrompre elle fut contrainte
de luy dire : - Il me semble Lysis que si Corilas est en la volonté que ce papier fait paroistre, il
a esté peu advisé de vous y employer, puis que vos
paroles sont plus capables d'acquerir de la Ξhaine hayne que de l'amitié, et que vous semblez Ξplutost plustost messager de guerre, que de paix. - Stelle, repliqua
le Berger, tant s'en faut qu'il ait esté peu advisé
en ceste élection, que s'il avoit monstré autant de
jugement au reste de ses actions. Il ne seroit pas
tant necessiteux de vostre secours. Il a Ξespreuvé esprouvé
[ 153 recto ] 1607 fonctionnelle
vos affetteries, il sçait quels sont vos attraits,
et de qui se fust-il pû servir sans soupçon de se
faire Ξplutost plustost un competiteur Ξqu'un que un amy favorable,
sinon de moy, qui vous hay plus que la mort ? Et
toutefois l'artifice dont je me sers n'est pas
mauvais, car vous representant si naïfvement ce que
vous estes, vous Ξrecognoistrez reconnoistrez mieux l'honneur qu'il
vous fait de vous Ξaimer aymer. Mais laissons ce propos et
me dittes à bon escient s'il est en vos bonnes
graces, Ξet η combien il y demeurera ? puis qu'en
verité je n'oserois retourner à luy sans luy en
apporter quelque bonne Ξresponse responce. Je vous en
conjure par son amitié, et par la nostre passée.
A ce propos le Berger en adjousta quelques autres
avec tant de prieres, que la Bergere creut qu'il le
disoit à bon escient, ce qu'elle mesme se persuada
aisément selon son naturel ; car c'est la coustume
de celles qui s'affectionnent aisément η de croire
encore plus aisément d'estre Ξaimées aymées, si est-ce que
pour ceste fois Lysis ne Ξpût peust η obtenir d'elle, Ξsinon si
non que l'amitié de son cousin, au deffaut de la
sienne, ne luy estoit point desagreable, mais que le
temps seroit son conseil. Et depuis par diverses
fois, ΞLysis il la sollicita, de sorte, qu'il en eut toute
telle Ξassurance asseurance qu'il voulut, et Ξparce par ce qu'il se
ressouvint de son humeur volage, il tascha de
l'obliger par une promesse Ξescrite escritte de sa main, et
la sceut tourner de tant de costez, qu'il en eut
ce qu'il voulut.
Il s'en revint de ceste sorte vers moy, et me Ξ*raconta fit le
discours de tout ce qu'il avoit fait, horsmis
[ 153 verso ] 1607 fonctionnelle
de
ceste promesse, car connoissant l'humeur de Stelle,
il se doutoit Ξtoujours tousjours qu'elle le tromperoit, et
que s'il me parloit de ce papier, ce seroit m'y
embarquer Ξdavantage d'avantage, et puis plus de peine a me
Ξramener r'amener. Tout cecy fut sans le sceu d'Aminthe,
de laquelle plus que de Ξnulle nul autre Stelle Ξs'alloit cachant se cachoit. Lors que j'eus receu une telle Ξassurance asseurance de ce que je desirois le plus, apres en avoir
remercié la Bergere, je commençay avec sa permission
de donner ordre aux nopces, et ne faisois plus
difficulté d'en parler ouvertement, quoy que Lysis me predit tousjours bien qu'en fin je serois
trompé. Mais l'Ξapparance apparence du bien que nous desirons,
flatte de sorte,
" que Ξmalaisément mal-aisément prestons nous
l'aureille
" à qui nous dit le contraire. ΞCe pendant Cependant que ce
" mariage s'alloit divulgant, Semire,
qui comme je vous ay dit, avoit quitté ceste
recherche à cause de Lysis et de moy, estant Ξpiqué picqué des discours qu'elle avoit tenus de luy, resolut
pour faire paroistre le contraire, à Ξquel pris quelque prix que ce Ξfust fut de r'entrer en ses bonnes graces, en
dessein de la quitter par apres si effrontement qu'elle ne Ξpûst peust plus dire que ceste separation
procedast d'elle. Il ne fallut pas y apporter
beaucoup d'artifice, car son humeur changeante se
laissa aisément aller à son naturel, et ainsi Ξtout à coup à coup η la voilà resoluë de me quitter pour Semire,
comme peu auparavant elle avoit quitté Semire pour
moy. Si n'estoit-elle pas sans peine, à cause de la
promesse qu'elle avoit escritte, ne sçachant
[ 154 recto ] 1607 fonctionnelle
Ξcomme comment s'en desdire. En fin le jour Ξestant venu des nopces des nopces estant venu, où j'avois
assemblé η la plus part de mes Ξparents parens et amis, je
m'en tenois si asseuré, que j'en recevois la
Ξresjouïssance η resjouyssance η de tout le monde, mais elle qui
pensoit bien ailleurs, lors que je n'estois attentif
qu'à faire bonne chere à ceux qui estoient venus,
Ξelle rompit tout à fait ce traitté, avec des excuses
encores plus mal-basties que les premieres, dequoy
je me sentis tant offensé, que, partant de chez
elle sans luy dire à dieu, je Ξconceuz conçeus un si grand
mespris de sa legereté, que jamais depuis elle n'a
peu rapointer avec moy.
Or jugez, mon pere, si j'ay occasion de me douloir d'elle, et si ceux qui le racontent à mon des-avantage
en ont esté bien informez. - A la verité, respondit
Adamas, voilà une femme indigne de ce nom, et
m'estonne comme il est possible qu'Ξen ayant tant trompez, il y en ait ayant trompé tant de gens, il y ait encor quelqu'un qui se fie en
elle. - Encore ne vous ay-je pas tout raconté,
reprit Corilas ; car apres que chacun s'en fut allé, horsmis Lysis elle fit en sorte que
Semire l'arresta Ξjusques jusque sur le soir. Cependant,
comme je croy, qu'elle alloit cherchant quelque
artifice pour Ξravoir r'avoir sa promesse, Ξparce par ce qu'elle
voyoit bien qu'il estoit du tout Ξoffensé offencé contre
elle. En fin tout effrontement elle luy parla de
ceste sorte : - Est-il possible, Lysis, que vous
ayez tellement perdu l'affection que si souvent vous
m'avez jurée, que vous n'ayez plus nulle volonté
de me plaire ? - Moy, dit Lysis, le Ciel me
[ 154 verso ] 1607 fonctionnelle
fasse
plustost mourir. A ce mot Ξquel quelque empeschement qu'elle y Ξsceust sçeut mettre, il sortit Ξdehors de de la maison pour Ξmonter à cheval *s'en aller, mais
elle l'atteignit assez pres de la, et luy prenant
la main entre les siennes, la luy alloit serrant
d'une façon que chacun eust jugé qu'il y avoit bien
de l'Amour, et quoy qu'il fust tres-sçavant de son
humeur et de ses tromperies, si ne Ξ*pût-il s'empescher, quoy qu'il ne creust point à ses flatteries, de s'y plaire, et considerant ses actions fut contraint de luy dire se peust η-il empescher de se plaire à ses flatteries, encore qu'il ne leur adjousta point de foy, ce qu'il tesmoigna bien, lors que considerant ses actions, il luy dit :
- Mon Dieu, Stelle, que vous abusez des graces dont
le Ciel vous a esté sans raison prodigue ! Si ce
corps enfermoit un esprit qui eust quelque
Ξ*simpathie ressemblance avec sa beauté, qui est-ce qui pourroit
vous resister ? Elle qui Ξrecognut reconnut quelle force
avoient eu ses caresses, y adjousta tout l'artifice
de ses yeux, toutes les menteries de sa Ξparole bouche, et
toutes les malices de ses inventions, avec lesquelles
elle le tourna de tant de costez, qu'elle le mit
presque hors de luy mesme η, et puis elle usa de tels
mots : - Gentil Berger, s'il est vray que vous soyez
ce Lysis, qui Ξautrefois autres fois m'a tant affectionnée, je
vous conjure par le souvenir Ξde d'une saison si heureuse
pour moy, de vouloir m'escouter en particulier, et
croyez que si vous avez eu quelque occasion de vous
plaindre, je vous Ξferai feray paroistre, que ceste seconde
faute, ou pour le moins que vous estimez telle, n'a
esté commise que pour remedier à la premiere. A ces
paroles Lysis fut vaincu ; Ξtoutefois toutesfois pour ne se
montrer si foible, il luy respondit : - ΞVoiez Voyez vous,
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Stelle, combien vous estes esloignée de vostre
opinion, tant s'en faut que je voulusse faire quelque
chose qui vous Ξplust pleust, qu'il n'y a rien qui vous
Ξdesplaise deplaise que je ne tasche de faire. - Puis qu'il
n'y a point d'autre moyen, respondit la Bergere,
revenez donc dans la maison pour me Ξdesplaire déplaire. - Avec
ceste intention, respondit-il, je le veux.
Ainsi donc ils r'entrerent chez elle, et lors qu'ils
furent pres du feu η, elle reprit la parole de ceste
sorte : - En fin, Berger, il est impossible que je
vive plus longuement avec vous, et que je dissimule.
Il faut que Ξdu tout j'oste j'oste du tout le masque à mes actions,
et vous Ξcognoistrez connoistrez que ceste pauvre Stelle, que vous avez tant
estimée volage, est plus constante que vous ne
pensez pas, et veux seulement, quand vous le
Ξcognoistrez connoistrez ainsi, que pour satisfaction des
outrages que vous m'avez faits, vous confessiez
librement que vous m'avez Ξoutragé outragée. Mais, dit-elle
soudain, interrompant ce propos, qu'avez vous fait
de la promesse qu'autrefois vous avez euë de moy
en faveur de Corilas ? Car si vous la luy avez
donnee, cela seul peut interrompre nos affaires.
Qui est-ce qui en la place de Lysis n'eust creu
qu'elle l'aimoit, et qui ne se fust laissé tromper
comme luy Ξaussi ayant ? Aussi ce Berger, ayant opinion qu'elle
vouloit faire pour luy ce qu'elle m'avoit refusé,
Ξil luy rendit sans difficulté ceste promesse qu'il
avoit tousjours tenuë et fort chere, et fort secrette. Ξaussi tost Soudain qu'elle l'eut, elle la Ξdeschira dechira, et
s'approchant du feu luy en fit un sacrifice ; et
puis, se tournant Ξau vers le Berger,
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elle luy dit en sousriant : - Il ne tiendra plus qu'à vous, gentil Berger, que vous ne poursuiviez vostre voyage, car il est des-ja tard. - O Dieux ! s'escria Lysis Ξcognoissant connoissant sa tromperie, est-il possible que jusques à trois fois j'aye esté deçeu d'une mesme personne. - Et quelle occasion, luy dit Stelle, avez-vous de dire que vous ayez esté trompé ? - Ah ! perfide et Ξdesloyalle desloyale, dit-il, ne venez-vous pas de me dire que vous me feriez paroistre que ceste derniere faute n'a esté faite que pour reparer la premiere, et que pour me monstrer que vous estiez constante, vous me Ξdescouvririez découvririez au nud vostre cœur et vos Ξvos actions intentions ? - Lysis, dit-elle, vous venez tousjours aux injures. Si je ne vous ay jamais aimé ne suis-je constante à ne vous aimer point encores ? Et ne vous fay-je voir quel est mon cœur ? Et à quoy tendent mes actions, puis qu'ayant eu ce que je voulois de vous, je vous laisse en paix ? Croyez que toutes les Ξparoles parolles que vous m'avez fait perdre depuis une heure en çà, n'estoient que pour recouvrer ce papier, et à ceste heure que je l'ay, je prie Dieu qu'il vous donne le Ξbon soir bonsoir. Quel estonnement pensez-vous que fut celuy du Berger ? Il fut si grand, que sans parler, ny temporiser Ξdavantage d'avantage, demy hors de soy, il s'en alla chez luy. Mais certes il a bien eu depuis occasion d'estre vengé, car Semire, comme je vous ay dit, qui avoit esté la cause de mon mal, ou Ξplutost plustost de mon bien, telle η puis-je nommer ceste separation d'amitié, se ressentant encor offensé du premier mespris qu'elle avoit fait de luy, voyant ceste extreme legereté, et considerant que peut-
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estre luy en pourroit elle faire Ξencor encore de
mesme resolut de la prevenir. Et ainsi, l'ayant
abusée, comme nous l'avions esté Lysis et moy, il
rompit le traitté du mariage au milieu de l'assemblee
qui en avoit esté Ξ(Guillemets de "faite" à "supplice ".) faite, qui fit dire à plusieurs,
que par les mesmes armes η dont l'on blesse, on en
reçoit bien souvent le supplice.
Corilas finit de ceste sorte. Et Adamas Ξse en sousriant luy dit : - Mon enfant, le meilleur conseil
que je vous puisse donner en cecy, c'est de fuir la
familiarité de ceste trompeuse, et pour vous
deffendre de ses artifices, et contenter vos
parents, qui desirent avec tant d'impatience de vous
voir marié, lors que quelque bon party se presentera
Ξpour vous recevez-le sans vous arrester à ces jeunesses
d'Amour ; car il n'y a rien qui vous puisse mieux
garantir des finesses et surprises de ceste
trompeuse, ny qui vous rende plus estimé
parmy vos voisins, que de vous marier, non point par
Amour, mais par raison. Celle-là estant une des plus
importantes actions que vous puissiez jamais
faire, et de laquelle tout l'heur et tout le
mal-heur d'un homme peut Ξdespendre dépendre.
A ce mot ils se separent, car il
commençoit à se faire tard,
et chacun prit le chemin
de son logis.